samedi 11 mai 2013

L'UMP coule, Woerth surnage, "Justice au singulier" Philippe Bilger

L'UMP coule, Woerth surnage

On a les Zola qu'on peut.

Cent-cinq députés UMP n'ont rien trouvé de mieux que de venir au secours d'Henri Guaino qui, le 22 mars et les jours suivants, a outragé le juge Gentil sans que ses propos délirants puissent apparaître comme le droit de tout citoyen de critiquer l'action de la Justice. Ces "honorables" parlementaires ont écrit au procureur de la République de Paris pour reprendre à leur compte l'insulte proférée à l'égard de ce magistrat, à cause de la mise en examen de Nicolas Sarkozy, "d'avoir déshonoré un homme, les institutions et la Justice" (Le Figaro, 20 minutes). Que font-ils, ces moutons de Guaino, que précisément porter atteinte à ce qu'ils ont l'impudence de prétendre sauvegarder ?
Un optimiste se féliciterait que quatre-vingt onze députés (en comptant les apparentés) aient su refuser cette honteuse pantalonnade. Mais quelle tristesse indignée de devoir constater que les coppéistes ont suivi sans barguigner l'étrange sollicitation d'Henri Guaino qui devait se sentir bien seul alors que les fillonnistes, sauf malheureusement Laurent Wauquiez, ont su échapper à ce ridicule d'une solidarité confortable pour un motif exécrable.
Comme les choses seraient simples si nous avions un ministre de la Justice n'usant pas de son autorité qu'à des fins partisanes, un procureur capable de répondre comme il convient à cette déplorable initiative et un Conseil supérieur de la magistrature réactif et respecté !
Cette démarche commodément collective, à cause du hasard de l'actualité, se téléscope avec les réquisitions de non-lieu qui ont été prises par le parquet de Bordeaux au bénéfice d'Eric Woerth et de Patrice de Maistre mis en examen notamment pour trafic d'influence passif et actif.
Cette information annoncée par communiqué le 10 mai par Claude Laplaud, procureur de Bordeaux, nous oblige à réfléchir sur notre rapport avec la Justice, qu'on soit citoyen ou professionnel.
Pourquoi d'ailleurs cette transmission officielle que la nature de l'affaire n'appelait pas ? Pourquoi cet empressement à montrer que le travail du parquet a été accompli et à exposer ses conclusions ? Pour faire valoir le procureur, pour manifester comment aujourd'hui un parquet libre et indépendant sait tout de même peser à leur juste portée les arguments de part et d'autre et requérir au nom d'une exclusive approche juridique ? Pourquoi n'avoir pas attendu que les juges Gentil, Ramonatxo et Noël aient rendu leur ordonnance conforme ou non à ces réquisitions ? Cette volonté de transparence, si ostensible, ne laisse pas d'étonner (Mediapart).
Le communiqué du procureur nous indique que le lien de causalité entre l'embauche de Florence Woerth à l'été 2007 par la société Clymène de Patrice de Maistre et la nomination de ce dernier dans l'Ordre national de la Légion d'honneur "n'est pas formellement démontré".
Pourquoi pas, d'autant plus que cette infraction est objectivement ardue à établir ?
A dire vrai, j'avoue, à ma charge, que mon premier sentiment a été d'éprouver comme une déception. Je n'ai jamais aimé les personnalités d'Eric Woerth et de Patrice de Maistre, dans leur représentation publique et médiatique, et sans doute cette perception n'a-t-elle pas été sans incidence sur mon léger désappointement qui était cependant choquant.
D'abord parce que la procédure n'est pas terminée et qu'on verra ce que le juge Gentil, honni par Henri Guaino et ses collègues robotisés, décidera avec les deux autres magistrats.
Mais surtout parce que le problème, lors de la domestication de la Justice par Nicolas Sarkozy, n'a jamais été, pour ceux qui la combattaient, d'appeler à "se payer" Eric Woerth et Patrice de Maistre mais seulement d'exiger qu'en démocratie, l'institution judiciaire ne soit pas ouvertement entravée dans son fonctionnement aussi bien par des blocages procéduraux inadmissibles que par des connivences suspectes et répétées entre le président de la République et le responsable, alors, du parquet de Nanterre. On désirait que la justice suivît normalement, techniquement son cours, pas qu'elle accablât systématiquement des personnalités qui protestaient d'ailleurs de leur innocence.
Une fois le parquet de Bordeaux saisi, la certitude, enfin, d'un déroulement judiciaire régulier ne pouvait que tranquilliser les citoyens passionnés par l'exigence d'une justice indépendante. Cette pacification a été d'autant plus intensément perçue que depuis le mois de mai 2012 - il faut en rendre grâce à ce pouvoir car il y a trop peu d'occasions pour se réjouir - les parquets en charge de dossiers sensibles ont eu toute liberté pour les traiter.
Aussi, je ne trouve nulle excuse à cette antipathie qui une seconde aurait souhaité un appui, une légitimation judiciaires alors qu'au contraire, je l'espère de toutes mes forces, avec ces réquisitions du parquet de Bordeaux nous avons la manifestation éclatante d'une pratique exemplaire : il faut enquêter sur tout, tout doit être instruit mais à l'issue, l'impartialité et la garantie du droit et de la loi seront les maîtres.
Je continue à estimer - et je n'ai pas à considérer que c'est une consolation - qu'il y a eu des attitudes et des comportements qui, de la part d'Eric Woerth et de Jean-François Copé notamment, ont violé non pas forcément des interdictions pénales mais plus profondément l'obligation de décence qui devrait habiter les responsables politiques plus que tout autre. L'embauche de Florence Woerth représentait de toutes manières une entorse à la délicatesse, à l'allure dont son époux ministre aurait dû être le garant, une brèche dans la dignité et la prudence républicaines.
Pour Jean-François Copé, comment ne pas se rappeler cette scandaleuse photographie de groupe où au bord d'une piscine avec groupe, lui qui était ministre ainsi que Brice Hortefeux, jouissaient de vacances payées par le si généreux Takieddine ?
Pour avoir la nausée, il n'est pas nécessaire que le Code pénal s'en mêle.
Je vais attendre patiemment l'ordonnance des trois magistrats instructeurs et je me garderai bien, qu'elle soit conforme ou non aux réquisitions, d'éructer comme H.Guaino.

