mardi 19 novembre 2013

Hollande affiche une continuité sans envergure



En Israël et en Palestine, Hollande affiche une continuité sans envergure
19 NOVEMBRE 2013 |  PAR LÉNAÏG BREDOUX pour "Médiapart"
Lors de sa première visite officielle à Jérusalem et à Ramallah, le président de la République a assumé la continuité de la politique étrangère française en plaidant pour un État palestinien et en demandant l'arrêt de la colonisation. Un vœu pieux alors que les conditions de vie des Palestiniens se dégradent. La France est plus intéressée par le dossier du nucléaire iranien.

De notre envoyée spéciale à Ramallah et Jérusalem
C’était à la Knesset, lundi, que la visite de François Hollande en Israël et en Palestine se jouait. L’enceinte de l’assemblée nationale israélienne est un symbole où ont défilé avant lui tous les chefs d’État depuis François Mitterrand. Ce dernier y avait prononcé un discours historique, le 4 mars 1982, où il avait évoqué pour la première fois la création d’un État palestinien. Seize ans plus tard, Nicolas Sarkozy était allé plus loin en défendant que Jérusalem soit la capitale des deux États et en condamnant la colonisation. À l’époque, quelques députés d’extrême droite avaient manifesté leur colère en quittant l’hémicycle.
Avec Hollande, cinq ans plus tard, rien de tel. Lundi en fin de journée, aucun élu israélien présent n’a exprimé la moindre réprobation manifeste durant le discours du président français, applaudi par tout l’hémicycle et, plus chaleureusement encore, par l’opposition travailliste. Il faut dire que le propos du chef de l’État ressemblait, presque à s’y tromper, à celui de son prédécesseur. Même hommage aux fondateurs d’Israël, aux souffrances du peuple juif – avec un passage plus clair pour Hollande sur la responsabilité de la France quand il a évoqué la rafle du Vél d’Hiv – et à son apport à l’histoire de l’humanité. Même allusion au mémorial de Yad Vashem à Jérusalem et à l’affaire Dreyfus, et même assurance que la France sera « aux côtés d’Israël pour défendre sa sécurité ».
Sur la Palestine, François Hollande a redit la position énoncée par Sarkozy, et qui est celle défendue par la France depuis François Mitterrand : « La position de la France est connue. C'est un règlement négocié pour que les États d'Israël et de Palestine, ayant tous deux Jérusalem pour capitale, puissent coexister en paix et en sécurité. (…) Cet accord n’aura de sens que si la sécurité d’Israël est renforcée. Quant à l’État palestinien, il devra être viable (…) – c’est pourquoi la colonisation doit cesser. »
Devant la Knesset lundi, le président français a voulu éviter de donner l’impression de tenir deux discours de chaque côté du « mur de sécurité » construit par Israël – il s’était rendu à Ramallah quelques heures plus tôt pour y rencontrer le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas. Mais il a été moins précis que Nicolas Sarkozy. À aucun moment sur le sol israélien, François Hollande n’a mentionné les frontières de 1967 comme base de la négociation – il n’en a parlé qu’à la Mouquataa, siège de l'Autorité palestinienne. Sarkozy, lui, avait dit devant les parlementaires israéliens : « Il ne peut y avoir de paix sans une frontière négociée sur la base de la ligne de 1967 et des échanges de territoires. »
