mercredi 1 juillet 2015

Grèce



Grèce : la presse française a
Des trous de mémoire
30 JUIN 2015 |  PAR HUBERT HUERTAS


On retrouve en 2015 le clivage passionnel engendré par le référendum de 2005 sur le traité européen. D’un côté les experts, ceux qui sont sûrs de leur savoir, et de l’autre les « menteurs », les « imbéciles », ou les « irresponsables », qui soutiennent Alexis Tsipras et son appel au peuple. Pourtant, à lire la presse de cette semaine particulière, les procureurs ont des problèmes de mémoire.

Sur France Inter, ce mardi matin, Bruno Le Maire était catégorique : « Alexis Tsipras a menti au peuple grec. » Il faut dire que la tonalité de la presse pouvait lui donner des ailes.
Dans Le Monde, le référendum était qualifié de « défausse », de « faiblesse » et de« chantage » : « La seule voie est que M. Tsipras donne enfin aux créanciers européens les gages d’une volonté réelle d’engager la modernisation de l’État. » Dans Les Échos, on pouvait lire que « si les Grecs répondent non, ce sera comme un refus à l’offre de la zone euro ». Dans L’Opinion, Nicolas Beytout, ulcéré, souhaite que « les Grecs votent "non" et qu’ils donnent le moyen aux Européens de se débarrasser de ce fardeau impossible ». Pour L’Alsace, le premier ministre grec « a confondu une demande d’aide avec une extorsion de fonds ». Dans Le Figaro, « l’appel au peuple » est analysé comme« un leurre, un mouvement d’esquive qui cache le vide sidéral de son projet politique ».
Bigre ! Diantre ! Fichtre ! Tous les jurons chantés par Brassens pourraient y passer. Alexis Tsipras serait un menteur, un crétin, un lâche, un voleur…
La menace ou l’insulte sont mobilisées. Qui perd en position de négociation peut gagner en crédit de courage. Et vice versa. « Tsipras le tricheur », affirmait Der Spiegel après l’annonce du référendum grec. « La Grèce rackette l'Europe », tonnait Bild. Le correspondant de Libération à Bruxelles annonçait « la démission du président grec et l’annulation du référendum » ! Le Monde légitimait à l’avance un coup d’État contre le gouvernement Syriza. « Lui ou un autre », peu importe ! « Si Tsipras veut jouer au poker. Pourquoi pas nous ? » Mais qui « nous » ? Nous, les patriotes de la finance ? Nous, les légionnaires de l’ordolibéralisme ? Nous, les héritiers de l’oligarchie européenne ? La vérité sort de la bouche des enfants !                                                                                                                                           En annonçant dans la nuit du vendredi 26 au samedi 27 juin la tenue d’un référendum, Tsipras a fait voler en éclats le cadre juridique et comptable dans lequel voulaient l’enfermer les dirigeants de la zone euro. En soumettant aux citoyens grecs les mesures souhaitées par ses créanciers (Commission européenne, BCE, FMI), il a réintroduit le peuple souverain dans la négociation. Et mis au jour la guerre qui jusque-là se déroulait derrière le paravent des négociations.  
                                                  
Avant, quand l'oligarchie européenne n'aimait pas le résultat d'une consultation électorale, elle faisait revoter le peuple. Ou bien, pour le contourner, se tourner vers les élus plus dociles et conciliants ( en France en 2008, on convoqua en congrès le Parlement français pour que les représentants du peuple approuvent (traité de Lisbonne) ce que le même peuple avait nettement refusé en 2005, lors du vote sur le traité constitutionnel européen….) Désormais, quand est prononcé le mot "référendum", c'est tout un pays qui est exclu ...!                                                                                                                                                                         On a assez répété après Rudyard Kipling que « la première victime d’une guerre, c’est la vérité », et la guerre financière ne fait pas exception. Mais la vérité n’est pas seulement une victime collatérale, elle est aussi l’ennemi déclaré. Le monde virtuel de la finance a besoin de créer sa propre réalité. Comment spéculer sans les médias, sans la caisse de résonance des réseaux sociaux, sans le concours des petites mains qui rédigent les éditoriaux ?                                                                                                                                              C’est la première guerre spéculative, financière et numérique qui utilise les nouvelles technologies de l’information et de la communication pour discréditer, intoxiquer, créer des épidémies de panique, déstabiliser un pouvoir souverain. Il ne s’agit pas de négocier comme dans la diplomatie traditionnelle mais de spéculer sur la chute d’un gouvernement.          CHRISTIAN SALMON
Aux totalitarismes de XXe siècle ont succédé
la tyrannie d'un capitalisme financier
qui ne connait plus de bornes, soumet États
 et peuples à ses spéculations,
et le retour de phénomènes de fermeture xénophobe,
raciale, ethnique et territoriale.
Le chemin de l'espérance
Edgar Morin

