vendredi 10 avril 2015

Le gouvernement s’aplatit toujours plus devant le patronat

Le gouvernement s’aplatit toujours plus devant le patronat

Le gouvernement cède tout au Medef. Après avoir offert 42 milliards d'euros aux entreprises, Manuel Valls ajoute encore 2,5 milliards, soi-disant pour stimuler l'investissement. Et quand Vivarte supprime 1 600 emplois tout en signant un chèque de départ de 3 millions d'euros à son PDG, Emmanuel Macron prétend que l’État est impuissant.
C'est l'augmentation de salaire de toute une vie. La rémunération moyenne des patrons du CAC 40 a augmenté de 34% en 2010, à 4,11 millions d'euros annuels. Ces chiffres sont issus de l'étude annuelle de la société de conseil aux investisseurs Proxinvest, publiée mardi 14 février. Depuis avec la continuité de la politique du gouvernement et malgré les promesses de 2013 les salaires et autre golden parachute n’ont pas cessés d’augmenter
Dix grands patrons français ont touché une rémunération représentant plus de 240 smic par an, soit 4,6 millions d'euros, en 2010. Allez, pour le plaisir :
  • Jean-Paul Agon de L'Oréal : 10,7 millions d'euros ;
  • Bernard Arnault de LVMH : 9,7 millions ;
  • Carlos Ghosn de Renault : 9,7 millions ;
  • Bernard Charlès de Dassault systèmes : 9,5 millions ;
  • Franck Riboud de Danone : 7,7 millions ;
  • Maurice Levy de Publicis : 6,2 millions ;
  • Christopher Viehbacher de Sanofi-Aventis : 6,1 millions ;
  • Arnaud Lagardère de Lagardère SCA : 4,9 millions ;
  • Henri de Castries de AXA : 4,9 millions ;
  • Lars Olofsson de Carrefour : 4,8 millions.

Ces « gens-là » n'ont jamais renoncé. Utilisant désormais les leviers financiers,
Une caste confisque les fruits des efforts de tous, collectivisant les pertes et privatisant les bénéfices,
ils ont simplement changé d'échelle. Elle est désormais planétaire. Et ils se gavent.
Face à cela, la gauche, qui n'a rien appris en plus de cent ans.
« Rien ».
Ni sur le fond, ni sur les méthodes, encore moins sur la nécessité de la morale dans l'action.
Danielle Mitterrand


