Incontestablement, Jean-Luc Mélenchon est un tribun politique. Tout aussi incontestablement, l'ancien candidat de la France insoumise est un meneur d'hommes. Et de femmes. Ces deux qualités ne sont pas passées inaperçues pendant la campagne de l'élection présidentielle. Elles lui ont permis de faire une remontée remarquée dans le mois qui a précédé le premier tour de scrutin. Il a d'abord "mangé", puis laissé sur place Benoît Hamon, le candidat "frondeur" du Parti socialiste, avant de venir mordre les mollets de François Fillon, le candidat de la droite, contesté dans son propre camp. Finalement, à son grand désespoir, il a terminé en quatrième position, le 23 avril... Une place non qualificative pour la finale.
Dire qu'il a été déçu par ce qui ne pouvait être, pour lui, qu'un échec personnel est un euphémisme. Longtemps, pendant la soirée électorale, lui, ses lieutenants et ses partisans ont voulu croire que le rapport de forces allait tourner à son avantage pour permettre à la France insoumise d'accéder au second tour. La troupe donnait même l'impression d'être dans la dénégation de la réalité des chiffres. Au demeurant, il est vrai que Mélenchon pouvait l'avoir mauvaise d'échouer si près du but. D'ou le refrain repris en boucle les jours suivants par le chef et son état-major - "il a manqué 600.000 voix... "-, en omettant seulement de préciser qu'il n'était pas troisième mais quatrième.
Mélenchon avait appelé
immédiatement et sans barguigner, en 2002, à voter Chirac contre Le Pen père,
en se payant le luxe d'engueuler ceux qui ne suivaient pas cette consigne -, le
candidat insoumis du premier tour trouva la formule magique. "Pas une voix
pour Le Pen", fut-il décidé, ce qui ne voulait évidemment pas dire
"portez-vous sur Macron".
Loin de là. Mélenchon ouvrait
tout simplement la voie à l'abstention, au vote blanc ou nul.
L'analyse des têtes pensantes insoumises était simple : Macron
allait indéniablement gagner mais il fallait que ce soit avec le score le plus
faible possible. Mélenchon n'allait quand même pas apporter sa pierre au
plébiscite. Le problème de ce puissant raisonnement, c'est qu'il a un revers.
Plus bas possible d'un côté signifie automatiquement par voie de
conséquence plus haut à craindre de l'autre.
Plus Macron était bas, moins il
avait de légitimité. Corollaire : la candidate du Front national étant alors à
un étiage élevé - 40% ou plus -, elle devenait de facto la leader de
l'opposition au président élu. Patatras, rien ne s'est passé comme prévu, ou
plutôt envisagé. Macron a gagné avec plus de 66% des voix et Le Pen était donc
à moins de 34%. Deuxième échec stratégique après celui du premier tour.
Cette évidence n'empêchait
pourtant pas deux proches de Mélenchon, Raquel Garrido et Alexis Corbière,
d'entrer dans la "post-vérité" en développant un peu des
"faits alternatifs".
La première, porte-parole de la France
insoumise, considérait que Macron était un "président
faible", alors que le second, porte-parole de Mélenchon, assurait que le
président en question était "minoritaire".
N'ayant pas peur de
contredire ses lieutenants, Mélenchon lançait, dès le 7 mai au soir, un appel à
ses électeurs en vue des législatives pour s'opposer au "nouveau monarque
présidentiel". Monarque qui était donc, quand même,
"faible" et "minoritaire" ! A l'évidence, le candidat
insoumis de la présidentielle voulait sortir au plus vite de cette séquence un
peu calamiteuse pour lui de l'entre-deux tours.
Mais ces adversaires, le
premier ministre Bernard Cazeneuve en tête, ne l'entendait pas de cette oreille. Et c'est la là que la campagne législative de
Mélenchon a commencé à dangereusement déraper. Jusqu'à devenir
incompréhensible, en raison de sa violence verbale.
Répondant à Cazeneuve qui avait
évoqué, à nouveau, cette séquence du "non choix" pour le 7 mai,
Mélenchon, désormais candidat à la députation à Marseille dans une
circonscription détenue par la PS, a répondu en invectivant l'ancien ministre
de l'intérieur, "le gars qui
s'est occupé de l'assassinat de Remi Fraisse", ce jeune militant écologiste tué par le jet d'une grenade
offensive des gendarmes sur le chantier de Sivens (Tarn). Mis à part qu'on ne
comprenait pas pourquoi ce mort était "utilisé", pour ne pas dire
"instrumentalisé", dans ce débat, Mélenchon donnait l'impression de
régler un compte personnel. Pis, il donnait l'image d'un homme ne sachant pas
tenir ses nerfs, alors même même qu'il avait brigué la magistrature
suprême quelques semaines auparavant.
Alors qu'il se
devait rassembleur pour conforter la frange socialiste qu'il avait décroché de
Hamon pendant la présidentielle, il s'est montré agressif à son égard, de façon
collatérale, et il a braqué une partie de cet électorat... qui a réintégré sa
famille d'origine.
Et
pour ne pas faire dans la demi-mesure, il s'est aussi fâché avec la direction du
PCF considérée comme une alliée peu sûre.
Ces
erreurs stratégiques vont peut-être coûter cher aux candidats de la France
insoumise aux législatives. Peut-être coûter un groupe parlementaire à
Mélenchon à l'Assemblée nationale. Et risquent ainsi de signer un troisième
échec en deux mois.