Nicolas Sarkozy occupe le terrain
politique et revient ce lundi devant le bureau de l'UMP. Un retour à la
Berlusconi qui tente de circonscrire les multiples incendies judiciaires qui le
menacent lui et ses proches. Depuis plusieurs mois, tous ceux qu'il avait pris
soin de placer à des postes clés, tombent les uns après les autres :
perquisition, ouverture d'enquêtes, mises en examen, voire renvoi en
correctionnelle.
"La politique est l'art de
se servir des hommes en leur faisant croire qu'on les
sert."
Voltaire
Sarkozy : la démocratie énervée
Philippe Bilger
Je m'attends à
recevoir des tombereaux d'insultes ou, pire, de la commisération, de la
condescendance parce qu'à nouveau je m'assigne, trois ans avant la primaire UMP
de 2016, de sonner modestement le tocsin.
Ce délai, au fond,
est si court et le risque du retour de Nicolas Sarkozy déjà si proche.
Pour mesurer la
précipitation avec laquelle passe le temps, il me suffit de percevoir le cours
de ma propre vie pour sentir comme la réalité, la certitude du bonheur sont
sans cesse altérées par la menace de la finitude. Le destin, sous toutes ses
formes, avance à bride abattue.
On éprouve les
détestations, les angoisses de ses compétences. Pour la plupart des citoyens,
le champ économique et financier les préoccupe, le champ de leur vie
quotidienne les concerne. Pour ma part, ayant été magistrat durant près de
quarante ans, tout naturellement l'état de droit m'est apparu comme le critère
dominant à partir duquel j'ai évalué le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Et la République irréprochable promise en 2007
m'est demeurée en travers de l'esprit jusqu'en 2012, tant la malheureuse, avec
sa pureté virtuelle, a été honteusement dégradée.
D'où mon obsession, je l'admets peut-être lassante, pour me
mobiliser afin d'éviter aux naïfs, aux superficiels, aux réalistes à courte
vue, aux cyniques à tous crins, aux républicains relatifs, l'amertume de ma
propre expérience qui s'est condamnée, faute d'avoir fait le bon choix en 2007,
à se battre contre de possibles retrouvailles de Nicolas Sarkozy en 2017 moins
avec la France qu'avec l'image narcissique de soi.
Je ne peux pas
oublier, comme mon péché originel en politique puisque j'ai tout permis, les
premiers jours honteux, la suite illisible, erratique, arrogante, vulgaire,
dominatrice, active, agitée, épuisante, étouffante, efficace, irréfléchie,
instinctive, méprisante, surabondante, acceptable, catastrophique, si peu
accordée à la Justice, médiocrement républicaine dans ses profondeurs et le
terme tellement démagogique.
Qu'on ne s'y
trompe pas : ce serait pareil en 2017. On peut changer de politique mais on ne
quitte pas sa personnalité, surtout quand elle s'estime nécessaire et hors de
prix. La démocratie énervée d'hier sera celle de demain si on laisse faire.
Qu'on ne vienne
pas soutenir qu'il y a loin de la coupe aux lèvres, de la défaite de la droite
en 2012 à la revanche de Nicolas Sarkozy, qu'on ne nous apaise pas en nous
rappelant l'adage mitterrandien du temps au temps. Ce qui est vrai pour le
pouvoir et sa conquête - savoir ménager les étapes et composer avec le rythme
des jours - ne l'est pas évidemment pour le tâcheron vigilant que doit être
tout citoyen pour peu qu'il partage ma vision. Si c'est le cas, il n'y a pas
une seconde à perdre. Aucune dénonciation n'est inutile, aucune dérision
superflue, aucune réplique vaine. L'antisarkozysme conséquent n'a plus droit au
repos.
Puisqu'évidemment
la promesse de Nicolas Sarkozy de quitter la scène politique a été, comme
chacun de ses engagements, le signe éclatant qu'il accomplirait l'inverse, tant
le besoin de se croire indispensable l'emporte chez lui sur l'honnêteté la plus
élémentaire.
Son attitude
depuis un an, sans paradoxe, manifeste qu'il a encore moins l'allure d'un chef
d'Etat même battu que durant ses cinq ans d'exercice du pouvoir. Son inaptitude
à demeurer dans l'ombre, sa conciliation pour l'instant réussie entre sa
passion de l'argent et sa vanité partisane, son faux effacement mais ses vraies
manoeuvres, son désir éperdu de laisser la droite dans l'état lamentable où il
l'a laissée pour n'avoir à craindre aucun rival révèlent de manière éclatante
qu'il n'a rien appris de son rejet mais qu'il n'est inspiré que par l'émergence
de sa propre personne en se parant de la conscience d'un devoir dont tout le
monde le dispense. Singer De Gaulle sans la substance.
Et, autour de lui, le clan - je n'ose écrire :
la bande organisée - se regroupe, se recompose, se congratule, comme si tout
était déjà fait, comme si on allait tous les voir revenir, ces politiques,
ces ministres, ces collaborateurs estimables et fidèles qui n'ont pas ouvert
leur bouche ni leur morale pour émettre le moindre bémol durant cinq ans de
transgressions banales ou éclatantes. Les
Balkany sont aux anges, Courroye espère, Guaino n'aura plus à insulter la
justice indépendante puisqu'elle n'existera plus et même Guéant reprend des
couleurs.
Il est si sûr
d'être attendu, si persuadé de gagner haut la main, haut la manipulation que
c'en devient, pour un homme comme lui, presque écoeurant de facilité.
D'ailleurs, chaque jour le convainc que les médias ont compris parce qu'ils
anticipent si bien. Le Monde annonce "son retour" et France Inter
consacre une longue séquence à sa vie quotidienne comme si, pour un président
défait, c'était la norme. Les journalistes piaffent autant que lui : ils
veulent le revoir autant qu'il les a détestés. Comme les magistrats, les
diplomates, beaucoup de citoyens, les corps intermédiaires. L'adulation de soi,
je l'admets, laisse peu de place au respect d'autrui.
Il est tellement
déjà vainqueur d'un match qui pourtant n'a pas encore commencé qu'autour de lui
on traite avec désinvolture ou avec une aimable indifférence les éventuels
obstacles qui oseraient se dresser devant son irrésistible ressentiment, sa
revanche programmée et certaine. Son épouse qu'il aime - il paraît qu'ils n'ont
jamais été plus heureux si on écoute sa merveilleuse et élégante amie, Isabelle
Balkany - ne souhaite pas qu'il revienne en politique mais qui prendrait ce
tendre conseil pour autre chose que du vent ?