Ce qui frappe, si l’on s’en tient à cette rafale d’après l’annonce du référendum, c’est sa vigueur définitive. La certitude absolue dans la distribution des rôles. D’un côté les instances européennes, jointes aux fameux « créanciers », qui laisseraient la porte ouverte et seraient chagrins que leurs offres généreuses soient méprisées, et de l’autre un aventurier, quasiment un braqueur, qui claque la porte au nez de ses interlocuteurs.
Et ce qui frappe encore plus, c’est de consulter la presse de la semaine dernière. Sept jours ce n’est pas long, mais c’est assez pour changer du tout au tout.
Ainsi, lundi 23 juin, sous la plume de Jean Quatremer, Tsipras était un homme sérieux. Humilié, politiquement ridicule sur les bords, mais finalement raisonnable : « Athènes a rempli 90 % des demandes », titrait Libération, en notant que la Grèce « a dû se résoudre à proposer de tailler dans ses dépenses et d’augmenter ses impôts ». « L’accord devrait être conclu », annonçait le journal, en soulignant que les dix-neuf chefs d’État parlaient de « bonne base ». Les Échos confirmaient l’analyse : « Tsipras s’est résigné à faire des propositions plus réalistes portant sur huit milliards d’économie en deux ans. »
Donc Athènes n’était pas dans la surenchère...
Le jeudi 26, changement de ton. Soudain, le ministre finlandais Alexander Stubb ne voyait plus rien à l’horizon : « Nous n’avons pas vu de propositions concrètes. » Bigre… En trois jours Tsipras venait de passer de 90 % de chemin accompli à 0 % d’effort. Que s’était-il passé ? On achoppait d’une part sur la question de la dette, mais, comme le pointaient Les Échos en sous-titre et en gros caractère, dans un article du jeudi 25 juin intitulé « La tension jusqu’au bout » : « Les nouvelles demandes du FMI ont compliqué l’obtention d’un accord. »
Il s’avérait le vendredi qu’en dépit de cinq mois de négociations et de multiples concessions de la part de la Grèce de Syriza, concessions enregistrées et reconnues par les instances européennes, le débat n’avançait pas et s’enferrait dans une dimension non plus économique mais purement politique. Il s’agissait de « corneriser » le mauvais exemple grec, en faisant manger son chapeau au premier ministre élu en janvier.
La réponse de Tsipras, plus habile que ne l’imaginaient sans doute ses « partenaires » européens, a été encore plus politique. Son référendum a rebattu les cartes. Il était assiégé, c’était à prendre ou à laisser, il devait rendre les armes et signer un accord comme un bourgeois de Calais, la corde au cou, et voilà qu’il a demandé à son peuple s’il voulait avaler la couleuvre.
Sur quoi sa relance débouchera-t-elle ? Nul ne le sait, mais cette manière de renverser la table pour tenter d’y siéger à nouveau ramène la politique au cœur d’une Europe qui se prétendait technique. Il y a du Jules César dans cette façon de franchir le Rubicon (Alea jacta est) ou du De Gaulle, si minuscule face aux puissances en 1940.



Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible rendront
 une révolution violente inévitable.

John Fitzgerald Kennedy




Le recours au référendum voulu par Alexis Tsipras (et approuvé par le
Parlement grec) est une grande leçon de démocratie, dont l'essence même est le respect de la souveraineté du Peuple et des engagements pris auprès des citoyens qui ont choisi librement leur gouvernement.
Cette leçon de la part du pays qui a inventé la démocratie met du baume au cœur de tous les démocrates sincères, mais elle est insupportable pour la plupart des dirigeants de l'Union Européenne, adeptes de l'idéologie libérale, auxquels le seul mot de référendum fait horreur.
Rappelez- vous le non au référendum français de 2005 sur le traité constitutionnel européen enterré par Sarkozy.                                
Rappelez-vous aussi la promesse non tenue de notre actuel président Hollande de renégocier le Traité budgétaire européen (avec sa fumeuse règle des 3% maximum de déficit).
Mais souvenez-vous aussi du premier référendum voulu déjà par le Premier ministre grec Papandréou en 2011 et annulé sous la pression bruxelloise.
Souvenez-vous du mépris infligé au peuple irlandais, contraint de revoter après le non au référendum de 2008; et aussi des pressions de l'Europe sur l'Italie ou le Portugal pour imposer un gouvernement qui leur convienne.
Cette méfiance vis à vis de la démocratie des dirigeants de l'Union Européenne est bien-sûr relayée par les pseudos experts en économie, ressassant toujours les mêmes arguments sur les radios, les chaînes de télévision et les journaux, Les chantres de la mondialisation néolibérale sont invités à tous les débats, alors qu'on n'y entend que très rarement les antilibéraux ou simplement des journalistes et intellectuels de bon sens, pensant que l'organisation de l'Union Européenne est à revoir complètement et particulièrement es question de la dette publique, du fonctionnement de l'euro et de la BCE.
Car si le référendum grec est une leçon de démocratie, il est aussi l'occasion d'un bénéfique coup de pied dans la
Fourmilière et le guêpier européen ou, pour reprendre le mythe grec d'Héraclès, un grand nettoyage des écuries
D’Augias.
C'est encore aujourd'hui de Grèce que nous vient la lumière, comme ce fut déjà le cas il y a 2500 ans.

