Les dirigeants des principales puissances du continent ont tenté, dimanche 2 mars, de sauver les meubles après l’altercation dans le Bureau ovale entre Donald Trump et Volodymyr Zelensky. L’objectif, périlleux : se montrer proactif sur le processus de paix, sans s’aliéner le président américain. Et, au passage, réconcilier Kiev et Washington.À Lancaster House, cette demeure du XIXe siècle voisine du palais de Buckingham, c’était ce week-end l’heure de vérité pour l’Europe, dont les grandes puissances s’étaient réunies pour tenter de sauver ce qui peut l’être de l’ordre mondial post-1945.
Le Premier ministre britannique, Keir Starmer, et le président français, Emmanuel Macron, ont formulé, de concert, un message clair : l’Europe doit prouver à Donald Trump que, face à la crise qu’elle vit, elle fait partie de la solution, pas du problème.
Comme le résumait un proche de Starmer avant le sommet du dimanche 2 mars, il n’y a pas d’autre choix que de se rabibocher avec la Maison-Blanche :
“Le Premier ministre va rassembler les Européens pour s’assurer poliment qu’ils ont bien compris qu’il n’y a qu’une négociation qui vaille aujourd’hui, et c’est celle du président Trump.”
Plan de paix européen
Passant en revue les ravages diplomatiques laissés par la terrible altercation dans le Bureau ovale entre Trump et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, Starmer et Macron n’ont laissé aucun doute dimanche : l’Europe doit intervenir pour tenter de préserver l’idée d’une paix négociée en Ukraine.
Pour Starmer, cela signifie que le Royaume-Uni et la France devront travailler avec Zelensky sur les contours d’un accord de paix au-delà de la trêve, pour l’Ukraine, puis aller présenter ce plan européen à Trump, en se posant en médiateurs dans la relation toxique qui s’est établie entre Kiev et Washington. Keir Starmer a rappelé encore une fois dimanche qu’aucun accord final ne pourrait se faire sans l’Ukraine, en particulier sur le tracé de la “ligne” de cessez-le-feu entre ce pays et la Russie, mais que, en attendant, c’est l’Europe qui mènera les discussions diplomatiques pour le compte de Kiev.
Le porte-parole du Kremlin ravi
Cette tâche délicate, sinon impossible, revient donc à trois dirigeants européens, ceux avec qui Trump semble entretenir les meilleures relations actuellement : Starmer et Macron, qui se sont rendus à Washington la semaine dernière, et la Première ministre italienne, Giorgia Meloni.
“Il est très, très important que nous évitions le risque d’une division de l’Occident”, a estimé Meloni auprès de Starmer lors d’une rencontre bilatérale qui s’est tenue à Downing Street avant le sommet de Lancaster House.
C’est qu’au Kremlin, la perspective d’une rupture définitive entre l’Europe et les États-Unis réjouit déjà. Dmitri Peskov, le porte-parole du président Vladimir Poutine, a salué l’administration Trump pour “avoir changé de façon spectaculaire toutes les configurations de sa politique étrangère” et s’être rapprochée de la vision que se fait Moscou de son invasion de l’Ukraine.
Un avertissement à Zelensky
La rupture transatlantique est, de fait, un véritable danger dont la menace planait sur Lancaster House, malgré le soleil printanier qui régnait sur Londres. Comme pour appuyer là où ça fait mal, Elon Musk, le Monsieur Dégraissage de Trump, citait sur son réseau social X un commentateur politique américain estimant qu’il était “temps de sortir de l’Otan et des Nations unies”. “Je suis d’accord”, a répondu le milliardaire.
Starmer et Macron se sont mis en quatre pour offrir à Zelensky l’accolade diplomatique, au sens figuré comme au sens propre, ainsi que l’ont montré les images à Downing Street samedi. Le roi Charles a également reçu le président ukrainien dimanche.
Mais au-delà des embrassades, un sérieux avertissement a été lancé au dirigeant ukrainien : il ne peut y avoir de paix durable sans la Maison-Blanche, aussi Zelensky doit-il rouvrir le dialogue avec Trump et signer l’accord qui donnera aux Américains des droits sur les ressources minières ukrainiennes.