Camille Pascal qui
continue à écrire ses discours pour les remises de décoration et qui s'en
flatte déclare que la seule personne qui pourrait empêcher Nicolas Sarkozy de
faire à nouveau "don de sa personne
à la France» comme l’avait fait à une autre époque Philippe Pétain..est Sarkozy lui-même.
Oubliée la défaite
de 2012.
Oubliée la
victoire de François Hollande.
Oubliée la Justice au quotidien qui traite enfin librement
toutes les troubles affaires surgies du fond de son quinquennat. Pourtant,
avant qu'un jour on le juge si cela survient, il n'est personne qui doute de la
plausibilité de ces accusations. Il y a la présomption d'innocence certes mais
sa personne, sa psychologie, son rapport à la République, son goût du lucre,
son prurit de domination, son indifférence aux principes, tout nourrit ce
qui lui est imputé. Etrange, d'ailleurs, comme la droite de Nicolas Sarkozy et
de sa clientèle proche, en cette dernière année à la fois effrayée et
nostalgique, a découvert les valeurs : elles ne sont recommandables que pour sa
sauvegarde. L'innocence est invoquée à tout coup. Un tic même quand d'année en
année elle s'est dégonflée.
Oublié, méprisé
François Fillon. C'est "le pire des
traîtres" et il a peur de dire en face ce qu'il assume médiatiquement.
La primaire de 2016, avec une UMP sous la coupe de Copé, sera une partie de
plaisir, un remake plus subtilement agencé que celui de la fraude pour la présidence
de l'UMP. Celle-ci, d'ailleurs, est tellement obtuse dans sa majorité qu'elle
fera ce qu'on murmurera, enjoindra à son aveuglement.
Oublié François
Hollande. Il est "si nul".
Les quatre années qui lui restent vont être un calvaire pour la France. Nicolas
Sarkozy sera le sauveur. Presque aussi bien que de Gaulle. Il conviendrait que
le président de la République fût plus attentif à ce risque et conscient du
fait que son optimisme apparent ne nous préservera de rien s'il ne constitue
pas sa social-démocratie comme une machine à réussir. Et pas seulement à
calmer.
Seul Sarkozy lui-même, maître de sa destinée et de notre avenir radieux ou non.
Je ne caricature
pas. Cela nous pend au nez, à l'esprit, au civisme.
Nicolas Sarkozy se
vante, paraît-il, de n'être pas un homme à faire des réussites comme de Gaulle.
Dommage. Pour la démocratie énervée d'hier. Et pour
prévenir celle de demain.
Ventes d’armes sous Édouard
Balladur et financement illicite de la campagne présidentielle de ce dernier en
1995 ; immense cadeau accordé sur fonds publics à Bernard Tapie dès le début du
quinquennat en 2007 ; liens d’affaires et d’amitiés noués dès 2005 et
poursuivis jusqu’en 2009 avec le dictateur libyen Kadhafi, son régime et son
entourage ; persistance d’un premier cercle d’entremetteurs où
l’intermédiaire en armements Ziad Takieddine croise l’obscur mais indispensable
Thierry Gaubert, en compagnie du plus fidèle compagnon, Brice Hortefeux ;
révélation en 2010 de sollicitations et d’assiduités auprès des Bettencourt
dont la fortune cachée, notamment dans des comptes bancaires suisses, garantissait
la générosité financière...
Alors que l'ancien
président tente ce lundi un vrai-faux retour en politique en participant au
bureau national de l'UMP après le rejet par le Conseil constitutionnel de ses
comptes de campagne 2012, la véritable explication de cette soudaine agitation
est sans doute plutôt à chercher du côté de la justice. De fait, un an après la
fin de son quinquennat, Nicolas Sarkozy, lui-même mis en examen dans l'affaire
Bettencourt, comme ses proches, semblent cernés de toutes parts par la justice.
La politique comme échappatoire ? Mediapart fait le point.
Édouard Balladur Premier ministre quand fut
signé en 1994 le contrat de vente de sous-marins au Pakistan et de frégates à
l'Arabie saoudite, Édouard Balladur continue de démentir tout financement
occulte de sa campagne présidentielle de 1995 et les soupçons de
rétrocommissions. Mais au vu de l'avancée de l'enquête menée par le juge
Renaud Van Ruymbeke, il devrait logiquement être auditionné dans les mois à
venir. D’autant que placé en garde, Ziad Takieddine a reconnu le 20 juin 2013
avoir financé la campagne de l’ancien premier ministre. Peu auparavant, le juge
Van Ruymbeke avait découvert un document permettant d’affirmer que
l'intermédiaire Abdul Rahman El Assir a utilisé une partie des commissions
perçues sur les contrats d'armement pour payer des sondages d'opinion, qui se
sont révélés être en faveur de Balladur, lors de la campagne présidentielle de
1995. Associé à l’époque au sulfureux homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine,
l’intermédiaire aurait ainsi fait appel au conseiller en communication Paul
Manafort pour évaluer les chances de succès de l'ancien premier ministre, dont
le directeur de campagne était à l'époque Nicolas Sarkozy.
Nicolas Bazire, Proche de Nicolas Sarkozy dont il a été témoin de mariage avec
Carla Bruni, ancien directeur de cabinet d'Édouard Balladur et directeur de la
campagne de ce dernier en 1995, Nicolas Bazire, 54 ans, a été mis en examen le
22 septembre 2011 pour « complicité d'abus de biens sociaux » dans le cadre de l'affaire Karachi. Il lui est notamment
reproché d’avoir participé à la mise en place, depuis Matignon, du réseau
Takieddine. Les agendas d’un intermédiaire saoudien, le cheik Ali Ben
Moussalam, font d’ailleurs apparaître que Nicolas Bazire et Édouard Balladur
ont personnellement rencontré les membres du réseau Takieddine avant la
signature de juteux contrats avec l’Arabie saoudite, trois au total. Du jamais
vu.
Philippe Courroye, Le procureur de Nanterre, proche notoire de Nicolas
Sarkozy, a été mis en examen le 17 janvier pour « atteinte au
secret des correspondances par personne dépositaire de l'autorité
publique » et « collecte de données à
caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite ». Une
décision par la suite annulée par la chambre de l’instruction car au moment de
la mise en examen du procureur, le caractère illégal de la procédure engagée
contre les journalistes n’était pas établi (ce ne sera établi qu’en décembre 2011).
L’instruction va donc pouvoir reprendre. Le 1er septembre
2010, Philippe Courroye avait ouvert une enquête pour « violation
du secret de l'enquête » après les révélations du Monde sur
une perquisition chez Liliane Bettencourt. Le 24 février 2011, le quotidien
portait plainte contre lui pour violation du secret des sources. L'avocat de M.
