mercredi 26 décembre 2012

LE PIRATE QUI PARLAIT AUX BALEINES




La cavale de Paul Watson, le pirate qui parlait aux baleines

Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible rendront une révolution violente inévitable.
John Fitzgerald Kennedy

Visé par un mandat d'arrêt, l'activiste écolo a lancé sa 9e campagne en Antarctique contre les chasseurs japonais.
"L'Obs" était à bord avec lui.
De notre envoyée spéciale dans le Pacifique
Rencontrer Paul Watson, ça se mérite. Pirate des océans, recherché par toutes les polices du monde, il a disparu depuis des mois de la planète médias et aucun journaliste, pas même ses amis du "Guardian", le quotidien anglais, ne sont parvenus à le localiser. Se cachait-il à Vancouver ? En Patagonie ? A Melbourne ? Beaucoup mieux. La première étape de ce "Koh-Lanta" des flots bleus était au large des îles Samoa, à Pago Pago. A vingt-quatre heures d'avion depuis Paris, et aucune autre indication.
Une seule certitude : pour rencontrer Paul Watson, il fallait se rendre à bord du "Steve Irwin", au beau milieu du Pacifique Sud, quelque part entre les îles Samoa, Tonga, Fidji et la Nouvelle-Zélande. Combien de temps, dans quelles conditions se déroulerait le périple ? Pas de réponse. Car autour de Watson, la paranoïa règne. Ne rien dire, ne rien écrire qui puisse compromettre sa sécurité est la règle.
Episode "Survivor"
Siddharth (Sid), le capitaine en second et manager du "Steve Irwin", avec qui la communication se fait par mail depuis le début de l'expédition, en dira le minimum. Le déroulé du parcours sera fixé par mail... une fois arrivé à Pago Pago. Rendez-vous est pris pour le lendemain à 9 heures à l'aéroport de fortune de cette île perdue dans le Pacifique pour un décollage en hélicoptère à 10 heures. Direction : le navire.
On ne le sait pas encore, mais ce sera l'épisode "Survivor" du voyage. Militant de la flotte Sea Shepherd, Roger, le pilote américain, cheveux longs poivre et sel rattrapés par un bandana noir, a beau se montrer rassurant, les trente minutes à voler au raz du Pacifique dans le petit hélico blanc sans portes paraissent une éternité. Et un défi à l'existence, avant un atterrissage au millimètre sur le pont surélevé et très étroit du "Steve Irwin".
Paul Watson apparaît, jovial, bonhomme, blagueur sur le mode "Still alive ?", telle la récompense ultime d'une traversée qui va durer - et c'est la surprise du chef - neuf jours. Neuf jours de navigation jusqu'à Auckland en Nouvelle-Zélande, qui correspondent en réalité à la première étape de cette campagne baptisée "Opération Tolérance zéro", pour zéro baleine tuée. Une phase de préparation où les équipages s'entraînent pour ce qui sera leur bataille navale, répétant tous les gestes des actions futures contre l'ennemi. Une étape stratégique aussi où le navire amiral file vers le pôle Sud afin de retrouver les trois autres vaisseaux de la flotte Sea Shepherd pour coordonner leur traque contre les chasseurs de cétacés.
Une bombe sur la mer australe
"On est à l'endroit le plus dangereux de la planète, dans des mers hostiles juste au-dessus des quarantièmes rugissants, sur un bateau qui est lui-même dangereux, sur lequel on est préparé pour faire un job dangereux, prévient Beck, l'autre officier de navigation du navire. Assurer la sécurité à bord reste la chose la plus importante si on veut mener cette campagne dans de bonnes conditions." Il n'y a rien d'exagéré dans le propos de cet Américain de 43 ans ultradiscipliné, qui fut éleveur de dauphins et qui suit désormais une formation universitaire en alternance sur les espèces marines.
Le bateau, qui transporte la quasi-totalité de ses besoins en fioul pour les trois mois de campagne, est en fait une vraie bombe lancée à plein régime sur la mer australe. De la soute jusqu'au pont arrière, le "Steve Irwin" est gorgé de dizaines de fûts de carburant en ferraille, soit de centaines de milliers de litres de produit ultra-infammable stockés dans un espace réduit. On comprend dès lors vite pourquoi il y a autant d'extincteurs sur le navire.
Pour cette campagne, Sea Shepherd a prévu de consommer 500.000 tonnes de fioul pour toute sa flotte, ce qui représente la moitié du budget total de cette opération de 4 millions de dollars. Au-dessus du pont arrière, sur un deuxième niveau fabriqué pour la circonstance, est posé l'hélicoptère, un outil indispensable pour repérer, localiser et harceler les navires japonais. A l'avant, trois Zodiac sont alignés, prêts à être mis à l'eau en cas de déclenchement d'une opération. Sur ce navire de 58 mètres, organisé sur quatre niveaux, on se sent très vite à l'étroit, d'autant que les trois mois de vivres stockés dans les cales dans de véritables épiceries et des congélateurs géants occupent de la place.
Un boulot dangereux sur un navire dangereux
Oui, Beck a raison. Il fait un boulot dangereux sur un navire dangereux. Il en sait personnellement quelque chose, lui qui a failli en mourir l'an dernier, prisonnier des eaux glacées de l'Antarctique pendant une attaque contre les Japonais.
Ainsi vogue ce "Steve Irwin" surchargé, avec ses 35 membres d'équipage parmi lesquels une dizaine de filles, tous volontaires, dédiés à la cause écolo en général et à Paul Watson en particulier. Tous sont prêts à en découdre pour la défense des mammifères marins.
