lundi 10 mars 2014

Celui qui fait exécuter les lois doit y être soumis. Montesquieu

Après les cons, les irresponsables du Mur !



Il n'y a point encore de liberté si la puissance de juger 
 n'est pas séparée de la puissance législative et de l’exécutrice. 
 Montesquieu
C'était prévisible.
Comme Nicolas Sarkozy a été placé sur écoute au mois d'avril 2013 et que la procédure initiale, relative à un éventuel financement libyen de la campagne de 2007, est régulière, on a eu droit, à partir de l'excellente contribution du Monde à ce "soupçon de trafic d'influence dans le camp Sarkozy", aux réactions attendues et partialement antagonistes.
A la suite d'échanges entre Nicolas Sarkozy et Me Thierry Herzog - l'un et l'autre ayant pris la peine de disposer de portables enregistrés sous un nom fictif, il apparaît que le problème des agendas de l'ancien président saisis dans le dossier Bettencourt le préoccupe vivement, ainsi que son conseil, car leur consultation pourrait démontrer la fréquence des rencontres entre Nicolas Sarkozy et Bernard Tapie.
La Cour de cassation devra statuer sur leur éventuelle restitution. Or certains éléments extraits des écoutes du portable de Nicolas Sarkozy mettent en lumière le nom et l'implication de Gilbert Azibert,  premier avocat Général, qui aurait fourni à son ami Thierry Herzog des informations sur la position de la Chambre criminelle à propos de la restitution des agendas, contre l'obtention d'un poste de conseiller d’État à Monaco. Il s'avère qu'il a été pourvu, que la candidature d'Azibert n'a pas été retenue et qu'aucune démarche n'aurait été entreprise en sa faveur (JDD).
Il n'était pas question, dans ces conversations, de la stratégie et des modalités d'une quelconque défense - le secret professionnel aurait alors dû être absolument sauvegardé - mais de la possibilité, par l'entremise d'un magistrat, de transgressions contraires à une administration normale de la justice.
La Cour de cassation a admis que la présomption d'infraction représente une justification pour une transcription d'écoutes entre un avocat et son client. Même s'il est vrai que le départ entre la tonalité suspecte, qui n'est pas suffisante, et le contenu délictuel, est malaisé.
En l'occurrence, même si une approche péremptoire n'est pas de mise tant l'analyse est délicate, reste qu'il n'y a pas de quoi crier au scandale. On ne voit pas pourquoi le secret professionnel serait un barrage hermétique dans tous les cas, qui autoriserait une impunité pour des entretiens ayant une autre finalité, un contenu autre que ceux honorables et inviolables de la majorité des dialogues entre avocats et clients.
Personne sur ce sujet sensible ne peut être sûr de son fait et de son droit et mettre en cause l'attitude des juges comme s'ils étaient forcément coupables d'avoir osé "écouter" un ancien président dont ses quelques "casseroles", même non suivies d'effet pour l'instant, ont mis à mal la virginité judiciaire.
Mais ce n'est pas le corporatisme massif du barreau ni la solidarité amicale manifestée à l'égard d'une personnalité brillante, chaleureuse et engagée dans un combat problématique, qui vont constituer des arguments décisifs. Ils ne vont persuader que les convaincus et les avocats eux-mêmes toujours prêts à dénoncer la recherche de la vérité comme une passion médiocre dès lors qu'elle affecte la conception autarcique de leur métier.
Il est piquant de constater que la droite porte aux nues la fronde et la contestation des avocats tandis que la gauche se garde bien de toute immixtion intempestive et se félicite de l'indépendance de la Justice. NKM adore les premiers puisqu'ils défendent Me Herzog et donc indirectement Nicolas Sarkozy tandis qu'Anne Hidalgo s'en tient à une abstention qui ménage la magistrature (LCI).
Henri Guaino, que j'apprécie, aurait manqué dans cette controverse. Il propose une foucade visant à demander la saisine du CSM par le président de la République. Toujours le recours à une solution régalienne chez lui, même si elle ne servirait à rien ! Car cette procédure est on ne peut plus régulière. Si, à chaque fois qu'une écoute est désapprouvée, on charge le CSM de s'en mêler, notre démocratie ne s'en sortira pas.
Le plus grave est que l'affaire du Mur des cons, à l'évidence a fait des dégâts considérables. Pas une contestation des actes les plus ordinaires et les plus légitimes de la justice qui ne soit appuyée sur ce Mur des cons, l'insoutenable partialité et le scandaleux aveuglement qu'il révélait. Pas un reproche de politisation de la magistrature qui ne soit fondé sur cette déplorable et dévastatrice pantalonnade.
Aujourd'hui, l'instruction pour la violation du secret de l'instruction et trafic d'influence est conduite par deux femmes, Patricia Simon qui ne serait pas étrangère à la gauche et Claire Thépaut qui appartient au Syndicat de la magistrature. Sans doute deux magistrats irréprochables et compétentes, dont la seconde en tout cas est implacablement plombée - je l'ai constaté - par le souvenir de ce Mur des cons odieux.
Pourtant, rien n'est plus faux que d'imputer aux juges un acharnement à l'encontre de Nicolas Sarkozy même si la magistrature, à cause de lui, n'a aucune raison d'apprécier sa présidence et sa conception de l'état de droit.
Dans les pratiques judiciaires, c'est s'égarer que de les croire animées par une obsession de ce type d'autant plus - il faut le répéter - que ce qui s'accroche, multiple, aux basques de l'ancien président est sorti de son quinquennat et n'a pas été inventé par les magistrats. Mais je crains fort que le Mur des cons vienne sans cesse altérer le jugement des citoyens en les conduisant à plaquer sur des comportements honnêtes, équitables et objectifs, la saleté créatrice de défiance de cette péripétie dont les effets délétères vont durer infiniment.
La politisation de la magistrature est donc moins un problème que ne pourrait le devenir cet intense besoin de rechercher une vérité d’État trop souvent fuyante et occultée par des mensonges systématiques. Cette recherche effrénée pourrait conduire à des extrémités, à des paroxysmes, même de bonne foi. Des exigences, une quête professionnelles qui feraient fi des obstacles parce qu'il est intolérable de ne pouvoir mettre la main et l'esprit sur ce qu'on sent, sur ce qu'on sait vrai.*
Les irresponsables du Mur reçoivent chaque jour la monnaie de leur pièce stupide. La démocratie, au-delà d'eux, doute même de la Justice.
Beau travail de démolition !
                               Justice au singulier



