jeudi 8 novembre 2012

L’incroyable incohérence de l’opposition

Certains hebdos s’interrogent encore cette semaine, tels des coucous suisses, sur la crédibilité de François Hollande. Mais depuis un mois, la question de la crédibilité s’adresse d’abord et avant tout… à l’opposition. La mauvaise foi, le dogmatisme, la désinvolture ou le mépris avec lesquels l'UMP ou le Medef commentent les affaires publiques ont quelque chose d’inquiétant pour la démocratie.
 

« Pour avoir le droit de parler, il faut avoir les mains propres.

Il faut avoir eu le courage de reconnaître, de réagir si on s’est trompé. »

Abbé Pierre

Depuis plus d’un mois, la droite ne cesse de fustiger l’inaction du gouvernement, ses hésitations, ses atermoiements et ses reculs. Il est vrai – l'Obs l’avait lui-même souligné – que le nouveau pouvoir aurait pu entamer plus vite son action de réforme et éviter de passer un été entier à se contenter de détricoter l’héritage Sarkozy. Mais à partir de septembre ce paysage a changé. Le gouvernement a présenté son budget et lancé plusieurs réformes importantes. L’opposition peut – doit - contester ces décisions, réfuter les présupposés de cette action, mettre en garde sur leurs conséquences et faire des contre-propositions. Tel est son rôle. Mais comment peut-elle, en même temps accréditer la fable ridicule de l’inaction de l’équipe Hollande ? Même mauvaises, les mesures fiscales prises par le gouvernement Ayrault sont néanmoins les plus spectaculaires, les plus impopulaires, les plus austères prises depuis longtemps. Sans aucun souci de la vraisemblance ou de la logique, l'UMP dénonce ces réformes fiscales qui lui déplaisent tout en proclamant qu'on ne fait rien, et donc qu'elles n’existent pas. Tout est bon pour abreuver la gauche de mépris. Tout et n’importe quoi.
Le comble du ridicule est atteint avec le rapport Gallois. Abreuvé de critiques avant même qu'on connaisse le fond de l’affaire, le gouvernement, tout en faisant remarquer qu'il n’était pas engagé par le rapport, a assuré qu'il en appliquerait l’essentiel. Peu importe pour l’opposition. Jean-François Copé a fait campagne en expliquant que le rapport était enterré avant même d’avoir vu le jour, qu'Ayrault et Hollande ne feraient rien pour la compétitivité des entreprises françaises, qu'on était en face d’un vide abyssal surmonté par un hologramme de président dont la silhouette flottait furtivement dans les couloirs de l’Elysée. Toutes accusations parfaitement gratuites, appuyées sur une absence totale d’information et dispensées sans le moindre commencement de démonstration. C’est ainsi avec la droite française : il est entendu que la gauche n’est pas au niveau, qu'elle n’a rien à faire au pouvoir.
Dans sa myopie hargneuse, l’opposition et le Medef en sont même venus à tresser des lauriers à Louis Gallois, qui explique dans son texte que l’industrie française est depuis 10 ans en plein déclin, qu'elle perd des parts de marché, que les déficits sont insupportables, que les produits français ne sont pas à la hauteur, etc. "Oui Gallois a cent fois raison", dit l’UMP. "Gallois parle d’or", dit Laurence Parisot. Détail insignifiant : mais qui, au fait, dirigeait l’industrie française et le gouvernement pendant les 10 ans en question, sinon les adhérents du Medef et les responsables de l’UMP ? Tout à leur obsession propagandiste, ces Gribouille ne voient pas qu'en portant Gallois aux nues, ils condamnent sans appel leur propre bilan*. Pas grave, du moment qu'on dit du mal des socialistes…
Le réveil est brutal depuis mardi. Contrairement aux élucubrations distillées par les leaders de l'UMP et reprises à l’unisson par la bruyante fanfare de la presse conservatrice, le gouvernement applique, comme annoncé, le rapport Gallois. Il a même décidé un allègement de charges de 20 milliards sous forme de déduction fiscale, et une nouvelle réduction des dépenses publiques de 10 milliards. C’est le plan le plus sévère et le plus ambitieux qu'on ait mis en oeuvre depuis longtemps en faveur de l’industrie française. Prise d’un accès tardif d’honnêteté, Laurence Parisot a dû concéder que ses demandes avaient été prises en compte. C’est la gauche du parti qui fait la grimace, et le Front de gauche qui crie à la trahison. On suppose que l'UMP va maintenant présenter ses excuses aux citoyens, pour avoir seriné pendant un mois un discours hautain fait d’un mélange de contrevérités et de procès d’intention.
Il y aurait pourtant des choses nettement plus intelligentes à dire pour critiquer l’action gouvernementale, par exemple en contestant sa stratégie sur le fond au lieu de s’acharner à mettre en question la légitimité d’un gouvernement élu régulièrement… Mais celles-là, le citoyen en sera privé. On comprend mieux, aujourd'hui, pourquoi l'UMP a perdu toutes les élections nationales et locales depuis cinq ans.
 