Ils sont très jeunes - la moyenne d'âge à bord est de 25 ans -, tous tatoués, souvent piercés et plutôt très stylés. Entre jeunes urbains alternatifs et punks de bon ton. Bermuda sombre et tee-shirt noir à tête de mort pour tout le monde - l'emblème de Sea Shepherd -, godillots noirs à la coque en acier pour certains, notamment ceux qui travaillent dans la salle des machines, les militants du "Steve Irwin" forment une étrange armée. Un peu secte lorsqu'il s'agit de montrer sa détermination écolo - "Je défends la cause animale au moins autant sinon plus que la cause humaine", dit Hillary, embarquée pour ce qui constitue sa première campagne.
L'ambiance tourne un peu à la colonie de vacances à thème quand, après le dîner, à 18 heures pétantes, certains jouent à la bataille navale quand d'autres regardent un documentaire sur le scandale du recyclage des déchets dans le monde. Animée d'un esprit de sérieux plutôt louable compte tenu de la topographie océane, ils pratiquent quotidiennement le yoga - un cours est donné par Terence sur le pont arrière tous les jours à 17 heures - et respectent la hiérarchie et les ordres. La discipline est quasi militaire. Tableaux de service pour le ménage, vaisselle, rangement, quarts de veille, corvées multiples et variées, sorties des Zodiac, entraînement à l'hélico, exercices de cordage et autres manoeuvres de pont. Comme sur un navire de guerre.
"Ici, ce n'est pas une démocratie"
"Ici, ce n'est pas une démocratie, chacun ne fait pas ce qu'il veut, insiste Sid. On prend des risques et il faut que toutes les situations soient prépensées. Dans les actions contre les navires japonais, on ne peut pas envoyer n'importe qui entraver un bateau. Il faut des gens calmes, concentrés sous la pression, qui ne prennent pas des décisions perso. On ne veut pas des agités qui font des doigts d'honneur aux Japonais." Sur le "Steve Irwin", la grande partie des volontaires, en majorité des Australiens, des Néo-Zélandais, des Anglais et quelques Américains, en sont à leur première ou deuxième campagne. "C'est bien d'entretenir un esprit amateur, ça donne de l'énergie à l'équipage et à la campagne, affirme Paul Watson. Ici, il n'y a que Sid le manager et Bryan le chef ingénieur qui sont payés." Dans ce début de campagne, seul Fly, un marin de Vancouver, engagé volontaire comme troisième capitaine du bateau, n'a pas vraiment adhéré à l'esprit ambiant.
Régime végétarien pour tout le monde
Ou plutôt à la diète alimentaire locale, puisque, sur les bateaux Sea Shepherd, c'est régime végétarien pour tout le monde. Dans les assiettes, on ne sert aucun produit provenant d'un animal vivant - ni viande, ni poissons, ni oeufs, ni produits laitiers. Mais des légumes, des féculents, des graines, des pâtes et du riz et des gâteaux. Fly n'a pas supporté cette absence de protéines animales et s'est affaibli, risquant, a-t-il dit, "de faire prendre des risques à l'ensemble de l'équipage". C'est ainsi qu'à Auckland il a dû quitter le "Steve Irwin".
En ce début de campagne, le capitaine Watson semble avoir la maîtrise des opérations. En tout cas, il l'espère. Pas dupe du folklore ambiant, lucide aussi sur le dogmatisme des plus jeunes, qui se sentent souvent dépositaires d'une radicalité supposée. "J'ai été obligé d'intervenir sur le régime végétarien du bateau, dit-il. Il a fallu que je précise que, si le navire suit ce principe alimentaire à titre d'exemplarité, chacun dans sa cabine a le droit de faire ce qu'il veut, ça le regarde, et personne ne doit faire la police des placards."
Depuis cinq ans, une équipe de télé américaine de la série "Whale Wars" diffusée sur Animal Planet filme en permanence la campagne, qu'elle reconstitue en épisodes à la manière d'une émission de télé-réalité. "Je sais qu'ici tout le monde n'est pas d'accord avec ce principe mais la réalité c'est que "Whale Wars" est une formidable plateforme pour Sea Shepherd".
Poèmes épiques sur les baleines
Dans sa cabine sur le pont supérieur, Watson ne dirige plus le "Steve" au quotidien. Il écrit des poèmes à longueur de nuit, des poèmes épiques sur les baleines, "Planet of Whales, an Epic Poem", trois histoires en 64 chapitres de 192 strophes, ou encore des poèmes d'amour, "Horatio and Emma", sur les amours de l'amiral Nelson, ou encore des textes religieux sur l'utilisation de substance illicite par l'apôtre Paul : "On the High Road to Damascus".
Le reste du temps, il peaufine sa guerre, améliore ses stratégies d'attaque contre les Japonais - "un secret d'Etat", dit-il. Et il passe une bonne partie de la journée sur internet à gérer la surface médias de son organisation. Et accessoirement sa propre célébrité. Tous les jours à midi pile, Paul Watson a rendez-vous devant le grand écran de la salle commune du mess pour assister à la diffusion du "Colbert Report", une émission politique et satirique de télé américaine. "Stephen Colbert m'a déjà invité sur son plateau, c'était une façon très drôle et très décalée de parler de Sea Shepherd. J'ai aussi été invité deux fois chez Larry king sur CNN, deux fois au "Grand Journal" sur Canal+ et une fois au "Tonight Show" de Jay Leno", recense-t-il.