Ce sont deux actualités qui en apparence n’ont aucune relation entre elles. La première a trait à la politique économique du gouvernement : celui-ci vient d’annoncer un nouveau et substantiel coup de pouce fiscal en faveur de l’investissement des entreprises, pour un montant total de 2,5 milliards d’euros. La seconde concerne le groupe Vivarte : il vient d’annoncer la suppression de 1 600 emplois et a remis, peu avant, un chèque de plus de 3 millions d’euros à son PDG, lors de son récent départ. Entre les deux histoires, pas de lien. Juste une coïncidence de l’actualité, rien de plus…
Sauf qu'en y regardant de plus près, on a tôt fait de s’apercevoir qu’il y a une relation très forte entre ces deux nouvelles : si un groupe comme Vivarte peut se permettre, avec morgue, d’annoncer un violent plan social alors qu’il vient d’offrir un tas d’or au PDG qui vient d'être écarté, c’est que le gouvernement ne cesse de multiplier les cadeaux fiscaux et sociaux en faveur du patronat et qu’il ne lui demande absolument rien en retour, ni engagement sur l’emploi, ni sur les investissements, ni même un peu de retenue dans sa boulimie de rémunérations excessives. Il n’y a pas d’autre raison aux comportements d’avidité que révèle le groupe Vivarte : par sa politique conciliante avec les milieux d’affaires – beaucoup plus conciliante encore que sous Nicolas Sarkozy –, c’est le gouvernement lui-même qui encourage et alimente ces très choquants excès. Et il n’est pas difficile d’en administrer la preuve.
Reprenons plus en détail nos deux histoires, pour vérifier que l’une est le prolongement de l’autre…
Durant la campagne présidentielle, François Hollande avait critiqué Nicolas Sarkozy au motif que, reprenant les propositions de plusieurs officines patronales, dont l’institut Montaigne et l’Institut de l’entreprise, le chef de l’État sortant proposait de mettre en œuvre un « choc de compétitivité » en faveur des entreprises, pour leur apporter des allègements de cotisations sociales ou fiscales de l’ordre de 30 milliards d’euros. À l’époque, le candidat socialiste avait estimé que la mesure était inopportune dans son principe comme dans ses modalités.
Or, cette mesure concoctée par le patronat et défendue par Nicolas Sarkozy est devenue la clef de voûte de la politique économique de… François Hollande ! Pis que cela ! Au fil des mois – et des coups de gueule du Medef qui, trop content, en a demandé toujours plus ! –, François Hollande a finalement relevé à 42 milliards d’euros le montant de ce « choc de compétitivité », rebaptisé par abus de langage « pacte de responsabilité ». Près de 42 milliards d’euros : une somme affolante, sans laquelle la France n’aurait jamais été assujettie à un plan d’austérité…
À l’époque, quand le dispositif a été soumis au Parlement, de très nombreuses voix se sont élevées – notamment celles des députés « frondeurs » du parti socialiste, qui ont commencé à se faire entendre sur ce premier sujet – pour faire valoir que cette fortune serait dépensée en pure perte, et qu’elle ne stimulerait ni l’investissement ni l’emploi, qui étaient la justification officielle de la réforme. Les mêmes ont fait valoir que l’argent, prélevé dans la poche des Français sous la forme du gel des rémunérations publiques ou de la hausse de la TVA, ne générerait quasiment que des effets d’aubaine. En clair, beaucoup de parlementaires et tout autant d’experts ont sonné l’alerte : attention ! la mesure gonflera peut-être les profits des grands groupes, voire les dividendes servis à leurs actionnaires, mais ne fera le jeu ni de l’emploi ni des investissements. Lors de la bataille gouvernementale, beaucoup de parlementaires ont donc émis le souhait qu’à tout le moins, le montant des cadeaux fiscaux et sociaux apportés aux entreprises soit abaissé et surtout qu’ils ne soient consentis qu’en contrepartie d’engagements des entreprises bénéficiaires. Précisément, des engagements en matière d’emploi et d’investissement. Mais de cela, le pouvoir socialiste n’a pas voulu entendre parler. Conduisant non pas une politique social-libérale, supposée assise sur des engagements réciproques des acteurs de la vie économique, mais une politique néolibérale, il a refusé : les 42 milliards d’euros ont été consentis sans la moindre contrepartie.
Et ils ont suscité exactement les effets annoncés : les effets d’aubaine ont été massifs pour les entreprises. Mais les effets sur l’emploi ont été nuls ou dérisoires. Et l’investissement des entreprises est toujours aussi raplapla !
Dès lors, on comprend mieux dans quelle logique vicieuse le gouvernement se trouve aspiré. Comme il sait que cette somme historique de 42 milliards d’euros a été dépensée en pure perte – sauf pour les actionnaires des grands groupes –, il se sent dans l’obligation de prendre encore une nouvelle mesure pour stimuler… l’investissement ! Arroser le sable, encore et toujours…
D’où cette disposition révélée mercredi par Manuel Valls : le gouvernement a annoncé une baisse fiscale de 2,5 milliards d’euros sur cinq ans pour les entreprises qui font l’acquisition d’équipements industriels, lesquels ouvriront droit à un système de « suramortissement ».                                                                                            Cette annonce fonctionne comme un révélateur : à sa façon, le gouvernement admet que les 42 milliards d’euros ont été dépensés en pure perte et qu’ils n’ont en tout cas pas servi, contrairement à ce qui avait été annoncé, à stimuler l’investissement.
Ce constat de bon sens, il n’y a d’ailleurs pas que les détracteurs du gouvernement ou ses opposants qui le font. Il est tellement irréfutable que même le premier ministre est contraint de l’admettre du bout des lèvres. À l’occasion de son allocution pour présenter ce système de suramortissement, Manuel Valls a lui-même émis le regret que le patronat n’ait pas suffisamment profité du « pacte de responsabilité » pour investir ou embaucher : « Je le dis une nouvelle fois : sur ce terrain, le compte n’y est pas, l'effort est insuffisant dans trop de branches professionnelles (…). Le moment approche où le gouvernement et le Parlement auront à dresser un bilan en vue des prochaines étapes du pacte, avant l’été, et il est indispensable (...) que la dynamique monte en charge réellement d’ici là », a-t-il déclaré.
« Le compte n’y est pas » ! Comment aurait-il pu en être autrement, puisque le gouvernement a délibérément refusé que les aides publiques soient allouées sous conditions suspensives. Dans le nouveau cadeau fiscal de 2,5 milliards d’euros offerts aux entreprises, il y a donc un révélateur de plus : le gouvernement signifie de la sorte aux entreprises qu’elles peuvent tout à fait ne pas jouer le jeu, et qu’il continuera, de son côté, à les arroser de nouveaux cadeaux fiscaux et sociaux. Le message subliminal est simple : n’écoutez pas mes invitations ! Faites ce que bon vous semble ! De toute façon, nous continuerons à vous choyer…
« Un financier, ça n’a jamais de remords.
Même pas de regrets
...
Tout simplement la pétoche. »
Michel Audiard