Mais si j'ai une seule certitude, elle tient au fait que la médiocrité de l'UMP, qui coule encore davantage avec ces cent-cinq irresponsables et son opposition inaudible, et la tactique d'étouffement de Nicolas Sarkozy - hier, c'était "je suis obligé de tout faire" et aujourd'hui, "je vais peut-être être obligé de revenir" alors qu'il oublie le détail, la petite nuance de SA défaite - vont finir par conserver toutes ses chances à une gauche pourtant très décevante au bout d'un an de gouvernement.

Sarkozy le germanophobe

Quel est l'odieux germanophobe primaire qui, pour se mettre en valeur et la France avec, l'encensait ainsi en enfonçant l'Allemagne : « Nous pouvons être fiers de notre pays [...] la France n'a jamais cédé à la tentation totalitaire. » Et d'en rajouter encore : « Elle n'a pas inventé la "solution finale". » Et, pour finir : « Elle n'a pas commis de crime contre l'humanité ni de génocide... » 

Ce coq sur ses ergots, la crête dressée, n'a pas donné du bec une seule fois contre l'impérieux et exécrable aigle allemand, il l'a criblé de son mépris et en termes identiques devant des milliers et des milliers de personnes, à Caen, à Metz, à Nice... Ce germanophobe en campagne, c'était Nicolas Sarkozy avant son élection de 2007. 
A l'époque, Jean-François Copé et François Fillon le soutenaient ardemment et n'avaient donc pas signé de communiqué commun pour dénoncer, comme ils viennent de le faire avec François Hollande, « sa responsabilité personnelle dans la dégradation continue des relations franco-allemandes ». Pourtant, les médias d'outre-Rhin s'étaient alarmés, et le candidat de la droite ne dissimulait pas sa mésestime de l'Allemagne comme de sa chancelière. 

Lorsqu'on parlait de l'Allemagne avec le Sarkozy d'avant, il secouait la tête, levait les yeux au ciel, vous signifiait qu'il n'était pas un enfant de la guerre, que tout cela, c'était fini, Merkel et l'Allemagne (comme... Chirac), et qu'il fallait tourner la page, regarder là où s'écrivait l'histoire moderne. « Nos enfants, lâchait-il avec conviction, ils ne veulent pas aller en vacances en Allemagne, mais aux Etats-Unis ou en Angleterre ! » 

Outre-Manche, même les socialistes lui paraissaient intelligents. Il ne tarissait pas d'éloges sur Gordon Brown, quand celui-ci était ministre des Finances, puis Premier ministre, et le qualifiait de « réformateur convaincu et convaincant ». Et, dans sa première année de mandat, Nicolas Sarkozy se montra aussi prévenant envers les dirigeants anglais qu'arrogant envers Angela Merkel. 

Pourtant, Copé et Fillon n'ont pas alors critiqué une stratégie qui mettait à mal l'amitié franco-allemande, le moteur de l'Europe. 

« Un comportement indigne » qu'ils viennent pourtant de reprocher en ces termes au chef de l'Etat socialiste qui « a tenté d'isoler la chancelière allemande pour des préoccupations bassement partisanes ». Vérité d'un temps n'est pas en politique celle de tous les temps. 

On eut une autre démonstration de cette variation de convictions lors de la dernière campagne électorale. Elle avait commencé par un duo d'amour libéral Merkel-Sarkozy. Mais, au fil des meetings, le candidat à sa réélection prenait ses distances avec l'Allemagne et son imperium de rigueur d'abord. 

Lors du meeting de la Concorde, en dansant sur une mer de drapeaux tricolores, il envoyait valser les principes corsetés de fer d'« Angela » pour exiger de la Banque centrale européenne qu'elle participe à la croissance et pour éviter la décroissance. 

Afin de rameuter l'électorat d'extrême droite, il barbelait de frontières un discours nationaliste chaque jour moins européen. Les germanophiles de droite, nombreux il est vrai, les adorateurs du modèle allemand, qui sont pléthore, baissaient la tête. Silencieux. Honteux.

NICOLAS DOMENACH
Marianne Mai 2013

mercredi 8 mai 2013

Irresponsables, des ambitieux et des escrocs,

Une étrange musique se fait entendre sur les bancs de la droite, une musique martiale qui est aux valeurs républicaines ce que Claude Guéant est à la peinture Hollandaise du XVIIème siècle.  
Passe encore que certains de ses ténors aient instruit à l’encontre de François Hollande un procès en illégitimité. Sans doute est-ce un legs historique de la royauté d’inspiration divine. De tout temps, les forces conservatrices ont considéré qu’elles avaient un droit d’ainesse politique leur conférant les rênes du pouvoir pour l’éternité, tel un CDI transmis de génération en génération. Il suffit que la gauche soit élue pour qu’elles entrent en transes, et demandent qu’on leur rendre leur sceptre comme un gosse à qui on aurait piqué son jouet pendant la récréation. Sauf qu’en l’occurrence, si la gauche a été mal élue, elle l’a été. 
Tout au long de la jacquerie anti mariage gay, on a senti à droite une volonté de passage en force digne d’une République bananière. 


Qu’un Henri Guaino découvre sur le tard le charme des défilés de rue, on veut bien. Mais cette illumination ne confère pas à l’UMP le droit à l’insurrection incivique. Ensuite, il y a eu l’ineffable Jean-François Copé et son rêve d’un nouveau mai 1958. Bizarrement, la confession n’a guère ému des gazettes plus sensibles aux mises en cause de la démocratie à Caracas qu’à Paris.  On rappellera que mai 1958, sauf erreur, fut un mini coup d’Etat, consécutif au putsch militaire des généraux factieux dans l’Algérie occupée. C’est ce qui permit à de Gaulle, revenu en sauveur suprême, de faire sauter la IVème République vermoulue, dirigée par les socialistes de l’époque. 