Terroriste présumé des océans
Pour un terroriste présumé des océans, le capitaine Watson est plutôt sympathique, avenant, un peu intimidant. Dans la cabine de pilotage du "Steve Irwin", le navire amiral de l'association Sea Shepherd qu'il a fondée en 1977, il regarde la lumière de fin de journée tomber sur la mer, les yeux plantés dans l'infini de ce Pacifique Sud qu'il connaît par coeur. La voix d'une chanteuse folk résonne plein pot, une rengaine celte remplit le pont supérieur du navire.
Autour, personne ne bronche : ici, c'est lui le patron et s'il a envie que le moment soit cinématographique, nul ne le contredira. Francis Ford Coppola n'est pas très loin, quand il s'amuse à rejouer "Apocalypse Now", en lançant, dit-il, "la Walkyrie" de Wagner... La mise en scène, Watson connaît bien. Il aime donner le ton, grandiloquent s'il le faut, rien ne le fera renoncer "à ses valeurs, à sa lutte... et à son esthétique de l'existence". "Je mène un combat pour le gagner, il n'y a pas d'autre option, explique-t-il. Et ce n'est pas maintenant que nous sommes tout près d'en finir pour de bon avec la chasse à la baleine en Antarctique que je vais abandonner."
Depuis trente-cinq ans, il a consacré toute sa vie à la conservation des océans, "de la défense du plancton jusqu'à celle des orques, des baleines, des bébés phoques ou des requins, précise-t-il. Des Féroé aux Galapagos, de Tahiti à l'Antarctique".
Pêche scélérate
Pour la neuvième année consécutive, Paul Watson, cheveux blancs et barbe blanche, figure épique des océans, vêtu de noir de la tête aux pieds, est reparti avec son armada Sea Shepherd à l'assaut des navires japonais qui, de décembre à mars, chassent la baleine dans l'Antarctique Sud. Une fois encore, il veut les harceler, les empêcher physiquement d'approcher les cétacés, les entraver avec ses Zodiac, les arroser de fumigènes et de beurre rance, bref pourrir cette pêche scélérate pour qu'ils n'y reviennent plus jamais. Le combat est risqué, très risqué, mais plutôt efficace puisque les navires nippons ont tué l'an dernier un quart de leur stock habituel, soit un peu moins de 250 baleines. Ses détracteurs (et notamment Greenpeace) l'accusent d'écoterrorisme et lui reprochent la violence de son action, si écolo soit-elle. Que pense-t-il, lui qui est toujours aussi contesté, des autres formes d'activisme ? A-t-il eu vent des manifestants français de Notre-Dame-des-Landes ? Et les manifestants radicaux anti- G20 ?
Il ne répond pas directement mais cite... le Mahatma Gandhi : "Entre la lâcheté et la violence, je choisis la violence." "En vérité, ajoute-t-il, on n'a jamais vu personne intervenir comme nous, toujours dans la limite de la légalité, il n'y a que nous qui faisons ça."
Recherché par les polices du monde entier
Sauf que cette année le capitaine a mordu le trait de la légalité. Recherché par les polices du monde entier, il est en cavale. Ou plutôt comme assigné à résidence en pleine mer, dans les eaux extraterritoriales, un mandat d'arrêt international ayant été réactivé contre lui pour "entrave et bris de bateau".
Arrêté à l'aéroport de Francfort en mai 2012 sur une requête vieille de plus dix ans du Costa Rica, passé par la case prison, il a fui l'Allemagne clandestinement en juillet dernier. Il ne s'est pas présenté au contrôle judiciaire qui lui était imposé. Depuis, c'est un fugitif international inscrit sur la liste rouge d'Interpol, menacé d'extradition vers le Japon. Watson, à qui la justice allemande a confisqué ses deux passeports - le canadien et l'américain -, ne prend pas cette menace à la légère. Il se méfie désormais de toutes les polices et autres douanes des ports.
Alors il aimerait bien que sa vie soit un peu moins un roman, même si son nouveau statut de fuyard des océans participe de sa légende de pirate. Que cette campagne en Antarctique soit la der des ders. Que ses cinq avocats (dont un Américain, un Allemand et le Français William Bourdon) fassent tomber ce mandat d'arrêt international qui lui colle au train "et qu'il puisse un de ces jours passer Noël dans une vraie maison devant un vrai sapin".
L'asile politique en France ?
"En attendant, dit-il, je vis en mer, avec les incertitudes et l'instabilité de la vie sur un navire, y compris celle du mal de mer même si je ne l'ai pas. Comme disait l'amiral Nelson, qui lui était malade en permanence en mer, on fait avec", plaisante-t-il.
Que fera-t-il après cette campagne ? "On va se concentrer vers le Nord, les îles Féroé qui chassent les dauphins et les baleines. Mon ambition, c'est de venir à bout de toutes les chasses contre les mammifères marins. Je pense que ça peut durer très longtemps." De toutes les manières, Paul Watson compte sur l'autre dirigeant de Sea Shepherd, Peter Hammarsted, capitaine d'un des quatre navires de la flotte, pour assurer "la continuité du boulot quand je n'y suis pas". L'aventurier rêverait-il très secrètement de retraite ? "Impossible, dit Sid, ce n'est pas lui." Pourtant, Watson ne détesterait pas que la France lui accorde l'asile politique, "ce serait formidable, j'y ai beaucoup d'amis".

