mardi 1 janvier 2013

L'homme qui rit





Depardieu, Luchini et l'Ouzbékistan :
il y a plus contestable que l'exil de l'acteur

Par Pierre Guerlain

professeur de
Civilisation américaine
à l'université Paris-ouest Nanterre.

Refuser le diktat du profit et de l'argent,
s'indigner contre la coexistence d'une extrême pauvreté et d'une richesse arrogante,
refuser les féodalités économiques, réaffirmer le besoin
d'une presse vraiment indépendante,
assurer la sécurité sociale sous toutes ses formes...
nombre de ces valeurs et acquis que nous défendions hier sont aujourd'hui
 en difficulté ou même en danger.
C'est tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance
 qui est aujourd'hui remis en cause.
Mais si, aujourd’hui comme alors,
une minorité active se dresse, cela suffira,
nous aurons le levain pour que la pâte lève.


Gérard Depardieu a récemment choisi de quitter la France pour s'installer en Belgique. Un départ qui a suscité de nombreuses réactions à son encontre de la part d'acteurs et de politiques. Ce n'est pourtant pas ce qui importe le plus dans la position de l'acteur français. professeur de civilisation américaine à l'université Paris-ouest Nanterre.



Luchini aurait déclaré "Quand on attaque Depardieu, il faut avoir une filmographie solide". Au-delà de la petite guerre entre acteurs autour de l'exil fiscal de Depardieu, cette phrase peut nous conduire à une réflexion sur le fonctionnement de la vie artistique et intellectuelle française.

Bien que plus proche des idées et des prises de positions de Torreton dans cette affaire, je voudrais insister sur une facette différente du phénomène mis en lumière par l'exilé volontaire de Néchin. La phrase de Luchini est carrément idiote car il n'y a aucun rapport entre les qualités d'un acteur et ses déclarations politiques ou ses actes de citoyen. Luchini est un bon acteur qui ne se départit pas d'un côté pédant et prétentieux, ce qui parfois convient fort bien à ses rôles. Il a un talent indéniable. Cela ne donne aucune force supplémentaire à ses déclarations.

Depardieu a été gagner quelques piécettes chez le dictateur sanguinaire d'Ouzbékistan, Karimov. Le montant de cette somme est peut-être d'un ou deux millions d'euros, comme pour d'autres stars occidentales, mais ce n'est pas la somme qui importe, plutôt le soutien affiché. Ce dictateur élimine ses opposants en les plongeant dans des marmites d'huile chaude, par exemple. L'ancien ambassadeur britannique dans ce pays, Craig Murray, a raconté en détail les violations des droits humains dans ce pays dans un livre intitulé "Murder in Samarkand" ("Meurtre à Samarcande").

Une position politique à interroger

La filmographie de Depardieu ne peut le sauver d'une attaque sur le plan de la responsabilité politique et citoyenne. Tous les films du monde ne peuvent compenser l'assassinat d'opposants politiques à un régime totalitaire. Depardieu ne rechigne pas à gagner l'argent de la torture et du sang des Ouzbeks. Sa position politique est abominable.

Le mot de "minable" qui a fait tant couler d'encre est bien faible pour évoquer, non pas sa peur du fisc, mais sa prédilection pour l'argent sale des assassins. On se préoccupe du côté insultant de certaines attaques, mais le valet grassement payé d'un tortionnaire a-t-il droit au respect ? Depardieu se rend complice des crimes du régime en allant vendre sa notoriété au dirigeant sanguinaire. Quel artiste français serait aller cautionner Pinochet au Chili d'après 1973 ? Qui pourrait pardonner aux amuseurs qui auraient été les invités du nazi Adolf Eichmann ?

Depardieu et Luchini s'inscrivent dans une longue ligne d'auteurs ou artistes qui ont cautionné les dictateurs les plus meurtriers. On peut penser à Sartre et à l'URSS, Barthes et Mao mais il faut aussi parler de ceux qui ont soutenu les bouchers occidentaux, Glucksmann déteste Poutine mais a eu des mots doux pour Bush. Depardieu qui fuit l'impôt français a une certaine admiration pour ce même Poutine.

L'irresponsabilité de l'artiste ?

Ce que la phrase de Luchini nous dit, c'est que l'œuvre libère de toute responsabilité citoyenne. La filmographie de Depardieu, acteur dont la personnalité gène souvent le glissement dans la peau d'un personnage, sert d'argument dans une discussion de type politique. En résumé "nous stars ou vedettes sommes au-dessus du jugement commun ou des lois car notre excellence nous donne un droit supplémentaire". On peut aborder cette problématique de l'irresponsabilité de l'artiste face aux régimes meurtriers en lisant "Méphisto" de Klaus Mann.

La filmographie solide de Luchini ne le met pas à l'abri de la bêtise et de la morgue. Notoriété ne vaut pas exemption des règles communes. Les caresseurs de dictateurs sont des voyous sans conscience, qu'ils aient du talent ou non.

En allant faire les yeux doux à la fille du dictateur-assassin d'Ouzbékistan, Depardieu est plus que minable et irresponsable. Il est méprisable. À lui seul, il est tout le contraire d'Amnesty International et se montre aux côtés d'une mafia politique meurtrière. Les thuriféraires des assassins n'ont pas droit au respect. A côté de son soutien au boucher, les aventures urinaires de Depardieu dans un avion ou son comportement grossier dans les cafés de Saint-Germain des Prés sont des broutilles. Depardieu fait partie de ces célébrités dangereuses car elles ferment les yeux sur la criminalité de ceux qui les achètent. Il pourrait avoir du sang sur la conscience ; toute sa filmographie et les soutiens aveugles de ses amis désinvoltes n'y changent rien.


