Dès 1987, dans The Art of the Deal,
son best-seller (qu’il n’a pas écrit),
Trump théorisait sa méthode
provocatrice.
La folie géniale, ou délirante peut amuser : lorsqu'elle ne met en cause l'équilibre mondial,
le « fou » lâche des dangers à plusieurs facettes…
« En bref, la
controverse vend, écrivait-il.
[...] Les gens ne pensent pas toujours en grand pour eux-mêmes, mais
ils sont quand même excités par ceux qui le font. C’est pour cela qu’un peu
d’hyperbole n’est jamais un problème. Les gens veulent croire à des choses
importantes, grandes, spectaculaires. J’appelle cela l’hyperbole véridique.
C’est une forme d’exagération innocente, et une forme de promotion très
efficace. »
Ses recettes n’ont pas changé. Trump est passé maître
dans l’art de propager des mensonges avec naturel, presque avec candeur. Avant
son entrée en politique, il fut ainsi un des plus actifs à relayer la théorie
(fausse) selon laquelle Barack Obama ne serait pas né sur le sol américain.
Pendant la campagne, il s’est distingué en relayant toutes sortes de théories
conspirationnistes sur le 11-Septembre, la mort du juge réactionnaire de la
Cour suprême Antonin Scalia ou l’assassinat de JFK.
Depuis qu’il est président, l’invective et le mensonge
sont devenus ses premières armes. Le Washington Post tient le
calcul des affirmations fausses du président Trump depuis son entrée en
fonction : 3 521 en 500 jours. Sept par jour en moyenne. Sans
compter les mensonges, contre-vérités ou approximations proférés chaque jour
par les « voix »officielles de la Maison Blanche, à
commencer par la porte-parole Sarah Sanders, devenue la bête noire des journalistes et des humoristes.
Ce feu roulant de propagande permet d’occuper le plus
d’espace médiatique possible et d’occulter les récits gênants :
l’affairisme de cette présidence, ses politiques réactionnaires, les multiples départs
à la Maison Blanche et, bien sûr, la mise au jour progressive
de liens entre le Kremlin et son équipe de campagne pour le faire élire.
Le New York Times a rapporté il y a
quelques mois une anecdote parlante. Alors qu’il s’apprêtait à entrer à la
Maison Blanche, Donald Trump a enjoint à ses
collaborateurs de « penser chaque jour comme un show télévisé où
il défait ses rivaux ». Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il
suit scrupuleusement ses propres consignes.
La télévision de masse est son véritable écosystème.
Trump, magnat de l’immobilier new-yorkais endetté jusqu’au cou (Mediapart avait
raconté pendant la campagne présidentielle le fiasco de ses
casinos d’Atlantic City), figure glamour et trash abonnée
aux pages ragots des tabloïds, a même été ressuscité par la télé-réalité.
Le 8 janvier 2004, la chaîne NBC diffuse le premier
épisode de The Apprentice, l’émission qui le rendra célèbre. Filmé
dans sa limousine, avec en arrière-fond des images des gratte-ciels de
Manhattan, Trump se présente : « Je suis Donald Trump, le
plus grand développeur immobilier de New York. Je possède des immeubles dans
toute la ville, des agences de mannequin, le concours Miss Univers, des
compagnies aériennes, des golfs, des casinos. »
« Je suis devenu un maître de l’art du deal. J’ai
fait du nom “Trump” une marque synonyme de grande qualité. » Tout le style du futur président est encapsulé dans
les deux premières minutes.
Trump a aussi suivi les conseils
de son gourou, l’idéologue d’extrême droite Steve Bannon : « inonder
la zone de merde » (sic) pour submerger d’immondices les médias, « la
vraie opposition », selon cet ancien directeur de campagne de Trump,
théoricien d’une guerre culturelle totale contre les libéraux.
À
la Maison Blanche, Trump passe son temps devant la télévision. Au moins quatre
heures par jour, selon le New York Times,
dès 5 h 30 du matin, parfois même alors qu’il est encore couché.
Presque quotidiennement, il décoche une rafale de tweets matinaux censés
diriger la conversation du jour.
Leur
cible première est sa base, ces millions d’électeurs, pas tous d’extrême droite,
qui applaudissent chacun de ses coups d’éclat. Trump est leur porte-parole. Il
les venge contre l’« establishment », les « politiciens » traditionnels
et la grande bascule démographique en cours aux
États-Unis qui les effraie.
Le feuilleton coréen a été un fil
narratif puissant de sa présidence. Tout comme le rejet du « terrible » deal
nucléaire iranien – que Trump a dénoncé il y a un mois –, une de ses
obsessions de campagne.
Les « guerres commerciales » engagées
avec l’Europe, le Canada et la Chine constituent un autre pilier du récit
présidentiel. Trump a sans cesse besoin d’ennemis. Si besoin, il se dépêche de
les inventer. C’est la logique des brutes de cours de récré : l’ami de la
veille peut devenir le souffre-douleur. Emmanuel Macron, pour l’instant cajolé par Donald Trump, est
prévenu…
La
plupart des histoires trumpiennes concernent toutefois des sujets américains.
