mercredi 4 avril 2018

Godot et la VIe République Laurent Joffrin

Libération   Laurent Joffrin

Godot et la VIe République

La réforme institutionnelle présentée par le gouvernement est plus proche du toilettage que de la transformation. Après ce train de mesures, la Ve République restera égale à elle-même dans son essence. Les institutions du «nouveau monde» ressembleront furieusement à celles de l’ancien. On réduit le nombre de députés et de sénateurs, disposition populaire tant est basse la cote de la classe politique, mais qui ne changera rien à leurs pouvoirs. On introduit une dose de 15% d’élus désignés à la proportionnelle, ce qui représentera mieux les minorités politiques mais ne modifiera pas grand-chose à la logique majoritaire. Pour le reste, ce sont des aménagements secondaires : on réforme le Conseil économique et social, qui de toute manière ne sert à rien et ne servira pas beaucoup plus. On limite le cumul des mandats dans le temps à trois, ce qui fait tout de même un bail pour les élus au long cours.
Les projets de «VIe République», dans cette circonstance, sont repoussés aux calendes grecques. La chose, à vrai dire, n’a rien d’étonnant. Le rêve d’une VIe République se heurte à un fait massif et difficilement contournable : l’élection du président de la République au suffrage universel. Dès lors que le peuple donne directement mandat au Président, il s’attend qu’il gouverne et donc qu’il s’assure dans la foulée de son élection une majorité claire au Parlement. Pour mettre fin à ce système de monarchie élective, il faudrait aligner la France sur les démocraties européennes où c’est le Premier ministre, issu d’une majorité parlementaire, qui gouverne. Sur le papier, pourquoi pas ? Mais il faut dans ce cas expliquer aux électeurs qu’on leur retire un droit fondamental et qu’on le transfère à des représentants, qui désigneront le chef de l’exécutif en lieu et place du peuple. On voit mal les électeur s français se dépouiller soudain de cette prérogative. A partir de là, tout s’enchaîne. C’est le projet du président qui sert de référence à l’action gouvernementale ; c’est en promettant de soutenir l’élu du peuple que les députés se font élire pour former une majorité ; c’est autour de cette élection reine que tourne la vie politique. Et quel président aura assez d’abnégation pour introduire une proportionnelle intégrale qui pourrait le priver des moyens de gouverner selon sa volonté ? Le raisonnement vaut pour Emmanuel Macron. S’il veut se représenter en 2022, pourquoi prendrait-il le risque de perdre ses pouvoirs au profit d’un Parlement qu’il ne contrôlerait pas ? D’où la limitation à 15% du nombre des parlementaires élus à la proportionnelle qui ne changera guère la pratique des institutions. La VIe République est comme l’Arlésienne ou comme Godot : on en parle toujours mais on ne la voit jamais, on l’att end mais elle ne vient pas.