lundi 17 décembre 2012

L'avarice commence où la pauvreté cesse... H de Balzac

Préférer son patrimoine à sa patrie, s'exiler pour échapper à l'impôt (...)
apparaissent comme des manquements à la dignité et au civisme. (...)
Selon les articles R89 à R96 du Code de la Légion d'honneur,
des sanctions disciplinaires (censure, suspension, exclusion) 'peuvent être prises
contre tout membre de l'Ordre qui aura commis un acte contraire à l'honneur'.

« Il faut que la voix des hommes sans voix empêche 

 les puissants de dormir. »

« Pour avoir le droit de parler, il faut avoir les mains propres.

Il faut avoir eu le courage de reconnaître

de réagir si on s’est trompé. »

de Abbé Pierre

l'ancienne ministre UMP Nadine Morano a surtout estimé qu'il était la victime du "matraquage fiscal du gouvernement socialiste". Il faut tout de même rappeler à cette ancienne ministre que pour l'instant personne n'a payé d'impôts suplémentaires sur le revenu ou sur la fortune depuis l'élection de François Hollande, le Président de l'Assemblée se lâche et dénonce un comportement "qui n’est pas défendable" en comparant la volonté de Gérard Depardieu de fuir l'impôt aux efforts demandés aux Français en 1914-1918 et en 1939-1945. "Ce n'est pas quand le pays est en difficulté qu'on dit : 'je ne veux pas faire d'efforts'. Les générations précédentes, l'effort qu'on leur a demandé en 14-18 ou en 39-45, c'était de laisser leur peau". Et de conclure :
"Là, on leur demande de faire une contribution financière
pour donner une chance à ce pays, à ses valeurs".
Depardieu ajoute le ridicule au lamentable !
il devrait relire l'avare de Molière !

Dupont-Aignan@dupontaignan


Les envies d’exil fiscal de Gérard Depardieu ne datent pas d’aujourd’hui. En 2004, à l’occasion d’un livre d’entretien avec l’auteur de ces lignes (« Vivant ! » chez Plon), l’acteur évoquait déjà cette éventualité. Voici la question que je lui avais alors posée pour ce livre, et la réponse qu’il m’avait faite. Huit ans après, elle laisse songeur :

« D’autres que toi ont choisi depuis longtemps d’aller vivre sous des cieux fiscaux plus cléments. L’idée d’aller t’installer en Suisse ou dans tout autre paradis fiscal ne t’a jamais traversé l’esprit ? »

Gérard Depardieu :

« Je vais être franc avec toi : oui, j’ai déjà pensé m’exiler en Suisse. Non pas seulement pour payer moins d’impôts, mais pour gagner une certaine tranquillité. Pour fuir une pression médiatique qui a déjà causé beaucoup de tort à ma famille et à ma vie privée. Et, aussi, pour rejoindre un certain nombre de mes amis qui ont depuis longtemps élu domicile là-bas. Il y a un an et demi, j’ai demandé au fisc helvétique de calculer ma facture fiscale. Le forfait qu’il me réclamait était très élevé. J’y ai tout de même réfléchi à deux fois. Et puis, je me suis dit que c’était trop compliqué. Je me suis dit surtout que j’étais français et donc que je devais payer mes impôts en France. Au fond, je suis très bien ici. Mieux, sans doute, que partout ailleurs. J’aimerais simplement que l’on sache que lorsque je touche un gros cachet pour un film, je paie des impôts, des charges sociales, des cotisations chômage… Les sommes énormes qui sont annoncées dans la presse ne vont pas directement dans ma poche.

Une fois qu’on a dit cela, je sais que je suis un privilégié, que je gagne beaucoup d’argent, mais je n’en ai absolument pas honte ».

À l’époque en 2004, et toujours à l’occasion de ce livre d’entretien, Gérard Depardieu avouait payer 2,3 millions d’euros d’impôts par an et être évidemment soumis à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Il ajoutait :

« J’ai toujours su instinctivement qu’une partie de l’argent que je gagnais appartenait à l’État et devait être redistribué. Je suis pour le partage et la redistribution de richesses ».

Au moment où il choisit de s’exiler en Belgique, ces propos sonnent comme un drôle de paradoxe.


C’est stupéfait, non, plus précisément atterré, que j’ai lu votre lettre ouverte publiée hier dans les colonnes du Journal du Dimanche. Je vous le dis avec franchise : vous auriez mieux fait de vous abstenir tant vos propos, votre réflexion, vos arguments sont... lamentables. J’écris lamentable, et non pas minable.

Une précision d’ailleurs : Jean-Marc Ayrault ne vous a pas qualifié de « minable » c’eut été inexact, une grossière erreur psychologique. En effet, vous êtes tout (gargantuesque, en perdition, etc.), tout sauf… minable. Vous prenez pourtant ce prétexte pour
monter sur vos grands chevaux dans le JDD. Ayrault a cru utile de préciser que votre attitude, votre exil fiscal, votre fuite en Belgique, à…1 kilomètre (!) de la frontière française s’apparentaient à une attitude minable. Cette fois, le premier ministre a raison. Il a trouvé le juste mot, le bon qualificatif, l’expression idoine.

Que les lecteurs de Marianne.net soient rassurés : je ne me permettrai pas de critiquer votre lettre dans le
détail.

Un journaliste face à un monstre sacré de la société française, l’affrontement serait par trop inégal. Je ne résisterai pas, pas un instant, à un monstre sacré de votre espèce. On ne s’attaquait pas à Gabin ; on ne s’en prend pas davantage à Depardieu. Force, puissance et magie du cinéma. Et nous vous avons tant aimé au cinéma avant que, curieusement, vous ne vous spécialisiez dans les navets en série. Mais ceci est une autre histoire qui a sans doute à voir avec votre appétit... financier. Autorisez-moi tout de même quelques remarques, non pas de journaliste, mais de citoyen, puisque c’est le citoyen Depardieu qui s’exprime dans le JDD. Et il déconne sacrément, le citoyen Depardieu !

Vous vouliez y exprimer la colère d’un homme blessé par l’injustice de son sort ; vous vous y montrez en réalité sous un jour bien différent : hâbleur, grandiloquent et creux. Vous consentez par exemple à « continuer à aimer les Français et ce public avec lequel j’ai partagé, dites-vous, tant d’émotions ».

