Nicolas Sarkozy
a changé : la défaite l'a rendu pire.
On peut s’attendre à tout, absolument tout,
d’un homme ambitieux et déformé par la vie
politique,
dès l’instant où cet homme se sent le pouvoir
absolu entre les pattes.
Roger Martin du Gard
Je ne peux pas ne pas revenir, c'est une fatalité, a menacé le
"sage" de la rue de Miromesnil (Le Point, JDD).
Qui ne serait pas prêt à le délier de cette ennuyeuse obligation,
de ce sacrifice si éprouvant ? Il ne penserait qu'à la France mais je ne suis
pas sûr que la France ne pense qu'à lui.
Percevant ce que sa forfanterie sur sa réapparition prétendument
programmée par le destin avait de ridicule, au Nigeria il a préféré déclarer :
"Les Français décideront" (L'Express).
Ce n'est pas ma faute s'il contraint tous ceux qui craignent son
retour à s'engager, à s'impliquer, à ressasser puisqu'il ne cesse, et de plus
en plus, en dépit de sa déconfiture de 2012 - et probablement à cause d'elle -
de se croire indispensable parce qu'il serait irremplaçable et que la droite
devrait lui être reconnaissante pour l'avoir fait battre. Il est évident qu'on
ne va plus entendre parler que du futur compétiteur à partir de maintenant et qu'on passera d'un effacement
ostensible à une imitation ridicule du destin d'un Charles de Gaulle écrasant
pour la comparaison. Il faudra bien ne pas se lasser de répéter que beaucoup de
Français désirent seulement complaire à Nicolas Sarkozy en l'invitant à rester
dans le cercle enchanté et lucratif de ses conférences.
Comment ne pas s'étonner de cette volonté assénée de revenir au
faîte présidentiel quand tant de signes éclatants manifestent que, décevant
dans son premier parcours, il serait catastrophique au second ?
Comment ne pas juger dangereuse moralement et politiquement une
personnalité qui, au plus haut niveau de l'Etat, a laissé au fil du temps, sous
sa seule influence, des serviteurs, des collaborateurs, des auxiliaires se
déliter alors qu'auparavant, sur des registres divers, ils n'avaient pas
démérité et au contraire, pour certains, s'étaient illustrés ?
Durant cinq ans, avec un
cynisme imprégné d'une redoutable perspicacité et convaincu qu'on pouvait faire
peser son emprise sur quiconque, il a été le mauvais génie de personnalités
qui, à son contact et parce qu'il leur faisait miroiter ambitions, espérances,
privilèges et impunité, ont perdu leur valeur originelle et se sont retrouvées,
pour quelques-unes, après l'élection de François Hollande, dans des processus
judiciaires ou disciplinaires préoccupants. La liste pourrait comporter, sans
être exhaustive, Philippe Courroye, Georges-Marc Benamou, François Pérol,
Stéphane Richard, Claude Guéant, Brice Hortefeux, Rachida Dati et Christine
Lagarde. J'ai toujours considéré que la singularité de Nicolas Sarkozy avait
été de donner une large autonomie à ses collaborateurs parce qu'ainsi ils
s'abandonnaient davantage aux vertiges du pouvoir et de la sorte étaient mieux
tenus. Il exploitait des fidélités qui auraient appelé une autre éthique.
Le seul qui, dans la sphère étroite liée au chef de l'Etat, a su
échapper au pire, malgré son inconditionnalité, est Henri Guaino parce qu'il y
a des honnêtetés qu'une mère, qu'une grand-mère enseigne et qui sont plus
fortes et plus durables que les sollicitations vulgaires qu'offre une position
dominante.
Alors que les nuées judiciaires s'accumulent sur le couple Balkany
en suite de certaines avanies déjà connues, je ne parviens pas à occulter qu'il
s'agit des meilleurs amis de l'ex-président - chacun ses goûts - mais que
Patrick Balkany a parfois été envoyé en Afrique comme conseiller par Nicolas
Sarkozy. Je n'ose imaginer la rencontre d'un tel homme avec un tel continent.
Quand l'amitié tourne à cette erreur de programmation, ce n'est plus de la
maladresse mais de la provocation démocratique.
Ce voyage avec deux avions en Afrique du Sud,
avec un président Hollande ayant fait preuve d'une élémentaire courtoisie républicaine,
est la conséquence - secret de polichinelle que de feindre de s'interroger sur
le responsable de ce vaudeville aérien racheté par une dignité commune sur
place - de la vanité de Nicolas Sarkozy qui n'aurait pas accepté de se
retrouver invité dans son ancien avion présidentiel et qui se serait senti mal
à l'aise, dans un unique avion, aux côtés d'un homme ayant pris sa place et
qualifié par lui de "nul" en permanence.