Certes, l’histoire ne repasse pas les plats. Mais comme modèle de cuisine démocratique, il y a mieux. 

Et puis voilà Sarkozy qui s’en mêle. Voilà l’ex président, naufragé des urnes, conférencier de luxe, un jour à Montréal, un autre à Las Vegas (ce qui ne s’invente pas), qui fait savoir que s’il le faut, il est prêt à reprendre du service. Ah bon. En vertu de quoi ? Après quelle élection ? Au nom de qui ?       
         
Selon Le Parisien, juste avant de boucler ses valises pour la Mecque des jeux, Nicolas Sarkozy a laissé entendre que la société française était « très fragile ». C’est vrai, mais il y est peut-être pour quelque chose, non ? On veut bien que l’an I du Hollandisme n’incite guère à faire la fiesta, mais cinq ans de Sarkozysme incitent encore moins à rêver de son come back. 

« La scène politique attirera toujours des aventuriers irresponsables, des ambitieux et des escrocs,

on ne cessera pas si facilement que cela

 de détruire notre planète »

Vaclav Havel



Le mari de Carla Bruni n’en pousse pas moins une étrange chansonnette : « Je vais peut-être être obligé de revenir ». Mais où se croit-il ? 


Jusqu’à preuve du contraire, le Président de la République en titre n’est pas brutalement décédé. Il n’est menacé d’aucune sorte d’empêchement imposant de prendre des mesures d’urgence. Et si Nicolas Sarkozy veut « revenir », il peut le faire très aisément en rentrant chez lui, dans les beaux quartiers, pour essayer de régler ses problèmes avec la justice. 

Personne ne lui en demande plus. Cela lui laissera le temps de se préparer à une éventuelle candidature en 2017, s’il gagne sa pace parmi les prétendants UMP et s’il peut patienter jusque là. Au cas où l’échéance serait trop lointaine et qu’il préfèrerait « faire du fric », comme on dit chez ces gens-là, libre à lui. 

Victor Hugo  Ecrivait : 
 M. Louis Bonaparte "Nicola S." a réussi. Il a pour lui désormais l’argent, 
l’agio, la banque, la bourse, le comptoir, le coffre-fort, 
et tous ces hommes qui passent si facilement d’un bord à l’autre 
quand il n’y a à enjamber que de la honte.
En attendant, depuis sept mois, il s’étale ; il a harangué, triomphé, 
présidé des banquets, pris des millions, donné des bals, 
dansé, régné, paradé et fait la roue.

M. N. Sarkozy répond par la voix de L. Bonaparte : 
 "Je me sens obligé de vous faire connaître mes sentiments et mes principes.
 Il ne faut pas qu’il y ait d’équivoque entre vous et moi.
 Je ne suis pas un ambitieux... Élevé dans les pays libres, à l’école du malheur,
 je resterai toujours fidèle aux devoirs que m’imposeront vos suffrages
 et les volontés de l’Assemblée. Je mettrai mon honneur à laisser, 
au bout de quatre ans, à mon successeur, le pouvoir affermi,
 la liberté intacte, un progrès réel accompli."



Pour le reste, la moindre des choses serait qu’il s’abstienne d’alimenter des rumeurs visant à laisser croire que le pouvoir est par terre et qu’il suffit de se baisser pour le ramasser. On attend de lui, par respect de son ancienne fonction, qu’il ne succombe pas aux sirènes factieuses qui séduisent certains de ses amis venus d’une famille politique où l’on considère vite la République comme la « gueuse » honnie. Bref, on attend de lui qu’il s’inspire davantage des préceptes de François Fillon que des coups de menton de Patrick Buisson. 

Il y a deux manières de combattre, l'une avec les lois, 
l'autre avec la force.
 


La première est propre aux hommes, 
l'autre nous est commune avec les bêtes.
Machiavel "Le prince"

Interrogé sur les récents propos de son ancien Premier ministre, qui le traitait de « lapin Duracell », Nicolas Sarkozy a eu cette formule : « C’est un loser », autrement dit un perdant. 
Un perdant respectueux des principes républicains, à droite, cela devient une denrée rare.     



François Hollande un an plus tard...

 

Justice au singulier

Comment Valeurs actuelles peut-il écrire en couverture au sujet du président de la République : "Il nous fait honte" ?
On sait bien que c'est faux.
De 2007 à 2012, à plusieurs reprises on a vraiment ressenti de la honte à cause de certaines postures et interventions présidentielles. Ce ne pouvait pas être lui pour qui j'avais voté ?
Mais même l'esprit le plus partisan ne peut soutenir que le comportement personnel du chef de l'Etat, dans l'espace public et dans les réunions internationales, a humilié, offensé ses concitoyens. Ceux-ci ont été représentés par lui d'une manière qui au moins n'a pas prêté à controverse ou à dérision.
Pour sa politique, c'est autre chose.
Elle est discutable. Aucune embellie à l'horizon. Lors du séminaire gouvernemental, François Hollande "a exigé des résultats pour 2013". Des résultats, il en aura, mais lesquels ? A forte tonalité négative, je le crains.
On a évidemment le droit de déplorer cette France coupée en deux entre les commentaires et les discours de son président d'un côté et sa réalité de l'autre. Comme si les mots, les projets, les résolutions et les actes ne s'imprimaient pas ou que tout tardait à éclore. Le pays est trop sec, rien ne sort. Il y a de l'action mais pourtant le film demeure médiocre.
Tout ce qu'on veut alors, sauf la honte.
Opposition, contestation, volontarisme absent, social-démocratie trop modeste, dispositif économique et financier pas assez contraignant, on n'a pas tapé assez fort sur la table démocratique.
Mais pas de honte, non. Le président nous permet encore de le dissocier de ses oeuvres ou de ses abstentions.
Pas d'enthousiasme non plus. Pas cette déclaration ridicule d'un Pierre Bergé aussi violent pour défendre le mariage pour tous qu'il est peu lucide dans le domaine politique. Plutôt ce désabusement un tantinet attristé qui domine aujourd'hui dans les têtes des artistes de gauche. Il y a encore quatre ans certes mais l'année écoulée n'a pas été brillante. On attendait mieux du socialisme au pouvoir (Le Parisien).
Mais François Hollande ne nous fait pas honte. Pas si indécis que cela, pas faible non plus, déterminé mais pour emprunter des chemins encore trop de dérivation, n'allant pas profondément au vif du sujet, au coeur de la crise, là où la pauvreté fait mal, et la dislocation sociale, là où le FN engrange, là où Mélenchon, "qui n'a jamais appartenu à la majorité", tonitrue, pourfend et ajoute à la gauche en difficulté sa diatribe dévastatrice (Paris Match).
Comment écrire que François Hollande nous fait honte ? Il se trompe peut-être, il déçoit, il joue petit bras, petite politique, il se comporte en gouvernant raisonnable et trop serein face à un monde de moins en moins gouvernable par la raison. Il applique des remèdes modérés à une fièvre de cheval, il suit son bonhomme de chemin mais le présent ni l'avenir ne sont bonhommes.
Mais aucune honte. Ce n'est parce qu'il descend dans les sondages que je vais me mettre à confondre l'homme honorable avec la politique qui tente mais pour l'instant ne donne rien. Exiger des résultats ne suffit pas. Ce serait trop simple.
Allons jusqu'à la vulgarité de Jean-François Copé affirmant que le président n'est pas vraiment capable de diriger la France parce que lui feraient défaut la compétence et l'autorité.
Si cela amuse l'opposition de développer de telles absurdités, pourquoi pas ?
Mais je cherche toujours la honte qui devrait faire rougir nos fronts citoyens.
Et je ne la trouve pas.