Courroye, Me Jean-Yves
Dupeux, a indiqué lundi 3 octobre que son client avait déposé plainte contre le
quotidien pour dénonciation calomnieuse. L'avocat estime que la plainte déposée
par Le Monde dans cette affaire pour violation du secret des
sources l'a été « en toute connaissance de la fausseté des faits
allégués ». En charge de l'affaire Bettencourt, le procureur Courroye
était nommément cité dans les enregistrements publiés par Mediapart, lorsque,
le 21 juillet 2009, Patrice de Maistre, le gestionnaire de Liliane Bettencourt,
expliquait à sa cliente que Patrick Ouart, à l'époque conseiller juridique de
Nicolas Sarkozy, lui avait assuré que le procureur Courroye allait annoncer le
3 septembre que la demande de sa fille était irrecevable, avant que le
procureur rejette effectivement la plainte le 3 septembre 2009.
Renaud Donnedieu de Vabres, a été mis en examen en
décembre 2011 pour « complicité d'abus de
biens sociaux » dans l'affaire des ventes
d'armes au Pakistan et à l'Arabie saoudite. Il est soupçonné d'avoir participé
à la mise en place, au sein du gouvernement Balladur, d'un système de
détournement de fonds.
Thierry Gaubert
– Affaire Karachi, 60 ans, proche de
Nicolas Sarkozy, aujourd'hui conseiller du président du groupe Banques
populaires-Caisse d'épargne, est interpellé et placé en garde à vue en
septembre 2011. Mis en examen deux jours plus tard pour « recel
d'abus de biens sociaux », il est laissé en liberté. M. Gaubert a
été directement accusé par sa femme, Hélène de Yougoslavie, entendue le 10
septembre. Elle a indiqué aux enquêteurs que son mari avait, dans les années
1990, rapporté de l'étranger, avec Ziad Takieddine, des valises d'argent
remises à Nicolas Bazire. Témoignage qu'elle a maintenu dans la presse. Thierry
Gaubert est également mis en examen pour « subornation
de témoin » le 22 novembre 2011. En mai 2012, Thierry Gaubert a
annoncé lui-même avoir à nouveau été mis en examen, cette fois pour blanchiment
aggravé.
– Affaire du 1 % logement, Reconnu coupable d’« abus de biens sociaux » et d’« abus de confiance » dans
l’affaire du 1 % logement des Hauts-de-Seine, Thierry Gaubert a par
ailleurs écopé d’une peine de dix mois de prison avec sursis et 10 000
euros d’amende, le 3 mai 2012, au tribunal correctionnel de Nanterre.
Claude Guéan
– Affaire Tapie, L'ancien ministre de
l'intérieur et ancien secrétaire général de l'Élysée a reçu Bernard Tapie en
mai 2009 et interféré dans la négociation fiscale que l’ex-homme d’affaires
avait avec le directeur de cabinet d’Éric Woerth et qui ne prenait pas la
tournure qu’il souhaitait. Une négociation qui a joué un rôle majeur dans la
constitution de la fortune de l'homme d'affaires, et qui vaut à l'ancien
ministre d'avoir été perquisitionné. Avant, sans doute, une audition et
peut-être une mise en examen.
– Affaire Kadhafi, Mis en cause par Ziad Takieddine, dans l’affaire du
financement libyen de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant est
perquisitionné le 27 février 2013. Devant les juges, Ziad Takieddine avait
déclaré : « Durant cette période, Bachir Saleh (ancien
directeur de cabinet de Kadhafi – ndlr) est venu à plusieurs
reprises voir M. Guéant au ministère de l’intérieur, quand il était directeur
de cabinet du ministre, a-t-il précisé. Lors de ces rencontres,
M. Guéant donnait à M. Saleh les indications bancaires nécessaires aux
virements. »
– Primes de cabinet, Claude Guéant est également mis en cause pour avoir
bénéficié de sommes d'argent en liquide pour environ 250 000 euros,
provenant selon lui de « primes de cabinet », « non
déclarées », versées d’après l’ancien ministre à « plusieurs milliers
de fonctionnaires » du ministère de l'intérieur de 2002 à 2006. Cette
défense est démentie par les anciens ministres Daniel Vaillant et Roselyne
Bachelot mais sera confirmée par une enquête demandée par le ministère de
l'intérieur. Le parquet de Paris a cependant ouvert, le 14 juin 2013, une
enquête préliminaire pour de possibles « détournements de fonds
publics » et « recel » visant les primes.
Brice Hortefeux
– Affaire Karachi, Le vendredi 23 septembre, Le Monde dévoile le contenu d'une
conversation téléphonique entre Brice Hortefeux et Thierry Gaubert, datée du 14
septembre. L'ex-ministre de l'intérieur a appelé son ami pour le prévenir que
sa femme, Hélène de Yougoslavie, « balançait beaucoup » au
juge Van Ruymbeke. L'échange entre les deux hommes laisse penser que M.
Hortefeux a eu accès au dossier d'instruction. D'autant que celui-ci a passé un
deuxième appel à Thierry Gaubert, le 20 septembre, alors que ce dernier était
placé en garde à vue. L'ex-ministre de l'intérieur demande à « être
entendu par la justice » et menace « de porter
plainte contre toute allégation mensongère et diffamatoire ». Ses vœux
sont exaucés dans la soirée du vendredi : le parquet de Paris annonce
l'ouverture d'une enquête préliminaire pour « violation du secret
professionnel » et « recel de violation du secret
professionnel ». Entendu le vendredi 30 septembre par la Direction
centrale de la police judiciaire (DCPJ), l'ex-ministre de l'intérieur a déclaré
dans un communiqué avoir « pu préciser et démontrer, en toute
transparence, qu'il ne disposait d'aucun élément provenant du dossier de la
procédure judiciaire ». Mais l'avocat des familles des victimes de
l'attentat de Karachi n'entend pas en rester là. Le lundi 26 septembre, il
annonce déposer plainte contre Brice Hortefeux pour « complicité
de subornation de témoin », « violation du secret
de l'enquête » et « entrave au déroulement des
investigations ou à la manifestation de la vérité ». L'enquête pour violation du secret professionnel a été
classée sans suite.
