Alors que le tribunal administratif de
Lille vient en partie d'autoriser l'expulsion de la zone sud de la lande, où
vivent entre 1 000 et 3 500 migrants, la situation est des plus
précaires pour les 326 mineurs isolés recensés sur place. ONG et associations
appellent l'État à prendre ses responsabilités.
Lorsque la
mondialisation conduit à faire tomber les frontières
Quand elles freinent la circulation des
capitaux,
des marchandises ou des armes
Et à les renforcer
quand il s’agit de circulation des êtres humains.
Un réflexe communautariste risque de détruire tous les progrès
d'intégration
Qu’a connu notre pays laïc, fraternel et égalitaire.
Des dizaines d’enfants sans famille survivant dans la
boue d’un bidonville. C’est en France que cela se passe, en 2016. Pour
constater le désastre, la « Défenseure des enfants » s’est rendue à Calais dans la« jungle » quelques heures avant l’ultimatum fixé
par la préfecture du Pas-de-Calais pour l’évacuation de la partie sud de la
zone, sur laquelle vivent entre 1 000 et 3 500 réfugiés
en transit vers la Grande-Bretagne.
Initialement prévu pour le mardi 23
février à 20 heures, l’ultimatum a été repoussé à la suite de l’annonce du
tribunal administratif de Lille qu'il ne rendrait pas sa décision – suspensive
– avant quelques jours. Saisie par dix associations et 238 migrants lui
demandant d'empêcher la destruction des cabanons, la juge compétente s’est
rendue sur place pour mesurer par elle-même si une évacuation constituerait ou
non « une violation des
droits fondamentaux des individus ». Et a prévenu qu’elle ne se
prononcerait pas dans la foulée de l’audience prévue le mardi à 14 heures, mais
plutôt le lendemain ou le surlendemain. Ce jeudi après-midi, la préfecture a
fait savoir que le tribunal validait en partie l'arrêté d'expulsion. Ce dernier
serait donc applicable à tout moment.
En attendant l'arrivée des bulldozers, les mineurs isolés
poursuivent leur vie de débrouille dans le campement, tentant, comme les
adultes, de passer clandestinement de l'autre côté de la Manche. France terre
d’asile les a recensés entre les 9 et 12 février 2016 : ils
seraient 326. Parmi eux, un quart aurait moins de quinze ans, selon la
Défenseure des enfants. Le plus jeune n’aurait pas plus de sept ans !
Venus de Syrie, d’Afghanistan, d’Iran, d'Égypte ou d'Érythrée, tous ont
parcouru des milliers de kilomètres au péril de leur vie pour se retrouver dans
cette impasse. Selon le Haut commissariat des Nations unies pour
les réfugiés (HCR),
plus de 340 enfants ont péri en mer Égée, au cours de la traversée qui devait
les mener de la Turquie à la Grèce, principale porte d'entrée dans l'Union
européenne.
L’Auberge des migrants et Help refugees
ont quant à eux effectué les 15 et 16 février un décompte sur la parcelle du
campement promise aux bulldozers. Il en ressort que 445 mineurs, dont 305
mineurs isolés, y résident. Dans la perspective de l’audience du tribunal administratif
de Lille, les deux associations cherchaient à montrer que des espaces de vie
s’étaient créés dans cette « jungle » (écoles, théâtre, bibliothèque,
permanence juridique, épiceries, etc.) et qu’un démantèlement fragiliserait
plus encore la vie de ses habitants. Ce n’est pas pour autant un statu quo qu’elles demandent – contrairement à ce dont
les accuse le ministre
de l’intérieur Bernard Cazeneuve : elles en appellent aux pouvoirs publics
afin qu’ils remplissent leurs obligations en tenant compte de la spécificité de
la situation et des besoins de chacun, y compris en améliorant le quotidien sur
la lande.
À cet égard, l’exemple de la prise en charge défaillante
des enfants isolés par l’État est révélateur. La Défenseure des enfants,
Geneviève Avenard, a observé dans son rapport de visite que certains mineurs
étaient hébergés dans le centre d’accueil provisoire (CAP), constitué de
containers chauffés à proximité de la « jungle »,
mais qu’ils ne bénéficiaient d’aucune prise en charge particulière liée à leur
jeune âge. D’autres ont été dispersés partout en France dans des centres
d’accueil et d’orientation (CAO), ces foyers ouverts aux réfugiés
acceptant de s’éloigner de Calais, « sans
qu’aucune précision n’ait pu être apportée sur leur devenir ». En
matière de droit à l’éducation, la Défenseure des enfants souligne que « le
seul accès à l’école repose sur la remarquable initiative associative de
“l’école laïque du chemin des Dunes” », elle-même en danger
puisqu’elle se situe sur la zone à démolir.
Des
maraudes sociales ont certes été confiées au groupe SOS pour identifier les mineurs non
accompagnés et les orienter vers des structures dédiées (à Saint-Omer pour les
plus de 15 ans et à Arras pour les plus petits). Mais le ministre, lors de son déplacement
dans un centre d’accueil au Mans le
22 février, a dû reconnaître que cette solution n’était pas satisfaisante, dans
la mesure où la plupart des enfants refusent de se rendre dans ces lieux
éloignés, de peur de ralentir leur périple. Face à ce constat, la Défenseure
des enfants exhorte l’État à modifier son action en mettant en place« immédiatement » un dispositif de mise à l’abri« inconditionnelle » sur
la lande même, afin que les mineurs se destinant à aller en Grande-Bretagne
soient pris en charge correctement.