Le golden parachute du patron de Vivarte

Et c’est ici que réside le trait d’union entre cette embardée dans la politique économique française, et l’embardée dans la vie tumultueuse du groupe Vivarte. Car pendant un temps, les dirigeants socialistes avaient également promis d’encadrer les pratiques les plus sulfureuses des grands groupes, aussi bien dans le public que dans le privé, notamment dans le cas des rémunérations des cadres dirigeants. Mais finalement, on sait ce qu’il est advenu de cette promesse : si dans les entreprises publiques, un plafond de rémunération de 450 000 euros annuels a été instauré, il fait l’objet d’entorses perpétuelles, sans que le gouvernement ne réagisse. Et pour le secteur privé, le gouvernement a abandonné toute velléité d’encadrement pour se satisfaire d’une « autorégulation exigeante » !!! selon la formule grand-guignol utilisée par Pierre Moscovici, du temps où il était ministre des finances.
Or, même cette « autorégulation exigeante » est devenue une pitrerie. À titre d’illustration, on sait ainsi que le « package » du patron de Renault Carlos Ghosn, comprenant sa rémunération et l’octroi d’actions gratuites, sera porté à 7,2 millions d’euros en 2014, contre 2,67 millions d’euros l’année précédente. Et à cette somme devrait venir s’ajouter sa seconde rémunération, celle de Nissan, qui pour l’exercice précédent avait atteint 7,6 millions d’euros. Au total, pour 2014, l’ensemble des rémunérations de Ghosn pourrait donc dépasser la somme hallucinante de 15 millions d’euros. Soulignons que du groupe Renault… l’État est le premier actionnaire !
Sous un gouvernement socialiste, on est donc passé en moins de deux ans de « l’autorégulation exigeante » à… l’insatiable boulimie, y compris dans les entreprises où l’État joue le premier rôle. Pourquoi, là encore, en aurait-il été autrement ? Alors que le gouvernement multiplie les gestes en direction du Medef, tout en donnant sans cesse des coups de plus en plus rudes contre le droit du travail, c’est une sorte de climat de licence ou de totale permissivité qui s’est instauré dans les milieux patronaux et les milieux d’affaires. Sans doute n’ont-ils aucune gratitude à l’égard d’un pouvoir qui se met sans cesse à genoux devant eux, et peut-être même n’ont-ils que mépris à l’égard d’un gouvernement qui se montre beaucoup plus servile et prévenant que ne l’étaient les équipes précédentes, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy.
Mais en tout cas, ces milieux d’affaires ont bien compris que ce gouvernement ne lui refuserait rien – ou n’était pas en mesure de lui refuser quoi que ce soit. Ce qui suscite un étrange climat politico-social.
C’est à la lumière de ce contexte qu’il faut interpréter l’histoire qui vient de survenir au sein du groupe Vivarte (propriétaire des marques La Halle aux vêtements, Chaussures André ou encore Kookaï…). Une histoire qui, en d’autres temps, aurait suscité l’indignation de la puissance publique, mais qui n’a aujourd’hui entraîné que quelques balbutiements embarrassés d’Emmanuel Macron, le ministre des puissances d’argent.
Pas plus tard que mardi dernier, le groupe a connu un séisme social. À l’occasion de comités centraux d’entreprise, la direction a annoncé que le groupe allait supprimer 1 600 postes de travail, sur 17 000 salariés. L’enseigne La Halle aux vêtements, pour ne parler que d’elle, pourrait procéder à la fermeture d’au moins 174 magasins sur 620.
Or, ce jeudi, soit deux jours plus tard, le quotidien Le Parisien a révélé que le PDG du groupe, Marc Lelandais, remercié fin octobre dernier après deux ans à cette fonction, est parti avec un chèque de 3,075 millions d’euros. Le PDG évincé aurait perçu « un bonus pour restructuration d'un montant de 1 million d'euros, auquel s'ajoute une indemnité de sortie de 1 million d'euros, selon les termes prévus dans son contrat d'embauche de juillet 2012, ainsi que 1,075 millions d'euros pour solde de tout compte ».
Dans un communiqué publié ce même jour, Marc Lelandais a contesté les informations du quotidien. Selon lui, « les chiffres (...) sont faux ». L'ex-PDG du groupe Vivarte ajoute : « Le document présenté est erroné et ne correspond pas à mes indemnités de départ. » L’intéressé ne précise pas, toutefois, quel est le véritable montant de ces indemnités