Durant ses deux jours de visite, dimanche et lundi, Hollande n’a pas davantage dénoncé la détérioration constante des conditions de vie des Palestiniens. Son prédécesseur avait affirmé en 2008 : « Il ne peut y avoir de paix si les Palestiniens ne combattent pas eux-mêmes le terrorisme. (…) Mais pas de paix non plus, permettez de le dire, si les Palestiniens sont empêchés de circuler ou de vivre sur leur territoire. » À l’inverse, Hollande s’est rendu à Ramallah, ce que Sarkozy avait soigneusement évité de faire.
Depuis François Mitterrand, tous les présidents français ont eu à cœur de se présenter à la fois comme ami d’Israël et ami de la Palestine. Mais à trop chercher l’équilibre qui lui est si cher, le discours de François Hollande semble dissonant. Car depuis 1982, la situation des Palestiniens s’est considérablement dégradée – le nombre de colons vivant en Cisjordanie dépasse les 300 000 ; le territoire palestinien est découpé en trois zones administratives, dont la plus importante par la surface (la zone C) est de facto sous contrôle israélien, fragmentant les zones palestiniennes qui ne bénéficient d'aucune continuité territoriale ; Jérusalem-Est est elle aussi touchée par la colonisation, au point que le fait qu’elle puisse un jour devenir la capitale de la Palestine semble de plus en plus compromis…
La réalité est de fait tellement déséquilibrée entre les deux parties qu’en appeler en permanence à l’équilibre – comme demander des« gestes forts des deux côtés » – et que jouer le parallélisme jusque dans les formes – Hollande a prononcé quelques mots en hébreu et en arabe, il s’est recueilli devant les tombes de Rabin et d’Arafat – a quelque chose d’absurde. Interrogé à ce sujet à la Mouquataa, aux côtés de Mahmoud Abbas, François Hollande s’en est défendu : « Je ne cherche pas un équilibre, une espèce de parallélisme des formes. Ce que je fais en Palestine, ce que je fais en Israël, c’est être utile. Ce n’est pas simplement évoquer des principes mais être utile. Il ne s’agit pas de faire plus pour les uns ou plus pour les autres, mais de faire plus pour la paix. »
Pour son entourage, Hollande est une nouvelle fois fidèle à son tempérament et à sa pratique politique : pas de coup de menton, pas d’invective publique ni de rapport de force trop évident, mais une négociation patiente et laborieuse. « S’il s’agit de lire la position européenne, ce n’est pas la peine de faire une visite ! Si on est sur notre colline à dire le droit, c’est facile ! Il ne faut pas condamner une des deux parties dans une négociation. Si on veut être écouté, et c’est l’ambition de la France, il y a un certain ton à avoir », s’agace un proche conseiller du président.

