François
Fillon, le catholicisme et
la démagogie
par Jacques Sapir
· 7 janvier 2017
Monsieur François Fillon est
catholique, c’est un point entendu. En un sens c’est son affaire. La foi, tout comme
l’absence de foi, de chacun relève de la vie privée. Ce qui devient l’affaire
des français c’est quand Monsieur
François Fillon, « futur chanoine d'honneur de Saint-Jean de Latran », avance sa foi catholique comme « garantie » face à
des interrogations que l’on peut légitimement avoir sur les conséquences
sociales et économiques de son programme.
Ces inquiétudes, elles naissent de son projet de réforme de l’assurance maladie, la
« Sécurité Sociale », projet sur lequel il s’est plusieurs fois
contredit et a fait des déclarations contradictoires. Mais, ces inquiétudes
naissent aussi d’autres dimensions de son projet qui vont entraîner des pertes
de pouvoir d’achat importantes pour les travailleurs français, comme le retour au 39h (qui impliquera la
disparition des heures supplémentaires), ainsi que pour les futurs retraités,
avec l’allongement de la durée de cotisation. Opposer à ces légitimes inquiétudes, suscitées par ce que ses
adversaires qualifient de « brutalité » de son projet, le simple fait
d’être catholique est d’une profonde hypocrisie. Ceci n’est pas, et ne peut
être une réponse. C’est d’ailleurs ce que lui a fait remarquer un autre homme
politique qui ne cache pas sa foi catholique, Nicolas Dupont-Aignan.
La laïcité contre l’hypocrisie
Cette hypocrisie, de la part de François Fillon pose
alors un autre problème. Bernard Bourdin, théologien catholique et professeur
de droit, dans le livre de dialogues que nous allons publier aux éditions du
Cerf, écrit ceci : « Il n’y
a pas de parti politique du royaume de Dieu et plus encore, il n’y a pas
d’histoire du royaume de Dieu : c’est un non-sens théologique. Ce point
indiscutable ne permet pas de tout résoudre mais reconnaissons qu’il est
déterminant ! ».
Nous voyons bien à quel point c’est aujourd’hui une
idée essentielle. Elle signifie à la fois que l’on ne peut prétendre fonder un projet politique sur une
religion, et que la démarche du croyant, quel qu’il soit, est une démarche individuelle,
et de ce point de vue elle doit être impérativement respectée, mais qu’elle ne
s’inscrit pas dans le monde de l’action politique qui est celui de l’action
collective. C’est ici un des fondements
de la laïcité.
Or, comment peut-on
vouloir combattre le fanatisme islamique si l’on adopte, dans les faits, un
mode de raisonnement qui est parallèle aux leurs ? Comment devons-nous
réagir face à des gens qui, eux, ne pensent pas cela, soit qu’ils considèrent
que le « royaume de Dieu » peut avoir un parti politique (et
on l’observe des intégristes chrétiens aux États-Unis aux Frères Musulmans)
soit qu’ils considèrent que les deux cités, pour reprendre Augustin, sont sur
le point de fusionner, comme c’est le cas de courants messianiques et
millénaristes comme les salafistes ? On voit bien ici le problème. Ces
courants, pour des raisons différentes, contestent – par des méthodes elles
aussi différentes – l’idée même de laïcité. Or, cette idée est essentielle à la
formation d’un espace politique, certes traversé d’intérêts et de conflits,
mais néanmoins gouverné par des formes de raison – espace politique
indispensable à la construction de la souveraineté et de la nation. Faut-il
donc les laisser faire, au nom des libertés individuelles qui sont une
application de la raison, et cela en sachant qu’ils sont porteurs de principes
absolument antagoniques à la raison, de principes qui, s’ils triomphaient,
rendraient impossible l’existence même de ce type d’espace politique ? Ce
qui est en cause c’est ici le principe de laïcité et donc les libertés
individuelles et en premier lieu la liberté de conscience mais pas seulement.
La contradiction est donc que c’est au nom de ces principes politiques que
cherchent à avancer ceux qui considèrent que le « royaume de Dieu »
peut avoir un parti, et qu’ils le représentent. La question est en fait moins
compliquée avec les courants qui prétendent à la fusion directe entre les
« deux cités », comme les salafistes. Ceux-là, en un sens, se mettent
directement hors-jeu. D’où, la nécessité de fonder l’organisation politique sur
ce que j’ai appelé « l’ordre
démocratique ». Mais cet ordre
démocratique implique que TOUTES les religions soient en retrait dès que l’on
entre dans l’espace public, moyennant bien sûr les traditions et habitudes
culturelles. Or, très clairement, ce n’est pas ce que fait François Fillon.
François Fillon le démagogue ?
Notons par
ailleurs que, au journal de 20h du vendredi 6 janvier, dans un sujet décrivant
la visite de M. François Fillon au CES, le salon des technologies émergentes de
Las Vegas, on entend le candidat à l’élection présidentielle tenir des propos à
tout le moins étranges sur France-Telecom et les « fonctionnaires ».
Ces propos sont étranges parce que le fait
d’être une compagnie privée n’implique nulle efficacité supplémentaire par
rapport à une société publique ou une administration. Si tel était le cas, il n’y aurait
pas de crises financières, ou de scandale Volkswagen et avant lui de scandale
Enron et autres. Ces propos sont
étranges, aussi, parce que François Fillon fait comme si la multiplication des
suicides dans le France-Telecom privatisé sous le nom d’Orange d’il y a
quelques années (2008-2009) n’avait eu aucun lien avec cette même privatisation.
Bizarre comportement pour qui se prétend chrétien !
Ces propos sont enfin étranges parce
que les fonctionnaires, aujourd’hui si décriés par François Fillon et dont il
veut réduire le nombre de 500 000, sont en réalité en première ligne face à la
crise sociale que la France traverse, qu’il s’agisse des fonctionnaires de
police, de l’armée, mais aussi des personnels hospitaliers, en butte à des
« incivilités » dont le nombre a explosé ces dernières années et qui,
bien souvent, prennent un aspect religieux, ou enfin des enseignants, méprisés
par leur hiérarchie et laissés seuls face à la dégradation du climat dans et hors
de la classe. Ces fonctionnaires sont des représentants de l’Etat, et
l’autorité de celui-ci, dont François Fillon aime bien se gargariser, repose en
réalité sur leurs épaules. Or, François Fillon fut, de 2007 à 2012,
Premier-ministre. Il fut donc particulièrement bien placé pour mesurer ce qu’il
en coûte de dégouter des fonctionnaires de leurs métiers.
Les propos de François Fillon
témoignent donc d’une démagogie de bas étage dont la logique renvoie à la
réaction la plus crasse. C’est son choix, et en un sens c’est son droit. Mais
alors, l’homme dont la politique a provoqué plus de 600 000 nouveaux chômeurs,
le démagogue qui dénonce les fonctionnaires quand le pays a besoin de
l’autorité de l’Etat et de celle de ces mêmes fonctionnaires, ne peut chercher
à couvrir les turpitudes de son projet politique du manteau d’une foi, quelle
qu’elle soit.