Or, face à ce séisme social et ce tas d’or offert au PDG écarté, comment a réagi le gouvernement ? A-t-il sommé Vivarte d’en revenir à un comportement plus responsable ? Entend-il se donner les moyens de sanctionner d’une manière ou d’une autre les entreprises qui se comportent de la sorte ? Nenni ! Il suffit d’écouter Emmanuel Macron (à partir de 16’04’’), qui était invité ce jeudi matin de RTL, pour comprendre qu’il n'en sera rien.
En résumé, le ministre a certes décerné un mauvais point au groupe Vivarte – que le Medef se rassure : sans trop élever la voix ! –, mais il s’est empressé de faire comprendre que cela n’avait strictement aucune gravité et que le gouvernement n’en tirerait aucune conséquence : « L’État ne va pas s'immiscer, je ne vais pas faire une loi pour le patron de Vivarte. »
Ben voyons ! Faire une première loi pour apporter 42 milliards d’euros aux entreprises ; et puis en faire une autre, pour leur apporter encore 2,5 milliards de plus : tout cela est normal ! Mais prendre des mesures pour protéger les salariés ou d’autres pour contenir la boulimie de certains grands patrons ? Vous n’y pensez pas !
Ainsi le gouvernement socialiste travaille-t-il aujourd’hui avec le Medef. Pis qu’à genoux devant lui, chaque jour un peu plus aplati…
"Qu'ils s'en aillent tous!"
Demain, des millions de gens iront prendre aux cheveux les puissants, excédés de les voir saccager notre pays et condamner la population de la cinquième puissance économique du monde au recul de tous ses acquis sociaux. Ils le feront, révulsés par les mœurs arrogantes des amis de l'argent, non seulement ce Président et son gouvernement, mais aussi toute l'oligarchie : les patrons hors de prix, les sorciers du fric qui transforment tout ce qui est humain en marchandise, les financiers qui vampirisent les entreprises, les barons des médias qui ont effacé des écrans le peuple. Du balai ! Ouste ! De l'air ! Je souhaite une révolution "citoyenne" en France pour reprendre le pouvoir à l'oligarchie, au monarque présidentiel, et à l'argent roi. Qui veut vraiment chambouler la société doit savoir comment et pour quoi faire. Mon croquis est là pour ça. Pour pouvoir débattre. Partager un enthousiasme. Et donner envie.
J. L. Mélenchon

