L’uchronie géopolitique de Nicolas Sarkozy
« A quelques-uns l’arrogance tient lieu de grandeur ;
l’inhumanité de fermeté ;
et la fourberie, d’esprit. »
Jean de La Bruyère
Nicolas Sarkozy n’aime pas assumer son
bilan. Quel que soit le sujet, admettre ses erreurs pour mieux en tirer les
leçons est pour lui inconcevable, comme s’il s’agissait d’un aveu de faiblesse
attentatoire à sa virilité plutôt que d’une preuve de la capacité d’un homme
d’Etat à dépasser sa personne dans l’intérêt général.
Hier dans Le Monde, il est allé encore
plus loin. Sur les dossiers géopolitiques brûlants, de la Lybie à la Russie en passant par la Syrie, il se livre à un
exercice systématique de réécriture de l’Histoire, pour se
déresponsabiliser de ses décisions passées lorsqu’il était Président de la
République et partir à la charge contre François Hollande sur des hypothèses
historiques fictives.
Rétablissons
donc les faits, pour
aider le président du parti « Les Républicains » à mettre fin à son
amnésie politique sans limites ni frontières, comme l’a si bien dit le Premier
Secrétaire du PS Jean-Christophe Cambadélis.
Si Nicolas Sarkozy n’a pas tort quand il
affirme que l’immigration n’a pas commencé avec la chute de Mouammar Kadhafi,
il est étrange qu’il oublie de préciser que l’afflux actuel de migrants du sud
vers le nord résulte directement de la fragmentation de la Libye. Selon le HCR,
110.000 personnes sont parties de Libye vers l’Italie en 2014.
Loin de reconnaître sa responsabilité dans
le désastre Libyen, il préfère s’auto-congratuler et blâmer l’actuel Président.
Pourtant, il est clair que c’est bien
l’incapacité de Nicolas Sarkozy et des gouvernants de l’époque à préparer la
suite de l’intervention militaire en Libye en 2011 qui est la cause du chaos
que François Hollande s’attache depuis 2012 à résorber.
L’intervention militaire de l’OTAN n’a pas
été suivie d’une présence internationale en Libye pour assurer la sécurité et
soutenir la transition démocratique dans un pays sortant de la guerre. Il était
pourtant prévisible que la Libye – après 40 ans de dictature et compte tenu de
l’absence d’institutions solides – se déchire. Si les Libyens ne voulaient pas
de cette présence, il fallait la négocier avec eux ou l’imposer car il en
allait de la sécurité du Maghreb, de la région méditerranéenne et de l’Europe.
Cette
imprévoyance a permis que les factions radicales prennent le dessus et que le pays se déchire sans que la
communauté internationale puisse réagir efficacement. On en voit aujourd’hui le
résultat : montée en puissance des
groupes terroristes, expansion des flux migratoires, division de la Libye,
risque régional.
S’agissait-il d’une grande naïveté de la
part de Nicolas Sarkozy, d’une ignorance coupable des réalités du pays avec ses
spécificités claniques et tribales, ou la conséquence
d’une précipitation à en finir avec un régime qui avait peut-être trop à dire
sur les financements de sa campagne de 2007 ? L’information judiciaire
en cours nous éclairera sur ce point lorsqu’elle arrivera à son terme.
N’en déplaise à l’ancien Président de la
République, ses liens avec le dictateur
libyen et son régime sont indéniables, et les semblants d’explications
donnés dans son entretien au Monde irrecevables. Kadhafi est venu à Paris en
décembre 2007 alors que les infirmières bulgares ont été libérées en juillet
2007. Il est donc faux que cette visite ait servi à leur libération. Il est
nécessaire de rappeler que Nicolas
Sarkozy avait déjà rendu visite à Kadhafi en 2005 (comme ministre de
l’intérieur) puis en juillet 2007
(comme Président de la République), et que Claude Guéant le voyait
régulièrement. Il serait d’ailleurs utile d’en savoir plus sur les conditions
de la libération des infirmières bulgares (Y’a-t-il eu un financement du
Qatar ? des contreparties ?). Il serait enfin intéressant que Nicolas
Sarkozy explique pourquoi des personnalités proches de Kadhafi – notamment
Bachir Saleh, ancien président de la Libyan Investment Authority – ont été
accueillies en France après la chute du régime en 2011.
Lorsque Nicolas Sarkozy a quitté le
pouvoir (en mai 2012 et non comme il l’affirme – fabuleusement ! – en
juillet 2012), la transition politique en Libye se poursuivait dans des
conditions difficiles, les modérés n’étaient pas au pouvoir, un gouvernement
d’union nationale était en place mais ne fonctionnait pas et les milices
islamistes avaient le contrôle du terrain, notamment à Tripoli.
François Hollande a pris la mesure du
problème dès son élection. Il a lancé l’initiative française de soutien aux
forces de sécurité libyennes (formation et équipement), organisé la conférence
de Paris sur l’Etat de droit, la sécurité et la justice en Libye (décembre
2013), décidé le déploiement du dispositif Barkhane au sud de la Libye,
orchestré la coopération renforcée avec les pays voisins – notamment l’Algérie
– et le soutien aux forces de sécurité tunisiennes dans les zones frontalières
de la Libye.
