lundi 22 août 2016

Londres prêt à sanctionner les conseiller fiscaux


Evasion fiscale: Londres prêt à sanctionner les conseillers

21 août 2016 | Par martine orange

Décidé à lutter contre la fraude, le gouvernement de Theresa May veut adopter de nouvelles lois permettant de sanctionner

 Les grands cabinets d’audit, les avocats et autres

 pour leurs conseils d’évasion.

Jusqu’alors, ceux-ci avaient toujours su éviter toute poursuite.

L’initiative porte un coup à l’industrie de l’évasion fiscale.

C’est un des rares engagements de Theresa May, lorsqu’elle a pris le poste de premier ministre dans la période confuse de l’après-Brexit. Son gouvernement, a-t-elle alors assuré, allait lutter contre l’évasion fiscale, rappelant que l’impôt est le prix à payer pour la société évoluée que les Britanniques veulent.

Trois semaines plus tard à peine, les paroles commencent à se transformer en actes. Le gouvernement a en projet de lancer une campagne contre l’évasion fiscale en sanctionnant non seulement tous les fraudeurs fiscaux mais aussi tous les conseillers, avocats et autres auditeurs qui auraient aidé à monter des schémas de fraude et d’évasion. À l’avenir, ceux-ci pourraient se voir infliger des amendes correspondant à 100 % des sommes qui ont échappé au fisc grâce à leur montage.

C’est en tout cas le sens du texte que le gouvernement a en préparation. Une vaste consultation sur le sujet a été lancée en milieu de semaine et devrait aboutir d’ici à la fin de l’année. « Les personnes qui élaborent les schémas d’évasion fiscale privent le pays de revenus fiscaux essentiels. Le gouvernement est déterminé à s’assurer qu’ils paient », a expliqué Jane Ellison, secrétaire au Trésor, en lançant la consultation. « Le renforcement des sanctions fera réfléchir les conseillers à deux fois et, en retour, diminuera le nombre de montages frauduleux », a-t-elle poursuivi.

La nouvelle a été saluée par nombre d’organisations qui militent depuis des années pour un changement international dans la lutte contre l’évasion fiscale. Pour tous, s’attaquer aux conseillers qui mettent en place les schémas de fraude fiscale et facilitent leur mise en œuvre est une nécessité. Les gouvernements, selon eux, auraient dû s’en préoccuper bien plus tôt.

« Le danger ne vient pas d’individus ou de sociétés individuelles qui mettent en place unilatéralement des mécanismes d’évasion fiscale. Le vrai danger provient de montages qui sont largement répandus », dit un des responsables de l’ONG Tax Justice Network, applaudissant la décision gouvernementale. « Il existe un système global pourri qui s’appuie sur des professionnels prêts à tester les limites de la légalité pour aider leurs clients à réduire leur impôt », explique de son côté un conseiller économique de l’organisation caritative Christian Aid au Financial Times.

Depuis plusieurs années, la fraude fiscale fait l’objet d’un grand débat public en Grande-Bretagne. Sous la pression de son opinion publique, le gouvernement britannique a dû engager le combat contre les fraudeurs. Il a lui-même donné quelques noms de grands groupes internationaux passés maîtres dans l’art d’éluder l’impôt. Google, Apple, Starbucks y figurent en bonne place. À la suite d’une campagne de boycott lancée par des consommateurs, la chaîne vendeuse de café a été obligée de s’engager à payer des impôts au Royaume-Uni. Plusieurs autres grands groupes ont entrepris, à sa suite, des négociations avec le fisc britannique afin de régulariser leur situation. Mais ces régularisations restent souvent a minima : les grands groupes, qui ne payaient rien, acceptent de payer quelques dizaines de millions de livres d’impôt, au lieu des centaines qu’ils devraient normalement verser. Surtout, ces quelques cas emblématiques ne règlent pas un mal bien plus profond. Selon des estimations du gouvernement britannique, la fraude fiscale se chiffre en milliards de manque à gagner pour l’État chaque année. L’opinion publique britannique supporte de moins en moins cette situation, alors que dans le même temps tous les services publics, à commencer par la santé, souffrent d’années de rigueur et de coupes budgétaires.

