lundi 24 décembre 2018

Le RIC au prisme de l'histoire

C'est devenu l'une des revendications           principales des "gilets jaunes" :       le référendum d'initiative citoyenne. 


Le référendum d'initiative citoyenne (RIC) est la dernière revendication publique des "gilets jaunes". Par un phénomène médiatique, cette idée s'est imposée en l'espace de quelques jours dans le débat politique sans aucun examen de ses origines, de ses motivations et de ses promoteurs.                Le RIC est parvenu à chasser les précédentes revendications, d'abord et majoritairement antifiscales, ensuite et minoritairement sociales. Une petite partie des "gilets jaunes" souhaite désormais imposer un troisième temps : la revendication référendaire. Cette demande mérite qu'on interroge la nature de cette proposition et des acteurs qui la défendent. Elle témoigne d'une disparition des repères et des lignes de fracture qui ont cimenté le paysage politique.                                                                                      Pour comprendre ce qui se joue à travers le RIC, il faut faire appel à l'histoire et à l'usage passé du référendum. Le référendum est utilisé sous la Révolution française. Il vise à convoquer le peuple pour faire adopter la Constitution en 1793. Les conventionnels imaginent, avant d'abandonner l'idée, que le référendum pourrait permettre au peuple de valider les lois.  Si la Constitution de 1793 a été entérinée par référendum, les conditions même de son adoption sont sujettes à caution en raison de la guerre civile et de la guerre sur une partie du territoire. La procédure de référendum est très vite oubliée. Pour la gauche, exception faite de quelques socialistes qui puisent leur imaginaire politique dans la Révolution française, l'idée même tombe en désuétude. Tel n'est pas le cas de l'autre côté de l'échiquier politique. Le référendum est utilisé dans sa dimension plébiscitaire. Les bonapartistes sont les premiers à y avoir recours, le référendum est là pour promouvoir un lien direct entre le chef et le peuple. Louis-Napoléon Bonaparte l'utilise pour faire valider le coup d'Etat du 2 décembre 1851 et l'année suivante son sacre.                          Désormais, le référendum est une tradition ancrée dans la droite autoritaire. Des historiens aux approches et aux conclusions si différentes (René Rémond, Zeev Sternhell, Michel Winock, etc.) ont montré que cet appel direct au peuple fonde l'une des revendications de la droite nationaliste depuis le XIXe siècle. Il constitue même pour certains l'une des origines du fascisme français.
Le référendum amenuise l'espace démocratique, voire le supprime, en réduisant à néant l'expression des corps intermédiaires. Le rapport direct entre le chef et le peuple, devenu une masse indéterminée, dans laquelle se mêlent tous les groupes sociaux sans tenir compte des intérêts particuliers et contradictoires. Le référendum tombe en désuétude. Le général de Gaulle l'impose à deux reprises : d'abord à la Libération pour faire adopter la Constitution, puis en 1958, dans une période troublée, pour établir un lien direct entre le peuple et le chef de l'Etat.                                                      Le référendum est depuis utilisé avec parcimonie par le pouvoir. Il a souvent illustré sa dimension plébiscitaire et autoritaire. Il est encadré par de strictes mesures constitutionnelles, qui empêchent notamment de consulter la population sur des sujets de société. L'ensemble des courants politiques de gauche comme de droite se réclamant du référendum relèvent parfois d'une vision autoritaire et souvent d'une perception verticale du pouvoir sous couvert d'horizontalité.

Le RIC aujourd'hui

Ce n'est sans doute pas tout à fait un hasard que l'idée émerge au lendemain du référendum sur le traité constitutionnel européen de 2005. Le RIC a été théorisé par Etienne Chouard. Enseignant en économie, il a été l'un des chantres du non au référendum. Présenté longtemps comme une figure de gauche, il a évolué. Il a fréquenté la mouvance d'Alain Soral  [le polémiste condamné pour provocation à la haine] et les réseaux complotistes, participant par exemple à une conférence de Reopen911 [mouvement qui remet en cause les attentats de New York], ou faisant lui-même l'apologie du Venezuela d'Hugo Chavez. Lors de la dernière élection présidentielle, il a soutenu le candidat François Asselineau et l'UPR [Union populaire républicaine] dont il est proche, et s'est félicité de l'élection de Donald Trump pour avoir fait éclater les consensus. Il entretient encore des relations avec la droite nationaliste et avec une partie de la gauche radicale développant l'idée d'un "'populisme' et d'un 'souverainisme' transpartisan"La diffusion de ses thèses chez les "gilets jaunes" répond à une logique politique. La carte des "gilets jaunes" se superpose, dans ses grandes lignes, à la France du non de 2005, le "non de droite et d'extrême droite" et du "non de gauche". Etienne Chouard a rapidement relayé les revendications du mouvement des "gilets jaunes". Sur les différents sites et réseaux sociaux des "gilets jaunes", le RIC apparaît timidement aux lendemains de la manifestation du 24 novembre. La demande monte vite en puissance. Vers le 25 novembre, Etienne Chouard et des "gilets jaunes" se rencontrent physiquement. Ce rapprochement est officialisé sur le site d'Etienne Chouard le 29 novembre.
La question du RIC devient, par une étrange ironie calendaire, quasiment virale à partir du 2 décembre [date du coup d'Etat de Louis-Napoléon Bonaparte]. Les pages des réseaux sociaux des "gilets jaunes" relayent largement cette demande. Dans les manifestations, les premières banderoles apparaissent le 1er décembre et de manière plus importante lors de la manifestation du 8 décembre et massivement le 15 décembre.
Lors de cette dernière manifestation, ces banderoles sont rendues d'autant plus visibles que le rassemblement est très clairsemé. La demande de RIC se double chez nombre des porte-parole des "gilets jaunes" d'une rhétorique complotiste.                                                                           Une première explique : "les forces de l'ordre ont laissé faire les casseurs hier sur les Champs-Elysées et on m'a bien fait comprendre que les décisions venaient d'en haut."                                                                                     Une deuxième laisse entendre Peu après l'attentat de Strasbourg, que l'attentat a été organisé par le gouvernement pour décrédibiliser les "gilets jaunes", un sous-entendu repris par Etienne Chouard sur son site.                  Une troisième relaye ce type d'analyse avec le même syllogisme du soupçon, accompagné d'une démarche insurrectionnelle, proposant de marcher sur l'Elysée ou de s'emparer des médias.                                     Ces "gilets jaunes" exigent un référendum d'initiative citoyenne lors d'un "nouveau serment du Jeu de paume", le 13 décembre 2018. Cette déclaration a été amplement relayée d'une manière ou d'une autre par les chaînes d'information comme Le Média et Russia Today. Ce serment est explicite. Il représente un étonnant syncrétisme entre les programmes du Front national, devenu aujourd'hui le Rassemblement national, de La France insoumise et de l'UPR .
Le mouvement des "gilets jaunes" illustre la confusion des temps, le conspirationnisme et les mélanges idéologiques complexes qui s'opèrent aujourd'hui : on voit François Ruffin rendre hommage à Etienne Chouard qui le lui rend bien ; le site Acrimed, situé à l'extrême gauche de l'arc politique, publie un militant du très droitier UPR ; des revues d'extrême droite font l'apologie de l'anarchisme et des militants d'extrême gauche ne sont pas gênés par la présence de l'extrême droite dans les manifestations. Sans parler d'une revue d'extrême droite prête à l'alliance avec qui "foutra ce régime par terre"
Dans cette curieuse époque où l'union des forces hostiles au "système " prend le pas sur les appartenances idéologiques, le RIC ne risque pas de simplifier les choses, bien au contraire…

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