vendredi 28 décembre 2018

La République se doit de défendre ses principes et de mettre en œuvre l’État de droit,


Le journaliste et écrivain Jean-François Bouthors condamne les violences physiques et verbales survenues en marge des rassemblements de Gilets jaunes. 
Selon lui, la souffrance et la colère ne justifient pas tout. 
La République se doit de défendre ses principes et de mettre en œuvre l’État de droit,

Qu’est-ce que le peuple?

Une partie des protestataires demandent désormais l’adoption d’un référendum d’initiative citoyenne qui permettrait de donner la parole au «peuple», c’est-à-dire de poursuivre par d’autres moyens l’action de ceux qui sont aujourd’hui dans la rue et sur les ronds-points. Mais faut-il se résoudre à donner raison à cette irresponsabilité érigée en technique insurrectionnelle et considérer que le peuple, c’est ce débordement qui balaye toute civilité et toute éthique sur son passage?
Ce serait oublier que tant le latin populus que le grec démos désignent les «citoyens». Non pas la masse, la foule, mais ceux qui doivent exercer leur responsabilité dans la cité.
( Les gilets jaunes sont un mouvement d’ampleur, mais on n’a jamais eu plus de 300 000 personnes dans la rue. La foule n’est pas le peuple et 300 000 personnes ne peuvent pas décider pour le peuple.
Que faire, en effet, si 300 000 personnes défilent pour demander l’interdiction de la chasse, et si la semaine d’après 300 000 défilent pour demander son maintien ? Quand les opposants au mariage pour tous ont défilé en masse, et durablement, le gouvernement aurait-il dû retirer sa loi ? Comment distinguer les revendications légitimes, qui doivent être prises en compte, des autres ?)
Oublier ce qu’écrivait Cicéron«Par peuple, il faut entendre, non tout un assemblage d’hommes groupés en un troupeau d’une manière quelconque, mais un groupe nombreux d’hommes associés les uns aux autres par leur adhésion à une même loi et par une certaine communauté d’intérêt.» Tout le contraire de cette irresponsabilité calculée, cynique, qui n’émeut guère l’opinion publique, si l’on en croit les sondages.
Oublier encore ce qu’expliquait le philosophe Cornelius Castoriadis, qui n’avait rien d’un partisan du système«Une société démocratique est une immense institution d’éducation et d’autoéducation permanente de ses citoyens.» Aux antipodes de la brutalité physique et verbale, comme de la xénophobie et de l’antisémitisme. La souffrance et la colère ne justifient pas tout. C’est pourquoi la République se doit de défendre ses principes et de mettre en œuvre l’État de droit.

Sommes-nous à un tournant dans la gestion du mouvement des Gilets jaunes par les autorités? Longtemps sur le recul, les autorités veulent profiter du reflux du mouvement et du fait que les partisans de sa poursuite se sont radicalisés. C’est l’occasion de reprendre la main et de faire valoir la défense de la République, après avoir cédé sur le pouvoir d’achat. Les violences qui accompagnaient les protestations des Gilets jaunes avaient été la force de leur mouvement. Mais ces violences qu’ils condamnaient tout en expliquant, avec un certain cynisme, qu’elles leur avaient permis de faire plier le Président et le gouvernement sont désormais leur talon d’Achille.
Vendredi, veille de l’acte VI, un dixième mort était à déplorer en lien avec un rassemblement sur un rond-point, tandis que plusieurs des Gilets jaunes présents ont aussitôt pris la fuite!
Samedi, à Montmartre, quelques autres reprenaient en chœur, geste à l’appui, un chant à connotations antisémites, tandis que d’autres, sur les Champs-Élysées, ont tenté de lyncher trois motards de la Police nationale.  Le même jour, l’un des leaders du mouvementEric Drouet, était interpellé. Il avait appelé le matin même sur Facebook à un rassemblement, non déclaré, à Montmartre. On apprenait ensuite qu’il serait jugé en juin pour «port d’armes prohibé de catégorie D» et pour «participation à un groupement formé en vue de violences et de dégradations».
La stratégie du mouvement a été jusqu’à présent celle de l’irresponsabilité organisée - non-déclaration de la plupart des rassemblements de protestation - et proclamée - déploration et banalisation des violences et des propos racistes ou antisémites. Elle permettait d’imputer au gouvernement ces «dérapages» et de justifier la poursuite du mouvement comme si de rien n’était, en se disant que la dégradation de la situation permettrait d’obtenir davantage.
Aux antipodes de la brutalité physique et verbale, comme de la xénophobie et de l’antisémitisme.
Jean-François Bouthors  journaliste et écrivain.