dimanche 5 mai 2013

L’effarant bilan de… la droite !


Le Bilan ... *

Comme c’est « la fête » de François Hollande, et pour cause d’une année de pouvoir déceptif, on en oublierait de célébrer celle de la droite dans l’opposition. Or le bilan de celle-ci se révèle… effarant puisqu’elle se refuse d’abord sous la pression de l’ancien président à dresser le sien. 

Frappée de cet interdit d’auto-examen, elle est dans l’incapacité d’offrir une alternative crédible, puisqu’elle ne fait pas le tri entre ce que Nicolas Sarkozy aurait pu réussir ou rater (oui, c‘est arrivé !), et par conséquent elle n’avance aucune contre-proposition, qui montrerait qu’elle a pris elle aussi la dimension de l’aggravation de la crise comme de l’échec des remèdes qui y ont été apportés. 

Au-delà même de la présence d’un président tricheur, et par là même discrédité, à la tête de l’UMP, cet aveuglement consenti renvoie à celui de la gouvernance socialiste qui aurait pourtant fort besoin pour progresser d’une contestation roborative et non d’une droite extrémisée et hystérique. 

Que le sarkozysme, et avant lui le chiraquisme, aient une part non négligeable dans les difficultés budgétaires, économiques, mais aussi psychopolitiques que subit la France, nul cependant ne pourrait le contester. Si la droite pouvait faire elle même son examen autocritique, et même de conscience, rêvons un peu, elle éviterait d’abord de laisser ce travail salvateur au camp d’en face, qui du coup ne se prive d’aucune caricature. 

Et pourquoi les socialistes se gêneraient-ils puisqu’ils sont eux-mêmes bombardés de mensonges, et qu’on dresse tous les jours leur bilan comme une potence où l’on voudrait les voir pendus vite fait haut et court ? Sans attendre le terme des échéances électorales :« encore 4 ans ? » titre le Figaro Magazine comme s’il en appelait à la sédition. Le magazine de l’Ordre est dans le désordre et cela participe de sa déconsidération ! 

Comment l’opposition pourrait-elle retrouver l’indispensable crédit qu’exige la gestion des affaires si elle n’effectue donc pas sur elle-même ce travail réflexif que la gauche en son temps a eu temps de mal elle aussi à réaliser. François Mitterrand et les mitterrandistes, puis Lionel Jospin lui-même et les jospinistes ont freiné cet examen critique pour préserver stature, image, pouvoir… 

Et sans doute l’échec de Ségolène Royal dut-il beaucoup à l’insuffisant effort de remise en cause du PS, dont les responsables jouèrent les derviches tourneurs autour de leur nombril post-marxiste plutôt que d’affronter le monde extérieur libéral et leurs pratiques complices. Contributions, motions, amendements, tant de textes prétextes hors de tout contexte de réalité… 

L’on pourrait d’ailleurs expliquer nombre des déconvenues hollandaises par ce défaut de pensée, ce confinement intellectuel dans lequel l’UMP s’enferre à son tour, tout en se prétendant décomplexée. Ruse de l’histoire dramatique pour eux : sous des apparences de sarkozystes sans peur et qui veulent demeurer sans reproches, ces post-libéraux sont complètement « tabouisés » dans leurs têtes. Ils sont infichus de regarder en face les ratages de l’hyper-présidence sarkozyste qui confinait à l’impuissance brouillonne. 

Mais il leur est aussi impossible de remettre en cause leur logiciel du vieux monde libéral qui les a conduits à l’échec économique et politique. Quelles sont leurs solutions pour remettre en marche la France et l’Europe en dehors d’une génuflexion démonstrative devant le modèle allemand ? 

Dans un article — de fond ! — du Figaro, le président truqueur de l’UMP, Jean-François Copé, affirme, sans un regard sur le passé (!), que nous vivrions, « en dépit de nos institutions solides » une situation comparable « à l’agonie de la IVème République », avec « un pouvoir faible, sans ressort pour la France, bringuebalé par le cours des événements et qui fait honte aux Français ». 

On pourrait noter certes, et nous n’y avons pas manqué, que le gouvernement est affaibli, que le président manque de ressort, malgré le Mali, qu’il paraît souvent suivre les événements plutôt que les précéder et qu’en effet nous ne sommes pas toujours fiers de la France, et encore moins quand le chef par intérim d’un de ses principaux partis ne l’est devenu que par la fraude comme dans la pire des non-démocraties ! 