Que ce soient HSBC, LuxLeaks, Panama Papers ou UBS, les derniers scandales ont aussi mis en exergue l’ampleur des enjeux : la fraude et l’évasion fiscale sont devenues une industrie mondiale. L’oligopole mondial de l’audit, formé par les quatre grands cabinets Ernst & Young, PwC, KPMG et Deloitte, est au cœur de ce système, accompagné par des escouades d’avocats, de conseillers juridiques, de notaires partout dans le monde. Les mécanismes qui tournent à toute puissance depuis plus d’une dizaine d’années sont désormais parfaitement huilés. Entre le sandwich hollandais, la holding personnelle luxembourgeoise, le trust à Guernesey, pour finir dans une société offshore à Tortola ou aux Bermudes, tout est balisé.

Comme l’a prouvé le scandale LuxLeaks, les montages sont quasiment normés : PwC proposait des copier-coller à ses clients. Le cabinet d’avocats panaméen Mossack Fonseca, au cœur du scandale des Panama Papers, avait industrialisé la création de sociétés offshore ; en quelques jours à peine, il pouvait créer pour ses clients une société au Panama ou aux îles Caïmans, en écrire les statuts, la faire enregistrer et ouvrir un compte bancaire. Cela n’empêche pas à tous ces conseillers de faire payer très chèrement leurs services : jusqu’à 20 % des sommes qui auraient dû être versées au fisc, dit-on.

Bien qu’ils aient été mêlés à tous les scandales récents de fraude fiscale, les quatre groupes d’audit comme les grands cabinets d’avocats et de conseil n’ont jamais été ennuyés ni par les services fiscaux ni par la justice. En un mot, les conseilleurs n’ont jamais été les payeurs. Tous ont été pris par surprise en découvrant les intentions du gouvernement britannique, conservateur de surcroît. Dans un premier temps, certains ont essayé de faire bonne figure. « Les temps ont changé et les débats autour de l’impôt aussi. Ce qui était vu comme un comportement acceptable ne l’est plus », a ainsi commenté un porte-parole du cabinet KPMG. Un texte permettant de sanctionner ceux qui allaient trop loin pourrait finalement ne pas être une mauvaise chose, « si cela permettait de dissuader les cow-boys qui tournent autour de ce secteur », expliqua ainsi un responsable du cabinet d’avocats DLA Piper.

Mais après quelques heures de réflexion, la contre-attaque a commencé. Les termes employés dans l’avant-projet leur paraissent « trop flous ». L’ensemble de la profession, même en donnant des conseils prudents et légaux, pourrait « se retrouver menacée ». « Le gouvernement doit agir avec prudence dans sa volonté de nettoyer les schémas de fraude. Cela ne doit pas dissuader les contribuables de rechercher des avis honnêtes et impartiaux, respectueux de la loi. Les définitions vont être décisives », a prévenu de son côté un responsable d’un cabinet de conseillers. Bref, la bataille a commencé et elle risque d’être livrée pied à pied.

L’avenir dira ce qu’il advient de ce texte, et de la volonté du gouvernement britannique de s’attaquer vraiment à la fraude fiscale. Quelle que soit l’issue, cette décision a au moins le mérite de lancer le débat sur un terrain où les gouvernements n’ont jamais voulu aller.

Cette volonté affichée tranche avec le silence assourdissant qui entoure ces sujets en France. Tout est mis en œuvre pour que l’évasion et la fraude fiscales, qui coûtent quand même plusieurs dizaines de milliards d’euros au budget chaque année, ne deviennent pas un sujet débattu au Parlement ou ailleurs. Alors que le gouvernement britannique n’hésite pas à livrer des noms de mauvais payeurs, le gouvernement français, au nom du secret fiscal, fait tout au contraire pour les cacher. Les listes HSBC ont été mises sous le boisseau pendant des années. Et l’État a institué de très discrètes cellules de dégrisement pour les contribuables repentis.

En 2013, un amendement avait bien été déposé par quelques députés frondeurs dans le cadre de la loi de finances afin de pouvoir sanctionner aussi les conseillers qui facilitaient l’évasion fiscale. Il a été prestement enterré.