VINCENT LAPIERRE Le journaliste pro-Dieudonné chouchou des gilets jaunes


L'autoproclamé "journaliste indépendant" Vincent Lapierre perce depuis sa couverture engagée du mouvement des gilets jaunes.

Il ne serait "pas corrompu par l'État'". Il serait, contrairement aux autres journalistes traditionnels, "indépendant", "honnête". En gros, ce serait un "bon reporter". Vincent Lapierre est - c'est un euphémisme - apprécié de nombreux gilets jaunes, qui ne lésinent pas sur les compliments sur les réseaux sociaux.  
Ils saluent non seulement ses reportages sur le terrain, mais aussi d'anciennes vidéos du journaliste, parues du temps où il n'était pas encore aussi indépendant qu'il l'affirme aujourd'hui. Parmi les plus relayées, on trouve une séquence datant de juin 2018, dans laquelle Vincent Lapierre affirme, face caméra, que la liberté d'informer serait en danger. Il s'insurge notamment contre la loi anti-fake news, supposée "museler Internet." "La France glisse de plus en plus dans la dictature, débute-t-il. [...] Tous les moyens sont bons pour interdire aux journalistes indépendants de travailler. [...] Les libertés d'informer et de s'informer sont piétinées aujourd'hui en France. Cette censure s'appuie sur des milices qui signalent en meutes sur Internet, menacent sur le terrain." Ces milices, affirme-t-il, ce sont les antifas et la Ligue de Défense Juive, qui forment ensemble une "police politique protégée par le pouvoir."  De quoi gagner la confiance d'Eric Drouet, figure du mouvement des gilets jaunes. Celui-ci affirmait ainsi le 21 décembre dernier avoir seulement contacté Brut, site spécialisé dans les vidéos, et Vincent Lapierre pour l'acte VI de la protestation, le 22 décembre
Vincent Lapierre, encensé par les protestataires, se décrit lui-même sur sa page Facebook (suivie par plus de 15 000 personnes) comme "un jeune français qui veut être utile à son pays". Sur le site Tipee, où il demande à ses fans une petite participation (grâce à laquelle il gagne mensuellement 1422 euros), il entre davantage dans le détail, égratignant par la même occasion les fameux médias traditionnels. 