On s’amusera de la conclusion copéiste qui suit cette fresque apocalyptique : c’est « d’un nouveau 1958 que la France a besoin… » et donc d’un nouveau Charles de Gaulle. Copé dans cette filiation, cette équivalence ?... Évidemment on ne peut que rire, tant la comparaison du Général libérateur de la France avec le député-maire de Meaux paraît déplacée, mais c’est toute la comparaison historique avec l’épuisement de 1958 qui est hors de saison. 

La situation économique, politique, sociale, internationale et même « mentale » du pays aujourd’hui n’a rien à voir avec ces années d’autre fin de cycle. Ce blocage référentiel est bien la preuve, une nouvelle preuve, de l’incapacité des dirigeants de droite, on peut y inclure ceux de gauche, à sortir de leurs moules (à gaufres !) intellectuels. Non pas qu’il faille ignorer l’histoire, mais il faudrait comprendre enfin qu’elle ne fait pas que se répéter ! 

Ajoutons enfin que cette opposition, plus encore que toutes les autres qui l’ont précédée, ne pense plus, mais proscrit. Si l’on excepte quelques rares personnalités comme Xavier Bertrand ou Bruno le Maire, les dirigeants de l’UMP ne sont plus dans le débat lucide, mais dans le combat aveugle. Ils ne réfléchissent plus, ils exorcisent et stigmatisent. 

La droite n’avance pas des idées, elle veut chasser le diable rouge, enfin rose, qui se serait emparé par maléfice du pouvoir, son bien dans tous les sens du terme. Chaque heure qui passe sous la gauche régnante est un outrage à leur illusoire droit de propriété qu’ils auraient hérité de la royauté. 
Ils proclamaient avec furie le droit ; ils voulaient, fût-ce par le tremblement et l’épouvante, forcer le genre humain au paradis. Ils semblaient des barbares et ils étaient des sauveurs. Ils réclamaient la lumière avec le masque de la nuit.
En regard de ces hommes, farouches, nous en convenons, et effrayants, mais farouches et effrayants pour le bien, il y a d’autres hommes, souriants, brodés, dorés, enrubannés, constellés, en bas de soie, en plumes blanches, en gants jaunes, en souliers vernis, qui, accoudés à une table de velours au coin d’une cheminée de marbre, insistent doucement pour le maintien et la conservation du passé, du moyen-âge, du droit divin, du fanatisme, de l’ignorance, de l’esclavage, de la peine de mort, de la guerre, glorifiant à demi-voix et avec politesse le sabre, le bûcher et l’échafaud.
Quant à nous, si nous étions forcés à l’option entre les barbares de la civilisation et les civilisés de la barbarie, nous choisirions les barbares.
Victor Hugo, Les Misérables



Depuis le premier jour, depuis la première heure, depuis la première seconde une forte partie de la minorité regarde le parti de la majorité et son gouvernement comme s’ils étaient illégitimes. « Mais vous êtes encore là, faquins ?!!! », leur signifient-ils à chaque interpellation : « allez, ouste, dehors ! » 


Les socialistes ne sont que des usurpateurs à leurs yeux scandalisés de propriétaires spoliés. François Hollande n’est qu’un intérimaire incongru de la Présidence. En fait ils espèrent être mécaniquement débarrassés de l’importun. Par rejet de greffe. Pour reconquérir l’Élysée, l’esprit et le cœur des Français, il n’y aurait pas besoin de se remettre en cause radicalement. Tout juste à la marge. Voilà au moins un pouvoir qu’ils n’ont pas perdu, celui de l’illusion !...

"Contre l'ennemi, nous habitions et nous défendions
 
un édifice de concorde républicaine,
 
ébranlé trop tôt par des mains imprudentes, il va crouler. 
 
Par quelle porte en sortirons-nous ?
 
Par la porte du passé ou par la porte de l'avenir ?" 
 
Jean Jaures
 
Le bilan de la droite au lendemain de l'élection du 
Président Hollande en mai 2012 :


