Evasion
fiscale: Londres prêt à sanctionner les conseillers
21 août 2016 | Par martine orange
Décidé à lutter contre la fraude, le gouvernement de Theresa May veut
adopter de nouvelles lois permettant de sanctionner
Les grands cabinets d’audit, les
avocats et autres
pour leurs conseils d’évasion.
Jusqu’alors, ceux-ci avaient toujours su éviter toute poursuite.
L’initiative porte un coup à l’industrie de l’évasion fiscale.
C’est
un des rares engagements de Theresa May, lorsqu’elle a pris le poste de premier
ministre dans la période confuse de l’après-Brexit. Son gouvernement, a-t-elle
alors assuré, allait lutter contre l’évasion fiscale, rappelant que l’impôt est
le prix à payer pour la société évoluée que les Britanniques veulent.
Trois
semaines plus tard à peine, les paroles commencent à se transformer en actes.
Le gouvernement a en projet de lancer une campagne contre l’évasion fiscale en
sanctionnant non seulement tous les fraudeurs fiscaux mais aussi tous les
conseillers, avocats et autres auditeurs qui auraient aidé à monter des schémas
de fraude et d’évasion. À l’avenir, ceux-ci pourraient se voir infliger des
amendes correspondant à 100 % des sommes qui ont échappé au fisc
grâce à leur montage.
C’est
en tout cas le sens du texte que le gouvernement a en préparation. Une vaste
consultation sur le sujet a été lancée en milieu de semaine et devrait aboutir
d’ici à la fin de l’année. « Les personnes qui élaborent les schémas
d’évasion fiscale privent le pays de revenus fiscaux essentiels. Le
gouvernement est déterminé à s’assurer qu’ils paient », a expliqué
Jane Ellison, secrétaire au Trésor, en lançant la consultation. « Le renforcement des
sanctions fera réfléchir les conseillers à deux fois et, en retour, diminuera
le nombre de montages frauduleux », a-t-elle poursuivi.
La
nouvelle a été saluée par nombre d’organisations qui militent depuis des années
pour un changement international dans la lutte contre l’évasion fiscale. Pour
tous, s’attaquer aux conseillers qui mettent en place les schémas de fraude
fiscale et facilitent leur mise en œuvre est une nécessité. Les gouvernements,
selon eux, auraient dû s’en préoccuper bien plus tôt.
« Le
danger ne vient pas d’individus ou de sociétés individuelles qui mettent en
place unilatéralement des mécanismes d’évasion fiscale. Le vrai danger provient
de montages qui sont largement répandus », dit un des responsables de
l’ONG Tax Justice Network, applaudissant la décision gouvernementale. « Il
existe un système global pourri qui s’appuie sur des professionnels prêts à
tester les limites de la légalité pour aider leurs clients à réduire leur
impôt », explique de son côté un conseiller économique de l’organisation caritative Christian Aid au Financial Times.
Depuis
plusieurs années, la fraude fiscale fait l’objet d’un grand débat public en
Grande-Bretagne. Sous la pression de son opinion publique, le gouvernement
britannique a dû engager le combat contre les fraudeurs. Il a lui-même donné
quelques noms de grands groupes internationaux passés maîtres dans l’art d’éluder
l’impôt. Google, Apple, Starbucks y figurent en bonne place. À la suite d’une
campagne de boycott lancée par des consommateurs, la chaîne vendeuse de café a
été obligée de s’engager à payer des impôts au Royaume-Uni. Plusieurs autres
grands groupes ont entrepris, à sa suite, des négociations avec le fisc
britannique afin de régulariser leur situation. Mais ces régularisations
restent souvent a minima : les grands groupes, qui ne payaient
rien, acceptent de payer quelques dizaines de millions de livres d’impôt, au
lieu des centaines qu’ils devraient normalement verser. Surtout, ces quelques
cas emblématiques ne règlent pas un mal bien plus profond. Selon des
estimations du gouvernement britannique, la fraude fiscale se chiffre en
milliards de manque à gagner pour l’État chaque année. L’opinion publique
britannique supporte de moins en moins cette situation, alors que dans le même
temps tous les services publics, à commencer par la santé, souffrent d’années
de rigueur et de coupes budgétaires.