"Je réalise depuis plus de trois ans des reportages de terrain dans lesquels je vais à la rencontre des Français de tous bords, connus ou inconnus, pour leur poser les questions que les autres médias ne leur posent pas, sans tabous et sans exclusive de sujet," écrit Lapierre, qui affirme que cet exercice n'est pas si simple. "En effet, la police de la pensée règne dans notre beau pays, ce qui rend la tâche difficile au journaliste honnête : agressions, séquestration, menaces de mort, tout ce que j'ai vécu jusqu'à maintenant démontre que mes questions semblent déranger du monde."  
Plus d'une fois, Vincent Lapierre se met effectivement en scène dans des situations tendues. Parmi les plus connues, une vidéo de 2016 où l'on voit le journaliste de LCP Frédéric Haziza perdre son sang-froid face au reporter.  Vincent Lapierre, également connu sous le nom "librepenseur007", se présente comme anti-"médias dominants", "à contre-courant du système" et a longtemps été proche d'Alain Soral. Ce dernier, polémiste antisémite, homophobe et misogyne, a été condamné à de multiples reprises pour ses propos antisémites et négationnistes.  
Lapierre officie ainsi trois ans durant pour le site d'extrême droite de Soral, Egalité et Réconciliation, où il publie des vidéos (sa page Les Reportages de Vincent Lapierre est quant à elle aimée plus de 113 000 fois) consacrées à des sujets divers et variés. On y trouve des reportages consacrés aux fans de Johnny Hallyday ou de Star Wars, mais aussi des interviews de militants anti-avortement, lors de la "marche pour la vie" organisée en janvier 2018. 
Quand il se rend à la marche pour les femmes, le 8 mars 2018, force est de constater que Vincent Lapierre interroge davantage les participants sur la lutte des classes plutôt que sur le sexisme. "Je dis qu'en France, les femmes ne sont pas si mal loties que ça, on a un problème de chômage massif, prétend-il. [...] On n'a pas de problème hommes/femmes. [...] Il y a des hommes qui souffrent en France aussi. Pourquoi opposer les hommes et les femmes ?" 
Vincent Lapierre est aussi un "dieudonniste" averti, puisqu'il est très proche de l'humoriste condamné lui aussi pour ses propos antisémites à plusieurs reprises. En 2013, il participe par exemple à une soirée hommage au défunt président vénézuélien Hugo Chavez, en compagnie d'Alain Soral et de Dieudonné. Il faut dire que ce chaviste assumé a rédigé une thèse sur la pauvreté au Venezuela et en Colombie.  
Vincent Lapierre a interrogé plusieurs fois Dieudonné ces dernières années, toujours avec la plus grande bienveillance malgré les provocations du polémiste. Pour preuve, cette vidéo parue en janvier 2018, s'intéressant à la future expulsion de l'humoriste du théâtre de la Main d'or, à Paris. 
Ou encore une vidéo parue quelques mois plus tard, intitulée "Dieudo en cavale." Vincent Lapierre y suit l'humoriste à la campagne alors qu'il cherche une salle pour se produire. 
Pro-Dieudonné, anti-CRIF et anti-Ligue de Défense Juive, Vincent Lapierre reçoit plusieurs fois la quenelle d'or pour son travail journalistique. La dernière fois, c'est en juin 2018. Un mois après, il quitte Égalité et Réconciliation afin de se lancer en solo, notamment sous le nom du "Média pour tous.
C'est là que les choses se gâtent entre lui et Alain Soral. En octobre 2018, ce dernier lui reproche notamment une vidéo tournée pendant la dédicace du dernier livre d'Eric ZemmourDestin Français, à la librairie d'extrême droite la "Nouvelle Librairie". Soral l'accuse de faire là du journalisme non-militant. "Ça n'a rien à voir avec ce qu'on faisait avant ensemble, et c'est ça le vrai problème", déplore-t-il. La rupture est consommée. Aujourd'hui, si Vincent Lapierre est tant soutenu par les gilets jaunes, c'est pourtant grâce à ce "journalisme militant." Engagé dans le mouvement, il ne se prive pas d'apporter aux manifestants son soutien sur les réseaux sociaux, en plus des vidéos tournées lors des différents actes des manifestations. 
"Je reviens de la manifestation des gilets jaunes acte VI, et je dois dire que non seulement le mouvement n'a pas perdu de sa force mais qu'au contraire, il s'adapte à la stratégie des autorités visant à l'étouffer, écrit-il par exemple sur Facebook, le 22 décembre dernier. Les gilets jaunes gagnent en expérience, en mobilité. Le mouvement se fait insaisissable. Et même si les autorités parvenaient à leurs fins, tout indique que ça se répétera plus tard, plus fort."  
La veille, pour lancer l'un de ses reportages, il affirme : "Le pouvoir cherche à étouffer ce mouvement par tous les moyens" "Blocage des gares et contrôle des accès à Paris, fouilles permanentes, répression totalement disproportionnée, fausses promesses de Macron et diabolisation de gens comme Etienne Chouard (faut le faire !). Ça sent le régime qui a peur et qui vacille. Les gilets jaunes doivent tenir bon. Je serai encore avec eux demain pour relater ce qu'il se passe réellement." On est davantage dans la subjectivité assumée que dans la recherche de neutralité journalistique.  
C'est peut-être ce qui séduit autant certains gilets jaunes, qui, par ailleurs, affichent une défiance hors-norme envers les médias traditionnels. On ne compte plus les agressions de journalistes de BFMTV, LCI, CNews ou de France Télévisions. Vincent Lapierre, lui, n'a pas ce problème. 

mardi 25 décembre 2018

«GRANDE MISÈRE» POUR DES MILLIONS DE BRITANNIQUES


ONU : des millions de Britanniques délibérément plongés dans une «grande misère»