A bien des égards, Nicolas Sarkozy a discrédité encore davantage l’action publique et la parole politique.
Ce président a érigé en mode d’emploi l’enchaînement d’un fait divers tragique, suivi de l’annonce d’une loi répressive, elle-même dépassée avant d’avoir pu produire tous ses effets. En matière de sécurité, de justice, d’entrée et de séjour des étrangers tout particulièrement, cette frénésie législative a discrédité l’action publique et dégradé les conditions de travail du Parlement surchargé. Plus anecdotiquement encore, Nicolas Sarkozy a développé la culture du gadget politique, aussi vite promu qu’oublié (qui se souvient de la lecture de la lettre de Guy Môquet imposée dans les collèges ou du projet de parrainage d’enfants déportés de la Seconde Guerre mondiale par des élèves de CM2?). Les effets sur les politiques publiques ne sont pas qu’anecdotiques : en matière pénale, la sévérité, marquée par la loi absurde sur les peines planchers, est allée de pair avec des difficultés d’exécution croissantes de ces sanctions, avec pour conséquence un discrédit jeté sur l’action des policiers et des magistrats. Cette frénésie se traduit par l’absence de réflexion avant la décision, desuivi et d’évaluation des politiques conduites. Le meilleur exemple est la suppression de la taxe professionnelle, décidée et annoncée par le Président seul, sans aucune étude préalable, les services de Bercy étant ensuite chargés de trouver les solutions techniques aux innombrables contraintes posées par l’Elysée. Résultat : deux taxes au lieu d’une et un dispositif sensiblement plus compliqué.
L’absence de cohérence et de constance frappe et choque et les exemples sont légion : on instaure une taxe sur les nuits d’hôtels les plus chères le 1er novembre 2011 avant d’annoncer sa suppression 10 jours plus tard ; on met en place la loi TEPA, à l’été 2007 et on la détricote tout au long du quinquennat ; on annonce, en janvier 2009, la suppression de la publicité dans l’audiovisuel public au moment même – le même jour, à la même heure – où une réunion interministérielle travaille sur l’augmentation de cette ressource ; on annonce que la déchéance de la nationalité sera étendue, avant de renoncer devant l’impossibilité juridique de l’opération. Tout cela n’est pas sérieux.
Plus gravement encore, l’Etat est atteint dans son mode de fonctionnement institutionnel. L’équilibre de l’exécutif bicéphale de la Ve République a été bouleversé en profondeur : le Premier ministre est un « collaborateur » et les ministres sont réduits au rôle d’exécutants ; les décisions se prennent à l’Elysée et les conseillers du Président se répandent dans les médias (C. Guéant, H. Guaino, R. Soubie…). La révision constitutionnelle de 2008, votée dans les conditions que l’on sait – une voix de majorité –, ne change rien à cette situation, malgré la réussite de la QPC (question prioritaire de constitutionnalité). Pour le reste, le référendum d’initiative populaire introduit en 2008 n’a toujours pas reçu son texte d’application. Ce gouvernement aura été le premier de la Ve République à laisser certains volets d’une révision constitutionnelle sans texte d’application pendant toute une législature. La volonté du constituant n’a tout simplement pas été respectée. Cet affaiblissement de l’Etat, que les coups de mentons préfectoraux ne compensent pas, est allé de pair avec une montée en puissance de l’action des collectivités territoriales, et en particulier des régions, auxquelles des compétences ont continué à être déléguées, les contraignant à augmenter les impôts et à recruter. Le dialogue de l’Etat avec les collectivités, comme avec l’ensemble des corps intermédiaires – associations, syndicats… – est resté quasi-inexistant, comme l’a montré la réforme territoriale qui a joué dans la perte du Sénat par la droite. La réforme des retraites, non précédée d’une véritable négociation, a confirmé cette carence structurelle.
Après avoir fait de la « République irréprochable » un slogan de campagne, Nicolas Sarkozy a plutôt créé une « République dévoyée » en voie de berlusconisation : les moyens de l’Etat sont mis à profit de quelques-uns, parmi les proches du Président (le groupe Bolloré a, tout en affirmant le contraire, récupéré d’importants marchés publics dont celui de la valise diplomatique ; le conseiller sondage de l’Elysée Patrick Buisson a bénéficié de commandes pour plusieurs centaines de milliers d’euros, dénoncées par la Cour des comptes) ; les nominations scandaleuses s’enchaînent (mode de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public ; nominations de préfets ; nominations dans la justice, avec en dernier lieu celle du directeur de cabinet du garde des Sceaux devenu procureur de la République de Paris) ; les dirigeants de l’Etat sont mis en examen (le Directeur central des Renseignements généraux, Bernard Squarcini) ou condamnés (Brice Hortefeux, deux fois, pour atteinte à la présomption d’innocence et pour injure raciale) et les affaires touchent même certains hauts magistrats, le juge Courroye, procureur de Nanterre étant mis en examen dans l’affaire dite des fadettes en janvier 2012. Ce quinquennat aura battu le record du nombre de ministres ayant quitté le gouvernement à la suite d’affaires ou de scandales (Eric Woerth, Michèle Alliot Marie, Alain Joyandet, Christian Blanc, Georges Tron, Brice Hortefeux, André Santini…). Les liens avec les grands groupes médiatiques et avec les milieux de l’argent expliquent de nombreuses décisions, comme l’ouverture à la concurrence des jeux d’argent en ligne. Les contre-pouvoirs, dans la presse mais aussi au sein de l’Etat, sont affaiblis ou supprimés, et c’est une démocratie française en triste état que le Président de la République lègue en héritage.
En 2012, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, l’Etat apparaît atteint dans sa substance et dans sa capacité d’action : la RGPP et le non remplacement d’un fonctionnaire sur deux ont été l’alpha et l’oméga de la conduite de l’administration. Il y avait des choses à faire ; le dogmatisme et l’idéologie anti-Etat ont rendu tout changement autre que violent impossible. L’Etat a perdu en expertise, en capacité d’action, en crédibilité, pour des économies budgétaires modestes. Le paradoxe, là aussi, et le danger, c’est que dans ces temps de crise, les habitants et les entreprises de notre pays se tournent vers la puissance publique dont on attend des réponses et des solutions pour l’avenir, au moment même on lui coupe les ailes.
DES VALEURS NÉO-CONSERVATRICES QUI NE SONT PAS CELLES DE LA RÉPUBLIQUE
