mardi 28 janvier 2020

Le conflit social, que nous avons vécu a été marqué par une période de tensions et de débordements mais le nombre et la nature des incidents qui se sont multipliés ces derniers jours interrogent sur le climat délétère de notre société.

Qu’une fin de conflit social, surtout lorsqu’il s’est inscrit dans une durée hors norme, soit marquée par une période de tensions et de débordements n’a, en soi, rien d’exceptionnel. La frange la plus radicale des opposants, qui refuse toute forme de compromis, manifeste sa frustration de ne pas avoir atteint l’objectif espéré en jouant la surenchère. Classique.
Ce qui l’est moins en revanche, c’est le nombre et la nature des incidents qui se sont multipliés ces derniers jours. Deux intrusions au siège de la CFDT, dont une par des opposants encagoulés à la réforme se revendiquant de la CGT, tentative par des manifestants de forcer les portes d’un théâtre où Emmanuel Macron assistait à une représentation, cérémonies de vœux perturbées, ou annulées par crainte de perturbations… jusqu’à l’incendie criminel de La Rotonde, cette brasserie parisienne devenue emblématique du pouvoir honni, après que le président y a fêté sa qualification au second tour de la présidentielle de 2017. Depuis, le patron recevait régulièrement des menaces… Pour une poignée de radicaux, qui se sont embarqués dans un engrenage délétère, la fin semble désormais justifier les moyens. Pas de quartier pour ceux qui ne partagent pas leur combat. Laurent Berger a bien fait de rappeler qu’il ne « support[ait] plus cette idée que dans cette démocratie, lorsqu’on n’est pas d’accord, on serait un ennemi et on serait à abattre ». Un vent mauvais souffle sur le débat politique. La haine verbale qui se déverse depuis longtemps à jet continu sur les réseaux sociaux, contre les institutions, contre le pouvoir ou ses supposés alliés, et disons-le tout de go, contre les « élites », s’exprime aujourd’hui sans filtre, brutalement, dans la rue. Bien sûr, les manifestants n’ont pas le monopole de la brutalité. En face, les bavures en série des forces de l’ordre ont largement contribué à l’escalade. Ces dérapages sont d’autant plus inadmissibles qu’ils émanent d’une institution. Soit. Et maintenant ? Jusqu’où ira cet engrenage, fait de rumeurs, de théories complotistes et autres fake news, ce carburant du populisme ? En bons artisans du chaos, les pyromanes qui attisent aujourd’hui la rage et les peurs et en appellent à la rébellion auront une part de responsabilité dans ce qui pourrait advenir lors de la prochaine présidentielle. Tout comme ces chaînes d’infos qui tendent complaisamment le micro aux extrémistes de tout poil, aux agités du bonnet, pour peu qu’ils soient susceptibles de faire le buzz. Télé en continu et réseaux sociaux deviennent les nouveaux arbitres des influences, de plus en plus sourds à toute forme d’expertise, de rationalité et de pondération. Seul compte désormais le bruit. Et la fureur.

L’ancien garde des Sceaux Robert Badinter s’est élevé contre ceux qui, lors de marches aux flambeaux contre la réforme des retraites jeudi dernier dans plusieurs villes de France, ont brandi, au bout d’une pique, la tête d’Emmanuel Macron.

 Interrogé sur « le climat politique et social actuel », les « insultes et menaces qui se répandent sur les réseaux sociaux, les violences symboliques contre les élus, les politiques et le chef de l’Etat ». « Une époque qui est à la haine ». le journaliste Patrick Cohen a interroger plus spécifiquement Robert Badinter sur les marches aux flambeaux de la semaine dernière : « Ce qu’on a vu la semaine dernière, des retraites aux flambeaux où l’effigie d’Emmanuel Macron est brandie au bout d’une pique. Je ne vous demande pas à qui la faute, parce que chacun peut trouver des responsabilités dans l’un ou l’autre camp, mais est-ce que ces images, cette époque… Il n’a pas le temps de finir sa question que Robert Badinter répond très fermement, dénonçant ce qui pour lui est « absolument condamnable » :
« Rien n’excuse ce degré de violence non pas physique encore, mais verbale. Rien. La représentation d’une tête au bout d’une pique, qui n’est rien d’autre que la guillotine, est pour moi absolument, totalement, condamnable. On ne peut pas admettre dans la République française, dont je rappelle la devise, que quelque homme politique que ce soit, quelque femme politique que ce soit, on promène sa tête au bout d’une pique avec ce que cela signifie. Ce n’est pas admissible ! Je le dis du fond du cœur, aucune cause ne justifie cela, aucune. »
Relancé par le journaliste, l’ancien responsable politique poursuit : « Derrière le symbole il y a la pulsion et ici la pulsion, c’est la haine, et c’est la volonté de détruire physiquement, par cette représentation symbolique, l’adversaire. » Celui qui a fait voter au Parlement la loi sur l’abolition de la peine de mort finalement promulguée le 10 octobre 1981 ne décolère pas :                                « Mais comment ? Mais qu’est-ce que c’est qu’une démocratie sinon un Etat de droit qui est respecté par tous ? Qu’est-ce que c’est que la violence ? […] Je le dis du fond du cœur, je suis sorti complètement de la vie politique, mais il y a des évidences dans une démocratie et la première c‘est le refus de la violence physique. Vous avez tous les moyens, toutes les libertés, d’expression : le défilé, la manifestation, le slogan, ce que vous voulez, mais pas la violence physique. »