Le rapport présenté par le rapporteur spécial des Nations Unies Philip Alston sur la pauvreté et les droits de l’homme en Grande-Bretagne est une description extraordinaire de la catastrophe sociale qui dévaste la classe ouvrière.
Le rapport présenté par le rapporteur spécial des Nations Unies Philip Alston sur la pauvreté et les droits de l’homme en Grande-Bretagne est une description extraordinaire de la catastrophe sociale qui dévaste la classe ouvrière. Pendant des années, le rapporteur spécial n’a enquêté que sur des pays «en développement» comme la Chine, le Ghana et la Mauritanie, où l’«extrême pauvreté» est endémique.Mais l’offensive contre la classe ouvrière dans les pays capitalistes avancés est si sévère qu’Alston a été obligé de se tourner vers eux. Il s’est rendu aux États-Unis en 2017, où il a été confronté à des niveaux de pauvreté et d’inégalité qui l’ont «choqué».                                                  Alston a déclaré qu’il voulait mettre en contraste la «grande prospérité de la Grande-Bretagne», la cinquième économie du monde, avec le fait «qu’un cinquième de la population, 14 millions de personnes, vivent dans la pauvreté. Quatre millions d’entre elles sont à plus de 50 pour cent en-dessous du seuil de pauvreté et un million et demi sont sans aucune ressources». Le taux de pauvreté infantile est «stupéfiant» et «devrait augmenter considérablement au cours des deux prochaines années». Des millions de personnes souffrent d’une «grande misère», écrit-il, car «la compassion britannique pour ceux qui souffrent a été remplacée par une approche punitive, mesquine et souvent cruelle». Il y a : «une croissance énorme des banques alimentaires et des files qui attentent à l’extérieur, des gens qui dorment dans la rue, de l’augmentation des SDF, du sentiment de désespoir profond qui conduit même le gouvernement à nommer un ministre ‘de la prévention du suicide et de la société civile’ à rendre compte en profondeur du degré inouï de solitude et d’isolement…» «Pour près d’un enfant sur deux, être pauvre au XXIe siècle n’est pas seulement une honte, mais une calamité sociale et un désastre économique à la fois».                                     La révélation d’Alston que l’appauvrissement de la classe ouvrière est une politique délibérée est la plus éloquente de toutes ses déclarations. Selon lui, l’austérité n’est pas simplement déterminée par les circonstances économiques, mais dictée par un programme politique de «restructuration sociale radicale». «Les gouvernements successifs ont apporté des changements révolutionnaires tant au système destiné à assurer un minimum d’équité et de justice sociale au peuple britannique qu’en particulier aux valeurs qui le sous-tendent. On renverse les éléments clés du contrat social d’après-guerre» qui avait renforcé les acquis de la classe ouvrière », conclut-il.
«Nous assistons à la disparition progressive des prestations sociales de l’État britannique d’après-guerre derrière une page web et un algorithme... L’impact sur les droits humains des plus vulnérables au Royaume-Uni sera immense». 
Les collectivités locales en Angleterre ont vu le financement du gouvernement central diminuer de moitié au cours des sept dernières années. Le niveau de misère sociale qui en résulte est épouvantable. «En Angleterre, le nombre de SDF a augmenté de 60 pour cent depuis 2010, et le nombre d’habitants qui dort dans la rue a augmenté de 134 pour cent. Il y a 1,2 million de personnes sur la liste d’attente des logements sociaux, mais moins de 6.000 logements ont été construits l’an dernier». «Au cours de ma visite, j’ai parlé avec des gens qui dépendent des banques alimentaires et des organismes de bienfaisance pour leur prochain repas, qui dorment sur le divan chez des amis parce qu’ils sont SDF et n’ont pas d’endroit sûr où ils peuvent dormir avec leurs enfants». 
Les pauvres qui travaillent se tournent en masse vers les banques alimentaires. L’organisme de bienfaisance Trussell Trust, qui gère de nombreuses banques alimentaires, a dit à Alston qu’«une personne sur six qui vient à ses banques alimentaires travaille». Un pasteur déclare: «La majorité des gens qui utilisent notre banque alimentaire ont un emploi... Il y a des infirmières et des enseignants qui viennent aux banques alimentaires».                                                                          «Un filet de sécurité sociale n’est pas seulement pour les personnes déjà en situation de pauvreté... Beaucoup de familles vivent de chèque de paie en chèque de paie. Et 2,5 millions de personnes au Royaume-Uni survivent avec des revenus ne dépassant pas 10 pour cent au-dessus du seuil de pauvreté. Il suffit d’une crise quelconque pour qu’ils tombent dans la pauvreté sans que cela soit de leur faute».
Il attire l’attention sur la déclaration du philosophe Thomas Hobbes selon laquelle sans contrat social, la vie serait «solitaire, pauvre, méchante, brutale et courte».            
Un retour en arrière de plusieurs décennies, à l’époque précédant l’existence de contrat social de l’après-guerre, provoquera une réaction sociale, prévient Alston. «Presque toutes les études ont montré que l’économie britannique sera moins bien lotie à cause du Brexit, avec des conséquences sur l’inflation, les salaires réels et les prix à la consommation».
Si les politiques actuelles «envers les travailleurs à faible revenu et les autres personnes vivant dans la pauvreté sont maintenues... Cela pourrait bien conduire à un mécontentement public important, à de nouvelles divisions et même à l’instabilité».

lundi 24 décembre 2018

Le RIC au prisme de l'histoire

C'est devenu l'une des revendications           principales des "gilets jaunes" :       le référendum d'initiative citoyenne. 


