samedi 8 février 2014

IVG : suppression de la "situation de détresse"

 
 
 

« Le mot qui désigne le principe, laïcité, fait référence à l’unité du peuple, en grec le laos,

telle qu’elle se comprend dès lors qu’elle se fonde sur trois exigences indissociables :

la liberté de conscience,

l’égalité de tous les citoyens quelles que soient leurs convictions spirituelles, 

leur sexe ou leur origine,

et la visée de l’intérêt général, du bien commun à tous, comme seule raison d’être de l’Etat »

Henri Pena-Rui

 
 
Le projet de loi sur l'égalité entre les hommes et les femmes, déposé par le gouvernement et actuellement débattu en première lecture à l'Assemblée nationale, supprime la "situation de détresse" mentionnée par la loi Veil de 1975 pour caractériser l'IVG non thérapeutique. La loi se réfère désormais, plus simplement, à "la femme qui ne veut pas poursuivre sa grossesse".

Tout le monde pensait que cette modification allait passer inaperçue, tant il est vrai que cette notion de détresse ne trouvait plus aucun écho dans le droit positif. 
Certains parlementaires UMP, membres de "l'Entente parlementaire pour la famille" se sont pourtant opposés avec ardeur à cette suppression. Sur le plan politique, voire religieux, tout cela n'a rien de bien surprenant. Si l'on ouvre la page Facebook de cette "Entente parlementaire pour la famille", on découvre en bandeau une grande publicité pour la Manif pour tous et on peut y lire des articles nous informant sur les activités des Veilleurs. Ces parlementaires UMP sont évidemment loin de représenter l'ensemble de leur parti, mais seulement sa frange catholique la plus traditionaliste. Comme toujours lorsque la loi Veil fait l'objet d'une modification même minime, ils ont profité de l'occasion pour remettre en cause l'IVG, stimulés sans doute par "l'exemple" espagnol.
Ils ont même contre-attaqué, du moins le pensent-ils, en déposant un amendement supprimant le remboursement de l'IVG par la sécurité sociale. Les deux éléments sont liés, affirment ils : ne plus soumettre l'IVG à une condition de détresse conduit à en faire une opération de convenance, qui n'a donc pas à être prise en charge par la collectivité. On s'en doute, la disposition supprimant la condition de détresse a été votée, et l'amendement supprimant le remboursement de l'IVG a été rejeté.

Situation de détresse et non pas condition de détresse


Si on se place, non pas sur un plan religieux ou idéologique, mais sur un plan juridique, leur revendication perd tout son sens. Une "situation de détresse", ce n'est pas une "condition de détresse". Elle est constatée et invoquée par la femme qui demande de recourir à l'IVG, mais son appréciation ne donne lieu à aucun contrôle extérieur. Autrement dit, la détresse n'est pas un critère de licéité de l'IVG mais plus simplement l'une des circonstances dans lesquelles elle peut être effectuée.
La première de ces circonstances, définie par la loi Veil modifiée par la loi du 4 juillet 2001, prévoit une interruption thérapeutique, "soit que la poursuite de la grossesse met(te) en péril grave la santé de la femme, soit qu'il existe une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostique". Cette situation doit être attestée par deux médecins, "membres d'une équipe pluridisciplinaire", après un avis consultatif rendu par l'ensemble de cette équipe (art. L 2213-1 csp).
La seconde de ces circonstances, celle qui a suscité le débat,  est prévue par l'article L 2212-1 csp. qui précise que l'IVG est accessible à la femme enceinte "que son état place dans une situation de détresse". En 1975, lors du vote de la loi Veil, certains avaient pu penser que cette "détresse" correspondait un véritable état de nécessité au sens juridique du terme, c'est à dire l'hypothèse où une personne se voit contrainte de commettre un acte illicite pour échapper à un péril imminent. Cette interprétation restrictive n'était pas totalement exclue par la décision du Conseil constitutionnel du 15 janvier 1975 qui affirmait que le législateur n'entendait déroger au principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie qu'"en cas de nécessité".
Anne Sylvestre. Non, tu n'as pas de nom. 1973