* Car le plan Ayrault, autrement qualifié de pacte de compétitivité, comporte d'autres choses, bien plus agréables et louables, bien plus évidentes et incontestables. Avant de crier à l'abandon, au reniement, au sacrilège, encore fallait-il les lire. 
  
1. Il est difficile, stupide, irresponsable de nier les difficultés de compétitivité de notre industrie. Le Louis Gallois, que d'aucuns ont voulu caricaturer comme à la solde du MEDEF voire de l'UMP, ne rappelait que des vérités quand il rappelait que l’industrie ne représentait plus que 12,5% dans la valeur ajoutée (contre 18% en 2000); que l’emploi industriel a dramatiquement chuté; que les exportations de l'industrie française ne représente plus que 9% des exportations européennes en 2011 contre près de 13% dix ans avant; ou encore que la balance commerciale hors énergie s'est dégradée de +25 Md€ en 2002 à – 25 Md€ en 2011. 
  
Ces chiffres sont des faits et le rapport Gallois en contient bien d'autres.   
  
D'ailleurs, nul besoin d'attendre le rapport Gallois pour comprendre qu'il y a le feu au lac. Le pays, comme d'autres, menace de sombrer. Certains esprits éclairés diront que ces incantations à la Crise sont l'habituel chantage à la pression sociale contre les précaires et pour sauver le Grand Capital. 
  
Réveillez-vous ! Nous n'avons eu de cesse d'expliquer 5 ou 10 années durant, combien cette ancienne droite gouvernementale a ruiné le pays, avant puis pendant la Crise. Quelques esprits malins pensent raccourcir le débat sur l'ampleur des niches fiscales 
  
2. Le gouvernement n'a pas retenu les allègements de cotisations sociales patronales (20 Md€) et salariales proposées par Louis Gallois dans son rapport (10 Md€), ni le relèvement suggéré de la CSG qui, du coup aurait été sacrément massif. C'est une très bonne nouvelle, insuffisamment commentée. C'est aussi un cap . Puisque certains s'intéressent aux symboles, soulignons celui-ci: le travail a un coût, la solidarité aussi. L'impôt pourra être réduit si vous embauchez. 
  
3. A l'inverse, il lui a préféré un « Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ». Et la mesure sera conditionnée à l'emploi : « Le montant du CICE sera calculé en proportion de la masse salariale brute de l’entreprise hors salaires supérieurs à 2,5 fois le SMIC. Les entreprises bénéficieront du CICE pour la première fois sur leurs impôts au titre de l’exercice 2013. » 
  
4. Une nouvelle garantie publique permettra d’apporter "plus de 500 M€" de trésorerie aux PME. La mesure sera mise en œuvre à travers la Banque Publique d’Investissement (BPI) à compter du 1er janvier 2013. Le gouvernement recycle aussi le projet de Banque Publique d’Investissement (décision n°4), déjà annoncée; ou la prochaine loi bancaire prévue pour décembre (décision n°5) C'est de bonne guerre. 
  
5. Il y a aussi ces décisions qui restent à préciser: Il attend ainsi les propositions des députés Karine Berger et Dominique Lefebvre sur la réforme de la fiscalité de l'épargne. Il veut créer une nouvelle bourse des PME pour leur faciliter l'accès au financement, via la création d'un "PEA-PME" (décision n°6). Ou citons ces futurs «  nouveaux instruments de financement adaptés à l’ensemble des phases du processus d’innovation » (décision n°8). Il évoque aussi la refonte de la Conférence nationale de l'industrie, ou le lancement de stratégies de filières via le ministère du Redressement productif; ou encore l'accompagnement personnalisé de 1.000 ETI et PME à l'international dans le cadre de la BPI. 
  