– Affaire Kadhafi, Selon un document révélé par Mediapart en mars 2012, le
marchand d’armes Ziad Takieddine, organisateur en 2005 des visites du ministre
de l’intérieur et de ses proches en Libye, puis en 2007 du président élu
Nicolas Sarkozy, aurait mis en place les « modalités de
financement » de sa campagne présidentielle par le régime de
Kadhafi, en lien avec Brice Hortefeux, alors ministre des collectivités
locales. Le 18 octobre 2011, les policiers ont versé au dossier
d’instruction une note de synthèse sur laquelle figure une référence à un
document baptisé « GEN/ NS V. MEMO DG », qui contient sans les
expliciter les initiales du président de la République. Cette note de synthèse
a été rédigée et remise aux enquêteurs par un témoin du dossier, Jean-Charles
Brisard, ancien membre de l’équipe de campagne d’Édouard Balladur, en 1995,
aujourd’hui dirigeant d’une société de renseignements privée. Le document
contient aussi les références du compte suisse de la sœur de Jean-François
Copé, le patron de l’UMP, dont M. Brisard est un proche. Le premier volet du
document est intitulé « CAMP07 » et concerne la campagne
présidentielle de 2007. D’après la note, les « modalités de
financement de la campagne » de « NS» ont
été « réglées lors de la visite Libye NS + BH » le 6
octobre 2005. Cette visite officielle avait été activement préparée par Ziad
Takieddine, comme en attestent ses notes à Claude Guéant, qui figurent au
dossier d’instruction.
Christine Lagarde, L'actuelle directrice
générale du Fonds monétaire international (FMI) est mise en cause dans le cadre
d'une enquête de la CJR, ouverte le 4 août, pour « complicité de
faux » et « complicité de détournement de fonds
publics ». Le 25 mai 2013, elle a été placée sous le statut de témoin
assisté par la Cour de justice de la République. La Cour de justice de la
République estime que l'ex-ministre de l'économie s'est impliquée « personnellement » dans
un processus comportant « de nombreuses anomalies et
irrégularités », qui a abouti à un dédommagement de Bernard Tapie
de centaines de millions d'euros sur fonds publics.
François Léotard, Il est celui qui a signé les contrats de l’affaire de
Karachi. L'ancien ministre de la défense, François Léotard, est au cœur de
l'enquête du juge Van Ruymbeke sur les ventes d'armes du gouvernement Balladur
avec le Pakistan et l'Arabie saoudite. Le magistrat a accumulé les preuves de
son implication personnelle et de celle de son plus proche conseiller de
l'époque, Renaud Donnedieu de Vabres, dans la mise en place du réseau Takieddine. À
la clé : plus de 80 millions d'euros de commissions occultes. Avec les
derniers rebondissements de l’affaire, une audition de François Léotard devrait
intervenir prochainement.
Stéphane Richard, ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde, est
convoqué le 10 juin 2013 devant la Cour de justice de la République (CJR) dans
le cadre de l'arbitrage rendu en 2008, favorable à Bernard Tapie, qui avait
touché 403 millions d'euros dans l'affaire l'opposant au Crédit lyonnais
sur la vente d'Adidas. Il met en cause Jean-François Rocchi, président du
Consortium de réalisation au moment de l'arbitrage. Le 10 juin 2013, il est
placé en garde à vue et est mis en examen pour escroquerie en bande organisée
en même temps que Jean-François Rocchi. Ancien directeur de cabinet de
Jean-Louis Borloo puis de Christine Lagarde au ministère de l’économie,
Stéphane Richard est donc considéré par les trois juges d’instruction chargés
du dossier comme l’un des protagonistes majeurs de l’arbitrage frauduleux qui a
rapporté 403 millions d’argent public à Bernard Tapie, dont 45 millions au
titre du préjudice moral. Stéphane Richard a donné des versions différentes et
parfois contradictoires de l’histoire de l’arbitrage et notamment de son
origine : sur le rôle de Jean-Louis Borloo en particulier, sur celui de
Jean-François Rocchi ou encore sur celui de Claude Guéant (lire Les protagonistes du scandale Tapie s’entre-déchirent).
Ses déclarations étaient très attendues sur le rôle de Claude Guéant, qui
pourrait avoir été décisif, comme le confirment les enquêtes de Mediapart.
Bernard Squarcini, Le 17 octobre 2011, alors qu'il est
toujours directeur de la DCRI, Bernard Squarcini est mis en examen pour
« atteinte au secret des correspondances », « collecte illicite
de données » et « recel du secret professionnel », dans le cadre
de l“affaire des fadettes” des journalistes du Monde en pleine
affaire Bettencourt. Le 12 décembre 2012, la cour d'appel de Paris
annule deux des trois chefs de mise en examen. Il reste mis en examen pour
« collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux,
déloyal ou illicite ». En juin 2013, il est renvoyé en
correctionnelle pour ce dernier chef d'accusation.
Ziad Takieddine
– Affaire du vrai-faux passeport L'homme
d'affaires franco-libanais, soupçonné d'avoir voulu prendre la fuite à
l'étranger alors qu'il fait l'objet d'un contrôle judiciaire, a été mis en
examen le 1er juin
2013 et écroué à la prison de la Santé. Les policiers le soupçonnent d'avoir
envisagé de fuir la France en cherchant à se procurer un passeport diplomatique
de la République dominicaine, moyennant 200 000 dollars (145 000
euros). C'est lors d'une perquisition le 11 avril à son domicile que les
policiers ont découvert l'existence d'un courriel qui permettait de comprendre
que M. Takieddine allait se faire délivrer ce document.
– Affaire Karachi Au cœur de l'affaire,
Ziad Takieddine est mis en examen trois fois dans ce dossier :
d'abord pour complicité et recel d'abus de biens sociaux et faux
témoignage, puis pour blanchiment et recel d'abus de biens sociaux.
– Affaire Kadhafi De septembre à décembre 2005, Ziad Takieddine aura été
l'organisateur des visites à Tripoli du ministre Sarkozy, de Claude Guéant, son
directeur de cabinet, et même de Brice Hortefeux, ministre délégué... aux
collectivités territoriales. Officiellement, il s’agit de parler d’immigration
et de lutte contre le terrorisme. En coulisses, le cabinet Sarkozy et Ziad
Takieddine négocient en secret des contrats commerciaux, plus ou moins
avouables.
Bernard Tapie, Le 28 juin 2013, Bernard Tapie et son avocat
Maurice Lantourne sont mis en examen pour « escroquerie en bande
organisée » dans l’affaire Tapie-Crédit lyonnais. Au centre des
investigations des juges d’instruction : les multiples rencontres à
l’Élysée avec Bernard Tapie, avant et après l’arbitrage ultra favorable qui lui
a alloué plus de 400 millions d’euros, dont 45 de préjudice moral. Après
moult circonlocutions, Bernard Tapie a fini par admettre avoir participé à
une réunion à la présidence de la République, en juillet 2007, en vue
de mettre en place le processus d’arbitrage qui, un an plus tard, lui
accordera 403 millions de dommages et intérêts.
