mardi 7 mai 2019

Yann Arthus-Bertrand : "Toute notre civilisation risque de disparaître"


« La fonte glaciaire observée depuis huit ans est équivalente 
à celle des quatre décennies précédentes »

Il faut arrêter de rejeter la faute sur Total, les groupes pétroliers ou Trump! Nous même ne valons pas mieux! Nous sommes tous complices. Tant que l’on ne sera pas prêts à changer notre mode de vie - si tous ne peuvent se permettre ce luxe, nous sommes tout de même nombreux à pouvoir le faire -, il ne faut pas espérer des producteurs qu’ils arrêtent de vendre. Ce qui est important c’est la responsabilité individuelle. Personne ne nous force à consommer ainsi. Il ne faut pas non plus attendre que les hommes politiques modifient le système. Ils sont prisonniers de leurs promesses électorales et du “Graal” de la croissance. Nous avons mis en route une machine infernale, la croissance, le capitalisme, qui dévorent la planète. Nous savons que notre survie est en danger mais les chiffres n’ont plus d’échos, ne provoquent plus d’émotion, les mots sont morts. Tous nous voulons gagner plus pour consommer plus. Nous avons les hommes politiques que nous méritons. Ce qui manque actuellement, à tous les niveaux, c’est le courage.
 Pepe Mujica, l’ancien president de l’Uruguay. Un homme foncièrement honnête et qui prône l’arrêt de cette consommation effrénée. Il a passé dix ans en prison et, un peu comme Mandela, il a réfléchi au sens de l’existence. Il m’a dit “Tu passes ta vie à acheter encore et toujours, et à jeter...” Mais comment sortir de l’engrenage de la croissance? Je pense aussi à Ban Ki Moon. Malheureusement, il avait une vision mais pas vraiment les moyens. Il était selon son expression “le secrétaire de tous les présidents du monde”. Il y a aussi le Pape Francois, le pape des pauvres, altermondialiste. Bien sur, lui n’a pas de problèmes d’emplois à gérer ou de réélection. Du moins a-t-il compris toute l’importance de l’action pour le climat. Quand Gandhi parlait de la paix, on le croyait, car il vivait selon ses principes Mais où sont les autres grands leaders supposes donner l’exemple?. Aujourd’hui, je n’en vois pas. Bien entendu, il y a des gens formidables sur le terrain, dans tous les pays. Ceux qui ont à peine de quoi nourrir leur famille et qui aident et partagent. Chez nous aussi, ceux qui, malgré de faibles moyens, essaient de vivre de manière écologique, mangeant peu de viande, consommant peu d’électricité, triant leurs déchets. Des chefs d’entreprise également comme Yvon Chouinard, le créateur de la marque Patagonia. Quand il a réalisé en 1996 que la production du coton avait un impact désastreux sur l’environnement, nécessitant 25% des pesticides toxiques, et que cela polluait les sols comme l’eau, il a tout changé et depuis lors sa compagnie n’utilise que du coton organique. C'était un virage financièrement courageux que beaucoup lui ont déconseillé de prendre, mais il a tenu bon parce qu’il a une conscience.
J’ai toujours été amoureux de la Nature et imprégné par la beauté du monde

Je roule en voiture électrique, j’en suis à ma troisième, je me chauffe au bois et je compense le carbone de tous mes voyages, de tous mes vols en offrant des fours à gaz bio en Inde. On en a fabriqué des milliers qui donnent de l’énergie à partir de déchets végétaux et de déjections animales aux familles de nombreux villages. Je ne mange plus de viande depuis 2012 après avoir vu le film “Alma”. Encore une fois la force des images! J’ai été vraiment frappé par la grâce, je ne voulais plus être complice de la cruauté envers les animaux. Mais je mange encore un peu de poisson et des oeufs de mon poulailler. Je sais que je devrais être vegan mais je n’y suis pas encore! J’essaie surtout de ne pas gaspiller et de ne pas surconsommer, de vivre mieux avec moins. Mon fils, lui, est maraîcher et parfaitement heureux de vivre du smic et de faire un métier utile. Je trouve cela admirable. Si on voulait vraiment respecter nos principes, Al Gore comme moi devrions arrêter de prendre l’avion, faire du vélo et nous devrions manger vegan!                                                              Il est trop tard pour être pessimiste! Je suis un amoureux de la vie et du monde et je suis persuadé qu’il faut avoir cette conscience amoureuse qui nous permettra de nous en sortir. Avoir de la bienveillance envers les gens qui ont moins que nous. Partager. Apprendre à vivre mieux avec moins, arrêter cette surabondance ridicule.. J’ai été dans un supermarché à Tahiti et j’y ai trouvé des produits du monde entier! A-t-on vraiment besoin de cela? Sur le menu d’un restaurant, il y avait du saumon de Norvège! Il faut s’habituer à vivre des produits locaux, ne pas gâcher, récupérer, Mais pour vraiment éviter la catastrophe qui se profile, nous devons être des millions dans la rue. Le pouvoir de la rue est la seule solution. C’est mon dernier espoir.