Le candidat LR se fait passer pour la victime d’une
machination et se fait le héros du peuple contre le microcosme, alors qu’il en
est l’incarnation. Ce faisant, il abîme la démocratie.
Ghislaine Ottenheimer
"La
politique est l'art de se servir des hommes en leur faisant croire qu'on les
sert."
Voltaire
Des autorités judiciaires accusées de
bafouer l'Etat de droit et de voler l'élection aux Français. Des journalistes
hués. Mais jusqu'où est prêt à aller François Fillon pour se sauver ?
Il en appelle au peuple contre le système.
Les élus ? Rien à faire, le peuple est là. Le parti ? Idem… Lui, le
pourfendeur de la France d'en haut ? Ne pas être énarque n'est pas un brevet
d'anti-système…
Quelle posture indigne pour un homme qui
fait de la politique depuis 36 ans, qui a été conseiller général, maire,
président de conseil général, président de région, député, sénateur,
ministre...
Qui est élu de l'arrondissement le plus
huppé de France, le 7ème arrondissement de
Paris, après avoir abandonné sa circonscription historique dans la Sarthe
considérant qu'elle était perdue, exfiltrant au Parlement européen son
suppléant, qui avait eu la générosité d'embaucher Penelope Fillon…
Qui pratique un des sports les plus
coûteux : la course automobile.
Qui a, durant des années, passé des vacances dans les palais de Moubarak, chez Luca di Montezemolo, le richissime PDG de Ferrari ou dans le chalet de Courchevel de son ami et protecteur, le milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière.
Qui a, durant des années, passé des vacances dans les palais de Moubarak, chez Luca di Montezemolo, le richissime PDG de Ferrari ou dans le chalet de Courchevel de son ami et protecteur, le milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière.
Qui ne jure que par Arnys (6.000 euros le
costume).
François Fillon porte à son
poignet une montre qui se vend en Suisse 19.900 Francs suisses (taxes exclues), 16.056 euros si l'on se fie au cours du change euro/franc suisse. La "Rebellion Predator" serait un hommage aux courses automobiles qui se pratiquent 24 heures par an sur le circuit du Mans.
À ce jour, on retiendra deux enseignements
relatifs à cette affaire de montre Rebellion Predator révélatrice des
intentions de François Fillon. Fillon est trahi par son habitus. Un tel objet de luxe, conçu pour les seuls
super-riches, superfétatoire, accessoire et inutile, peut aujourd'hui choquer
beaucoup de Français. Il y a des comportements que les Français ne supportent plus s'agissant de personnalités publiques apparaissant à leurs yeux comme déjà trop privilégiés.
En 1960, de Gaulle à l’Élysée payait de sa
poche les réceptions familiales qu'il organisait dans le palais de la
République. En 2013, l'ancien Premier ministre exhibe, tout fier, une montre
hors de prix pour les besoins d'un bon mot. Et avant lui, on sait que Nicolas
Sarkozy aimait exhiber des montres de même nature.
Les différentes incarnations de la droite entretiennent
aujourd'hui un rapport décomplexé avec l'argent et le luxe, problématique pour
elle en ce qu'il est déconnecté de la réalité française, non seulement
politique, mais aussi économique, sociale, culturelle et morale.
Combien de Français peuvent se payer de nos jours une montre
à 16.000 euros ?
Combien de Français jugeront-ils "normal" qu'un
responsable politique prétendant à l’Élysée puisse s'offrir un tel luxe ?
Combien de Français se demanderont-ils : "Mais comment
fait-il ?"
Peut-on prétendre à l’Élysée en promettant
aux Français de la sueur et des larmes, de la souffrance et de la désespérance,
tout en affichant, en toute inconscience, le train de vie ostentatoire d'un
vulgaire oligarque russe ?
Qui a comme proches conseillers et amis
d'éminents inspecteurs des Finances reconvertis dans la finance, qu'il s'agisse
de l'ex-président d'Axa, Henri de Castries ou d'Antoine Gosset-Grainville,
fondateur d'un des cabinets d'affaires les plus influents de Paris.
Qui a reçu des émoluments de dizaine de
milliers d'euros pour ses conseils avisés. Rien de cela n'est ni interdit, ni
honteux, mais alors que François Fillon arrête de fustiger le système et
de jouer au héros de la France profonde martyrisée par le microcosme.
Tout cela n’est que fumée
Il est insupportable d'entendre dans les rangs de ses
militants, des exaltés qui véhiculent les pires rumeurs colportées jusqu'alors
par le FN. Ces jusqu'au-boutistes nous accusent nous les médias (qualifiés de
"merdias") de ne pas dénoncer les 3 millions volés par Emmanuel
Macron ! Volés ? Il a gagné cela en brut dans une banque, c'est
beaucoup, mais légal. Légal. Ce mot veut encore dire quelque chose. Et si
François Fillon voulait gagner de l'argent, rien ne l'empêchait d'aller dans le
privé ! Et quand on dit cela, quand on dit qu'Emmanuel Macron n'a pas volé
d'argent, on se fait insulter par mail, ou dans les réseaux sociaux, on se fait
traiter de salope vendue à Macron ! François Fillon cautionne-t-il
ces comportements de caniveaux ? Comme ce dirigeant d'un micro-parti
d'extrême droite qui appelle à manifester au Trocadéro contre " l'oligarchie
cosmopolite " ! Même dans l'entourage de François Fillon
on reconnait " oui, il y a des relents malsains ".