Nous vous saurions gré de ne pas nous jeter (trop vite) dans les poubelles de l’Histoire, nous qui sommes à l’origine de votre gloire et fortune. Mais vous avez la mémoire sacrément courte : vous devez tout, absolument à ce pays, à sa langue, à ses créateurs (metteurs en scène, scénaristes, directeurs photo, etc.) et aux Français qui ont acheté — pour vous voir, c’est incontestable — des millions de tickets de cinéma et des millions de DVD. Votre carrière, et vous le savez mieux que personne, n’est pas et n’a jamais été internationale. Elle est franco-française et, sorti de nos frontières, vous n’avez jamais réussi à percer dans les autres grands pays de cinéma. C’est ainsi et c’est incontestable. Gabin, auquel vous vous referez si fréquemment, a réussi à Hollywood ; ce n’est pas votre cas. Delon était adulé en Italie notamment. Vous ne pouvez pas en dire autant. Bref, cette seule raison – votre carrière franco-française – devrait suffire à disqualifier, ne serait-ce qu’an plan moral, votre exil fiscal. Mais de cela, vous ne nous entretenez pas dans votre libelle du JDD.

Vous préférez revenir sur les raisons de la bouleversante disparition de votre fils Guillaume, accablant la justice de la République. Il aurait mieux valu que vous vous absteniez.
Vous choisissez de vanter les charmes de l’alcoolisme motorisé. La encore, nous aurions préféré que vous ne profériez pas pareille énormité.

Vous nous apprenez que vous ne demandez pas à la sécurité sociale de vous rembourser vos dépenses médicales. Nous nous en tapons éperdument.

Et puis, entre deux divagations, vous finissez par lâcher le morceau : vous fuyez parce que vous payez trop d’impôts. Voilà une bonne raison. Mais ne nous prenez pas pour des benêts en la noyant dans un prêchi-prêcha historico idéologique qui n’impressionne personne : « je vous rends mon passeport (...). Nous n’avons plus la même patrie, je suis un vrai Européen, un citoyen du monde »… Et bla-bla-bla... Une affaire de fric, rien que ça. Une affaire triste, voilà tout.

Maurice Szafran - Marianne


Exilés fiscaux : les stars qui s'en vont, celles qui restent

« Il a été décidé qu’on reparlerait, dès les petites classes, d’éducation civique,

d’honnêteté, de courage, de refus du racisme et d’amour de la République.

Il est dommage que l’école ne soit fréquentée que par les enfants. »

André Frossard


Dany Boon, Jo-Wilfried Tsonga, Patrick Bruel , Jamel Debbouze, Christian Clavier,
et maintenant Gérard Depardieu : la fuite des cerveaux saccélère en France,
pour irriguer lEurope qui nen demandait pas tant.
Le Nouvel Observateur
Après l'annonce de l'installation de Gérard Depardieu en Belgique, plongée dans le monde de nos riches vedettes, effrayées par la taxe à 75% sur les hauts revenus promise par François Hollande. Qui part, qui reste ?
(Article publié dans "le Nouvel Observateur" du 12 juillet 2012)
Ils portent haut les couleurs de la France. Leurs succès sont drapés de tricolore et font résonner "la Marseillaise" d'un bout à l'autre de la planète. Ils vendent des millions de disques ou de livres, se font acclamer par des foules en liesse. Ils amassent des fortunes et sont la fierté de notre pays. Et pourtant, ils lui manquent. Car ils ont décidé de payer leurs impôts ailleurs, loin de cette patrie qui leur a donné une chance de faire éclore leur talent. A quelques exceptions près, ils ne font rien d'illégal. Pour la plupart, ce ne sont même pas des fraudeurs, tout juste des fuyards.

Hallyday, Houellebecq, Tsonga, Pagny…

Johnny Hallyday, Michel Houellebecq, Jo-Wilfried Tsonga et bien d'autres ne sont pas des délinquants. Ils ont même des circonstances atténuantes. On peut comprendre qu'une vedette qui a réussi matériellement rechigne à reverser une énorme partie de ses revenus à l'Etat. On peut compatir au triste sort de ces ultrariches qui se disent ainsi spoliés. De Michel Polnareff à Françoise Hardy, en passant par Florent Pagny ou notre ex-Marianne, Laetitia Casta, elle est longue, l'histoire de ces conflits opposant quelques fortunés au fisc.
C'est en 1914, lors du déclenchement de la guerre, et à l'instigation de Joseph Caillaux, que l'impôt sur le revenu, proportionnel aux gains de chacun, a vu le jour en France. La date est symbolique de l'effort de solidarité nationale ainsi demandé à ceux qui étaient en mesure d'y répondre. Aujourd'hui, alors que tant de sacrifices sont réclamés aux Français, comment tolérer ces étoiles filantes qui s'en vont prospérer dans des contrées plus accueillantes ? La rigueur pour tous et l'exil pour quelques-uns ?

"Patriotisme fiscal"

Nicolas Sarkozy lui-même, ce président qui avait commencé son mandat en choyant les puissants, avait fini par s'en émouvoir pendant la campagne présidentielle. En 2007, il avait allégé massivement l'ISF pour faire revenir en France nos riches expatriés. La "jurisprudence Johnny" ne s'est pas concrétisée et, cinq ans plus tard, Sarkozy a fini par envisager la création d'une taxe sur les revenus des exilés fiscaux.
Ce "patriotisme fiscal", ce fut justement l'un des refrains du candidat François Hollande, sans doute l'une des clés de son succès. La droite s'était arrogé depuis quinze ans le totem de la défense de la patrie à force de renchérir sur les questions d'immigration et d'insécurité. Le socialiste a réussi à ramener ce combat à sa place d'origine, celle du moins que lui avait donnée la Révolution française. Il a restauré le patriotisme de gauche en brandissant l'impôt comme un nouvel oriflamme républicain indispensable au "redressement dans la justice".
Le 3 juillet, son Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, a lancé devant l'Assemblée : "Le patriotisme, ce n'est pas fuir la France pour les paradis fiscaux et laisser à ceux qui restent le poids de l'effort !" Le chef du gouvernement a même pris les accents de Danton à la tribune de la Convention, à la veille de la bataille de Valmy, pour en appeler à la "mobilisation générale" face à la crise. Nos stars exilées accepteront-elles encore longtemps de passer pour des déserteurs ?