mardi 7 avril 2015

Les effets catastrophiques du traité transatlantique

Les politiques grecs ne reconnaissent d'autre force que celle de la vertu.
Ceux d'aujourd'hui ne vous parlent que de manufactures,              de commerce, de finances, de richesses et de luxe même.
Montesquieu


A Jacques Sapir
Sur son blog, Jacques Sapir explique qu'il convient d'être "critique" vis-à-vis des "prévisions avancées par l’Union européenne" sur les effets du traité transatlantique s’il venait à être signé. "Les exemples lors des négociations de l’OMC ont montré que les modèles utilisés par les institutions internationales, ou par les bureaux d’études qui leurs sont liés, tendent à surestimer dans des proportions importantes les effets “positifs” de ces accords." D’ailleurs, lui en est convaincu : cet accord commercial "va entraîner une forte hausse du chômage dans l’Union européenne".
On sait que l’Union européenne et les États-Unis ont engagé depuis maintenant plusieurs années, des négociations pour le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP) appelé aussi TAFTA. Cet accord, qui a fait couler beaucoup d’encre et suscité de violentes polémiques, est supposé être un accord commercial majeur qui devrait à intégrer de manière profonde leurs économies et créer une « zone » économique et commerciale importante. Cet accord, il convient de le souligner, est négocié dans une absence totale de transparence, qu’il s’agisse du mandat réel de négociation ou des négociations elles-mêmes.
Les défenseurs du TTIP soutiennent l’idée que ce traité stimulera la croissance en Europe et aux États-Unis. De fait, les prévisions qui sont avancées par la Commission européenne, mais aussi par des bureaux d’études (comme le CEPII [1]) annoncent des gains qui sont considérés comme politiquement significatif. En fait, ces gains apparaissent comme négligeables, en termes de PIB et de revenus des particuliers dès que l’on cherche à les estimer avec des instruments fondés sur des méthodologies réalistes. De plus, on peut paradoxalement constater que ces prévisions montrent aussi que tout le bénéfice lié au traité se ferait aux dépens des échanges intra-européens et va entraîner une forte hausse du chômage dans l’Union européenne. Le traité remettrait donc en question le processus d’intégration économique européenne. Le soutien dont il est l’objet par la Commission européenne n’en apparaît que plus étrange alors.
On doit cependant être critique quant aux prévisions avancées par l’Union européenne. Les exemples lors des négociations de l’OMC ont montré que les modèles utilisés par les institutions internationales, ou par les bureaux d’études qui leurs sont liés, tendant à surestimer dans des proportions importantes les effets « positifs » de ces accords.
La plupart des études sur le TTIP (ou TAFTA), sont assorties de calculs divers. Ces derniers sont censés prévoir des bénéfices en termes d’échanges commerciaux et de PIB tant pour l’UE que pour les États-Unis. Certaines des ces études font mêmes état de bénéfices pour les pays non membres du TTIP, suggérant alors qu’aucun acteur de l’économie mondiale ne serait lésé par cet accord. C’est en point important de l’argumentaire en faveur du TTIP. Il convient de montrer, quitte pour cela à tordre les faits, que l’accord serait profitable pour tous. Si c’était le cas, le TTIP serait donc une bonne solution pour garantir une répartition plus efficace des ressources mondiales. Il correspondrait à l’image que l’on se fait d’une solution optimale qui permettrait à certains pays d’améliorer leur niveau de bien-être tandis que tous les autres bénéficieraient au minimum du même niveau de bien-être qu’auparavant. Mais, ces résultats s’appuient en réalité sur plusieurs hypothèses irréalistes et des méthodes qui se sont avérées inadéquates pour évaluer les répercussions des réformes commerciales comme on a eu l’occasion de le dire, dans d’autres traités internationaux les résultats des études préliminaires ont été démentis au fur et à mesure que l’on s’avançait dans la mise en œuvre du traité.
Le modèle Linkage annonçait ainsi un gain total de 832 milliards de dollars, dont 539 uniquement pour les pays en voie de développement (PVD). De tels chiffres justifiaient naturellement les politiques de libéralisation du commerce mondial. Ils renforçaient aussi la crédibilité de l’OMC dans son rôle de « garant » d’une gouvernance internationale de la globalisation. Ces chiffres ont donc servi à justifier l’idée que le libre-échange était un partage d’un « gâteau » mondial et qu’il fallait désormais que, par esprit de justice, laisser une place plus grande à ces pays. Cette argumentation a d’ailleurs été le pendant de « gauche » de l’argumentaire sur la contrainte extérieure et la nécessité de maintenir nos marges de compétitivité qui était celui de la droite depuis le début des années 1970. On a entendu ainsi des dirigeants socialistes français affirmer que le libre-échange était l’internationalisme d’aujourd’hui. !!!
Cette euphorie n’a pas duré. Lors des discussions préparatoires au sommet de l’OMC d’Hong Kong en 2005, on a ressenti le besoin d’utiliser des bases de données plus réalistes.
En fait, si l’on retirait la Chine de ce groupe de pays, le gain devenait quasiment nul (dans le bloc des PVD, la Chine est incluse. Si on la retire, on est en présence de pertes nettes pour les autres PVD). Une telle variation dans les estimations laisse rêveur et ne manque pas d’attirer l’attention sur la nature des modèles utilisés. Il faut ici rappeler que les « gains » de la libéralisation, tels qu’ils sont donnés tant par GTAP que Linkage, ne sont pas des gains annuels mais des gains totaux obtenus une fois pour toutes. Rapportés au PIB sur une période de cinq années (correspondant au délai de mise en œuvre des mesures de libéralisation envisagées). Il est admis que les estimations économiques sont toujours entachées d’une marge d’erreur. Mais celles que l’on constate entre les estimations de 2002 et de 2005 dépassent, de très loin, ce qu’il est d’usage d’accepter en la matière.
Si une activité voit sa production décroître et une autre sa production s’accroître, les « facteurs de production » (soit le capital et les travailleurs) sont réputés pouvoir automatiquement passer de l’une à l’autre. La possibilité de déséquilibres locaux, même transitoires mais pouvant entraîner une hausse du chômage et une montée des coûts sociaux, n’est pas prise en compte.