6. Quelques décisions étaient symboliques... à double titre: l'introduction d'au moins deux représentants des salariés au sein du conseil d’administration ou de surveillance comme membres délibérants dans les grandes entreprises. Le pas est légitime, mais comment sera-t-il franchi ? Autre symbole, Arnaud Montebourg a fait passer son label France, mais aussi la création d'un passeport Talent, ou la réduction des délais d'instruction réglementaire des grands projets d'investissement. La liste est longue, parfois très précise. C'est sans doute un pacte, mais aussi une feuille de route. Le calendrier était joint. 
  
Au final, il fallait garder la tête froide.  
  
Froide pour critiquer et non éructer. 
  
Froide pour féliciter et espérer.

dimanche 4 novembre 2012

Longuet, le déshonneur de la France

Longuet, le déshonneur de la France

Un bras d'honneur en direct à la télévision. C'est la réponse de l'ex-ministre de la Défense Gérard Longuet  à une question sur la demande par Alger "d'une reconnaissance franche des crimes perpétrés par le colonialisme français".
 
« Il y a la beauté et il y a les humiliés. 
Quelles que soient les difficultés de l'entreprise,
je voudrais ne jamais être infidèle ni à l'une ni aux autres.» 
Camus
 Liberté, fraternité et égalité, ces valeurs ont été foulées aux pieds par l’ancien ministre français de la Défense, Gérard Longuet. 
Ce monsieur a, visiblement, supprimé l’élégance de son dictionnaire de la langue française. Un dictionnaire dans lequel ne figure, par ailleurs, qu’un seul verbe : mépriser. Un verbe savamment conjugué par cet ancien ministre de la République française.

Un ministre dont la gestuelle honteuse va devenir désormais une marque de fabrique qui rendrait jaloux les défenseurs du "Made in France". Gérard Longuet est définitivement entré dans l’histoire avec "son bras d’honneur" en direct à la télé. Mais il est y entré par la plus petite et infâme des portes.
Gérard Longuet, ce proche de Nicolas Sarkozy assume en plus tout et ne renie rien ! Il justifie son geste déshonorant, diffusé dans le monde entier par la magie du web, par une dépêche de l'Agence France Presse en provenance d’Alger.
Ah Alger, cette ville si irritante, si exaspérante, indispose le pauvre Gérard Longuet. Alger, cette capitale d’un pays libre et indépendant, lui cause même des nausées lorsqu’elle ose demander à ses anciens colonisateurs, de se repentir des crimes, et tortures que la décolonisation a pu provoquer.
Une demande que monsieur Longuet et ses semblables jugent inconcevable et illégitime. A leurs yeux, Alger leur doit tout : sa fraîcheur, sa beauté, son soleil, son architecture et même son avenir ! C’est grâce à la France et ses 132 ans de colonisation, qu’Alger a pu exister, disent, en somme, Longuet et ses compagnons. Cette France qui ne doit pas avoir honte de sa présence coloniale est sacrée et irréprochable.

"Les Algériens, ces pauvres indigènes qui ne méritent pas leur indépendance, doivent remercier cette France coloniale glorieuse pour son rôle positif dans leur propre pays, l’Algérie. Une Algérie sauvage, barbare, primitive, qui n’a vu la lumière que grâce à la mission civilisatrice des armées françaises".

 Voilà le discours servile que Gérard Longuet voulait lire dans cette dépêche qu’on lui a fait parvenir à partir d’Alger.
 Mais au lieu de cela, il s’aperçoit qu’il a sous ses yeux une insupportable diatribe. Les anciens colonisés ont fait preuve d’audace et rappellent à la grandiose France son devoir de Mémoire. La désillusion est terrible pour Gérard Longuet.Soit ! Mais si la France n’a pas à avoir honte de son passé, vous monsieur Longuet, en revanche, vous devriez avoir honte de votre mauvaise éducation…


Il faudrait d'abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l'abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral,
et montrer que, chaque fois qu'il y a eu au Viêt-nam une tête coupée et un oeil crevé 
et qu'en France on accepte,
une fillette violée et qu'en France on accepte, 
un Malgache supplicié et qu'en France on accepte,
il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s'opère, une gangrène qui s'installe, un foyer d'infection qui s'étend et qu'au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et "interrogés", de tous ces patriotes torturés,
au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette lactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l'Europe,
et le progrès lent, mais sûr, de l'ensauvagement du continent.
                                                                   [ Aimé Césaire ]