 




Hollande converti au néoconservatisme ?

Le propos de François Hollande, même a minima, était pourtant loin d’être gagné d’avance : le discours prononcé à la Knesset, qu’il a tenté d’esquiver, a été revu plus d’une trentaine de fois, selon une source diplomatique, et a fait l’objet de discussions jusqu’à la dernière minute. En amont, les tenants de la ligne israélienne comme les proches des Palestiniens (les deux sensibilités sont présentes dans son entourage) se sont agités en coulisses. L’Association France Palestine Solidarité, par exemple, a envoyé aux diplomates de l’Élysée une note sur la situation des Palestiniens signée par la sénatrice honoraire PS Monique Cerisier-Ben Guiga, présente dans la délégation. Plusieurs anciens ambassadeurs dans la région ont également écrit une tribune, lue par le président français, l’appelant à « sauver l’État palestinien ».  
Au bout du compte, les “pro-palestiniens” (pour le dire vite) ont été plutôt rassurés par le discours de François Hollande, tant ils craignaient qu’il omette de mentionner la colonisation ou le statut de Jérusalem. Depuis ses années à la tête du PS, longtemps déchiré sur le sujet, il a la réputation d’être un modéré, voire plutôt “pro-israélien”. Elle n’a fait que se renforcer depuis qu’il est à l’Élysée. Ce fut notamment le cas l’an dernier, à l’occasion du vote à l’ONU sur le statut d’État non-membre de la Palestine : la France a longtemps tergiversé avant de finalement voter pour. À Paris comme à Jérusalem, François Hollande a également affiché sa bonne entente avec Benjamin Nétanyahou, pourtant allié à l’extrême droite dans son gouvernement et qui sait parfaitement surjouer la complicité avec ses interlocuteurs – les deux dirigeants se sont tutoyés lors de leur conférence de presse commune lundi à Jérusalem.
En Europe, la France fait partie des pays qui soutiennent les recommandations de la Commission européenne, adoptées en juillet, excluant des accords de coopération ou de financement avec les structures israéliennes ayant des activités dans les colonies. Mais, sous la pression de Tel-Aviv et des Américains, la France fait également partie des pays européens à dire qu’il faut « affiner » la mise en œuvre de ces recommandations. La France veut également éviter que la coopération économique et scientifique qu’elle veut renforcer avec Israël ne soit pénalisée.
L’Élysée est également réticent sur l’idée d’un étiquetage des produits fabriqués dans les colonies – une disposition contraire au droit européen et que les entreprises israéliennes contournent bien souvent en apposant le label « made in Israel ». Plusieurs pays européens l’ont déjà mis en œuvre et l’Union européenne y travaille. Un processus auquel « la France apporte son plein soutien », affirmait récemment le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius.
« Le Royaume-Uni et le Danemark ont, en outre, publié des codes de conduite proposant aux distributeurs d'apposer, à titre facultatif, la mention "produit de Cisjordanie (produit des colonies israéliennes)" sur les produits issus des colonies. L'adoption d'une telle mesure par la France reste à l'étude. Une telle initiative aurait pour avantage d'améliorer l'information du consommateur. Elle serait conforme à la législation existante et ne remettrait en aucun cas en cause notre position de ferme rejet de toute logique de boycott, puni par les articles 225 et suivants du code pénal », poursuivait-il dans une réponse écrite au député PS Philip Cordery. À l’Élysée, ces propositions suscitent cependant l’opposition de plusieurs proches de François Hollande. Par principe et par crainte de braquer le gouvernement israélien.
En réalité, c’est comme si le conflit israélo-palestinien, au devenir incertain tant les négociations qui ont repris il y a trois mois sous la houlette du secrétaire d'État américain John Kerry sont balbutiantes, n’était pas la priorité de François Hollande. D’autant moins que la France y joue un faible rôle, sans commune mesure avec celui des États-Unis.
Pour sa première visite en Israël et en Palestine depuis son élection, François Hollande a d’ailleurs parlé bien plus de l’Iran que de tout autre sujet. Au plus grand ravissement des Israéliens, pour qui, droite et gauche confondues, le dossier du nucléaire iranien est la priorité absolue. À la Knesset lundi soir, son président, le premier ministre Nétanyahou et la dirigeante de l’opposition, la travailliste Shelly Yachinovich, ont félicité le président français pour sa « fermeté » dans les négociations en cours (lire notre article).
À chaque fois qu’il a pris la parole en Israël, François Hollande a développé les mêmes priorités, et dans le même ordre. Il a toujours commencé par l’Iran – « nous maintiendrons les sanctions tant que nous n’aurons pas la certitude définitive du renoncement de l’Iran à son programme nucléaire militaire », a-t-il encore déclaré lundi. Avant d’évoquer la lutte contre les armes chimiques – la Syrie, preuve, selon lui, de l’utilité de la « pression militaire » –, et la « lutte contre le terrorisme », en citant notamment le Mali. « La lutte contre le terrorisme ne connaît pas de frontière. (…) Nous n’en avons pas fini avec cette lutte contre le terrorisme », a-t-il martelé dimanche à Jérusalem. Les négociations de paix sont systématiquement venues à la fin de ses discours.À tel point que François Hollande construit petit à petit l’image d’un néoconservateur, prêt à intervenir militairement, y compris en solitaire (au Mali), voire sans mandat international (c’était le cas pour la Syrie), et usant d’un vocable connoté. Les djihadistes maliens étaient dès les premières heures de l’intervention militaire des « terroristes » et il fallait « punir » Bachar al-Assad. Il y a dix jours, le président français a même reçu l’hommage, empoisonné pour un socialiste, du sénateur républicain John McCain qui s’est félicité de la fermeté de Laurent Fabius sur l’Iran en écrivant sur Twitter, en français : « Vive la France ! »