« Le mot qui désigne le principe, laïcité, fait référence à l’unité du peuple, en grec le laos,
telle qu’elle se comprend dès lors qu’elle se fonde sur trois exigences indissociables :
la liberté de conscience,
l’égalité de tous les citoyens quelles que soient leurs convictions spirituelles,
leur sexe ou leur origine,
et la visée de l’intérêt général, du bien commun à tous, comme seule raison d’être de l’Etat »
Henri Pena-Rui
Le projet de loi sur l'égalité entre les hommes et les femmes, déposé
par le gouvernement et actuellement débattu en première lecture à
l'Assemblée nationale, supprime la "situation de détresse" mentionnée par la loi Veil de 1975 pour caractériser l'IVG non thérapeutique. La loi se réfère désormais, plus simplement, à "la femme qui ne veut pas poursuivre sa grossesse".
Tout le monde pensait que cette modification allait passer inaperçue, tant il est vrai que cette notion de détresse ne trouvait plus aucun écho dans le droit positif.
Tout le monde pensait que cette modification allait passer inaperçue, tant il est vrai que cette notion de détresse ne trouvait plus aucun écho dans le droit positif.
Certains parlementaires UMP, membres de "l'Entente parlementaire pour la famille"
se sont pourtant opposés avec ardeur à cette suppression. Sur le plan
politique, voire religieux, tout cela n'a rien de bien surprenant. Si
l'on ouvre la page Facebook de cette "Entente parlementaire pour la famille",
on découvre en bandeau une grande publicité pour la Manif pour tous et
on peut y lire des articles nous informant sur les activités des
Veilleurs. Ces parlementaires UMP sont évidemment loin de représenter
l'ensemble de leur parti, mais seulement sa frange catholique la plus
traditionaliste. Comme toujours lorsque la loi Veil fait l'objet d'une
modification même minime, ils ont profité de l'occasion pour remettre en
cause l'IVG, stimulés sans doute par "l'exemple" espagnol.
Ils ont même contre-attaqué, du moins le pensent-ils, en déposant un amendement
supprimant le remboursement de l'IVG par la sécurité sociale. Les deux
éléments sont liés, affirment ils : ne plus soumettre l'IVG à une
condition de détresse conduit à en faire une opération de convenance,
qui n'a donc pas à être prise en charge par la collectivité. On s'en
doute, la disposition supprimant la condition de détresse a été votée,
et l'amendement supprimant le remboursement de l'IVG a été rejeté.
Situation de détresse et non pas condition de détresse
Si on se place, non pas sur un plan religieux ou idéologique, mais sur
un plan juridique, leur revendication perd tout son sens. Une "situation
de détresse", ce n'est pas une "condition de détresse". Elle est
constatée et invoquée par la femme qui demande de recourir à l'IVG, mais
son appréciation ne donne lieu à aucun contrôle extérieur. Autrement
dit, la détresse n'est pas un critère de licéité de l'IVG mais plus
simplement l'une des circonstances dans lesquelles elle peut être
effectuée.
La première de ces circonstances, définie par la loi Veil modifiée par
la loi du 4 juillet 2001, prévoit une interruption thérapeutique, "soit
que la poursuite de la grossesse met(te) en péril grave la santé de la
femme, soit qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître
soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme
incurable au moment du diagnostique". Cette situation doit être attestée par deux médecins, "membres d'une équipe pluridisciplinaire", après un avis consultatif rendu par l'ensemble de cette équipe (art. L 2213-1 csp).
La seconde de ces circonstances, celle qui a suscité le débat, est prévue par l'article L 2212-1 csp. qui précise que l'IVG est accessible à la femme enceinte "que son état place dans une situation de détresse". En 1975, lors du vote de la loi Veil, certains avaient pu penser que
cette "détresse" correspondait un véritable état de nécessité au sens
juridique du terme, c'est à dire l'hypothèse où une personne se voit
contrainte de commettre un acte illicite pour échapper à un péril
imminent. Cette interprétation restrictive n'était pas totalement exclue
par la décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier 1975 qui
affirmait que le législateur n'entendait déroger au principe du respect
de tout être humain dès le commencement de la vie qu'"en cas de nécessité".
Anne Sylvestre. Non, tu n'as pas de nom. 1973
Une prérogative exclusive de la femme
La jurisprudence ultérieure n'a pas donné raison aux partisans de cette
lecture étroite de la notion de détresse. Le droit positif estime au
contraire que la situation de détresse est appréciée par la femme
elle-même. Certes, l'article L 162-4 csp précise que "chaque fois que cela est possible, le couple participe à la consultation et à la décision à prendre", mais il s'agit là d'une simple recommandation, dépourvue de contrainte juridique. Le Conseil d'Etat, dans un arrêt d'assemblée du 31 octobre 1980,
a ainsi été saisi d'un recours en indemnité présenté par un mari dont
la femme avait subi dans un hôpital public une IVG sans qu'il en soit
informé. Le juge a alors précisé que ce texte "n'a ni pour objet, ni
pour effet de priver la femme majeure du droit d'apprécier elle-même si
sa situation justifier l'interruption de la grossesse". A partir de cette date, la seule condition pour recourir à l'IVG est donc le respect du délai légal.
Depuis une jurisprudence vieille de trente-trois ans, l'IVG est un donc
une décision prise par la femme, et uniquement par elle. La "situation de
détresse" relève de son libre arbitre. Il lui appartient d'apprécier
elle même si elle est en situation matérielle et psychologique de mener à
bien sa grossesse.
Un nouvel obscurantisme
L'actualisation de la loi Veil par la suppression de la situation de
détresse ne modifie donc en rien l'état du droit. M. Guillaume
Chevrollier, député de la Mayenne, devait sans doute l'ignorer,
lorsqu'il a affirmé, lors du débat parlementaire, qu"en ôtant la référence à la notion de détresse, vous
créez un droit à l’avortement sans condition". A moins qu'il ait
tout simplement profité d'une occasion nouvelle de remettre en cause le
droit des femmes à l'IVG. Il a parfaitement le droit de faire connaître
ses convictions, de les affirmer haut et clair, y compris dans
l'assemblée parlementaire dont il est membre. Mais pourquoi obscurcir le
débat en invoquant des arguments juridiques erronés ? Pourquoi ne pas
tout simplement s'appuyer sur ses convictions éthiques et religieuses ?
Cela aurait le mérite de la franchise et cela permettrait surtout de
développer la prise de conscience de ce nouvel obscurantisme déjà
affiché lors des débats sur la loi relative au mariage pour tous.