“Coalition des bonnes volontés”
Au téléphone la veille du sommet, Starmer s’est démené, à en croire des responsables britanniques, pour assurer à Trump que le sommet de Lancaster House n’était en aucun cas organisé pour permettre à l’Europe de se liguer contre lui.
“La priorité du Premier ministre est de tout faire pour défendre l’Ukraine, a déclaré un représentant britannique. Cela signifie que les États-Unis doivent être partie prenante. Il faut réparer la relation [entre Kiev et Washington] et revenir à l’accord sur les minerais.”
Selon plusieurs diplomates européens, Starmer, Macron et Meloni partagent également l’idée qu’ils devront prendre la tête des initiatives diplomatiques visant à préserver les garanties de sécurité américaines, non seulement pour l’Ukraine mais aussi pour tout le continent européen.Starmer et Macron ont aussi promis une force de soutien franco-britannique en cas de trêve et appellent d’autres pays européens à les rejoindre au sein d’une “coalition des bonnes volontés”. Pour l’heure, les candidats ne se bousculent pas.
Éviter l’échec de Minsk
Selon des sources britanniques, les deux dirigeants ont toutefois clairement indiqué qu’une telle force était condamnée à l’échec si les États-Unis leur refusaient un “filet de sécurité” – à savoir une couverture aérienne ainsi que des moyens de surveillance pour protéger les troupes européennes au sol.
Le Premier ministre britannique a souligné le danger d’un mauvais accord avec Poutine, rappelant l’échec des accords de Minsk, signés sur l’Ukraine en 2014 et 2015. “Nous ne pouvons accepter un accord faible que la Russie peut violer sans difficulté, comme ceux de Minsk”, a déclaré Starmer.
De son côté, Donald Trump n’a donné aucun signe laissant penser qu’il était prêt à apporter son soutien à un accord. Les promesses européennes de réarmement arrivent peut-être trop tard – cela fait presque dix ans que Washington demande aux Européens de ne plus seulement s’abriter sous le parapluie américain.
Limiter les dégâts
Jeudi 27 février, à Washington, Trump a expliqué à Starmer que la présence d’entreprises et de personnels américains en Ukraine – pour exploiter les richesses minières du pays – devrait, selon lui, suffire à dissuader Poutine de toute nouvelle attaque.
N’ayant peut-être guère d’autre choix, l’Europe s’efforce à présent de limiter les dégâts.
“Nous devons tout faire pour maintenir des liens transatlantiques forts”, a écrit le président lituanien, Gitanas Nauseda, dans un message posté sur X après un appel vidéo avec Starmer et d’autres dirigeants des pays Baltes, dimanche matin.
L’inquiétude monte dans les capitales européennes, notamment celles des pays de l’Est, les plus exposés à la menace russe et particulièrement dépendants de la protection américaine. Toute rupture avec Trump à propos de l’Ukraine pourrait encore réduire l’engagement des États-Unis dans la défense collective des pays de l’Otan.
“Pas besoin de gens qui twittent”
Giorgia Meloni ( une fervente alliée de Kiev qui entretient de bonnes relations avec Trump ) a évoqué plusieurs pistes pour limiter les dégâts de l’altercation dans le Bureau ovale. Elle a publiquement appelé à l’organisation immédiate d’un sommet Europe - États-Unis pour discuter ensemble de l’avenir de l’Ukraine et a eu une conversation téléphonique avec Donald Trump samedi soir.
L’Allemagne, l’Espagne et la Pologne font partie des pays qui ne se sont pas engagés à envoyer des troupes en Ukraine – alors que l’UE se prépare tout juste à augmenter ses dépenses militaires.
À Londres, un nombre croissant de voix estiment que les dirigeants européens doivent cesser de critiquer publiquement Trump pour ses attaques contre Zelensky et commencer à montrer à la Maison-Blanche qu’ils sont prêts à assumer la charge de leur propre sécurité.
“Ce dont l’Ukraine a besoin aujourd’hui, c’est du beurre et des armes, résume un proche de Starmer. Elle n’a pas besoin de gens qui twittent et prennent des postures moralisatrices.”
Ce dimanche, on a beaucoup parlé à Lancaster House. Mais l’Europe sait à présent qu’elle doit surtout agir.
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