Que
ce soient HSBC, LuxLeaks, Panama Papers ou UBS, les derniers scandales ont
aussi mis en exergue l’ampleur des enjeux : la fraude et l’évasion fiscale
sont devenues une industrie mondiale. L’oligopole mondial de l’audit, formé par
les quatre grands cabinets Ernst & Young, PwC, KPMG et Deloitte, est au
cœur de ce système, accompagné par des escouades d’avocats, de conseillers
juridiques, de notaires partout dans le monde. Les mécanismes qui tournent à
toute puissance depuis plus d’une dizaine d’années sont désormais parfaitement
huilés. Entre le sandwich hollandais, la holding personnelle luxembourgeoise,
le trust à Guernesey, pour finir dans une société offshore à Tortola ou
aux Bermudes, tout est balisé.
Comme
l’a prouvé le scandale
LuxLeaks, les montages sont quasiment normés : PwC proposait
des copier-coller à ses clients. Le cabinet
d’avocats panaméen Mossack Fonseca, au cœur du scandale des Panama
Papers, avait industrialisé la création de sociétés offshore ; en
quelques jours à peine, il pouvait créer pour ses clients une société au Panama
ou aux îles Caïmans, en écrire les statuts, la faire enregistrer et ouvrir un
compte bancaire. Cela n’empêche pas à tous ces conseillers de faire payer très
chèrement leurs services : jusqu’à 20 % des sommes qui
auraient dû être versées au fisc, dit-on.
Bien
qu’ils aient été mêlés à tous les scandales récents de fraude fiscale, les
quatre groupes d’audit comme les grands cabinets d’avocats et de conseil n’ont
jamais été ennuyés ni par les services fiscaux ni par la justice. En un mot,
les conseilleurs n’ont jamais été les payeurs. Tous
ont été pris par surprise en découvrant les intentions du gouvernement
britannique, conservateur de surcroît. Dans un premier temps, certains ont
essayé de faire bonne figure. « Les temps ont changé et les débats
autour de l’impôt aussi. Ce qui était vu comme un comportement acceptable ne
l’est plus », a ainsi commenté un porte-parole du cabinet KPMG. Un
texte permettant de sanctionner ceux qui allaient trop loin pourrait finalement
ne pas être une mauvaise chose, « si cela permettait de dissuader les
cow-boys qui tournent autour de ce secteur », expliqua ainsi un
responsable du cabinet d’avocats DLA Piper.
Mais
après quelques heures de réflexion, la contre-attaque a commencé.
Les termes employés dans l’avant-projet leur paraissent « trop
flous ». L’ensemble de la profession, même en donnant des conseils
prudents et légaux, pourrait « se retrouver menacée ». « Le
gouvernement doit agir avec prudence dans sa volonté de nettoyer les schémas de
fraude. Cela ne doit pas dissuader les contribuables de rechercher des avis
honnêtes et impartiaux, respectueux de la loi. Les définitions vont être
décisives », a prévenu de son côté un responsable d’un cabinet de
conseillers. Bref, la bataille a commencé et elle risque d’être livrée pied à
pied.
L’avenir dira ce qu’il
advient de ce texte, et de la volonté du gouvernement britannique de s’attaquer
vraiment à la fraude fiscale. Quelle que soit l’issue, cette décision a au
moins le mérite de lancer le débat sur un terrain où les gouvernements n’ont
jamais voulu aller.
Cette volonté affichée
tranche avec le silence assourdissant qui entoure ces sujets en France. Tout
est mis en œuvre pour que l’évasion et la fraude fiscales, qui coûtent quand
même plusieurs dizaines de milliards d’euros au budget chaque année, ne
deviennent pas un sujet débattu au Parlement ou ailleurs. Alors que le
gouvernement britannique n’hésite pas à livrer des noms de mauvais payeurs, le
gouvernement français, au nom du secret fiscal, fait tout au contraire pour les
cacher. Les listes HSBC ont été mises sous le boisseau pendant des années.
Et l’État a institué de très discrètes cellules de dégrisement pour les
contribuables repentis.
En 2013, un amendement
avait bien été déposé par quelques députés frondeurs dans le cadre de la loi de
finances afin de pouvoir sanctionner aussi les conseillers qui facilitaient
l’évasion fiscale. Il a été prestement enterré.