*Les écoutes visant Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog ne reposent pas sur ce fondement, tout simplement parce qu'il s'agit d'écoutes judiciaires. L'article 100 du code de procédure pénale, issu de cette même loi du 10 juillet 1991 énonce clairement : "En matière criminelle et en matière correctionnelle, si la peine encourue est égale ou supérieure à deux ans d'emprisonnement, le juge d'instruction peut, lorsque les nécessités de l'information l'exigent, prescrire l'enregistrement et la transcription de correspondances émises par la voie des télécommunications". Or, la décision d'écouter les conversations entre Nicolas Sarkozy a été prise par deux juges d'instruction en charge d'une affaire de trafic d'influence, et le trafic d'influence est un délit passible de cinq années d'emprisonnement et de 75 000 € d'amende (art. 433-2 c. pén.). Il ne fait donc aucun doute que les juges en charge de l'instruction pouvaient parfaitement ordonner des écoutes téléphoniques, comme d'ailleurs ils pouvaient décider de perquisitionner chez l'ancien Président et chez son conseil. 

Ceci nous conduit à un autre gros mensonge invoqué par ceux qui dénoncent ce type de mesure. A leurs yeux, l'ancien Président de la République comme son avocat bénéficient d'une immunité totale qui interdit toute enquête.

L'immunité de l'ancien Président de la République


Passons rapidement sur un discours très fréquent chez les partisans inconditionnels de Nicolas Sarkozy, qui consiste à affirmer son immunité totale. Il suffirait donc d'avoir été Président de la République pendant cinq ans pour être à l'abri des poursuites durant toute sa vie.

Hélas, l'ancien Président de la République ne dispose d'aucune immunité. Au risque de faire de la peine aux amis de Nicolas Sarkozy, on peut même dire que le Président de la République, même durant son mandat, ne bénéficie pas, à proprement parler, d'une "immunité". L'article 67 de la Constitution  pose  le principe d'irresponsabilité du Président pour les actes liés à ses fonctions. Pour les autres, les actes détachables ses fonctions, ce même article  précise que le Président, durant son mandat, "ne peut être requis de témoigner non plus que faire l'objet d'une action, d'un acte d'information, d'instruction ou de poursuite". Il n'y a donc pas immunité, mais simple privilège de juridiction, puisque les juges doivent attendre la fin de son mandat pour entendre le Chef de l'Etat. Monsieur Sarkozy connaît bien cette règle, et l'on se souvient que le juge Gentil avait attendu la fin de son mandat pour l'auditionner dans l'affaire Bettencourt. Il est donc actuellement un citoyen comme un autre, appelé, le cas échéant, à rendre des comptes devant la Justice.
Pour M. Herzog, et certains de ses amis du Barreau, toute écoute judiciaire d'un avocat est, en soi, illicite. L'avocat vivrait dans une sorte d'espace protégé inaccessible aux juges. Aucune enquête ne pouvant être menée à son encontre, et il serait entièrement à l'abri de toute action judiciaire. On peut toujours rêver, mais on demeure surpris que ces brillants pénalistes ignorent à ce point le code de procédure pénale. 

L'article 100 alinéa 7 cpp énonce que "Aucune interception ne peut avoir lieu sur une ligne dépendant du cabinet d'un avocat ou de son domicile sans que le bâtonnier en soit informé par le juge d'instruction". Cette disposition, notons le, trouve son origine dans la loi Perben 2 du 9 mars 2004, loi votée à une époque où Nicolas Sarkozy était ministre de l'intérieur du gouvernement Raffarin. Et l'UMP de l'époque a voté le texte dans l'enthousiasme et la discipline. On observe que les perquisitions au cabinet ou au domicile d'un avocat font l'objet de dispositions à peu près identiques. Elles ne peuvent être effectuées que par un magistrat "et en présence du bâtonnier ou de son délégué" (art. 56-1 cpp).
Liberté, libertés chéries