vendredi 9 février 2018

Hulot : la presse vautour jamais rassasiée


 L’hystérie médiatique autour de la non-affaire Hulot démontre que la presse n’a rien retenu du passé.     Mais les voix qui s’élèvent chez      certains journalistes laissent malgré                tout entrevoir un début              de remise en cause.

 








« Toutes les explications du monde ne justifieront 
pas que l’on ait pu livrer aux chiens l’honneur d’un homme et finalement sa vie au prix d’un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d’entre nous ».
François Mitterrand


La rumeur dit-on était insistante dans le tout Paris : une affaire Hulot allait sortir, entraînant avec elle la démission du ministre de l’écologie tant sa teneur était explosive. Agressions sexuelles, viols… Rien de moins. C’est le nouveau venu, le magazine l’Ebdo, qui devait sortir ce scoop pourri puisqu’il n’en était pas un, mais cela aurait pu être Valeurs Actuelles ou Rivarol tant le niveau de vilenie était élevé. Face à cette rumeur, Nicolas Hulot a tenu à couper l’herbe sous le pied des propagateurs de bassesses (démontrant d’ailleurs avec conviction qu’il n’y avait aucune affaire) en accordant une interview « vérité » jeudi matin à Jean-Jacques Bourdin, devenu procureur d’un jour du tribunal médiatique. Le moment, fort, ne pouvait que déclencher un sentiment puissant de gêne face à cet homme, d’évidence pudique, nous expliquant que sa femme et ses enfants étaient la veille « en pleurs » alors que l’animateur de RMC lui demandait s’il « pouvait se regarder dans la glace ».
Vingt et quelques minutes d’interview avec le ministre de l’écologie. Vingt et quelques minutes de perdues sur un sujet totalement anecdotique (une plainte classée sans suite il y a 20 ans…), vingt et quelques minutes à occulter les sujets majeurs qui sont ceux dont s’occupe Nicolas Hulot. Mais voyez-vous, que pèse le réchauffement climatique ou la situation des victimes des différentes intempéries face à une histoire mêlant sexe et pouvoir ? Le Moloch n’était pas rassasié, il fallait cette séquence malaisante d’un homme le genou à terre qui allait donner le véritable coup d’envoi du cirque médiatique. Ce jeudi, pendant que les chaînes d’info tournaient en boucle sur Hulot, une loi de programmation militaire redonnant des moyens inédits à l’armée était dévoilée, une Police de Sécurité du Quotidien censée combattre l’insécurité était présentée. Mais comprenez-vous, il fallait parler d’Hulot, Hulot, Hulot…
Les leçons du passé n’ont pas été retenue
Rien n’excite plus les médias que l’homme politique dans sa faiblesse. Il devient alors une proie qu’il faut poursuivre jusqu’à ce qu’elle s’épuise, craque, renonce. Et qu’ensuite, une fois à terre, il faut mettre à mort. Sonnez l’hallali. Mais la vie d’un homme, ce n’est pas seulement un débat dans une vulgaire émission de télé ou un bandeau en bas de l’écran. Et si les politiques ont le cuir solide, leurs familles sont toujours des victimes collatérales. Imagine-t-on ce que vivent des enfants en primaire ou au collège dont le père ou la mère sont jetés ainsi en pâture. On ne peut que repenser à Mitterrand qui, suite au suicide de Pierre Bérégovoy, n’avait de mots assez durs pour décrire cette presse vautour Ne tombons pas dans une volonté d’empêcher les journalistes de faire leur travail, il est ainsi tout à fait normal d’informer les Français sur des affaires mêmes privées concernant des ministres quand cela peut nuire à l’intérêt général. Mais, dans le cas d’Hulot, quand une plainte a été classée sans suite il y a plus de 20 ans et que l’autre pseudo affaire n’existe pas, où est l’information ? Et dans les autres cas où cela concerne un frère, une sœur, des enfants qui n’ont aucune vie publique et aucun lien avec l’action d’un responsable politique, où est l’information ? Etait-il par exemple normal de découvrir l’intégralité des PV de dépositions à la police dans la presse comme au moment de l’affaire Fillon ? Etait-ce là de l’information que de court-circuiter la justice ? Ne pouvons-nous pas avoir un minimum de décence ou sans même aller jusque-là, de sang froid ?
Le racolage n’est pas une fatalité
La réaction outrée de beaucoup de journalistes face à la rumeur Hulot tient malgré tout à nous faire croire qu’il pourrait y avoir un début de remise en cause. Fallait-il publier cette enquête ? Plusieurs journalistes n'ont pas manqué de soulever cette question, jugeant le contenu de l'article de l'hebdomadaire peu étayé.
"Ni plainte, ni plaignante à visage découvert, ni récit des faits", s'est ainsi étonné le chroniqueur Daniel Schneidermann, qualifiant cette enquête d'"étrange". "Dans les affaires de harcèlement et d’agressions sexuelles, la parole des victimes est crédibilisée par le récit de faits le plus complet et précis possible. Aussi crus soient-ils"relève également "Libération". "'Ebdo' explique avoir rencontré la jeune femme ayant déposé plainte en 2008, mais choisit de 'ne pas livrer une série de détails qui rendraient possible son identification'De plus, à aucun moment, le contenu de la plainte n’est cité. De nombreuses ellipses et affirmations au conditionnel ponctuent le papier". Et le journal d'ajouter :"On sort de la lecture avec plus de questions que de réponses. Comme si le magazine avait allumé la mèche et comptait feuilletonner."                                                                            Il n’y a en effet aucune fatalité à ce que la course à l’audimat, au buzz et au sensationnalisme se fasse au détriment du respect de la personne humaine, au détriment des règles de bases du journalisme comme le fait de recouper les informations, de donner l’intégralité des points de vues, d’accepter les décisions de justice, de respecter au final la loi française. Et plus largement, s’il y aura toujours des lecteurs pour ce genre d’histoire, les médias ne devraient pas perdre de vue que l’époque a changée, que l’audience peut se faire autrement, sur des sentiments plus positifs, plus respectueux, sur ce que la télé appelle le « feel good » sans pour autant que cela nuise à la qualité de l’information.
On peut rire de ce « feel good », on peut estimer aussi qu’il s’agit là d’une voie utopique. Regardons pourtant, pour une fois, ce que le monde politique nous enseigne sur ce point, les changements de comportements qu’il a pu lui, ce monde si dur, adopter. C’était au moment d’Occupy Wall Street ou de son pendant français, Nuit Debout, ces débats où il était interdit de siffler ou d’applaudir les intervenants (afin d’éviter le caractère groupisant insupportable). Mais ce fut aussi, de l’autre côté de l’échiquier, la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron où aucun adversaire politique ne fut jamais sifflé en meeting, où il était possible d’apprécier une idée de droite ou de gauche si elle s’avérait être bonne. Nuit Debout ou Emmanuel Macron n’ont-ils pas débattu sur des sujets de fond ? Se sont-ils censurés dans ce qu’il fallait dire aux Français ? Aucunement. Et dans les deux cas, même si les succès ont été divers, les citoyens ont apprécié ces nouvelles méthodes, lassés qu’ils étaient de cette société de la confrontation et de la lâcheté.