Alors que l’agence européenne de
coordination policière Europol faisait état, le 31 janvier, de plus de 10 000
enfants disparus lors
de l’exode massif (plus d’un million de personne en 2015) que connaît l’Europe
depuis deux ans, le sort des mineurs à Calais est des plus préoccupants compte
tenu de l’état de violence permanent qui y règne. Animée par l’avocat Raymond
Blet et la militante Marianne Humbersot, la permanence juridique installée au
milieu de la « jungle » depuis janvier a recueilli de nombreux
témoignages, parmi lesquels celui d’un Iranien de 16 ans, qui a déposé plainte
pour violences policières. Il a expliqué avoir quitté son pays à la suite du
décès de ses parents parce qu’il ne se sentait plus en sécurité en tant que chrétien.
Les frontières, il les a franchies caché dans des camions, grâce à des passeurs
payés par son frère déjà parvenu en Angleterre. Le jeune homme a indiqué
vivoter dans la lande depuis quatre mois, dans l’espoir de traverser la Manche,
quand il a été victime d’une agression. Depuis, ses soutiens affirment qu’il
souffre de lésions et d’hématomes. « Il
est très traumatisé, il n’arrive plus à dormir », indique Marianne
Humbersot.
Pourtant, théoriquement, des solutions
existent, notamment pour les enfants ayant des attaches familiales en
Grande-Bretagne – 90 ont été répertoriés dans ce cas. Conformément au droit
européen, ces jeunes sont censés pouvoir bénéficier du regroupement familial.
Le règlement de Dublin III, qui encadre la gestion de l’asile dans l’UE,
prévoit à son article 8 que « si
le demandeur d’asile est un mineur non accompagné, l’État responsable de sa
demande est celui dans lequel un membre de la famille ou les frères et sœurs
(...) ou un proche se trouvent ».
Si un
étranger vient habiter avec toi dans ton pays, ne l’humilie pas.
Il sera pour toi comme l’un de vous,
L’étranger
qui séjourne avec toi, et tu l’aimeras
comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte.
comme toi-même, car vous avez été étrangers au pays d’Égypte.
Lévitique,
19, 33-34
Mais
le droit a été ignoré pendant des années. Les autorités britanniques et françaises commencent tout
juste à se préoccuper de le faire appliquer. Bernard Cazeneuve a promis qu’il
donnerait de la voix à ce sujet le 25 février à Amsterdam à l’occasion d’une réunion informelle des ministres de
l’intérieur de l’Union
européenne. « Je serai
intransigeant et ferme avec notre partenaire britannique », s’est-il
engagé. Le principal problème réside dans le manque d'information :
certains migrants auraient la possibilité d'engager des démarches légales, mais
rien n'est fait, côté français, pour leur faire savoir et les aider
juridiquement. Côté anglais, les procédures sont longues et complexes car elles
supposent que les personnes apportent elles-mêmes la preuve de leurs liens
familiaux, comme l'explique Amnesty international,
qui appellent les deux États à « coopérer
de toute urgence ».
Outre-Manche, plusieurs ONG comme Save the children font campagne depuis
des semaines pour que la Grande-Bretagne accueille au moins 3 000
enfants arrivés en Europe ces derniers mois. Fin janvier, le gouvernement
britannique a semblé prêt à faire un geste. Pour
accélérer le mouvement, le 1er février,
cinq mineurs ont saisi le tribunal administratif de Lille. Sous la contrainte de trois référés-liberté soutenus par le Secours
catholique et Médecins du monde, le juge, dans son ordonnance du 11 février, a
reconnu la carence de l’administration française ayant pour conséquence de
rendre impossible la mise en œuvre des demandes d’admission légale au
Royaume-Uni. Il a aussi déploré que les services de l’État aient attendu
d’être saisis d’une requête pour prendre contact avec ces jeunes et enregistrer
leur demande de protection internationale. Par la suite, d’autres mineurs ont
engagé des procédures visant à faciliter leur passage légal.
Toutes les associations
l’affirment : en cas d’expulsion de la « jungle »,
les réfugiés, au premier rang desquels les enfants, seraient dispersés, et plus
difficiles à aider. Certains se rendraient à Grande-Synthe, près de Dunkerque,
où vivent déjà 250 enfants selon Médecins sans frontières,
pour la plupart avec leur famille. L’Unicef a vivement réagi le 23 février à
l'éventualité d'un démantèlement. « Cela
ne ferait que renforcer les situations extrêmes et à risques pour les enfants
non accompagnés », a affirmé Jean-Marie Dru, le président de l’Unicef
France. « Le risque de
disparitions, et ruptures dans l’identification de ce public vulnérable est
inévitable dans un contexte de démantèlement », a-t-il martelé,
appelant l’État à renoncer à son projet et l’exhortant à respecter le droit fondamental à la protection de l’enfance inscrit
dans la Convention relative aux droits de l’enfant (CIDE) que la France a
ratifiée.
Un réflexe communautariste risque de
détruire tous les progrès d'intégration qu'a connu notre pays laïque, fraternel
et égalitaire.
Ne soyons plus anglais
ni français ni allemands. Soyons européens. Ne soyons plus européens, soyons
hommes. - Soyons l'humanité.
Il nous reste à
abdiquer un dernier égoïsme : la patrie
Victor Hugo
Médiapart