Chanteurs, acteurs : salut les artistes !

Pas facile d'être un acteur engagé ou un chanteur rebelle et de critiquer l'impôt. Pourtant, le show-biz est en ébullition depuis l'annonce des réformes fiscales de François Hollande. Quelques voix ont même dénoncé une forme de racket à venir. Parmi les indignés, Françoise Hardy, convaincue qu' "avec un revenu hypothétique de 150.000 euros par an" elle ne pourra pas payer ses 40.000 euros d'ISF sur son appartement de l'avenue Foch, à Paris, estimé à plus de 2 millions d'euros. "J'ai mis vingt-cinq ans à finir de le payer", s'offusque-t-elle. Alors, elle a décidé de vendre. "Je suis révoltée, ça me mine, je vais sans doute devoir le céder au tiers de sa valeur."
Patrick Bruel, lui, ne digère pas la taxe à 75% que le chef de l'Etat veut instaurer pour ceux qui gagnent plus d'un million d'euros par an : "C'est limite confiscatoire et spoliateur." Concerné, lui qui cumule ses droits de compositeur-interprète, ses cachets d'acteur et ses gains dans les tournois de poker, Bruel n'envisage pas pour autant de fuir la France. Il répète qu'il continuera d'y payer ses impôts. D'autres s'éclipsent en toute discrétion.
Officiellement, jamais à cause du fisc mais pour profiter du grand air suisse, du calme bruxellois ou de l'anonymat du London way of life. Ainsi, Dany Boon (7,5 millions d'euros de revenus en 2011) assure s'être installé à Los Angeles "pour travailler au calme". Il ne supporte pas de passer pour un déserteur : "Je ne suis pas parti aux Etats-Unis pour fuir les impôts !" Daniel Auteuil, lui, s'était installé outre- Quiévrain, comme José Garcia. Moins ensoleillée que Monaco, la Belgique a, elle aussi, de beaux atours fiscaux : pas d'impôts sur les plus-values ni d'ISF, et ce à moins de deux heures de Paris. Mais Daniel Auteuil l'assure, étant resté résident français, il a "toujours payé ses impôts exclusivement en France".
D'autres n'ont pas eu les mêmes scrupules, notamment les Robinson suisses : Alain Delon, Isabelle Adjani, Johnny Hallyday, Patricia Kaas ou Charles Aznavour y séjournent ou y ont séjourné. Exilé à Crans-Montana, ce dernier y profite de l'avantageux "forfait fiscal" helvétique qui allège de façon spectaculaire la facture des riches résidents non suisses. Ceux-ci bénéficient d'impôts très faibles dès lors qu'ils parviennent à démontrer qu'ils vivent la moitié de l'année dans la Confédération.
Johnny, lui, n'a jamais caché son aversion pour l'administration des impôts. Fervent supporter de Sarkozy en 2007, il avait annoncé qu'il reviendrait en France après l'adoption du bouclier fiscal. On l'attend toujours. Le rocker ne verse des impôts à l'Etat français que sur un quart de ses revenus (ceux perçus en France), estimés au total à plus de 5 millions d'euros en 2011 par capital (contrats publicitaires et dividendes inclus). Et s'acquitte d'un forfait fiscal de 720.000 euros par an dans son pays d'accueil. "On s'emmerde grave à Gstaad", avait ironisé son ami Michel Sardou. Peut-être, mais à moindres frais.
D'autres au contraire sont fiers d'enrichir les caisses hexagonales... y compris avec l'argent récolté hors de nos frontières. Tel David Guetta, qui déclarait il y a quelques mois qu'il trouvait "normal" de payer ses impôts en France même si 95% de ses revenus (3,2 millions estimés pour 2011) proviennent de l'étranger. Le DJ va-t-il changer d'avis ? Certains s'inquiètent de le voir bientôt s'installer à Londres.
Car, depuis la victoire de la gauche, les rumeurs les plus folles circulent sur la fuite éventuelle de nos VIP Christian Clavier est aperçu chez un conseiller fiscal ? Voilà qu'on l'imagine aussitôt sur le départ... (En octobre, il a déclaré s'être installé à Londres jusqu'à fin 2013, NDLR). Et même des soutiens people du "président normal" s'étranglent de rage contre sa taxe à 75%, que Jamel Debbouze juge "ridicule". Certains d'entre eux finiront-ils par décamper ? Comme dirait Florent Pagny, porte-voix de la lutte contre le fisc, c'est leur liberté d'y penser...

"Je ne me regarderais pas bien dans la glace"

Interrogé hier sur BFM TV, Michel Sardou a fustigé la décision de l'acteur qui campait récemment Obélix. "Les gens brûlent leurs idoles facilement. Mais je dois dire que là c'est très maladroit en ce moment. Je ne juge pas Gérard. Je m'en fous. Mais il va aller s'emmerder comme un rat là-bas. Il y a une justice divine quand même. Il va se faire chier comme un rat", a balancé le chanteur de "La Maladie d'amour".

Refusant de juger l'acteur, le chanteur a expliqué que jamais il ne pourrait quitter la France : 

"Chacun a sa morale. Chacun a son attitude. Mais pour moi, la fuite n'a jamais été une stratégie. Jamais. Nous avons un gouvernement qui nous demande de faire un effort pour deux ans. Tout ce que je fais, c'est ici que je le fais. C'est à ce pays que le je dois. Alors si je me mettais à leur dire 'désolé les mecs, vous êtes dans la merde, excusez moi, mais je prends l'oseille et je me tire', je ne me regarderais pas bien dans la glace. Deux ans d'effort, franchement, on ne va pas en mourir".
Michel Sardou déclare ne pas "être choqué" par la nouvelle tranche d'impôt à 75 % pour les très hauts revenus si celle-ci demeure "provisoire", et affirme qu'il ne fuira pas à l'étranger. Dans un langage parfois cru, il a, par ailleurs, également ajouté qu'il "n'aimerait pas être à la place" de François Hollande, et fustigé la mondialisation. "Aujourd'hui, tu dépends d'un connard qui est à l'autre bout du monde, qui fait faillite et d'un seul coup 5.000 mecs en Provence sont au chômedu ! je n'aime pas cette mondialisation et le président ne peut pas y faire grand-chose", estime-t-il.