La Grèce, berceau de la démocratie

C'est en Grèce, entre le septième et le cinquième siècle avant J-C, que se sont mises en place les bases du régime politique qui reste encore de nos jours un modèle de référence : la démocratie. Étrange destin que celui de ce petit pays montagneux, aride et morcelé en multiple cités (polis), mais ouvert sur la mer et dans une position géographique idéale sur les voies maritimes menant au Moyen-Orient dont il subit les influences (alphabet phénicien, pièces de monnaie lydiennes, etc.) L'expansion commerciale du huitième siècle avant J-C va bouleverser profondément la société rurale traditionnelle des cités, en favorisant la création d'une classe urbaine d'artisans et de commerçants, désireuse de participer aux décisions entièrement aux mains des grandes familles, les Eupatrides. A ces revendications de la classe urbaine, vont bientôt se joindre celles des petits fermiers travaillant pour les riches propriétaires, appauvris et endettés, voire réduits en esclavage, du fait de leur incapacité à payer leur fermage. La révolte du peuple (démos) contre l'aristocratie gronde un peu partout dans les cités grecques, mais sans aboutir à des guerres civiles, car l'esprit de solidarité des Grecs contre leurs ennemis communs (les "barbares", les Perses) est plus fort que tout. Et c'est toujours pacifiquement et progressivement que les différentes cités vont régler leurs problèmes sociaux et politiques. Certaines, comme Corinthe, (et Athènes de 561 à 510) donnèrent le pouvoir à un chef populaire (tyran) mais gouvernant pour maintenir un ordre juste (eunomia), d'autres, telle la cité de Sparte, optèrent pour un régime militaire, mais fondée sur l'égalité des citoyens garantie par une constitution, mais la plupart suivirent l'exemple d'Athènes qui opta pour la souveraineté du peuple tout entier (mais excluant les femmes, les étrangers non-citoyens et les esclaves) aboutissant à
Solon, protecteur des pauvres, élu archonte en 594 avant J.C, en pleine crise sociale causée par l'endettement croissant des paysans menacés d'être mis en esclavage, Solon, bien qu'aristocrate lui-même, proposa l' abolition des dettes des petits paysans et l' interdiction de la contrainte par corps. Il leur facilita également l'accès à la propriété. Il mit également en œuvre des réformes politiques et juridiques qui donnaient au peuple une plus grande participation au pouvoir.
la démocratie directe et totale qui contribua au rayonnement et à la puissance athénienne au cinquième siècle ou "siècle de Périclès".




La campagne houleuse contre le référendum en Grèce dans laquelle se sont engouffrés les dirigeants européens (autant que les éditorialistes) n’est pas complètement stérile. Derrière les postures, l’acharnement et la mauvaise foi publique, on aura au moins appris que nos chères élites sont capables d’émotions. Si, si. On raconte par exemple qu’Angela Merkel serait furieuse. « Je me sens trahi », a même déclaré ce lundi Jean-Claude Juncker dans un long plaidoyer à Bruxelles, « affligé » par le retrait de Tsipras des négociations. Aussi inspiré qu'un bénévole répondant au standard de SOS Amitié, voilà qu'il ajoute à l'attention du peuple grec : « Il ne faut pas se suicider parce qu'on a peur de la mort. »
Ils sont touchants, nos dirigeants. Ils ont un cœur qui bat derrière leur cravate. Mais surtout, eux, ils sont « res-pon-sa-bles ». Comprendre : comparés aux gouvernants grecs. Ils nous le répètent en boucle, en mode « bourrage de crâne », depuis ce week-end. Et ils attendent des citoyens hellènes qu'ils le soient (responsables) à leur tour. Même au-delà de l'entendement. Juncker les appelle ainsi à... « Voter oui, quelle que soit la question posée » lors du futur référendum !
Nicolas Sarkozy, lors d’un voyage à Madrid, ce lundi, a entonné le même refrain : « Quel cynisme, quelle démagogie, quelle irresponsabilité. » Et au cas où l'on n'aurait pas saisi le message, l’ancien président a renchéri : « Par l'irresponsabilité de son Premier ministre, la Grèce s'est suspendue elle-même de la zone euro. » On pensait pourtant que cela avait été formalisé, du moins symboliquement, quand l'Eurogroupe s'est réuni en l'absence de Varoufakis, le ministre grec des Finances...
Dans la même lignée, Bruno Le Maire, qui se verrait bien en « troisième homme » de la primaire de l’ex-UMP,  a tenu à montrer qu’il ne fait pas que jouer au rebelle en venant aux congrès de l’ex-UMP sans veste. C’est aussi un homme remonté. Le voilà mardi derrière les micros de France Inter : « Quand je vois augmenter les taux d’intérêt des Espagnols et des Italiens à cause de M. Tsipras, ça me révolte. » « Alexis Tsipras a menti de bout en bout au peuple grec », a même pesté l'énarque. Et mentir — ce qui reste largement à prouver —, ça ne viendrait sûrement pas à l'idée de nos « res-pon-sables » politiques...