Aujourd’hui, nous travaillons avec nos
partenaires les plus proches à obtenir un accord de réconciliation inter-libyen
pour rétablir un gouvernement unique en Libye et lui apporter les moyens
nécessaires pour lutter contre le terrorisme, rétablir la sécurité et empêcher
le départ des migrants illégaux depuis les côtes libyennes. Nous poursuivrons
nos efforts dans des conditions difficiles dont nous avons hérité en 2012, car
ils sont la seule façon de corriger les erreurs déjà commises par la communauté
internationale et d’aider les Libyens à reconstruire leur pays.
Des négociations sont en cours dans le
cadre de l’ONU. Nous verrons dans les prochaines semaines si elles peuvent
aboutir. Si aucun résultat n’est obtenu, nous pourrons envisager d’autres
initiatives pour traiter nos priorités : lutter contre le terrorisme,
empêcher l’immigration illégale, assurer la sécurité régionale.
Nicolas
Sarkozy réécrit aussi l’Histoire de ses relations avec le régime Syrien. Comme pour la Libye, ses positions
velléitaires s’expliquent par sa situation paradoxale : ami puis ennemi,
de Bachar al-Assad comme de Mouammar Kadhafi. Faut-il rappeler que le dictateur Syrien était l’invité
d’honneur au défilé du 14 juillet 2008 ?
A
l’inverse Hollande n’a jamais eu aucune faiblesse pour lui, François et a toujours été clair :
Bachar al-Assad est le principal responsable de la guerre dans son pays, il
fait objectivement le jeu des jihadistes, il doit partir pour qu’une solution
durable soit trouvée à la crise. Le Président a pris des décisions courageuses
en ce sens (décision de frapper la Syrie en septembre 2013, soutien
militaire à l’opposition).
François
Hollande prend toutes les initiatives pour qu’une transition politique soit
enfin engagée en Syrie. Il y travaille avec tous nos partenaires dans la
région. Il s’en entretient aussi régulièrement avec le président Poutine et a
rencontré deux fois le président iranien auquel il en a parlé.
Il ne faut pas se faire d’illusion :
la crise syrienne peut encore durer longtemps et il faudra rester mobilisé
après la chute de Bachar al-Assad afin d’éviter que le pays ne soit livré aux
extrémistes et devienne un nouveau sanctuaire terroriste.
Nous sommes conscients de la nécessité
d’inclure la Russie dans les discussions pour trouver une solution politique
durable en Syrie sur la base de la chute du régime de Bachar al-Assad. Nicolas Sarkozy attise les tensions à tort
et avec inconséquence en parlant de guerre froide entre l’Europe et la Russie,
alors que François Hollande n’a cessé de maintenir le dialogue dans la fermeté
avec Vladimir Poutine.
Là encore il se jette des fleurs en
prenant des libertés avec l’Histoire. En
2008 en Géorgie, Nicolas Sarkozy n’a rien réglé mais au mieux réalisé le but de
Poutine, celui de geler le conflit avec la Russie présente sur le
territoire souverain géorgien. C’est d’ailleurs peut-être pour cela qu’il ne
semble pas savoir quelle attitude adopter face à la Russie : il passe
l’annexion de la Crimée par pertes et profits, se contentant d’
« affirmer un désaccord » au sujet du comportement de Vladimir
Poutine en Ukraine tout en arguant qu’il aurait fallu « arrêter M. Poutine
dès le départ pour éviter la crise de Donetsk ». On peut donc se demander
ce que Nicolas Sarkozy aurait vraiment négocié avec Vladimir Poutine pour
traiter et la crise ukrainienne, et la crise syrienne.
Cette crise syrienne doit impérativement
être résolue dans le cadre de la lutte contre Daech. Le leadership de François Hollande, quoiqu’en dise son prédécesseur,
est apprécié de tous nos partenaires au Moyen-Orient. C’est notamment ce qui
lui a valu d’être l’invité d’honneur du sommet exceptionnel des pays arabes du
Golfe à Riyad en mai 2015.
La coalition contre Daech a un objectif
clair : détruire cette organisation terroriste. La France a été parmi les
premiers pays à réagir l’été dernier en Irak : aide militaire aux Kurdes
en août, engagement de nos forces le 4 septembre, conférence internationale sur
l’Irak à Paris le 15 septembre. Nous poursuivons notre action mais chacun
comprend que l’usage de la force n’est pas suffisant. C’est pourquoi nous
encourageons les autorités de Bagdad à rassembler leur peuple et à donner à
toutes les communautés irakiennes la sécurité et la représentation qu’elles méritent :
Kurdes, sunnites, chiites et minorités vulnérables – notamment les chrétiens et
les Yezidis. Nous ne vaincrons durablement Daech, en Irak comme en Syrie,
qu’avec le soutien des populations locales. Nos soldats ne peuvent pas le faire
à leur place.
Encore une fois, les leçons que Nicolas
Sarkozy prétend donner à François Hollande sont à côté de la plaque.