Dans les turbulences des perquisitions, des gardes à vue ou des
mises en examen qui se sont succédé à un rythme effréné ces dernières semaines
pour « escroquerie
en bande organisée », de nouvelles
révélations viennent sans cesse confirmer que l’arbitrage, qui a fait la
fortune de Bernard Tapie, n’a sans doute été qu’une vaste machination visant à
détourner 403 millions d’euros d’argent public. Des indices graves et
concordants semblent attester que c’est en particulier au travers de l’un des
trois arbitres, en l’occurrence l’ancien président de la cour d’appel de
Versailles, Pierre Estoup, que l’arbitrage aurait pu être faussé, les deux
autres arbitres ne semblant avoir joué que les utilités. Mediapart est pourtant en
mesure d’établir que cette version des faits, qui a été reprise par de nombreux
médias, n’est pas conforme aux dépositions faites par de nombreux acteurs de
l’histoire, soit devant la commission d’instruction de la Cour de justice de la
République (CJR), soit lors des auditions auxquelles a procédé ces dernières
semaines la Brigade financière – auditions dont nous avons pu prendre
connaissance grâce à des sources proches de l’enquête.
Les soupçons qui pèsent sur Pierre Estoup sont certes
graves et ont conduit à ce que, des trois arbitres, il soit le seul à avoir été
placé quarante-huit heures en garde à vue et à avoir été, à l’issue, mis en
examen pour « escroquerie en bande organisée ». Ces
soupçons, Mediapart les a évoqués depuis longtemps. Dans une enquête mise en
ligne dès le 24 juillet 2008, soit deux semaines après l’annonce de la sentence
controversée, nous racontions dans quelles
conditions il avait été mis en cause lors du procès Elf, en 2003, pour avoir
rendu un autre arbitrage, lui aussi contesté, entre le tyran du Gabon, Omar
Bongo, et l’un des principaux condamnés, André Tarallo, le « Monsieur
Afrique » d’Elf, arbitrage qui avait pour objet de disculper ce dernier
des détournements dont il avait profité.
Puis, dans le cours même de l’arbitrage en faveur de
Bernard Tapie, Pierre Estoup a été mis en cause puisque, comme l’avait révélé
le rapport de la Cour des comptes (il est ici, à lire en particulier les pages
31 et 32), les parties en présence ont appris que l’ex-magistrat avait manqué à
ses obligations de révélations étendues et n’avait pas indiqué que dans le
passé il avait déjà fait d’autres arbitrages dont était également partie MeMaurice
Lantourne, l'avocat de Bernard Tapie. C’est d’ailleurs l’un des griefs qui
pourrait être retenu pour Christine Lagarde, qui à l’époque n’a pas fait jouer
ce motif de récusation et qui a caché au Parlement cette faute de l’arbitre.
Et puis surtout, il y a eu toutes les nouvelles
découvertes réalisées ces derniers mois par la Brigade financière notamment au
cours des perquisitions qu’elle a effectuées, découvertes qui viennent
confirmer que Bernard Tapie et Pierre Estoup étaient en fait de vieilles
connaissances, même s’ils prétendaient ne pas se connaître. Révélés récemment par Le Monde,
certains extraits des procès-verbaux des auditions auxquelles la Brigade
financière a procédé, viennent le confirmer, tout comme les sources proches de
l’enquête auxquelles Mediapart a pu avoir accès.
Découvert lors d’une perquisition effectuée le 14 mai
2013 dans un domicile de l’arbitre à Thionville, il y a d’abord ce livre
intitulé Librement dont Bernard Tapie est l’auteur et qu’il a
offert à Pierre Estoup, assorti de cette dédicace lourde de sens : « Pour
le Président Pierre Estoupe, en témoignage de mon infinie reconnaissance, Votre
soutien a changé le cours de mon destin. Je vous remercie d’avoir eu
l’intelligence et le cœur de chercher la vérité cachée derrière les clichés et
les apparences. Avec toute mon affection. B. Tapie, le 10 juin 1998 ». Il
y a donc une faute d’orthographe au nom de Pierre Estoup, dont se prévaut
aujourd’hui Bernard Tapie pour prétendre qu’il connaissait en réalité très mal
l’arbitre.
Depuis, la Brigade financière s’applique donc à
comprendre ce qu’a fait dans le passé Pierre Estoup qui ait pu changer « le
cours du destin » de Bernard Tapie. De son côté, Mediapart a
révélé que le même Pierre Estoup avait réalisé dans le passé eu moins deux
consultations rémunérées pour le compte d’un ancien avocat de Bernard Tapie, MeFrancis
Chouraqui, portant sur des dossiers impliquant directement le même Bernard
Tapie, dont l’un avait trait à une demande de confusion de peine
La Brigade financière détient par
ailleurs la preuve que Bernard Tapie et Pierre Estoup ont menti en affirmant
qu’ils ne se connaissaient pas, puisque figure « - sur l’agenda de
Monsieur Pierre Estoup pour l’année 2006 la mention d’un rendez-vous avec Tapie
le mercredi 30 août 2006 à 15H ; - sur l’agenda de Monsieur Pierre Estoup
pour l’année 2010, la mention sur la 3eme page de couverture « [suivent
les adresses et téléphones de Tapie, ndlr]- sans plus de précision quant à
la personne demeurant à cette adresse. Il s’agit de l’adresse et des
coordonnées téléphoniques de Monsieur Bernard Tapie ; - la présence des
coordonnées téléphoniques de Monsieur Pierre Estoup [suit le
téléphone de l’arbitre, ndlr] dans le répertoire du téléphone portable
de Monsieur Tapie ».Pourquoi Pierre Estoup et Bernard Tapie se
seraient-ils rencontrés le 30 août 2006, tout en tenant à ce que cette
rencontre reste secrète ?
L'audition éruptive de Pierre Mazeaud
Il reste que les deux
autres arbitres n’apparaissent pas, dans l’histoire de l’arbitrage, comme de
simples lampistes, comme la presse les a parfois un peu hâtivement présentés.