Ses cibles sont souvent les mêmes : la presse, qui multiplie les scoops
dont le commun des mortels a depuis longtemps perdu le fil, Hillary Clinton et
les démocrates, le FBI qui enquête sur lui… ou encore son propre ministre de la
justice, Jeff Sessions, un ultra-droitier auquel Trump reproche de ne pas le
protéger assez contre la curiosité du procureur spécial Robert Mueller, qui enquête
sur les liens entre la campagne de Trump et la Russie pendant la présidentielle
de 2016.
Dès qu’il le peut, Trump se met
ainsi en scène comme victime d’une « chasse aux sorcières »,
la « plus grande de l’histoire », dit-il, dirigée contre
lui et son administration par l’« État profond ». Récemment,
Trump lui-même a accrédité l’hypothèse d’un « espion » du
FBI infiltré dans sa campagne, une affirmation démentie par certains
de ses plus fidèles soutiens.
Il
a annoncé des mesures individuelles de grâce présidentielle pour signaler à ses
proches inquiétés par la justice qu’il pourra leur venir en aide le jour venu.
Au mépris de l’esprit de la Constitution,
il a même laissé entendre qu’il pourrait se gracier lui-même s’il
était mis en cause…
Tout
est bon pour discréditer cette enquête tentaculaire dans laquelle quatre de
ses anciens collaborateurs ont été inculpés. L’enquête n’est pas terminée et il
reste d’immenses zones d’ombre. Mais comme le rappelle David Corn, journaliste
du site d’investigation Mother Jones, des faits gravissimes sont déjà établis.
« En
2016, écrit-il, le régime de Vladimir Poutine a monté une
guerre de l’information contre les États-Unis, en partie pour aider Donald
Trump à devenir président. Alors que cette attaque était en cours, l’équipe
Trump a tenté de conspirer avec Moscou, a tenté d’installer un canal de
communication secret avec le bureau de Poutine et n’a cessé de nier
publiquement l’attaque en cours, offrant une couverture à l’opération
russe. […] Les preuves sont solides comme la pierre : ils
ont commis un véritable acte de trahison. Voilà le scandale. » « Le
plus grand » de l’histoire américaine, assure Corn, qui s’inquiète
que le « flot des révélations », les ramifications
multiples de cette enquête tentaculaire et ses méandres complexes ne profitent
finalement à Trump et à ses récits simplistes…
Trump
prend aussi soin d’alimenter des polémiques qui clivent la société américaine
et résonnent aux oreilles de ses électeurs. Depuis plus d’un an, il alimente
ainsi une guerre quasi-quotidienne contre les joueurs de football de la NFL, la
plupart noirs, qu’il accuse de trahison nationale pour s’être agenouillés dans
les stades lors de l’hymne américain, en guise de protestation contre les
violences policières. Trump a aussi désigné à la vindicte populaire une « caravane » de
migrants accusés de vouloir entrer illégalement aux États-Unis :
originaires d’Amérique centrale, ils ne font en réalité que solliciter l’asile,
conformément au droit international…
Depuis quelques semaines, comme
David Corn ou le critique des médias Jay Rosen, des journalistes et essayistes
américains s’inquiètent. Et si Donald Trump, le roi de l’esbroufe et de la
diversion, était en train de gagner pour de bon la guerre de
l’information ?
« Nous
sommes en train de perdre l’habitude, et peut-être la capacité, de distinguer
la réalité du vide, s’inquiète dans
le New Yorker l’essayiste américano-russe Masha Gessen. Nous
avons oublié ce qui s’est passé il y a un mois. Si nous détournons l’attention
une journée, nous ratons des informations énormes, que nous aurons pourtant
oubliées dans une semaine. Nous vivons dans un triathlon sans fin : lire,
en discuter, paniquer. »
« Trump est fou comme un
renard », s’inquiète Seymour
Hersch, monument du
journalisme américain qui publie ces jours-ci ses mémoires. Dérangé, sans
doute, mais aussi très malin. « Peu
importent les mensonges qu’il profère, CNN, MSNBC et Fox se mettent en
mode “breaking news”. Rien
n’est vérifié, tout est pris pour argent comptant. »
Lassés
de ce brouhaha où il devient de plus en plus difficile de distinguer
l’essentiel de l’accessoire, de nombreux Américains risquent de détourner les
yeux et de se désintéresser de l’actualité, y compris des informations qui
importent, s’alarme Jay Rosen,
professeur de journalisme à la New York University.
Bien
sûr, les shows télévisés, même les meilleurs, ne sont pas éternels. La « Trump
Fiction » prendra fin un jour. Il est probable, juge Masha
Gessen, qu’on découvre alors combien Donald Trump a durablement érodé le débat
public. « Le discours
politique était en crise avant lui, écrit-elle. Avec lui, il approche de sa destruction complète. »