Le référendum d'initiative citoyenne (RIC) est la dernière revendication publique des "gilets jaunes". Par un phénomène médiatique, cette idée s'est imposée en l'espace de quelques jours dans le débat politique sans aucun examen de ses origines, de ses motivations et de ses promoteurs.                Le RIC est parvenu à chasser les précédentes revendications, d'abord et majoritairement antifiscales, ensuite et minoritairement sociales. Une petite partie des "gilets jaunes" souhaite désormais imposer un troisième temps : la revendication référendaire. Cette demande mérite qu'on interroge la nature de cette proposition et des acteurs qui la défendent. Elle témoigne d'une disparition des repères et des lignes de fracture qui ont cimenté le paysage politique.                                                                                      Pour comprendre ce qui se joue à travers le RIC, il faut faire appel à l'histoire et à l'usage passé du référendum. Le référendum est utilisé sous la Révolution française. Il vise à convoquer le peuple pour faire adopter la Constitution en 1793. Les conventionnels imaginent, avant d'abandonner l'idée, que le référendum pourrait permettre au peuple de valider les lois.  Si la Constitution de 1793 a été entérinée par référendum, les conditions même de son adoption sont sujettes à caution en raison de la guerre civile et de la guerre sur une partie du territoire. La procédure de référendum est très vite oubliée. Pour la gauche, exception faite de quelques socialistes qui puisent leur imaginaire politique dans la Révolution française, l'idée même tombe en désuétude. Tel n'est pas le cas de l'autre côté de l'échiquier politique. Le référendum est utilisé dans sa dimension plébiscitaire. Les bonapartistes sont les premiers à y avoir recours, le référendum est là pour promouvoir un lien direct entre le chef et le peuple. Louis-Napoléon Bonaparte l'utilise pour faire valider le coup d'Etat du 2 décembre 1851 et l'année suivante son sacre.                          Désormais, le référendum est une tradition ancrée dans la droite autoritaire. Des historiens aux approches et aux conclusions si différentes (René Rémond, Zeev Sternhell, Michel Winock, etc.) ont montré que cet appel direct au peuple fonde l'une des revendications de la droite nationaliste depuis le XIXe siècle. Il constitue même pour certains l'une des origines du fascisme français.
Le référendum amenuise l'espace démocratique, voire le supprime, en réduisant à néant l'expression des corps intermédiaires. Le rapport direct entre le chef et le peuple, devenu une masse indéterminée, dans laquelle se mêlent tous les groupes sociaux sans tenir compte des intérêts particuliers et contradictoires. Le référendum tombe en désuétude. Le général de Gaulle l'impose à deux reprises : d'abord à la Libération pour faire adopter la Constitution, puis en 1958, dans une période troublée, pour établir un lien direct entre le peuple et le chef de l'Etat.                                                      Le référendum est depuis utilisé avec parcimonie par le pouvoir. Il a souvent illustré sa dimension plébiscitaire et autoritaire. Il est encadré par de strictes mesures constitutionnelles, qui empêchent notamment de consulter la population sur des sujets de société. L'ensemble des courants politiques de gauche comme de droite se réclamant du référendum relèvent parfois d'une vision autoritaire et souvent d'une perception verticale du pouvoir sous couvert d'horizontalité.