Par ailleurs, les citoyens ont pu prendre connaissance de ce que
Nicolas Sarkozy, entendu comme partie civile, avait déclaré le 10 octobre 2013
à la suite de sa plainte pour faux, usage de faux et recel contre Mediapart. Ce
site, qui décortique clairement le 11 décembre, sous les signatures de Karl
Laske et Fabrice Arfi, les erreurs et les approximations de cette audition du
10 octobre, avait publié, au mois d'avril 2012, entre les deux tours de la
présidentielle, un document évoquant un éventuel financement de la précédente
campagne présidentielle de M.Sarkozy, en 2007, par Kadhafi.
Sans entrer dans le détail des explications de Nicolas Sarkozy, il
est intéressant de relever qu'il objecte principalement à cette accusation le
fait qu'il était le maître d'oeuvre de l'intervention internationale en Libye
et qu'un tel financement serait incompatible avec son rôle à l'encontre de
Kadhafi. On peut cependant rappeler les conditions étranges et troubles de
l'exécution de ce dernier et la scandaleuse réception à laquelle il avait eu
droit à Paris, avec un président se voyant traité par "le Guide"
comme un petit garçon. Quoi de mieux, pour venger cette humiliation et faire
oublier les obscures connivences, complicités et transactions, qu'une
expédition au nom des droits de l'Homme contre un dictateur aussi honni qu'il
avait été adulé (Le Monde) ?
"Le Tonton flingueur de la rue de Miromesnil", en plus
de François Hollande "inélégant et médiocre", "se paie"
violemment, vulgairement tous ceux qui ont travaillé avec lui et qui l'ont
servi, le comble, avec une obséquiosité politique durant cinq ans absolument
pas récompensée par la suite. Fillon est qualifié de "traître" et
"d'homme pris de panique", NKM a été semoncée pour avoir approuvé
Manuel Valls sur les Roms, Bruno Le Maire n'est "qu'un énarque qui parle
allemand", Xavier Bertrand "un boudeur ingrat", Laurent Wauquiez
est noté comme "ne travaillant pas et puisqu'il a souffert au
gouvernement, il ne souffrira plus", Jean-François Copé est comparé à
Harlem Désir : "Alors lui, c'est chirurgical, il détruit tout ce que je
fais".
Rien sur Juppé dont il a peur apparemment et il continue à
recevoir Jean-Pierre Raffarin qui est lucide, qui ne sert plus à rien et ne lui
a jamais fait peur.
Nicolas Sarkozy a fait démentir par ses proches les propos qu'on
lui prête mais leur tonalité est si révélatrice de ses humeurs actuelles, de
son tempérament susceptible et de son peu de considération pour son
environnement politique qu'on ne peut douter de leur authenticité. J'ajoute que
le problème de l'ancien président de la République, sur le plan de la justice
comme sur les autres, est que précisément personne ne doute de la plausibilité
de ce qui lui est imputé ou reproché. On ne se récrie pas, au mieux on attend
de voir !
Dans ces acidités, que de petits chantages, de misérables
ingratitudes ! Nicolas Sarkozy n'est pas plus haut que ceux qu'il méprise.
Ce n'est pas la formidable
justesse d'un Mitterrand dans les dernières années de sa vie, sur le monde
politique de gauche ou de droite, avec des appréciations à la fois fines et
caustiques, profondes et décapantes, bien au-delà de tout esprit partisan. Pour
Nicolas Sarkozy, c'est étriqué : la moquerie vengeresse et amère d'un homme que
son comportement depuis sa défaite a dégradé et banalisé. Encore moins homme
d'Etat depuis le mois de mai 2012 qu'avant. L'intolérable est qu'en dehors d'un
noyau obtus à l'UMP - il y en a qui ont la bêtise chevaleresque -, aujourd'hui,
enfin, on se dise : on n'en veut plus, il y en a d'autres!
Sarkozy : notre mauvais génie.
Le mien. Celui de l'UMP. Celui de la droite honorable. Celui de la
reconstruction, de l'invention d'une autre droite. Celui des quatre années à
venir. Celui de la France d'aujourd'hui.
Vous avez vraiment envie de voir revenir cet homme-là ?
Philippe Bilger
Quiconque ne
sait pas se taire est indigne de gouverner.
Fénelon