mercredi 6 juin 2018

Mon fils en fauteuil a aussi le droit à une vie sociale (et ses parents également)

Dans le cadre de la loi ELAN, les députés ont adopté vendredi une disposition rompant avec le principe d'accessibilité universelle dans la construction neuve (cette obligation passant de 100% à 10% des logements neufs). Dans ce billet, j’explique en quoi ce recul impactera la vie sociale de notre famille et celle mon fils, pour lequel, depuis 7 ans, nous essayons de construire une vie « normale ».

Il est rare que je parle du fait qu'un de nos fils se déplace en fauteuil roulant, car en fait, nous on essaie de rendre tout cela le plus "normal" possible. On fait ça depuis qu’il est tout petit. Ça nous a semblé naturel en fait, on ne s’est pas vraiment posé de questions. Surtout ça nous a semblé une bonne façon que, lui, se sente le plus « normal » possible. Alors oui, il se déplace avec des aides très encombrantes (un fauteuil électrique qui pèse 80 kg, ou un marcheur qui prend la place d’un vélo d’appartement !) mais nous on oublie, afin aussi que lui oublie et qu’il vive une vie normale d’un enfant de 7 ans, qui va à l’école, a des copains et part en vacances chez ses grands-parents.
Mais là, depuis hier, et le passage de la loi ELAN à l'Assemblée Nationale je ne décolère pas... En effet, les députés ont adopté vendredi dernier une disposition rompant avec le principe d'accessibilité universelle dans la construction neuve. En effet, ce ne sont plus 100% mais 10% (oui oui vous avez bien lu 10%!!!!!!) des logements neufs qui devront être accessibles aux handicapés. , 
J'essaie de comprendre la logique de cette mesure, mais vraiment je n'y arrive pas, et plus je lis de justifications (il faut construire des logements plus vite) plus je tombe de ma chaise (des logements dans lesquels mon fils ne pourra pas se rendre????!!! en quoi est-ce un progrès????!!!)
On m’explique que tout ça coûte trop cher, et que cela ne bénéficie qu’à 4% de la population. Mais euh la sécurité incendie ce n’est pas un peu cher aussi ? Je veux dire moi perso je n’ai jamais mis le feu à mon appart, pourquoi je paierais pour des alarmes et des portes coupe-feu ?
On m’explique que cela ne m’affectera pas. N’affectera pas mon fils.
C’est faux.
On m’explique que cela n’affectera ni notre famille, ni mon fils car nous bénéficierons soit des fameux 10% de logements accessibles (super pour le choix d’un appart, déjà que se loger à 5 à Paris c’est chaud…..) soit de ces fameux logements « adaptables » où il suffira de casser un mur (non porteur on m’assure) pour rendre le logement tout beau, tout prêt.
Mais ce n'est pas parce que mon fils est handicapé qu’on reste prostrés à la maison.
Et c’est pour ça que ce chiffre de 4% est aberrant. Non, les handicapés n’utilisent pas que 4% des logements parce qu’ils sont 4% de la population.
Comme les familles parisiennes assez classiques, on part en week-end, en vacances et on voit des gens, chez eux, ou chez nous. Et c’est en ça que cette loi nous affectera mon fils et notre famille, en rendant inaccessibles tous ces lieux de vie privés, ces lieux où on tisse du lien, où on essaie de mener une vie normale.
Et un obstacle de plus à notre vie sociale, vraiment on n’en avait pas besoin.
Il y avait déjà les transports, le jour où on se dit qu’on va au zoo ou au musée.
« Ah ben non Madame, l'ascenseur ne marche pas! il ne marche plus depuis deux semaines! mais bon c'est de votre faute hein si vous êtes bloquée sur le quai avec votre fils en fauteuil roulant, fallait vérifier hein avant de sortir de chez vous! »
L’école, et la directrice de l’école maternelle qui a refusé de prendre mon enfant.
« Mais je ne suis pas obligée Madame, l’école obligatoire c’est 6 ans ! ».
Puis les dérogations qu'il faut demander pour l'école primaire parce que l'ascenseur nouvellement installé dans ces anciennes écoles (oh progrès!) ne monte que jusqu'au premier étage et que le CP est installé depuis toujours au 2ème
 « Et non Madame on ne va quand même pas déplacer toute une classe pour accueillir votre fils! »
Les voitures garées sur les passages piétons qui nous empêchent de traverser une rue, (car non, le fauteuil de 80kg il ne peut pas sauter le trottoir) et pour lesquelles on a fait faire à la demande de mon fils des "shame stickers" , des autocollants à coller sur leur pare brise qui disent "aujourd'hui en me garant n'importe comment, j'ai empêché un enfant de traverser avec son fauteuil roulant".
Donc oui jusqu’à aujourd’hui on n’en parlait pas souvent, mais la vie à Paris en 2018 avec un fauteuil c'est beaucoup d'obstacles. Tous les jours des obstacles. Avec pour conséquences potentielles, le repli sur soi, l'isolement social, parce qu'il y a des jours, ben les obstacles on n'en peut plus, et on ne veut pas les affronter...
Alors oui cette nouvelle mesure me garantit plus ou moins que je pourrai avoir un logement adapté. Mais quid des vacances chez les amis ou les grands parents? Les vacances ? (j’abats le fameux mur non porteur en arrivant dans ma location ? j’emmène mes plaques de placo pour le remonter 2 semaines après ?) Les goûters d'anniversaire qui se transforment en soirées pyjama chez les copains? Les apéros entre potes où tous les mômes jouent ensemble ? Toutes ces portes qui se ferment, et qui ajouteront un obstacle de plus, à sortir, à jouer, à profiter de la vie et des potes.....
Toutes ces portes qui se ferment à avoir une vie normale quoi... Cette vie qu'on s'efforce de vivre nous, avec un enfant en fauteuil, pour nous, pour lui.
Alors oui je suis en colère.
Et aujourd’hui je parle pour que le Sénat nous entende et réintroduire des objectifs réels et ambitieux d’inclusion, car l'inclusion c'est aussi permettre le lien social.
Solène  - maman de Antonin, 7 ans.