En 2007, un peu avant cette élection que l’on a dit imperdable, beaucoup pensaient que Nicolas Sarkozy présentait une forme d’incompatibilité personnelle avec les valeurs de la République. En décalage avec la culture et les valeurs de notre pays, décomplexé par rapport à notre histoire commune, son élection paraissait rien moins qu’évidente. Une fois arrivé à l’Elysée, ce décalage, qui aurait sans doute pu permettre l’audace et la créativité, s’est transformé en rupture, en fossé. Les exemples ne manquent pas. Sur la laïcité, il a d’abord donné des gages aux Eglises, et en particulier à l’Eglise catholique avec laquelle il a voulu « remettre la religion au coeur de la cité », avec une ode à la prêtrise, comparée à la vocation des enseignants, qui n’a pu que choquer les plus ouverts au fait religieux (discours du Latran 20 décembre 2007). En matière de politique étrangère, il a démontré son atlantisme aveugle en cédant au retour dans le commandement intégré de l’OTAN, sans aucune espèce de contrepartie (mars 2009). A rebours de la défense des libertés ensuite, il a été le président de la vidéosurveillance, de l’espionnage des journalistes (affaire des fadettes), des peines planchers et du retour envisagé de la double peine. Loin de tout esprit d’égalité, il a théorisé avec sa majorité la stigmatisation des plus démunis, des « assistés », qui portent la responsabilité première de leur situation, voire des habitants des territoires d’outre-mer, dans une vision cartiériste avec laquelle on pensait que la droite avait définitivement rompu. Avec Nicolas Sarkozy, les « insiders », les possédants, les héritiers, ont été systématiquement favorisés. Loin de tout esprit de fraternité, il n’a eu de cesse de fracturer, de monter les populations les unes contre les autres : les salariés qui se lèvent tôt contre les fonctionnaires et les assistés ; les policiers contre les magistrats ; les chrétiens contre les musulmans; les métropolitains contre les ultra-marins… La circulaire contre les Roms, à l’été 2010, est là encore une première depuis 1945, et une première honteuse : un texte officiel a ordonné aux préfets de mettre en oeuvre des mesures de police contre des populations désignées en raison de leur origine ethnique.
Le discours de Grenoble a été le manifeste de cette politique, à l’adresse de l’électorat frontiste dont les voix pèseront lourd au premier tour de la présidentielle. Nicolas Sarkozy, en 2012 comme en 2007, joue avec les peurs des Français et donne de notre pays, notamment à l’étranger, une image repoussante, celle d’une citadelle assiégée, qui, loin de rayonner et d’incarner les valeurs de la devise républicaine, cherche surtout à ne pas évoluer. C. Guéant l’a dit, dans des termes qui n’ont aucun sens : « Les Français veulent que la France reste la France ». Cela implique la fin du mythe de l’immigration choisie au profit du retour à celui de l’immigration zéro, la destruction des perspectives d’intégration pour les étrangers. Dans le même temps– et là, il y a une cohérence, celle de la fermeture et de l’exclusion de la vie publique – , toute évolution sur la question du droit de vote des étrangers aux élections locales est écartée. A l’étranger, le mépris exprimé par le discours de Dakar a laissé des traces, comme la réception de Kadhafi en décembre 2007 ou de Hassad de Syrie le 14 juillet. Même en Europe, l’arrogance vis-à-vis des petits pays comme de certains pays fondateurs (on se rappelle le sourire méprisant de Sarkozy en conférence de presse avec Angela Merkel à propos de l’Italie) aura desservi la France, qui a poursuivi des buts purement nationaux au détriment de toute ambition européenne, et a instrumentalisé l’Europe, par exemple en matière de migrations et de contrôle des frontières.
UNE FRANCE INJUSTE
Les Français qui ont accordé leur confiance à Nicolas Sarkozy en 2007 avaient sans nul doute envie de changement. Il a réussi à faire croire qu’il était l’homme de la situation, qu’il allait mettre la France en mouvement (« Ensemble tout devient possible »), redonner leurs chances à tous les habitants du pays, partager du pouvoir d’achat. Or, le quinquennat qui s’achève aura été un des plus durs et injustes de la Ve République. Si Chateaubriand a raison (« Les Français n’aiment point la liberté ; l’égalité est leur idole » – Mémoires d’outre-tombe), Nicolas Sarkozy aura à rendre des comptes.
Premier facteur d’inégalité, la politique fiscale. Les choix budgétaires ont systématiquement privilégié les ménages aisés et les entreprises. Cela se traduit dans le volet recettes et en particulier dans le démantèlement de la fiscalité du patrimoine (4 milliards d’euros de baisses d’impôts pour les ménages les plus aisés, avec la réforme de l’ISF et des droits de succession, qui traduisent l’idée d’une France d’héritier ; 7 milliards aux entreprises sans contrepartie sur l’emploi ; aggravation des niches fiscales, machines à creuser les déficits). Dans les dépenses, si la hausse incontrôlée de tous les budgets et programmes des lois de finances doit être soulignée pour relativiser l’image de rigueur et de sérieux dans la gestion (un des records est détenu par le budget de l’Elysée : + 252 %), une exception, incroyable et pourtant réelle, doit être dénoncée : celle du programme « accès et retour à l’emploi », qui a diminué sur la période 2007-2012.
Certaines réformes qui seront portées au crédit du Président sortant par sa majorité doivent être analysées au regard de l’objectif de justice sociale. S’agissant des retraites, les femmes, les salariés entrés très tôt sur le marché du travail, ceux qui ont suivi des carrières longues et pénibles, subiront de plein fouet les choix du gouvernement. A l’inverse, les électeurs déjà retraités, traditionnellement plus mobilisés lors des élections que le reste de la population et plutôt favorables aux conservateurs, ont été épargnés. D’autres pays européens n’avaient pas fait le même choix.
Le pacte social français a ainsi changé de nature : la rente a pris le pas sur le travail et l’innovation, et la France est devenue un pays où les héritiers et les rentiers ont le dernier mot sur les travailleurs et les entrepreneurs. Alors que 10 % des Français détiennent 50 % de la richesse globale, les inégalités de patrimoine ont augmenté de 30 % en sept ans, sachant qu’hériter multiplie le patrimoine par six : pour gagner plus, les Français ont bien compris qu’il fallait d’abord mieux choisir sa famille plutôt que travailler plus. Candidat du pouvoir d’achat et du retour à l’emploi, Nicolas Sarkozy traine ce boulet qui lui revient à la figure : pour 85 % des Français interrogés par Le Nouvel Observateur et Terra nova, son bilan en la matière est négatif. Le résultat sur la situation sociale du pays est préoccupant. Depuis le début du quinquennat 300 000 personnes supplémentaires (soit l’équivalent de la ville de Nantes ou de Strasbourg) sont tombées sous le seuil de pauvreté (8,2 millions de personnes au total). Même le RSA, présenté comme la solution contre l’assistanat et les trappes à pauvreté, a échoué. Trop complexe, le dispositif n’a pas réussi à ramener vers le marché du travail ceux qui en ont été éloignés pendant longtemps. Cet échec a été aggravé par une politique du logement à contresens.
