jeudi 6 décembre 2012

Pourquoi la gauche a perdue !

On s’interroge beaucoup sur la méthode Hollande, afin de savoir s’il apparente un peu, beaucoup, ou à la folie, à François Mitterrand, ce Machiavel à la française, prince de l’énigme et du compromis bancal. Mais on est surtout en droit de se demander si, en réalité, François Hollande n’a pas été contaminé par le syndrome Jospin, cette maladie qui rend l’Etat impuissant.  

Un soir de septembre 1999, Lionel Jospin, alors Premier ministre, lança à la télévision sa célèbre phrase, en réaction au plan de licenciements annoncé par le groupe Michelin : « Je ne crois pas qu’il faut tout attendre de l’Etat ou du gouvernement ».  Ce soir-là, tout le monde comprit qu’en réalité, aux yeux de l’austère qui n’a jamais fait marrer personne, il ne fallait rien attendre de l’Etat. La sanction politique de cette démission annoncée vint quelques années plus tard, quand Lionel Jospin fut renvoyé vers les plages de l’île de Ré plus tôt que prévu. 
  
Dans l’affaire Mittal, François Hollande a été victime du même virus. Il est demeuré pétrifié face à un patron voyou, Lakshmi Mittal, au risque de préparer des lendemains électoraux qui déchantent pour la gauche et qui enchantent l’extrême-droite.   
  
Quoi qu’en ait dit Jean-Marc Ayrault, le groupe Mittal ne changera rien à son plan initial. Il entend toujours fermer les hauts-fourneaux de Florange, sans investir le moindre centime, avec les suppressions d’emplois à la clé, en évitant officiellement un plan social. Les sous-traitants locaux seront frappés en chaîne. L’alternative à la (non)solution Mittal n’a jamais été prise en compte. Le duo Hollande/Ayrault a laissé monter Montebourg au front afin d’ouvrir un contre-feux pour masquer les dégâts d’une démission annoncée.  
  
Que Le Figaro se délecte d’une telle issue, quitte à reprocher à Arnaud Montebourg d’avoir eu l’inconscience de s’opposer à pareille destinée, cela peut se comprendre. Que des ministres et des dirigeants socialistes réécrivent l’histoire pour expliquer qu’ils ont limité les dégâts, voilà qui est plus surprenant.  
  
Certains reprochent parfois à François Hollande de ne pas savoir trancher et de se comporter à l’Elysée comme s’il était encore le Premier secrétaire du PS qu’il fut, adepte de la synthèse mi-chèvre mi-chou. Si ce n’était que cela, ce serait déjà gênant. Mais c’est bien plus grave. 
  
En l’occurrence, comme avec le « pacte de compétitivité », le Président de la République a tranché. Il a pris la pire des décisions qui soient en laissant Lakshmi Mittal agir comme bon lui semble. Résultat : l’histoire de Florange ressemble comme deux coulées de fonte à celle de Gandrange, liquidée après que Nicolas Sarkozy eut obtenu, en 2008, les mêmes promesses d’une hypothétique relance. On a les précédents qu’on peut.    
    
François Hollande n’a pas su, ou pas pu, ou pas voulu (peu importe) s’opposer aux forces de la finance qu’il désignait voici peu comme son « ennemi ». Il a adoubé la fameuse « révolution copernicienne » d’un PS converti aux charmes du social-libéralisme. Il a refusé d’examiner l’hypothèse d’une nationalisation (fut-elle temporaire) qui aurait permis de lancer un coup de semonce tout en redonnant sens à l’intérêt général. Il a caressé dans le sens du poil les tenants de l’économiquement correct qui ont fait d’Arnaud Montebourg l’ennemi public numéro 1.  

Qu’on en juge. Laurence Parisot a carrément accusé le ministre du redressement productif de vouloir « utiliser une bombe atomique » contre Arcelor-Mittal, oubliant que l’affairiste d’origine indienne est train de faire exploser le site de Florange. Le Pdg de la Société Générale, Frédéric Oudéa, a repris au bond la même formule pour dire des nationalisations : « C’est l’arme atomique ». A ce compte là, il faut traîner Barack Obama devant le Tribunal Pénal International car le Président des Etats-Unis, lui, ne s’est pas gêné pour y avoir recours en toute quiétude.  
  
L’ineffable Yves de Kerdrel, chroniqueur du Figaro, a décrit Arnaud Montebourg comme un clone de Chavez, autrement dit le diable personnifié. Même Jacques Attali, qui fut naguère conseiller de François Mitterrand (mais c’est une vieille histoire) a profité de sa chronique dans L’Express pour traiter le ministre d’«ignorant », affirmer qu’il a voulu faire triompher une option « contraire aux intérêts de la nation » en confondant la France et la Corée du Nord. Qui dit mieux ?  
  
On a rarement assisté un tel tir de barrage idéologique. En comparaison, la campagne contre les nationalisations, en 1981, relèverait presque de la partie de campagne. La seule différence, c’est qu’en 2012, la gauche n’aura mis que six mois à rentrer dans le rang, prouvant ainsi que sa capacité d’adaptation est intacte.  Il n’est pas sûr qu’il en soit de même pour ses électeurs...
  
Ces « gens-là » n'ont jamais renoncé. 
Utilisant désormais les leviers financiers,
une caste confisque les fruits des efforts de tous, 
collectivisant les pertes et privatisant les bénéfices,
ils ont simplement changé d'échelle.
  Elle est désormais planétaire. Et ils se gavent.
Face à cela, la gauche, qui n'a rien appris en plus de cent ans.
Rien.
Ni sur le fond, ni sur les méthodes, 
encore moins sur la nécessité de la morale dans l'action.
Danielle Mitterrand
 
 
En ces temps de crise systémique et de chamboule-tout idéologique, il est logique de s'inspirer de personnages ayant marqué l'histoire de leur empreinte. On pourrait, par exemple, se réclamer d'un Roosevelt, qui sut affronter les puissances de l'argent pour initier le New Deal, ou du général de Gaulle, qui sut dire non quand l'élite de l'époque sombrait dans le «lâche soulagement»évoqué par Léon Blum après la signature des accords de Munich. 

Il est significatif qu'à ces deux noms
 on préfère désormais un Schröder qui symbolise la prééminence du surmoi néolibéral imprimant l'inconscient social-démocrate. Que les petits télégraphistes de la droite en fassent leur nouveau dieu, cela peut se comprendre. Que certains, à gauche, aillent parfois jusqu'à s'en réclamer, c'est plus étrange, sauf à penser que la tactique suprême consiste à crier victoire après avoir marqué un but contre son camp.