Une prérogative exclusive de la femme

La jurisprudence ultérieure n'a pas donné raison aux partisans de cette lecture étroite de la notion de détresse. Le droit positif estime au contraire que la situation de détresse est appréciée par la femme elle-même. Certes, l'article L 162-4 csp précise que "chaque fois que cela est possible, le couple participe à la consultation et à la décision à prendre", mais il s'agit là d'une simple recommandation, dépourvue de contrainte juridique. Le Conseil d'Etat, dans un arrêt d'assemblée du 31 octobre 1980, a ainsi été saisi d'un recours en indemnité présenté par un mari dont la femme avait subi dans un hôpital public une IVG sans qu'il en soit informé. Le juge a alors précisé que ce texte "n'a ni pour objet, ni pour effet de priver la femme majeure du droit d'apprécier elle-même si sa situation justifier l'interruption de la grossesse". A partir de cette date, la seule condition pour recourir à l'IVG est donc le respect du délai légal.
Depuis une jurisprudence vieille de trente-trois ans, l'IVG est un donc une décision prise par la femme, et uniquement par elle. La "situation de détresse" relève de son libre arbitre. Il lui appartient d'apprécier elle même si elle est en situation matérielle et psychologique de mener à bien sa grossesse. 

Un nouvel obscurantisme

L'actualisation de la loi Veil par la suppression de la situation de détresse ne modifie donc en rien l'état du droit. M. Guillaume Chevrollier, député de la Mayenne, devait sans doute l'ignorer, lorsqu'il a affirmé, lors du débat parlementaire, qu"en ôtant la référence à la notion de détresse, vous créez un droit à l’avortement sans condition". A moins qu'il ait tout simplement profité d'une occasion nouvelle de remettre en cause le droit des femmes à l'IVG. Il a parfaitement le droit de faire connaître ses convictions, de les affirmer haut et clair, y compris dans l'assemblée parlementaire dont il est membre. Mais pourquoi obscurcir le débat en invoquant des arguments juridiques erronés ? Pourquoi ne pas tout simplement s'appuyer sur ses convictions éthiques et religieuses ? Cela aurait le  mérite de la franchise et cela permettrait surtout de développer la prise de conscience de ce nouvel obscurantisme déjà affiché lors des débats sur la loi relative au mariage pour tous.

vendredi 7 février 2014

Orages désirés à droite et à gauche ! "Philippe Bilger"


Le Président de la République, qui a mis du temps, a reporté sine die le projet de loi sur la famille qui n'aurait pas traité de la GPA mais abordé la question délicate de la PMA. Ce n'est pas la peine de crier victoire sur un mode arrogant. Au contraire il convient de féliciter François Hollande qui pour une fois a préféré l'écoute d'une partie non socialiste du peuple à son totalitarisme subtil et mou. Tous les dangers ne sont pas écartés puisque les députés socialistes ulcérés par ce report vont remettre sur le chantier des éléments non négligeables contenus dans le texte renvoyé aux calendes grecques.
 La droite doit prendre garde aussi au fait de ne pas dénier la légitimité du président de la République. Certes il déçoit. Pour faire pièce à l'agitation de son prédécesseur, il s'est campé dans une attitude à la fois volontariste et apparemment plus sereine mais s'il a choisi la social-démocratie pour sa politique économique et financière, il va demeurer plus que jamais socialiste, pour le pire et pour compenser, sur tous les autres registres, notamment sociétaux, de sa mission. Ce n'est pas parce qu'il est tombé, et nous avec lui, dans le ridicule récemment qu'il faut oublier que le grand débat national aura lieu seulement en 2017. Jusque-là, l'opposition devra avoir de la tenue, vigoureuse si nécessaire, réceptive si besoin est mais en tout cas jamais sectaire au point de s'en prendre grossièrement et sur un mode grotesque à celui qui a été élu au mois de mai 2012.