La Suisse, l'autre pays des sportifs

En Suisse, on trouve des banques sûres, des montres de haute précision, du chocolat de grande qualité... et des tennismen français. Beaucoup. Arnaud Clément s'est installé à Genève, Richard Gasquet et Gilles Simon ont choisi Neuchâtel, Gaël Monfils a posé ses valises à Nyon. A un jet de caillou du lac Léman vivent également Marion Bartoli, Amélie Mauresmo, Julien Benneteau ou encore Guy Forget. Sans oublier le meilleur tennisman français, Jo-Wilfried Tsonga, qui a pourtant cru bon de se fendre fin juin d'une petite leçon de morale à l'endroit de l'équipe de France de foot à l'occasion de l'Euro 2012 : "C'est dommage pour la suite, pour les jeunes qui vont venir et qui vont avoir cet exemple-là et qui va empirer."
Si le tennis fait figure de cas d'école en matière d'exil fiscal, Yannick Noah ayant ouvert la voie au début des années 1990, c'est parce que les prix octroyés aux vainqueurs sont devenus faramineux (1,2 million d'euros pour le lauréat de Roland Garros !), que les carrières au plus haut niveau ne durent pas plus d'une dizaine d'années, et que l'élite est restreinte. "Un joueur qui est 140e ou 150e au classement mondial et qui voyage tout au long de l'année perd de l'argent lorsqu'il joue sur le circuit", a assuré Guy Forget aux sénateurs qui l'auditionnaient le 19 juin, dans le cadre de la commission d'enquête sur l'évasion des capitaux.
Accueillante, la Suisse héberge beaucoup d'autres sportifs, tel le multichampion du monde de rallye, Sébastien Loeb. Pour se justifier, tous évoquent leur souci, tout à fait légal, d'"optimiser" des gains amassés sur une courte période. Mais aucun ne fait jamais mention de la formation et des moyens reçus de structures fédérales, donc publiques et financées par l'impôt, qui leur ont permis de faire éclore leur talent, raquette à la main ou ballon au pied... Et voilà qu'un nouveau spectre plane sur la Ligue 1 de foot : la fameuse taxe à 75% ! Zidane l'a récemment trouvée légitime... mais il vit en Espagne.
Le manager du PSG, Leonardo, a, lui, une excuse toute trouvée pour ses actionnaires qataris au cas où il ne parviendrait pas à faire débarquer au Parc des Princes cet été les stars internationales promises. Javier Pastore (350.000 euros mensuels !) l'a déjà qualifié de "folie" tandis que Carlo Ancelotti (6 millions d'euros annuels...) a pris une tête d'enterrement pour soupirer qu'il s'y plierait. Cette taxe va-t-elle provoquer un exode de stars ? L'argument serait audible... si celles-ci n'étaient pas déjà parties.
Un seul des dix sportifs français les mieux payés en 2011 exerce encore dans l'Hexagone : Yoann Gourcuff (6,8 millions d'euros). Tous les autres, de Franck Ribéry (11,4 millions) à Patrice Evra (6 millions) en passant par Tony Parker (11,2 millions) ou Karim Benzema (11 millions)... ne reviennent plus en France que quatre ou cinq fois par an, le temps d'honorer une sélection et d'entonner à pleins poumons : "Allons enfants de la patrie."

Ecrivains, l'exil au bout de la plume

"C'est parfaitement normal. Plus on gagne d'argent, plus on paie d'impôts." Début mars, Emmanuel Carrère, l'auteur de "Limonov", prix Renaudot et best-seller de l'année 2011, a remis les pendules à l'heure. Non, il n'a pas l'intention de quitter la France pour des cieux fiscaux plus cléments. Quelques jours auparavant, Nicolas Sarkozy l'avait cité comme un candidat potentiel à l'exil. L'ex-président prophétisait que la "démagogie insensée" des projets fiscaux de Hollande ferait fuir beaucoup d'auteurs, "pas simplement les chefs d'entreprise. Ce peut être un cinéaste, un acteur, un écrivain"...
Le problème, c'est que beaucoup n'ont pas attendu le débarquement socialiste pour passer la frontière. Depuis trois ans déjà, Marc Levy (1,5 million de livres écoulés l'an passé), le deuxième écrivain le mieux payé de France, derrière Guillaume Musso, s'est installé à New York, aux Etats-Unis, "un pays où la fiscalité est beaucoup plus lourde qu'en France", a-t-il récemment précisé au "Parisien". Michel Houellebecq, prix Goncourt 2010 pour "la Carte et le Territoire", a opté, depuis le début du siècle, pour l'Irlande (une contrée réputée pour son hospitalité fiscale en matière de droits d'auteur) avec des allers-retours fréquents en Espagne.
Citons encore Christian Jacq, le chasseur de momies égyptiennes ("Ramsès", "les Mystères d'Osiris"), retiré en Suisse, du côté de Vevey ; Corinne Maier, qui a filé en Belgique après son premier best-seller ("Bonjour paresse") et en a tiré le thème d'un nouvel essai ("Tchao la France"), ou Eric-Emmanuel Schmitt, le romancier-nouvelliste-réalisateur-essayiste-dramaturge-etc. L'auteur de "Quand je pense que Beethoven est mort alors que tant de crétins vivent..." se préserve des appétits du fisc français dans une tranquille maison bruxelloise. Il a même obtenu la nationalité de sa nouvelle patrie. La Belgique ?, avait-il indiqué au "Soir" : "Un pays chaleureux. Malgré son climat."