Quand les magistrats de la commission d’instruction de la Cour de justice de la
République (CJR) interrogent, le 28 novembre 2012, Pierre Mazeaud, ancien
président du Conseil constitutionnel, et, dans l’affaire qui nous concerne,
président du tribunal arbitral, il s’insurge lui-même contre l’idée que Pierre
Estoup ait pu jouer le rôle central, et qu’il n’ait joué, lui, que les
utilités. À l’inverse, alors que la sentence a été prononcée à l’unanimité des
trois arbitres, il revendique un travail totalement collégial.« Je
trouve scandaleux que [le député centriste] Monsieur de Courson puisse insinuer
que je n’ai siégé pour rien, que j’étais aux ordres de tiers (…) Je n’ai jamais
fait l’objet d’une quelconque tentative de pression », proteste-t-il
ce jour-là.
Interrogé le 4 juin 2013
par la Brigade financière, le même Pierre Mazeaud défend la même version. Il a
certes, à la fin de l’arbitrage, adressé une lettre à en-tête de l’Institut de
France et de l’Académie des sciences morales et politiques à Pierre Estoup
pouvant laisser penser que c’est ce dernier qui a fait le gros du travail : « Monsieur le premier
président, j’ai bien eu votre note. Vous avez fait un travail remarquable, ne
laissant aucune question. Je tiens donc à vous remercier tout particulièrement
pour tout ce que vous faites, d’autant plus que j’en serais totalement incapable »,
écrivait Pierre Mazeaud dans cette lettre qui a été saisie à l’occasion d’une
perquisition.
Mais face à la Brigade
financière qui l’interroge ce 4 juin sur le sens de ses propres écrits, Pierre
Mazeaud souligne qu’il ne faut surtout pas en conclure que le travail n’a pas
été collectif et que Pierre Estoup aurait écrit seul la sentence
controversée : « Il
a fait un travail remarquable. Je ne conteste pas le travail qu’il a fait. Je
réponds qu’il n’en a pas été le maître d’œuvre mais que nous nous sommes
réparti la tâche », insiste-t-il.
Lors de ces auditions, la
Brigade financière s’est d’ailleurs elle-même appliquée à comprendre si Pierre
Mazeaud n’avait pas eu des contacts qui pourraient suggérer que des pressions
se soient exercées sur lui. La police a, en particulier, connaissance non
seulement de nombreux rendez-vous entre Nicolas Sarkozy et Bernard Tapie, avant
et pendant l’arbitrage, mais aussi de nombreux rendez-vous entre le même
Nicolas Sarkozy et Pierre Mazeaud : les 21 août 2007 à 15h30 ; 25 février
2008 à 14h45 ; 7 mai 2008 à 18h (mais ce rendez-vous était
visiblement dédié à une remise de décoration) ; le 28 juillet 2008 à
14h30 ; le 2 novembre 2008 à 14h30 ; le 3 novembre 2008 à 15h ;
le 22 janvier 2009 à 16h30 ; le 25 janvier 2009 à 17h ou encore le 28
janvier 2009 à 18h30.
La Brigade financière a en
particulier demandé à Pierre Mazeaud d’apporter des explications sur la nature
de son rendez-vous du 28 juillet 2008, « date
à laquelle Monsieur Richard [l’actuel
patron d’Orange, à l’époque directeur de cabinet de Christine Lagarde au
ministère des finances] donnait
des instructions à Monsieur Scemama, président de l’EPFR [l’établissement public contrôlant
à 100 % le Consortium de réalisation, lequel CDR est lui-même la structure
de défaisance des actifs douteux de l’ex-Crédit lyonnais], de ne pas
recourir à l’arbitrage ». Ce qui a eu le don d’agacer Pierre Mazeaud,
qui a répondu tout à trac : « On
n’a pas parlé de cela. » Avant
de s’indigner que l’on puisse faire peser sur lui des soupçons de manipulation
de l’arbitrage : « Je
n’accepte pas que l’on me considère et que l’on m’interroge comme si j’étais un
escroc. »
À certains moments,
l’audition de Pierre Mazeaud est même devenue éruptive. Agacé qu’on puisse
l’interroger sur l’article de Mediapart évoquant les consultations juridiques
effectuées par Pierre Estoup pour le compte de Me Chouraqui (lire Tapie : les
interventions cachées de l’arbitre Pierre Estoup), il lâche
même : « Je prends
acte d’abord que le ministère de l’intérieur prend pour argent comptant ce que
dit Mediapart. »
Quoi qu’il en soit, Pierre
Mazeaud tient donc à assurer qu’il assume ce qu’il a fait et qu’il ne voit
nulle duperie dans l’arbitrage. Il ne prétend encore moins qu’il aurait pu être
dupé par Pierre Estoup.
Dans
le cas du dernier des trois arbitres, Jean-Denis Bredin, son implication dans
l’arbitrage est encore plus nette et mérite qu’on s’y arrête. Avant même les
explications qu’il a livrées lors de ses auditions devant la Commission
d’instruction de la CJR puis devant la Brigade financière, sa cooptation comme
arbitre avait suscité de vives controverses pour plusieurs raisons. D’abord, il
a été dans le passé vice-président du Mouvement des radicaux de gauche de 1976
à 1980, parti dont Bernard Tapie a été la figure de proue à partir de 1993.
Ensuite, Mediapart a révélé dans une enquête en 2008 que Pierre Estoup n’avait
pas été le seul à avoir été mis en cause pour un arbitrage dans le passé lié au
scandale d’Elf. De son côté, Jean-Denis Bredin a aussi été arbitre dans un
arbitrage portant sur un autre volet de l’affaire Elf, concernant cette fois
Alfred Sirven, arbitrage que le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke avait
qualifié « d’escroquerie
au jugement ». Sans doute Jean-Denis Bredin avait-il donc été abusé,
mais tout cela n’était évidemment guère glorieux.
Le viol de l'autorité de la chose jugée
Mais les auditions devant
la CJR et devant la Brigade financière révèlent plus que cela. Car elles font
apparaître que, contrairement à une légende, ce n’est pas Pierre Estoup qui a
tenu la plume, de bout en bout, pour écrire la sentence controversée qui a
alloué 403 millions d’euros à Bernard Tapie, sentence que les deux autres
arbitres par manque de vigilance ou par paresse et peu d’implication auraient
fini par avaliser. Non ! La partie la plus controversée de la sentence,
celle qui porte sur les 45 millions d’euros de préjudice moral alloués à
Bernard Tapie, a été écrite par... Jean-Denis Bredin !
Cette implication de
Jean-Denis Bredin dans ce volet de la sentence prend un relief très important,
car de fait, les 45 millions d’euros alloués à Bernard Tapie par les trois
arbitres au titre du préjudice moral ont suscité dans le pays une vive émotion,
pour de nombreuses raisons. La première raison est que cette somme est sans
précédent dans l’histoire judiciaire française. Jusque-là, le plus grand
préjudice moral jamais alloué en France avait bénéficié à Patrick Dils, un
jeune apprenti pâtissier qui a passé 15 ans de sa vie en prison à la suite
d’une erreur judiciaire et qui a perçu 1 million d’euros au titre du préjudice
moral, soit… 45 fois moins que Bernard Tapie !