« A quelques-uns l’arrogance

  tient lieu de grandeur ;

l’inhumanité de fermeté ;

et la fourberie, d’esprit. »

de Jean de La Bruyère

Elle devra d'autant plus se maîtriser et être intelligente que l'engagement fondamental de François Hollande d'être un président qui rassemble et unit a été clairement battu en brèche. François Hollande n'est plus qu'un homme qui parle de concorde. C'est trop peu.
La France doit résister à une double tentation contradictoire et perverse. A une double tempête.
Celle soufflée par la gauche pour discréditer, par avance, le combat de la droite contre ce qui menace subtilement ou ostensiblement.
Celle, en réaction, venue de la droite exaspérée par un suffrage universel qui en 2012, selon elle, s'est égaré.

Cette droite "revencharde" qui appelle à la démission du Président, n'hésite pas à monter aux créneaux pour critiquer l'action de la Garde des Sceaux dans son projet de mutation dans l'intérêt du service du Procureur Général Falletti.

 
Christiane Taubira n'a pas tort !


Il n'y a point encore de liberté
 

si la puissance de juger n'est pas séparée
 

de la puissance législative et de l'exécutrice.
 
Montesquieu (1689 - 1755)
Pour le procureur général Falletti, je persiste. Le procès enflé qui est intenté à la ministre n'a pas de sens.
Scandale d’état, faute politique, et quoi encore !
Les médias tombent tous dans le panneau de ce conformisme à l'exception de Franck Johannès qui, au milieu d'une idéologie compassionnelle et mécaniquement "progressiste", ne peut pas s'empêcher de voir juste (Le Monde, Le Parisien, Bd Voltaire).
Pour bien analyser, il aurait suffi de comparer le processus de mutation dans l'intérêt du service de Philippe Courroye, totalement justifié, et la péripétie relative au Procureur général de Paris.
Les pouvoirs précédents, de droite ou de gauche, avaient le plus rapidement possible remplacé à Paris procureur et procureur général par des hommes sûrs. C'est triste mais c'est comme cela.
La garde des Sceaux avait semble-t-il déjà évoqué le possible départ de François Falletti mais comme il l'avait refusé, on n'en avait plus parlé jusqu'à sa récente convocation à la Chancellerie. Elle a été plus fine que cela : elle a imprégné la Chancellerie de son dogmatisme mais pour le reste elle a été correcte.
Il est clair que la Directrice de cabinet et son adjointe qui l'ont accueilli ne brillent pas par l'intuition politique car il semble acquis qu'elles ont évoqué une incompatibilité idéologique avec un magistrat nommé en 2010 sous Nicolas Sarkozy et qui n'a jamais caché ses convictions aux antipodes de celles de la gauche. Il a fantasmé, c'est de bonne guerre, sur d'imaginaires menaces en alertant le CSM.
Il est évident qu'on désirait nommer au poste de procureur à Paris Robert Gelli qui a remis de l'ordre et de l'équité à Nanterre. Il fallait donc que l'actuel procureur François Molins devînt procureur général et François Falletti Premier avocat général à la Cour de cassation.
Ce dernier a refusé cette proposition. Il va donc demeurer procureur général mais de grâce qu'on ne parle plus de scandale d'Etat quand on songe à beaucoup de brutalités dans les nominations d'avant à Paris.
Je le redis : amateurisme, maladresse.
Etonnant comme la plupart des journalistes qui pendant vingt mois ont voué un culte absurde et aveuglé à Christiane Taubira l'accablent pour une séquence périphérique et dérisoire.
En l'occurrence elle n'a pas tort, elle me semble de bonne foi, la gauche a raison de la défendre pour cela et la droite a tant de matière pour dénigrer son bilan - je suis aimable ! Qu'elle ne devrait pas gaspiller ses cartouches intellectuelles et politiques pour si peu.