L'acteur qui incarnait Danton dans le film de Wajda emporte sa patrie à la semelle de ses souliers. Gérard Depardieu n'est pas seulement, par ses cachets, le principal bénéficiaire du soutien de la France à son cinéma, il s'est identifié à tous les mythes nationaux, Cyrano de Bergerac et Edmond Dantès, Danton et Obélix, Portos et Mazarin, il a tout fait, jusqu'à donner la réplique au camion de Marguerite Duras. Il part, petitement, rejoignant dans un patelin belge les rejetons d'un gros épicier enrichi. A se comporter en bourge ordinaire, exilé pour pas cher, Gérard Depardieu s'est attiré les foudres de Yann Galut, député du Cher, chef-lieu Bourges. Salutaire réaction ! Au fond, cet élu socialiste reprend, à l'intention des émigrés, les quelques principes lancés naguère aux immigrés par Nicolas Sarkozy : «La France, on l'aime ou on la quitte», «Etre français, ça se mérite». Yann Galut préconise une réforme du code de la nationalité, avec une clause de déchéance, permettant de sanctionner ceux qui tiennent l'argent pour une valeur supérieure à la patrie.
La déchéance de nationalité est parfaitement possible,
il suffit de changer ou préciser l'art 25 du code civil:
" crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation".
Mais on peut faire mieux : appliquer la législation Américaine.

1- Tout citoyen US est redevable de l'impôt sur le revenu, où qu'il se trouve sur la planète.  

Les patriotes ardents devraient logiquement applaudir. La droite décomplexée de Jean-François Copé comme les bleus horizon et Marine réunis, préfèrent dénoncer l'affreuse fiscalité. Le député Gilbert Collard, recrue de l'ouverture «populaire» du FN, s'est même inquiété du départ des riches, qui, selon lui, sont indispensables aux pauvres. La France, la nation, la patrie sont autant d'incantations de tribunes électorales. Elles ne résistent pas à l'argent. 
Pour les sites proches de l'UMP, on en tremble déjà : déchoir de leur nationalité les émigrés fiscaux, ce serait le retour de Robespierre ! La Révolution française est décidément méconnue : la confiscation des biens des émigrés a été décidée le 30 mars 1792 par l'Assemblée nationale législative. Ancien député de la Constituante, Robespierre ne siégeait pas à la Législative. Les plus modérés ont alors voté la sanction financière des aristocrates. 

Il se peut que, juridiquement, la proposition de Yann Galut soit inapplicable. Elle est moralement incontournable. Les exilés célèbres ont tous bénéficié de l'exception française. Ils doivent leur fortune au public français et, en bien des cas, au soutien de l'Etat. Leur fuite relève de la trahison et mérite d'être sanctionnée.
GUY KONOPNICKI – MARIANNE
« Il y a la beauté et il y a les humiliés.
 Quelles que soient les difficultés de l'entreprise,
je voudrais ne jamais être infidèle ni à l'une ni aux autres.»
A. Camus
C'est décidé : je n'irai pas voir le dernier film interprété par G. Depardieu, L'homme qui rit, adapté du roman de Victor Hugo.
 Gérard Depardieu a choisi l'exil, il a choisi la fuite, comme d'autres l'ont fait avant lui.
A la fuite, à l'abandon, se sont ajoutées des provocations, des déclarations tonitruantes sur son désir de ne plus être français...

Quand on quitte le navire, il n'est pas bon de s'en vanter et d'en tirer une quelconque gloriole.
Quand on quitte le navire, c'est toujours une preuve de lâcheté et de renoncement...
 Les femmes et les enfants d'abord ?
 "Moi d'abord pourrait" dire Gérard Depardieu..."Moi et mon fric d'abord "

Qui ne verrait pas l'indignité de telles attitudes ?

L'homme qui rit de Victor Hugo c'est l'homme qui, victime sacrifiée de l'injustice du monde, se révolte contre ces injustices et les dénonce !

L'homme qui rit, c'est l'homme mutilé et meurtri à qui l'on a imposé de sourire malgré tous les malheurs du monde !

L'homme qui rit, c'est un message d'indignation contre les inégalités criantes qui divisent la société oppposant les plus riches
et les plus pauvres !

Gérard Depardieu est-il digne d'incarner cette histoire ?
Est-il digne de jouer le rôle d'Ursus, ce forain plein d'humanité qui recueille Gwynplaine, l'enfant mutilé ?
Le roman de Victor Hugo est bien un ouvrage humaniste : il dénonce la misère des hommes à qui on impose la souffrance, le malheur, la pauvreté, une misère illégitime et honteuse !

Si la misère existe toujours, si les inégalités sont toujours aussi scandaleuses, comment expliquer que l'acteur n'ait même pas assimilé la signification de l'oeuvre qu'il prétend incarner à l'écran ? Comment peut-il désormais être crédible ?

Quand on refuse de payer son écot alors qu'on est riche à millions, que l'on possède des palaces ou des hôtels particuliers, comment peut-on être digne d'un message d'humanité, de justice, d'équité ?

Incarner un héros humaniste, cela se mérite et en l'occurrence, l'exil volontaire de Gérard Depardieu résonne comme un refus de s'impliquer, de participer à l'effort commun dans une situation houleuse et difficile...

Non, Gérard Depardieu ne sera pas crédible dans le rôle d'Ursus... Non, la portée même de ce roman ne convient pas à un acteur qui trahit les siens et ne pense qu' à son propre intérêt ...

 On ne choisit pas sa nationalité en fonction de ses impôts. Quand on est français, on doit partager les difficultés et les efforts, à plus forte raison quand on dispose de ressources et de moyens considérables...