La deuxième de ces raisons
est que le tribunal arbitral était supposé juger le différend entre Bernard
Tapie et le Consortium de réalisation (CDR, la structure publique de défaisance
qui a accueilli les actifs douteux de l’ex-Crédit lyonnais en 1995), épaulé par
sa filiale CDR Créances, au sujet de la vente d’Adidas, dans le respect de la
chose jugée. En clair, les arbitres devaient rendre leurs décisions sans
contrevenir aux décisions de justice prises antérieurement.
Or, pour qui connaît la
longue histoire du Crédit lyonnais et de ses relations avec Bernard Tapie, les
arguments évoqués par la sentence arbitrale du 7 juillet 2008 pour justifier
les 45 millions d’euros octroyés au titre du préjudice moral sont proprement
stupéfiants. À la page 40, on apprend ainsi d’abord que « le CDR et CDR Créances ont abandonné le moyen
d’irrecevabilité de la demande des liquidateurs en réparation du préjudice
moral de Monsieur et Madame Bernard Tapie ». C’est ahurissant, mais c’est
ainsi : épaulé par ses avocats, Me Gilles August (qui dans l’intervalle a été écarté) et surtout,
Me Jean-Pierre Martel (qui, lui, est toujours curieusement dans le dossier et
même en charge du recours en révision), le CDR, qui est censé défendre les
intérêts de l’État, ne fait pas valoir que la demande de Bernard Tapie à
percevoir un préjudice moral est irrecevable.
Et plus loin, notamment aux
pages 83 et 84 de la sentence, les arbitres décrivent les diverses raisons pour
lesquelles Bernard Tapie peut revendiquer un préjudice moral. Parmi ces raisons
figure en particulier celle-ci : « La violente campagne
de presse conduite par la banque, usant par tous les moyens du nom de Tapie –
par exemple inscrit sur une poubelle pour le discréditer. » Et dans la foulée, la sentence souligne que le CDR ne conteste
que très mollement le préjudice moral, alors que Bernard Tapie est très
pugnace : « Le CDR et CDR Créances se bornent à
qualifier le préjudice d’inexistant mais n’apportent pas d'élément de réfutation.
(…) Prenant la parole lors de l’audience du 4 juin 2008, sans qu’aucune partie
ne s’y oppose, Monsieur Bernard Tapie a décrit quelques-unes des humiliations
et des manœuvres destructrices qu’il a dû subir avec son épouse. CDR Créances
et CDR n’ont pas contesté oralement ce douloureux exposé indiquant seulement
que le Crédit lyonnais et non la SDBO serait l’auteur de ces faits. »
Lisant ces extraits de la
sentence, on peut à bon droit être stupéfait, car on s’aperçoit que le CDR
apparaît presque complice de cette demande de préjudice moral formulée par
Bernard Tapie, ou en tout cas qu’il ne fait rien pour la torpiller. Résultat : « Le tribunal arbitral allouera aux liquidateurs une
indemnité de 45 millions d’euros en réparation d’un préjudice moral d’une très
lourde gravité. »
Mais
la vérité, c’est que ce préjudice
moral n’est pas seulement scandaleux dans son montant. Même si le CDR n’use pas
de cet argument, il est aussi infondé en droit. Et pour une
raison facile à comprendre : l’affaire
avait déjà été jugée, et Bernard Tapie avait été… débouté de ses demandes, comme
Mediapart l’avait déjà raconté dans les jours suivant l’arbitrage
Une poubelle à 45 millions d'euros
Accédant à la présidence du
Crédit lyonnais, à la mi-1993, avec pour mandat de redresser la banque publique
en très piteux état, Jean Peyrelevade avait engagé, au lendemain de premières
mesures de restructuration, une campagne de publicité dans la presse pour
convaincre les épargnants que l'établissement était en convalescence C'est
ainsi qu'est parue, le 30 septembre 1994, en page 3 du Figaro, une pleine page de publicité, avec pour titre : « Pour changer la banque, c'est maintenant ou jamais ». En bas de la page, figure
un dessin – Jean Peyrelevade a toujours assuré qu'il ne l'avait vu
qu'après publication – d'un humoriste : on y voit un immeuble en
réfection dénommé« Crédit lyonnais », d'où sort une
bulle : « Bon... plus que la cave et les greniers à
nettoyer ». Et à côté de la cave, on distingue plusieurs poubelles où
a été entreposé ce qui a été sorti de ces caves et greniers. Sur ces poubelles,
figurent des étiquettes : « MGM », « Tapie »... C'est écrit tellement petit
qu'on les voit à peine . Rien de bien grave. En ces temps de désastre du Crédit
lyonnais, tous les autres caricaturistes de la presse s'en donnent à cœur joie
contre la banque. Souvent avec beaucoup plus de férocité. Mais comme ce dessin
figure dans une publicité, Bernard Tapie porte plainte en diffamation. Peine
perdue ! Dans un jugement en date du 21 décembre 1994, le tribunal de
grande instance de Paris déboute Bernard Tapie,« attendu (...) que
cette publicité ne pouvait être comprise par le lecteur comme imputant
clairement aux demandeurs l'accomplissement d'actes contraires à l'honneur ou à
la considération ; que le seul fait que les comptes de Bernard Tapie et de
ses sociétés dans les livres de la banque soient débiteurs n'est pas
diffamatoire dès lors qu'il n'est pas suggéré que les intéressés auraient
obtenu ou maintenu cette position débitrice par des procédés illicites ».
Et malgré l'autorité de la
chose jugée, voici que cette bataille autour d'une « poubelle », perdue par Bernard Tapie, est exhumée quatorze ans plus tard.
Et cette fois, le protégé de l'Élysée la gagne. Et empoche une invraisemblable
pénalité de 45 millions d'euros, au titre du préjudice moral.