Non, François Fillon
n'est pas la victime d'un acharnement judiciaire. Il n'est pas rare que les
puissants, quand ils sont confrontés pour la première fois à la Justice,
découvrent qu'il n'y a pas d'échappatoire, que celle-ci suit son cours,
quoiqu'il arrive et leur première réaction est de dénoncer une machination
politico-judiciaire. La justice serait trop rapide ? Mais c'est ce que
voulait François Fillon, il l'avait même réclamé et de toute façon, le Parquet
national financier (PNF), créé dans la foulée de l'affaire Cahuzac, a fait de
la célérité l'une de ses marques de fabrique, la justice financière étant
régulièrement épinglée pour son manque de réactivité et ses délais d'enquête. Le candidat LR se plaint que la Chambre d'instruction de la cour d'appel n'ait
pas accepté de statuer immédiatement sur les "irrégularités de la
procédure". Un reproche quelque peu étonnant. Durant l'enquête préliminaire, les avocats ne pouvaient pas déposer de
recours. C'est la loi commune, celle du code de procédure pénale, qui
s'applique à tous. C'est notamment pour cette raison que François Fillon
réclamait l'ouverture d'une information judiciaire. Dès lors, ses avocats
ont le droit de contester tous les actes de l'instruction devant la Cour
d'appel de Paris. Tout le reste n'est que fumée.
Un noyau dur hystérique ne fait pas une élection
Alors, les conséquences juridiques des infractions qui
lui sont reprochées sont disproportionnées ? Alors, voir échapper une
élection présidentielle qui devait couronner sa carrière, perdue pour avoir
simplement tordu les règles de rémunération des assistants parlementaires,
c'est trop cher payé ? On a vu, dans d'autres démocraties des carrières
défaites pour beaucoup moins, une carte bancaire utilisée à mauvais escient,
une photo sur un yacht avec des mannequins...
"Le fait d'employer son mari, sa femme ou ses enfants comme
assistant parlementaire constitue le délit de prise illégale d'intérêt.
Cela aurait dû être proscrit depuis longtemps sur le plan moral. On élit un
parlementaire et non sa famille. Nous ne sommes plus au temps des rois et de
leurs dauphins."
Eric de Montgolfier
Les faits reprochés à François Fillon ne sont pas
anodins, comme il le laisse entendre. Embaucher des membres de sa famille
serait chose courante, dit-il. Un tiers des députés auraient recours à cette
pratique. D'abord ce n'est pas un tiers, mais 20%. Et pour la plupart, il
s'agit d'un travail effectif, ce n'est pas la même chose. Or le moins
qu'on puisse dire c'est que le candidat LR n'a pas réussi à convaincre que son
épouse effectuait un travail réel, auprès de lui, ou de son suppléant Marc
Joulaud, ou au sein de la Revue des deux mondes…
Et ne parlons pas du niveau des salaires accordés à
ses enfants ou à son épouse, hors de proportion. D'ailleurs dans son entourage,
on reconnait que c'est indéfendable. Oui, la sanction est lourde. Mais il s'agit de la campagne
présidentielle, du débat démocratique, de la France, de l'Europe… Et François
Fillon n'a cessé de prôner la probité.
Un dernier carré de fidèles à François Fillon est persuadé de pouvoir
emporter la présidentielle en hystérisant une partie de l'électorat, en se
" trumpisant ". Même si 10.000 personnes, 30.000 personnes
radicalisées et ameutées par la Manif pour tous se rendent au Trocadero,
cela ne fera pas l'élection. Un noyau dur hystérique ne fait pas une
élection. Et ceux qui soutiennent mordicus François Fillon, quitte à
admettre un discours populiste dangereux, vont devoir réfléchir au sondage que
publie Odoxa. François Fillon est donné largement battu. Il serait disqualifié
au premier tour. En revanche, si François Fillon décidait finalement de
renoncer, les Français comme les sympathisants de droite souhaiteraient que ce
soit Alain Juppé qui le remplace (52% contre 19% pour François Baroin). Et le
maire de Bordeaux arriverait en tête au premier tour ! Avec 26,5%
d'intentions de vote, soit 7,5 points de plus que François Fillon. Il
devancerait Macron d'1,5 point (25%) et Le Pen de 2,5 points (24%).
Alors qui vole l'élection à qui ? Et au-delà, qui
détruit le débat démocratique, l'image de la France?
« Le
pays était alors divisé en deux parts ou plutôt en deux zones inégales : dans
celle d'en haut, qui seule devait contenir toute la vie politique de la nation,
il ne régnait que langueur, impuissance, immobilité, ennui ; dans celle d'en
bas, la vie politique commença au contraire à se manifester par des symptômes
fébriles et irréguliers que l'observateur attentif pouvait aisément sentir.
J'étais
un de ces observateurs, et bien que je fusse loin d'imaginer que la catastrophe
fût si proche et dût être si terrible, je sentais l'inquiétude naître et
grandir insensiblement dans mon esprit, et s'y enraciner de plus en plus l'idée
que nous marchions vers une révolution nouvelle.
Alexis de Tocqueville