Le RIC aujourd'hui

Ce n'est sans doute pas tout à fait un hasard que l'idée émerge au lendemain du référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005. Le RIC a été théorisé par Etienne Chouard. Enseignant en économie, il a été l'un des chantres du non au référendum. Présenté longtemps comme une figure de gauche, il a évolué. Il a fréquenté la mouvance d'Alain Soral  [le polémiste condamné pour provocation à la haine] et les réseaux complotistes, participant par exemple à une conférence de Reopen911 [mouvement qui remet en cause les attentats de New York], ou faisant lui-même l'apologie du Venezuela d'Hugo Chavez. Lors de la dernière élection présidentielle, il a soutenu le candidat François Asselineau et l'UPR [Union populaire républicaine] dont il est proche, et s'est félicité de l'élection de Donald Trump pour avoir fait éclater les consensus. Il entretient encore des relations avec la droite nationaliste et avec une partie de la gauche radicale développant l'idée d'un "'populisme' et d'un 'souverainisme' transpartisan"La diffusion de ses thèses chez les "gilets jaunes" répond à une logique politique. La carte des "gilets jaunes" se superpose, dans ses grandes lignes, à la France du non de 2005, le "non de droite et d'extrême droite" et du "non de gauche". Etienne Chouard a rapidement relayé les revendications du mouvement des "gilets jaunes". Sur les différents sites et réseaux sociaux des "gilets jaunes", le RIC apparaît timidement aux lendemains de la manifestation du 24 novembre. La demande monte vite en puissance. Vers le 25 novembre, Etienne Chouard et des "gilets jaunes" se rencontrent physiquement. Ce rapprochement est officialisé sur le site d'Etienne Chouard le 29 novembre.
La question du RIC devient, par une étrange ironie calendaire, quasiment virale à partir du 2 décembre [date du coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte]. Les pages des réseaux sociaux des "gilets jaunes" relayent largement cette demande. Dans les manifestations, les premières banderoles apparaissent le 1er décembre et de manière plus importante lors de la manifestation du 8 décembre et massivement le 15 décembre.
Lors de cette dernière manifestation, ces banderoles sont rendues d'autant plus visibles que le rassemblement est très clairsemé. La demande de RIC se double chez nombre des porte-parole des "gilets jaunes" d'une rhétorique complotiste.                                                                           Une première explique : "les forces de l'ordre ont laissé faire les casseurs hier sur les Champs-Elysées et on m'a bien fait comprendre que les décisions venaient d'en haut."                                                                                     Une deuxième laisse entendre Peu après l'attentat de Strasbourg, que l'attentat a été organisé par le gouvernement pour décrédibiliser les "gilets jaunes", un sous-entendu repris par Etienne Chouard sur son site.                  Une troisième relaye ce type d'analyse avec le même syllogisme du soupçon, accompagné d'une démarche insurrectionnelle, proposant de marcher sur l'Elysée ou de s'emparer des médias.                                     Ces "gilets jaunes" exigent un référendum d'initiative citoyenne lors d'un "nouveau serment du Jeu de paume", le 13 décembre 2018. Cette déclaration a été amplement relayée d'une manière ou d'une autre par les chaînes d'information comme Le Média et Russia Today. Ce serment est explicite. Il représente un étonnant syncrétisme entre les programmes du Front national, devenu aujourd'hui le Rassemblement national, de La France insoumise et de l'UPR .
Le mouvement des "gilets jaunes" illustre la confusion des temps, le conspirationnisme et les mélanges idéologiques complexes qui s'opèrent aujourd'hui : on voit François Ruffin rendre hommage à Etienne Chouard qui le lui rend bien ; le site Acrimed, situé à l'extrême gauche de l'arc politique, publie un militant du très droitier UPR ; des revues d'extrême droite font l'apologie de l'anarchisme et des militants d'extrême gauche ne sont pas gênés par la présence de l'extrême droite dans les manifestations. Sans parler d'une revue d'extrême droite prête à l'alliance avec qui "foutra ce régime par terre"
Dans cette curieuse époque où l'union des forces hostiles au "système " prend le pas sur les appartenances idéologiques, le RIC ne risque pas de simplifier les choses, bien au contraire…

dimanche 23 décembre 2018

"La gauche s’est auto-persuadée que les 'gilets jaunes' portaient d’abord une revendication sociale, alors qu’elle était aussi nationale"

 "La gauche s’est auto-persuadée que les 'gilets jaunes' portaient d’abord une revendication sociale, alors qu’elle était aussi nationale"

Sylvain Boulouque, spécialiste de l'extrême gauche

Dans son histoire du mouvement antifasciste allemand, "Antifa, histoire du mouvement antifasciste allemand" [coédition Libertalia et La horde, 2018]Bernd Langer rappelle un épisode oublié de l’histoire du Parti communiste allemand : la grève de la compagnie des transports berlinois en novembre 1932. Sur arrière fond de concurrence électorale pour les élections de Saxe, participèrent conjointement à cette grève le KPD (le parti communiste allemand) et le NSDAP (le parti national socialiste des travailleurs d’Allemagne, autrement dit le parti nazi). Certes le KPD remporta une petite victoire, mais celle-ci s’avéra être une victoire à la Pyrrhus avec la fin que l’on sait.


