jeudi 7 novembre 2019

« l’Otan est en état de mort cérébrale »


À l’issue du Conseil européen du 18 octobre, et alors que la Turquie venait de lancer une offensive contre les milices kurdes syriennes [YPG] après le recul des troupes américaines déployées dans le nord-est de la Syrie, le président Macron s’était interrogé sur le fonctionnement de l’Otan. « Ce que nous vivons actuellement, c’est la mort cérébrale de l’Otan » a en effet lâché M. Macron. Et à la question de savoir s’il croyait encore à la clause de défense collective que prévoit l’article 5 du Traité de l’Atlantique-Nord, il a répondu : « Je ne sais pas. » Et d’ajouter : « Mais que signifiera l’article 5 demain? ». Pour M. Macron, il est temps que « l’Europe se réveille » car elle se « trouve au bord du précipice. » Aussi, estime-t-il, elle « doit commencer à se penser stratégiquement en tant que puissance géopolitique » car sinon, nous ne « contrôlerons plus notre destin ». À noter que, en août 2018, le président français avait proposé d’instaurer une « clause de défense collective européenne » en modifiant l’article 42-7 du Traité sur l’Union européenne.                                              
Il faut « clarifier maintenant quelles sont les finalités stratégiques de l’Otan », a aussi affirmé le président Macron, tout en plaidant pour « muscler » l’Europe de la défense. « Le président Trump […] pose la question de l’Otan comme un projet commercial. Selon lui c’est un projet où les États-Unis assurent une forme d’ombrelle géopolitique, mais en contrepartie, il faut qu’il y ait une exclusivité commerciale, c’est un motif pour acheter américain. La France n’a pas signé pour ça », a encore lancé le président français, qui note que l’Europe fait maintenant face pour la première fois un chef de la Maison Blanche qui « ne partage pas notre idée du projet européen ».
À l’heure où le Vieux Continent est confronté « à la montée en puissance de la Chine ainsi qu’au virage autoritaire de la Russie et de la Turquie. » Et sans oublier le Brexit, qui contribue à fragiliser l’Union européenne. Un tel mélange toxique était « impensable il y a cinq ans », a dit M. Macron.
Et cette situation rend d’autant plus « essentiel d’une part, l’Europe de la défense – une Europe qui doit se doter d’une autonomie stratégique et capacitaire sur le plan militaire. Et d’autre part, rouvrir un dialogue stratégique, sans naïveté aucune et qui prendra du temps, avec la Russie »


lundi 4 novembre 2019

Pourquoi la loi n'est-elle pas appliquée ?