Il faut donc révoquer radicalement en doute les modèles de type EGC/CGE du fait de l’irréalisme de leurs hypothèses. Des modèles alternatifs existent comme le Modèle des politiques mondiales des Nations Unies. Tout d’abord, ils respectent le principe de la demande effective,  ces modèles intègrent aussi les effets de la répartition et de la distribution des revenus sur le niveau général d’activité.  Ensuite, ils permettent une vision réaliste des mécanismes macroéconomiques tels qu’ils sont à l’œuvre dans les différentes régions du monde. En fait, de manière plus générale, c’est l’absence de prise en compte des coûts de la libéralisation des échanges qui rend les résultats de ces modèles suspects. On peut donc en conclure que le libre-échange n’a nullement favorisé les plus pauvres parmi les PVD. Il n’y a donc nulle « justice » dans le domaine du commerce international.

Aux totalitarismes de XXe siècle ont succédé
La tyrannie d'un capitalisme financier
Qui ne connait plus de bornes, soumet États
Et peuples à ses spéculations,
Et le retour de phénomènes de fermeture
Xénophobe, raciale, ethnique et territoriale.
Le chemin de l'espérance
Edgar Morin


La légitimité de cet accord ne saurait exister tant que cette absence de transparence continuera de se manifester et tant qu’un débat honnête, centré sur des outils réalistes, n’aura pas eu lieu quant aux conséquences de cet accord.