Tafta kafkaïen
L’argent n’a pas de patrie ;
Les
financiers n’ont pas de patriotisme et n’ont pas de décence ;
Leur unique objectif est le gain.
Napoléon Bonaparte
Pourquoi
s’accroche-t-on à ce Tafta kafkaïen, ce complexe projet de traité commercial
entre l’Union européenne et les Etats-Unis, en négociation depuis 2013, mais
dont personne ne veut ? Dans de nombreux pays, les peuples, déjà pressurés par une mondialisation violente, rejettent
toute nouvelle libéralisation commerciale. Et le Tafta est considéré
comme une machine bien peu démocratique : le processus de négociation est
opaque (des discussions quasi-secrètes entre la Commission et Washington, sous
pression des lobbies) tandis que certaines
mesures vont clairement à l'encontre de la souveraineté des Etats,
comme cette procédure de règlement des différends qui serait confiée à des
instances arbitrales.
La négociation
s’embourbe depuis l’origine. Et alors que le treizième round entre Américains
et Européens doit s’ouvrir ce lundi 25 avril, il est fort probable qu’elle
termine aux oubliettes de l’histoire des relations transatlantiques. Aux
Etats-Unis, la plupart des candidats à la présidentielle, quel que soit leur
bord, ont pris leur distances avec le Tafta, qu’on appelle là-bas
TTIP. Même Hillary Clinton, qui avait manifesté, lorsqu'elle était secrétaire
d’Etat, de fortes convictions libre-échangistes, a émis des réserves. En
Allemagne, la chancelière Angela Merkel est certes très "taftaiste",
mais son opinion publique l’a lâchée sur le sujet.
En France, les syndicats et la plupart des grands partis rejettent le
traité. Le Medef le soutient comme la corde soutient le pendu : il lui est officiellement favorable, mais avec une batterie de
conditions qui dément la réalité de cette adhésion. A la Commission
européenne, enfin, le traité divise : beaucoup le considèrent déjà comme
mort. Pourtant, comme des souris dans un manège, les négociateurs font mine
de croire encore aux chances de succès du traité... dont plus
personne n'ose vanter les vertus économiques supposées.
Un coup à jouer
Dans ce
contexte, François Hollande a un coup à jouer : il devrait, au nom de la
France, bloquer un processus qui de toute façon ne va nulle part. Il suffit de
dire que la France n’est plus d’accord et qu'elle refusera ce traité. Les
partenaires de l’UE et la Commission ne pourront que s’incliner (certains le
feront probablement avec soulagement).
Hollande enverrait un message progressiste fort (ce qui
plaira à la gauche) mais aussi un message de souveraineté politique.
Il apparaitra comme celui qui aura su dire "stop" à un
processus bureaucratique opaque affectant la vie de tous les citoyens. Il
affirmera le rôle des Etats face à la puissance des lobbies industriels ou
agricoles, qui sont parfois plus au courant que les gouvernants des
détails des pourparlers. Une telle décision bousculera la
relation franco-allemande, certes, mais n’est-ce pas ce dont ce couple
fatigué a besoin aujourd’hui ?
C'est le
moment
C’est le bon
moment : Barack Obama doit se rendre dimanche à Hanovre, et il risque de
s'entendre avec Angela Merkel pour accélérer le processus, quitte à abandonner
certains pans importants des pourparlers. Or, toute accélération nuirait
particulièrement aux intérêts français. Les points importants pour Paris (accès
aux marchés publics américains, protection de l’agriculture et notamment des
appellations, services financiers…) nécessitent en effet une négociation
longue.
Si François Hollande hésite, il peut se souvenir d'un
précédent. En 1998 Lionel Jospin avait
ainsi précipité le déraillement de l’AMI (l'accord multilatéral sur
l’investissement). Il lui avait suffi de dire que la France "ne
reprendrait pas les négociations dans le cadre de l'OCDE" pour que tout
s’arrête. Il avait alors ressoudé sa majorité (verte, communiste et socialiste),
il avait réjoui les ONG et certains secteurs menacés, comme le cinéma.
Et personne
aujourd’hui ne regrette l’AMI...