PHILIPPE BILGER - MAGISTRAT HONORAIRE
On entend assez souvent dans les débats politiques et médiatiques des intervenants proposer, comme solution à tous les problèmes brûlants de notre société et de notre République, l'application rigoureuse des lois.
En général ils sont approuvés sur le principe mais évidemment les réalistes, les pessimistes lucides, leur rétorquent qu'en pratique ce n'est pas le cas. Et ils ont raison.
Qui peut croire par exemple à l'infinie répétition des promesses non tenues, par exemple l'engagement du président de la République d'aboutir à 100 % de reconduites à la frontière alors que nous en sommes à 10 % ? Les prédécesseurs d'Emmanuel Macron, de droite ou de gauche, nous ont donné les mêmes espérances avant que la quotidienneté du pouvoir ne les réduise à néant.
Pourquoi la loi n'est-elle pas appliquée en France ? Je ne fais pas référence aux diverses interprétations, dures ou indulgentes, de nos prescriptions mais au fait qu'en elles-mêmes, dans les domaines les plus sensibles de notre démocratie, elles restent lettre morte.
Quelqu'un a-t-il déjà vu verbaliser le port d'un voile intégral qui pourtant est interdit ?
Pas seulement dans des cités inflammables où le trafic de drogue prospère, où la police subit le pire quand elle ose, ce qui serait son devoir, s'y rendre et où une jeune femme qui s'aventurerait non voilée serait immédiatement menacée et contrainte d'épouser l'apparence musulmane prétendue obligatoire. Je n'ose imaginer ce qui adviendrait si conformément à la loi de la République les forces de l'ordre assumaient leurs obligations.
Nous aurions immédiatement des résistances, des violences, une émeute, la compassion médiatique et la démagogie politique. Le feu, quoi ! Et la cause serait entendue ! L'anomalie resterait la normalité et les cités de non droit des autarcies transgressives. L'Etat se cacherait sous la table démocratique, préférant toujours pour ces zones en sécession le confort lâche de l'abstention à la manifestation d'une autorité exemplaire mais difficile.
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Mais aussi dans des quartiers plus paisibles où le voile intégral est plus rare, telle une choquante exception, aucune interpellation.
On ne peut pas non plus éluder la particularité du tempérament français qui perçoit la loi comme une menace quand l'humus anglo-saxon l'appréhende telle une garantie. Sans doute cette conscience d'un ressentiment voire d'une indifférence à l'égard des décrets impératifs, n'est-elle pas pour rien dans la volonté défaillante de tous les pouvoirs à mettre en oeuvre leur application ?
Il y a par ailleurs une disposition perverse de la vie politique, sous toutes les latitudes, à considérer que le vote d'une loi constitue une action. Comme si on avait donné au peuple une nourriture à laquelle au demeurant il n'aspire pas - sauf évidemment quand il s'agit de complaire aux multiples revendications catégorielles qui le fracturent.
Aujourd'hui la contestation sociale semble être devenue à elle-même sa propre finalité. La loi est projetée dans l'espace démocratique et on entend le pouvoir se dire en quelque sorte : bon débarras, l'essentiel est accompli, pour son application, après moi le déluge !
Il y a là comme un culte de la prescription générale dont on pressent, au moment même où on l'édicte, les difficultés à l'inscrire dans le quotidien.
Ce qui représente, au fil des années, l'obstacle le plus profond pour une application rigoureuse de toutes les lois, tient au fait que l'éclatement intellectuel, social et politique de notre pays ne crée plus de consensus, de terreau favorable à l'élaboration d'une loi accueillie alors comme une évidence dont la nation aurait besoin. Par exemple la loi de 2004 sur l'interdiction des signes religieux dans les écoles publiques, à l'initiative de Jacques Chirac, a été ressentie comme un soulagement. Personne ne niait alors sa nécessité.
Derrière ces raisons multiples susceptibles d'expliquer pourquoi la loi n'est pas appliquée, ou si peu pour les lois difficiles qui sont souvent les plus fondamentales pour la paix publique et l'unité du pays, il y a ce vice capital de notre République, qui gangrène l'ensemble des fonctions et des activités de la France : régaliennes, judiciaires, universitaires, culturelles et médiatiques pour n'évoquer que celles dont le délitement surprend ou indigne l'opinion publique.
On a compris que je fais allusion au manque de courage qui à la fois est en déperdition sur le plan intime, dans les personnalités, et conduit à ne jamais oser assumer les conséquences des valeurs et des principes qu'on revendique pourtant comme légitimes.
Revenons à mon point central. Le port du voile intégral est interdit. Mais cela demeure formel et fait vaciller la confiance en un pouvoir qui nous conseille de ne pas nous inquiéter mais laisse nos angoisses s'amplifier. 
Je considère que ce qui vient de se dérouler à l'université de Bordeaux - le scandale d'une Sylviane Agacinski interdite d'expression - et à la Sorbonne où il a fallu suspendre un séminaire sur l’islam et la radicalisation parce que ç’aurait été stigmatiser les musulmans, représente un péril extrême, bien au-delà de l'intimidation répétitive et honteuse de ces syndicats étudiants auxquels le champ libre est laissé.
C'est notre démocratie, sa pensée, ses heureuses contradictions, l'infinie richesse de son pluralisme qui sont de plus en plus mises à mal.
Parce qu'on a trop peur de la force hostile et délétère de ceux qui violent la loi. Et que nous sommes gouvernés par des faibles et des inconséquents. Le président ne serait pas concerné par le voile dans l'espace public? C'est en effet une dérobade. Dénier sa compétence politique et son devoir d'implication relève en l'occurrence d'une volonté opportuniste de ne pas troubler un consensus fragile qui se briserait si Emmanuel Macron affirmait avec éclat ce qu'il persiste à nous laisser deviner.
Alors que rien de ce qui est humain ne doit être étranger au président de la République, rien de ce qui sourd du pays et l'angoisse, rien des obscurités troubles et équivoques qui surgissent du quotidien et justifient d'urgence une pédagogie de l'action.
Si le président descendait de son Aventin avec la pleine conscience d'une République en abandon et en délitement, certes il aurait le droit de demeurer Antigone mais avec la force, l'audace et l'efficacité d'un Créon.
On a besoin d'une présidence de vigilance.