L’argent, l’argent roi, l’argent Dieu,
 au-dessus du sang, au-dessus des larmes,
adoré plus haut que les vains scrupules humains,
 dans l’infini de sa puissance ! »
Zola

Torreton écrit à Depardieu :
 "Tu quittes ton pays au moment où l'on a besoin de toutes les forces"

Après la presse et les politiques, les artistes donnent eux aussi leur opinion sur le départ de Gérard Depardieu en Belgique

pour payer moins d'impôts.

Parmi eux, le comédien Philippe Torreton qui lui écrit une lettre publiée dans le quotidien Libération.

"Alors Gérard, t'as les boules ?"

Tu ne veux plus être français…?
Tu quittes le navire France en pleine tempête ?
 Tu vends tes biens et tu pars avec ton magot dans un pays voisin aux cieux plus cléments pour les riches comme toi ?
Evidemment, on cogne sur toi plus aisément que sur Bernard Arnault ou les héritiers Peugeot… C’est normal, tu es un comédien, et un comédien même riche comme toi pèse moins lourd ! Avec toi, on peut rattraper le silence gêné dont on a fait preuve pour les autres… C’est la nature de cette gauche un peu emmerdée d’être de gauche.
Mais Gérard, tu pensais qu’on allait approuver ? Tu t’attendais à quoi ? Une médaille ? Un césar d’honneur remis par Bercy ? Tu pensais que des pétitions de soutien de Français au RSA allaient fleurir un peu partout sur la Toile ? Que des associations caritatives allaient décrocher leur abbé Pierre, leur Coluche encadrés pour mettre ta tronche sous le plexi ? Le Premier ministre juge ton comportement minable, mais toi, tu le juges comment ? Héroïque ? Civique ? Citoyen ? Altruiste ? Dis-nous, on aimerait savoir…
Le Gérard «national», le rebelle de Châteauroux, le celui qui, s’il n’avait pas rencontré le cinéma, serait en taule à l’heure qu’il est comme tu le disais, le poète de l’écran la rose à la main quand ça devait faire bien d’en avoir une, qui nous sort un «c’est celui qui le dit qui y est»… Tu prends la mouche pour un petit mot et tu en appelles au respect, comme le fayot dans la cour de récré… Tu en appelles à tes gentils potes de droite pour que le grand méchant de gauche arrête de t’embêter… Tu voudrais avoir l’exil fiscal peinard, qu’on te laisse avoir le beurre et l’argent du beurre et le cul de la crémière qui tient le cinéma français… Tu voudrais qu’on te laisse t’empiffrer tranquille avec ton pinard, tes poulets, tes conserves, tes cars-loges, tes cantines, tes restos, tes bars, etc.
Et nous faire croire en tournant avec Delépine qu’un cœur social vibre encore derrière les excès et les turpitudes de l’homme… Nous faire avaler à coups de «han» de porteur d’eau que tu sèmes dans tes répliques trop longues, que l’homme poète, l’homme blessé, l’artiste est encore là en dépit des apparences… Le problème, Gérard, c’est que tes sorties de route vont toujours dans le même fossé : celui du «je pense qu’à ma gueule», celui du fric, des copains dictateurs, du pet foireux et de la miction aérienne, celui des saillies ultralibérales…
Tout le monde ne peut pas avoir l’auréole d’un Rimbaud qui, malgré ses trafics d’armes, fut et restera un poète… à jamais. Toi, tu resteras comme un type qui a fait une belle opération financière sur le cinéma français, un coup de Bourse, une OPA… Tu as transformé tes interprétations les plus réussies en stratégie de défiscalisation. Il doit y en avoir un florilège de répliques que tu as jouées et qui résonnent bizarrement maintenant !
Des répliques de poète, d’homme au grand cœur, d’yeux grands ouverts sur la misère du monde, orphelines de pensée et violées par leur interprète, parce que l’homme a les rognons couverts, mais l’acteur a fait faillite… L’homme est devenu riche mais sa fortune lui a pété à la gueule. Tu sais, ces gros pets foireux dont tu te vantes et que tu lâches sur les tournages en répondant à tes 12 téléphones au lieu de bosser ?
Tu votes pour qui tu veux, et tu fais ce que tu veux d’ailleurs, mais ferme-la, prends ton oseille et tire-toi, ne demande pas le respect, pas toi ! Sors de scène, Montfleury, «ce silène si ventru que son doigt n’atteint pas son nombril !» Et puisqu’on est dans Cyrano, te rappelles-tu de cette réplique, mon collègue, qu’il adressait à De Guiche sauvant sa peau au combat en s’étant débarrassé de son écharpe blanche ? Il demande à Cyrano ce qu’il pense de sa ruse et ce dernier lui répond… «On n’abdique pas l’honneur d’être une cible.»Tu t’en souviens ? Tu devrais… En ce temps-là, tu apprenais ton texte…
On va se démerder sans toi pour faire de ce pays un territoire où l’on peut encore, malgré la crise, se soigner correctement, où l’on peut accéder à la culture quelle que soit sa fortune, où l’on peut faire des films et monter des spectacles grâce à des subventions obtenues en prélevant l’impôt…
Un pays que tu quittes au moment où l’on a besoin de toutes les forces, en plein siège d’Arras, sous les yeux des cadets médusés… Adieu.

« Cyrano de Bergerac » Edmond Rostand


(Article publié dans "le Nouvel Observateur" du 12 juillet 2012)