Un fourre-tout idéologique

Comparaison n’est pas raison. L’histoire ne repasse jamais les plats. Paris 2018 n’est pas Berlin 1932, et les "gilets jaunes" ne sont pas les traminots de Saxe. En revanche, le télescopage de l’histoire et de l’actualité interroge des ruptures qui s’opèrent devant nous. En France, la fracture entre la gauche et l’extrême droite a toujours été un moyen de définir son identité politique. Les gauches se sont avec constance opposées à l’extrême droite.Lors de l’affaire Dreyfus, en 1898, celles-ci ont dénoncé les menaces césariennes, y voyant un ennemi principal constitué par les ligues nationalistes et les antidreyfusards. La naissance du Front populaire – après l’erreur stratégique de l’Association républicaine des anciens combattants qui s’était jointe à la manifestation des anciens combattants du 6 février 1934, sans pour autant participer à l’émeute – repose sur cette opposition radicale, l’antifascisme devenant un creuset culturel.
Immédiatement après, la guerre civile espagnole oppose le camp de la République face à la tentative de coup d’Etat. La Résistance vient confirmer ce ciment politique. Lors de la tentative factieuse pendant la guerre d’Algérie, on retrouve encore ce même unanimisme. L’antifascisme a ainsi constitué la base et la source de l’action de la gauche française pendant plusieurs décennies.
Le mouvement social actuel dit des "gilets jaunes" donne l’impression d’un fourre-tout idéologique et social et vient à gauche brouiller un certain nombre de messages. Cette situation est renforcée par l’usage des nouvelles technologies. Le mouvement des "gilets jaunes" demeure complexe à analyser. Les revendications éparses et polymorphes invitent à des lectures diverses voire opposées. Initialement, la gauche est demeurée prudente face au mouvement des "gilets jaunes". Elle a considéré qu’il s’agissait d’une révolte antifiscale, à classer dans les mouvements "réactionnaires" comparables au mouvement des chemises vertes des années 1930, puis au poujadisme dans les années 1950.
Au nom de la définition d’un populisme de gauche, Jean-Luc Mélenchon et une partie de La France insoumise font leurs les revendications des "gilets jaunes", oubliant qu’une partie des revendications voire des actes des "gilets jaunes" étaient l’exacte inverse de leur programme. Les positions ont évolué au cours de la semaine du 17 au 24 novembre.
Une partie de la gauche s’est ralliée alors à la cause des "gilets jaunes" et tente de participer au mouvement pour en transformer sa nature, et faire passer la révolte antifiscale pour une révolte pour le pouvoir d’achat. Les scènes d’émeutes qui ont eu lieu sur les Champs-Elysées le 24 novembre sont explicites. Elles montrent clairement que l’extrême droite a commencé à provoquer les forces de l’ordre pour passer le barrage des Champs-Elysées, puis à animer les affrontements avec une partie des "gilets jaunes", pour marcher sur l’Elysée. Une partie de la gauche radicale, faite de membres du "Black Block" et de la mouvance autonome, a, dans l’après-midi, participé activement à l’érection de barricades et à l’émeute.                    
 La semaine du 24 novembre au 1er décembre 2018, marque un tournant. Plusieurs personnalités de gauche prennent ouvertement fait et cause pour les "gilets jaunes". Ces derniers marquent le retour de la question sociale et viennent rappeler l’existence de la lutte des classes. Cette hypothèse et cette projection dans les "gilets jaunes" favorisent l’investissement de la gauche intellectuelle et radicale. Elle se traduit sur les ronds-points par un investissement des militants de gauche.
Pour se faire, elle doit minimiser ou passer sous silence un certain nombre de débordements qui peuvent avoir lieu : chasse aux migrants à Calais, injures racistes, dénonciation de l’homosexualité, intimidation contre les personnes, etc. De même, l’enquête de la fondation Jean Jaurès parue le 28 novembre est grandement passée sous silence. Ce travail montre clairement que le mouvement est parti d’une revendication antifiscale sur laquelle se sont greffées des revendications identitaires voire nationalistes (comme la dénonciation du "Pacte de Marrakech", très présente sur les pages Facebook des "gilets jaunes").
La carte des points de blocage se superpose en effet de manière assez frappante à celle du vote Front national [aujourd'hui Rassemblement national], exception partielle faite de certaines régions de l’ouest de la France – et peut-on ajouter de l’est de la région parisienne. Ladite enquête souligne par ailleurs que les revendications portées par les "gilets jaunes" ressemblent étrangement à celles portées outre-Atlantique, par l’électorat de Donald Trump, ou outre-Manche par celles des partisans du Brexit. Par une curieuse cécité, la gauche s’est auto-persuadée que les "gilets jaunes" portaient d’abord et avant tout une revendication sociale alors qu’elle était aussi nationale voir nationaliste.
La confusion la plus extrême est atteinte le 1er décembre. Les affrontements autour de l’Arc de Triomphe et dans le reste de la capitale en sont la preuve. Les "gilets jaunes" accompagnés de la droite radicale prennent la tombe du soldat inconnu et organisent deux prières collectives, habillement relayées par la direction du Rassemblement national, qui oublie de noter qu’au même moment des "gilets jaunes" taguent le monument du graffiti "les gilets jaunes triompheront".
Quelques dizaines minutes plus tard, l’ultra gauche investit les lieux, maculant le monument de plusieurs inscriptions et laisse des casseurs piller le musée du bâtiment. Plus tard dans l’après midi, l’extrême droite occupe la place et inflige une défaite à des antifas arrivés sur les lieux. En dépit de cette réalité, globalement, l’émeute est perçue par la majeure partie de la gauche – même si une part en dénonce les violences – comme une révolte populaire, voire une insurrection prolétarienne. La semaine du 1er décembre au 8 décembre, les mêmes discours sont reproduits comme une copie amplifiée de la semaine précédente.
"Passer sous silence des débordements"
La semaine du 24 novembre au 1er décembre 2018, marque un tournant. Plusieurs personnalités de gauche prennent ouvertement fait et cause pour les "gilets jaunes". Ces derniers marquent le retour de la question sociale et viennent rappeler l’existence de la lutte des classes. Cette hypothèse et cette projection dans les "gilets jaunes" favorisent l’investissement de la gauche intellectuelle et radicale. Elle se traduit sur les ronds-points par un investissement des militants de gauche.
Pour se faire, elle doit minimiser ou passer sous silence un certain nombre de débordements qui peuvent avoir lieu : chasse aux migrants à Calais, injures racistes, dénonciation de l’homosexualité, intimidation contre les personnes, etc. De même, l’enquête de la fondation Jean Jaurès parue le 28 novembre est grandement passée sous silence. Ce travail montre clairement que le mouvement est parti d’une revendication antifiscale sur laquelle se sont greffées des revendications identitaires voire nationalistes (comme la dénonciation du "Pacte de Marrakech", très présente sur les pages Facebook des "gilets jaunes").
La carte des points de blocage se superpose en effet de manière assez frappante à celle du vote Front national [aujourd'hui Rassemblement national], exception partielle faite de certaines régions de l’ouest de la France – et peut-on ajouter de l’est de la région parisienne. Ladite enquête souligne par ailleurs que les revendications portées par les "gilets jaunes" ressemblent étrangement à celles portées outre-Atlantique, par l’électorat de Donald Trump, ou outre-Manche par celles des partisans du Brexit. Par une curieuse cécité, la gauche s’est auto-persuadée que les "gilets jaunes" portaient d’abord et avant tout une revendication sociale alors qu’elle était aussi nationale voir nationaliste.
La confusion la plus extrême est atteinte le 1er décembre. Les affrontements autour de l’Arc de Triomphe et dans le reste de la capitale en sont la preuve. Les "gilets jaunes" accompagnés de la droite radicale prennent la tombe du soldat inconnu et organisent deux prières collectives, habillement relayées par la direction du Rassemblement national, qui oublie de noter qu’au même moment des "gilets jaunes" taguent le monument du graffiti "les gilets jaunes triompheront".
Quelques dizaines minutes plus tard, l’ultra gauche investit les lieux, maculant le monument de plusieurs inscriptions et laisse des casseurs piller le musée du bâtiment. Plus tard dans l’après midi, l’extrême droite occupe la place et inflige une défaite à des antifas arrivés sur les lieux. En dépit de cette réalité, globalement, l’émeute est perçue par la majeure partie de la gauche – même si une part en dénonce les violences – comme une révolte populaire, voire une insurrection prolétarienne. La semaine du 1er décembre au 8 décembre, les mêmes discours sont reproduits comme une copie amplifiée de la semaine précédente.