Le Parlement grec, malgré la défection d'une trentaine de députés de Syriza, a validé l'accord conclu avec les pays de l'Eurogroupe. "Pourquoi les Grecs peuvent accepter un tel plan, humiliant, inhumain ?", s'interroge Laurent Herblay sur le blog "Gaulliste libre". Bien sûr, explique-t-il, en ne mettant pas la sortie de l'euro sur la table, "le nouveau gouvernement jouait forcément perdant dans cette négociation". Mais Herblay avance une autre explication, plus psychologisante, qui ne manquera pas de faire réagir : "Quitte à être un peu caricatural, la Grèce est aujourd’hui un peu comme un enfant qui a été chéri et bien élevé par ses parents pendant une trentaine d’années et qui ne parvient pas à voir et à se rebeller contre ces parents devenus, depuis cinq ans, des tortionnaires autocratiques."   
 Après tout, le plan auquel sont arrivés les dirigeants de la zone euro semble totalement aberrant. Il reprend très largement la logique des plans honnis, destructeurs et inefficaces du passé. Et outre le FMI, bien des économistes en dénoncent la logique. La raison pour laquelle Alexis Tsipras l’a accepté est simple : le refus de sortir de l’euro, alors que cela ne semblait pas poser de problème au camp adverse. Dès lors, le nouveau gouvernement jouait forcément perdant dans cette négociation. D’où l’aberration d’accepter un plan dont il sait pertinemment qu’il n’est pas tenable, tout cela parce qu’il craignait plus encore de sortir de l’euro, ce qui semble effarant tellement le pays a souffert depuis cinq ans et alors que tous les économistes qui ont étudié les fins d’union monétaire montrent que cela n’est pas compliqué.
Laurent Herblay "Gaulliste libre"

Deux choses. Sur la méthode d’abord, qui a été utilisée lors de ces négociations. Elle a été scandaleuse. Alexis Tsipras a dû discuter, pour reprendre les paroles du poète Yanis Ritsos : « Le couteau contre l’os et la corde au cou ». Il a été obligé d’accepter avec l’impossibilité pour lui de pouvoir résister face à un tel rouleau compresseur. Soit il signait l’accord, soit la Grèce était littéralement asphyxiée. Sur le fond maintenant, j’ai été horrifié en découvrant la nature de cet accord, d’une violence inimaginable : mettre la Grèce sous tutelle, exiger de son gouvernement élu démocratiquement de revenir sur des décisions déjà engagées, imposer que 30 % de son PIB soit soumis à des directives extérieures et contraindre à des privatisations massives. Je note que les vautours sont déjà ravis, comme Vinci qui s’est déclaré prêt à acquérir des aéroports grecs. C’est une situation inacceptable pour la Grèce. J’ai l’impression que l’Eurogroupe a voulu faire payer à Alexis Tsipras d’avoir organisé un référendum. En clair, d’oser s’adonner à un exercice démocratique dans son pays.
André Chassaigne, chef de fil des députés communistes



SAUVER LA GRÈCE, C'EST SAUVER L'EUROPE
Qu’on y prenne garde : au-delà du cas grec, de la responsabilité des dirigeants de ce pays et de la nécessité d’y mettre en place des solutions structurelles, c’est l’idéal européen même qui est aujourd’hui en question.
Si les opinions retiennent de cette crise que l’expression démocratique d’un peuple ne compte pour rien et que des institutions aveugles sont seules habilitées à imposer, par-dessus la tête du citoyen, des solutions quasiment non négociables même si elles ont échoué dans le passé, l’image de l’Europe n’y survivra pas. Et il faudra ramasser deux cadavres : celui de la Grèce et celui de l’idée européenne…

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