Ancien directeur du Trésor, Daniel Lebègue préside aujourd'hui
la section française de l'ONG Transparency International. Obliger les élus à
déclarer leurs patrimoines et leurs revenus permettra selon lui à la France de
rattraper "son retard".
Jean Marc Ayrault prépare des "mesures sévères pour garantir la
transparence, le respect de la loi et de la probité". Une loi existe déjà qui contraint les hommes politiques à
déclarer leurs patrimoines. Pourquoi est-elle insuffisante ?
- Cette loi est dérisoire. Depuis
l’année 2012, les ministres doivent faire une déclaration d’intérêt. Mais elles
ne comprennent ni leurs revenus, ni leurs patrimoines. Les parlementaires
doivent quant à eux déclarer leurs patrimoines dans un délai de trois mois après
leur élection et lorsqu'ils quittent leurs fonctions. Ça n’a pas de sens. Entre
les deux, il peut s’écouler une dizaine d’années.
La commission pour la transparence financière de la vie
politique, qui centralise les déclarations des élus, peut transmettre les
dossiers incomplets au parquet. Les sanctions ont même été durcies en
2011.
- Combien ont été prononcées ? Aucune.
Alors que 15% des parlementaires n’ont pas rempli leurs déclarations de
patrimoine. En clair, nos élus ne s’appliquent pas les lois qu’ils ont eux-mêmes
votées.
Que proposez-vous ?
- La transparence est un principe de
base de la démocratie. Tous les ministres, parlementaires, élus de grande
collectivité et hauts-fonctionnaires devraient avoir à remplir une déclaration
d’intérêt dans laquelle figurerait un chapitre revenus et patrimoine. Ces
déclarations devraient être rendues publiques chaque année.
La France est-elle en retard par rapport aux autres pays
?
- Sur les 27 États Européens, seuls deux
pays sont à la traîne. La Slovénie…et la France. Tous les autres pays ont imposé
la publicité des déclarations. La situation de la France n’est pas très
glorieuse.
Sur quels autres sujets la situation de la France n'est-elle
pas conforme à son rang ?
- Il y a la prévention des conflits
d’intérêts. La commission Sauvé, la commission Jospin ont fait des propositions.
Mais rien n’a été fait. Nous avons été incapables de légiférer et de mettre en
place des
sanctions. Dans ce domaine, la feuille est blanche, il n’y a aucun
contrôle. Quant à la justice, on ne peut pas dire qu’elle est vraiment
indépendante. On l’a vu au travers de nombreuses affaires. La tentation existe
pour le gouvernement d’entraver son action. La France a d’ailleurs été plusieurs
fois rappelée à l’ordre par les institutions européennes. Elle doit donner au
parquet les clés de son indépendance. Il y a aussi un problème de compatibilité
entre le fait d’exercer certaines activités en parallèle à des responsabilités
politiques. Certains députés sont aussi avocats d’affaires. Je ne crois pas
qu’on puisse agir au nom de l’intérêt général tout en donnant des conseils à des
particuliers pour interpréter la loi. Ça n’est pas possible.
- On verra bien. Le président est au
pied du mur. Il y a une attente très forte chez nos concitoyens. 90% d’entre eux
sont opposés au cumul des mandats. Et 4 sur 5 exigent la transparence financière
des politiques. Sur ces questions, il est urgent de mettre la France au niveau
des autres démocraties.
L’affaire Cahuzac n'est-elle pas finalement un mal pour un
bien ?
- Oui. Cette triste affaire peut créer
un sursaut national. La France va peut-être enfin se doter des règles éthiques
qui sont la norme chez nos voisins. C’est ce que nous espérons. La pression qui
pèse sur la classe politique est énorme. Sur le cumul de mandats par exemple, le
gouvernement doit l'appliquer dès 2014.