L'articulation entre le national et le social

Le cortège de la gauche soutenant les "gilets jaunes" est parti de la gare Saint-Lazare pour tenter de rejoindre les Champs-Elysées, la droite radicale s’était déjà donnée rendez-vous sur l’artère. Le rapport de force parisien favorable à la gauche était en partie lié à l’arrestation préventive de militants d’extrême droite et au nombre de personnes venues de Saint-Lazare présentes dans le cortège de tête. Mais, les événements dans le reste du territoire ne laissent guère de doute sur l’articulation entre le national et le social. Comme un précipité, deux banderoles, certes éloignées l’une de l’autre, mais brandies dans les manifestations, à Lyon, le 8 décembre, traduisent ce curieux télescopage. Sur la première, il était écrit "fin de monde, fin de mois même combat", et un peu plus loin une autre arborait sur fond bleu, blanc, rouge "Marrakech, c’est non", allusion, sans équivoque aucun, au rejet de l’autre.
Ces événements en cours posent directement à la gauche une triple question : d’abord celle du choix des alliances tactiques – qui n’avaient jamais été à l’œuvre sauf pour une partie d’entre elle lors du pacte germano-soviétique – ensuite, la question de l’analyse et de la réalité d’un mouvement politique et social et enfin, l’éternel espoir d’un avenir radieux générant une lecture prométhéenne des mouvements sociaux.