La France injuste, c’est aussi une France où l’autorité judiciaire ne fonctionne plus. La justice, avec l’école, est le parent pauvre du quinquennat de Nicolas Sarkozy, voire sa victime quand on constate la préfectoralisation accrue des procureurs, dont la proximité avec le pouvoir a atteint des sommets. Quant aux moyens, le Conseil de l’Europe a calculé que le budget consacré à la justice, rapporté au PIB, plaçait notre pays en 37e position sur 43. La stigmatisation des magistrats à chaque fait divers, le durcissement de la législation pénale combiné avec une inexécution pathologique des décisions juridictionnelles et l’état honteux des prisons, décrédibilisent l’autorité judiciaire. L’introduction de jurés populaires en correctionnelle a ajouté à la confusion et a mobilisé, au nom de la démagogie, des énergies et des moyens budgétaires qui étaient nécessaires par ailleurs pour améliorer le fonctionnement des juridictions.
Dans ce bilan, la réussite de la QPC (question prioritaire de constitutionnalité) ne pèse pas lourd. Surtout, du point de vue institutionnel, le Conseil constitutionnel, lui, n’a pas été réformé. Ces faits alimentent le sentiment profond d’épuisement, cette fatigue que ressentent les Français devant une vie plus dure aujourd’hui qu’il y a dix ans et devant des perspectives plus sombres pour nos enfants et pour les jeunes de ce pays. Bien loin de se limiter à la crise, le ressenti des Français sur les dix dernières années dessine le portrait d’une décennie perdue : 74 % des trentenaires estiment vivre moins bien que leurs parents, comme 72 % des 20 à 30 ans.
UN ÉCHEC ÉCONOMIQUE QUI HYPOTHÈQUE L’AVENIR
En 2007, Nicolas Sarkozy a voulu s’affirmer comme le Président de l’initiative économique, de la libération des contraintes et du pouvoir d’achat. Face à ses engagements, force est de constater que l’échec idéologique est net : le « Paquet fiscal » voté à l’été 2007 a choqué sur le plan des symboles (Liliane Bettencourt a récupéré un chèque de 30 millions d’euros au titre du paquet fiscal 2008…) et a été pris à revers par la crise. Le mal aura été fait, avec plus de 10 milliards d’euros par an pris dans les poches de tous les Français pour les donner aux ménages les plus riches. Plus grave encore, les capacités d’investissement du pays sont réduites et les politiques publiques actuelles sont, dans certains domaines, à 180o de ce qu’il faudrait faire. Loin de tout sérieux budgétaire, Nicolas Sarkozy a été un président dépensier. Ainsi, la dette publique a explosé (elle a doublé de 900 milliards d’euros à 1800 milliards d’euros en 2012), une large part revenant aux choix du gouvernement, comme la Cour des comptes l’a montré de manière indiscutable. La charge de la dette est désormais le deuxième poste du budget de l’Etat. La réhabilitation de la valeur travail – au détriment de la création d’emplois, à cause notamment de l’exonération des heures supplémentaires –, l’assouplissement des 35 heures, la flexibilisation du marché et du code du travail, ou encore la « responsabilisation » des chômeurs ont tourné court, face à l’explosion des plans sociaux et à l’envolée du chômage pendant la crise.
Loin de convaincre par ces mesures et de réinventer une politique nouvelle de l’emploi, la majorité a d’ailleurs été contrainte de recourir aux « vieilles recettes » telles que le recours en urgence aux contrats aidés pendant la crise, pourtant vilipendés pendant la campagne, sans d’ailleurs que ces revirements soient expliqués, ni même réellement assumés face à l’opinion publique. Cette politique a aussi aggravé les problèmes de compétitivité de la France, notamment vis-à-vis de l’Allemagne, avec des conséquences très lourdes (un demi-million d’emplois industriels perdus depuis 2007). Le déficit commercial a atteint un triste record historique et, sauf en 2009, la croissance a été sensiblement plus faible qu’en Allemagne. Au total, l’insuffisance de l’investissement, la baisse de l’effort de recherche et développement, le faible renouvellement du tissu des entreprises, l’absence de positionnement sur les marchés émergents expliquent beaucoup plus le déclin de nos positions industrielles que le coût du travail en France, ou encore la durée du temps de travail, qui est en moyenne proche de celle de l’Allemagne.
Dans la réponse à la crise financière, le Président de la République répété à plusieurs reprises après la faillite de Lehman Brothers : « Plus rien ne sera comme avant ». Pourtant, si l’Etat a joué son rôle et si le Président a assumé ses responsabilités en prenant des initiatives notamment au G20, la France est restée, en interne, très en-deçà de ce qui était nécessaire dans la recherche d’une nouvelle régulation financière : pas de mise en oeuvre du rapport Vickers proposant la séparation des activités de dépôt et de banques d’affaires, pas de fonds de résolution pour assurer le soutien aux banques défaillantes, à la différence de ce qu’ont fait l’Allemagne et la Suède. Tout cela donne le sentiment d’une capture du pouvoir politique par le pouvoir bancaire. L’enjeu de la présidentielle est donc de trouver les moyens de remettre la France en marche, par des investissements judicieux. Or, les dysfonctionnements du système d’innovation et d’éducation, notamment l’insuffisance des moyens, handicapent la compétitivité et la croissance françaises. Dans le domaine universitaire, la réforme des universités a constitué une rupture majeure, incitant les établissements à de nouvelles logiques de responsabilité et de performance dans leur gestion, avec des outils souvent inadaptés. Le retard de notre pays reste toutefois très important, et la réforme a laissé de côté des sujets majeurs (échec massif en premier cycle, coupure entre grandes écoles et universités, précarité des conditions de vie des étudiants, dévalorisation sociale du métier d’enseignant-chercheur,…). Quant au Grand emprunt, il n’a pas produit les effets escomptés et n’est de toutes les façons pas à la hauteur des besoins du pays.
Plus globalement, l’investissement dans la jeunesse et dans la richesse humaine est dramatiquement insuffisant. Deux illustrations : les jeunes enfants de moins de trois ans sont de moins en moins pris en charge par l’école (le taux de scolarisation des moins de 3 ans a diminué de moitié : – 150 000 enfants !) ; et le nombre de jeunes sortants sans qualification aucune du système scolaire reste dramatiquement élevé. Avec un taux de chômage très élevé et des Français appauvris, une croissance faible, une compétitivité dégradée et un Etat gravement impuissant, le bilan est sombre. Nicolas Sarkozy laissera une République abîmée, des institutions affaiblies, des tensions fortes entre les habitants. Ce sont autant de défis à relever pour la France et pour l’Europe.
Introduction au bilan de N.S.
Pour Terra Nova