Pour toutes ces raisons, on
comprend que la responsabilité des trois arbitres qui, ce faisant, ont violé
l’autorité de la chose jugée, est lourdement engagée. Or, dans le cas présent,
ce n’est pas à Pierre Estoup que Bernard Tapie doit ce cadeau proprement hallucinant. C’est à Jean-Denis Bredin, l’arbitre qui
a été choisi par Me Jean-Pierre Martel et Me Gilles August, pour le compte du CDR – lesquels avocats,
comme on vient de le voir, n’ont eux-mêmes pas contesté la recevabilité de cette
demande. Entendant Jean-Denis Bredin le 3 juin, la Brigade financière lui a en
effet présenté un courrier qu’il avait lui-même adressé à Pierre Estoup, en
date du 23 juin 2008, courrier qui a été saisi lors d’une perquisition. Dans ce
courrier, Jean-Denis Bredin écrit : « Je vous adresse ci-joint mon modeste brouillon sur le
préjudice moral, qui reprend pour l’essentiel vos excellentes
observations. »
La Brigade financière demande donc à l’avocat s’il est bien
l’auteur de la partie de la sentence relative au préjudice moral. Dans un
premier temps, l’avocat tergiverse et dit qu’il ne « se souvient pas de ce courrier ». La Brigade financière
insiste et lui montre le« modeste brouillon » à 45 millions. L’académicien est alors contraint de rendre les
armes : « Oui, il s’agit bien de mon modeste
brouillon. » Et finalement, Jean-Denis
Bredin donne tous les détails : « Oui, j’ai plus
particulièrement travaillé sur le préjudice moral. Le préjudice moral fait peu
souvent l’objet de difficultés, soit il est limité à 1 €, soit à 1 million
d’euros. Mais là, il posait problème. C’est peut-être pour cela que Monsieur
Mazeaud m’a demandé de m’en occuper et a chargé Monsieur Estoup de rédiger le
reste de la sentence. »
En réponse à la Brigade
financière qui lui fait alors observer que « ce document intitulé "brouillon" semble en tous
points identique à la partie de la sentence arbitrale sur le préjudice moral
rendue le 7 juillet 2008 », l’arbitre poursuit ces explications : « Oui, certainement, la demande était de 50 millions
d’euros. Moi, j’étais à 40 et le président Mazeaud a dû trancher et a amené les
deux autres arbitres à accepter une solution moyenne. » Jean-Denis Bredin précise enfin que Pierre Estoup a écrit le
reste de la sentence : « Oui, il a fait la
rédaction du travail préparatoire de la sentence dans sa quasi-totalité.
Les
investigations de la Brigade financière ont ainsi fini par établir que le rôle
de l’arbitre Jean-Denis Bredin a été très important, même si dans la presse on
en a beaucoup moins parlé que de celui de Pierre Estoup. Son rôle retient
d’autant plus l’attention que les auditions de l’académicien ont révélé aussi
d’autres détails, pour le moins troublants. Lors d’une audition préalable, le
21 février précédent, Jean-Denis Bredin avait en effet prétendu qu’il ne
connaissait pas Bernard Tapie et son épouse : « Non, je n’ai
jamais eu l’occasion de les connaître. J’en ai beaucoup entendu parler mais je
ne les connais pas personnellement », avait-il déclaré.
Le mystérieux courrier de Me Lantourne à Me Bredin
Mais lors de sa nouvelle
audition, ce 3 juin 2013, la Brigade financière soumet à Jean-Denis Bredin un
courrier que lui a adressé le 29 septembre 2006, donc longtemps avant
l’arbitrage, Me Maurice
Lantourne, l'avocat de Bernard Tapie. Et dans la foulée de l’échange avec la
police, Jean-Denis Bredin change de version et finit par admettre qu’il a « rencontré M. et Mme Tapie à
deux ou trois reprises dans un cadre mondain, il y a très longtemps, autour de
1993-1995 ». Mais il ajoute tout aussitôt qu’il ne se souvient plus de
la lettre de Me Lantourne.
Or, cette lettre, adressée par Me Lantourne
à Me Bredin, que la
Brigade financière a saisie lors d’une perquisition, est tout sauf anodine.
Dans ce courrier, l’avocat écrit en effet ceci à l’académicien : « Mon cher confrère, Monsieur
Bernard Tapie m’a demandé de vous faire parvenir par la présente copie du
projet d’avis de Monsieur Lafortune, avocat général près la Cour de cassation. Je
vous en souhaite bonne réception. »
Ce courrier soulève une cascade d’interrogations. D’abord, il
suggère que, contrairement à ce que Jean-Denis Bredin a prétendu, il
connaissait Bernard Tapie, mais pas seulement « dans
un cadre mondain », peut-être aussi dans un cadre professionnel :
la lettre peut en effet laisser entendre que Bernard Tapie transmet ce projet
d’avis à Me Bredin pour recueillir son avis. Mais dans ce cas, si
Jean-Denis Bredin a eu à connaître des dossiers Tapie avant l’arbitrage,
n’a-t-il pas lui aussi manqué à ses obligations d’indépendance puisqu’il ne l’a
pas déclaré quand le tribunal arbitral a été constitué ?
Et puis la seconde
interrogation n’est pas des moindres. Car au printemps 2006, un étrange incident
– absolument sans précédent – était survenu à la Cour de cassation,
peu de temps avant qu’elle ne se prononce sur le litige Adidas :
durant quelques heures, le matin du 19 juin, les conclusions
confidentielles du conseiller-rapporteur de la chambre commerciale, chargée
d'examiner le dossier Adidas, ont été accessibles sur le site intranet de la
haute juridiction, à cause d’un dysfonctionnement d’origine
mystérieuse. Du coup, l’audience prévue par la Cour de cassation
initialement le 4 juillet avait été reportée à l'automne et son premier
président, Guy Canivet, avait décidé que l'arrêt serait rendu le 9 octobre par
l’assemblée plénière de la juridiction, pour lui conférer le plus de solennité
possible et éviter toute pression.
Or,
la lettre de Me Lantourne
suggère qu’en réalité, dix jours avant cette assemblée plénière, ce projet d’avis,
qui aurait dû rester confidentiel, est entre les mains de Bernard Tapie et que
ce dernier le fait adresser à Jean-Denis Bredin. Qui a donc pu transmettre ce
document confidentiel à Bernard Tapie ? Et pourquoi Jean-Denis Bredin en
est-il aussi destinataire ? À l’aune de ces révélations, on devine,
quoi qu’il en soit, que la Brigade financière et les magistrats qui supervisent
leurs investigations ont fait un formidable travail. Car au gré des
perquisitions qu’ils ont conduites et des auditions auxquelles ils ont procédé,
la vraie histoire, telle qu’elle apparaît, n’est pas celle dont on parle trop
souvent : celle d’un arbitre qui aurait pu masquer ses liens avec le clan
Tapie et berner ses deux autres collègues.
En vérité, les trois arbitres ont été solidaires, et puisqu’ils
le disent eux-mêmes, il n’y a guère de raison d’en douter…
Éric Woerth
– Affaire Bettencourt Accusé par
l'ex-comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thibout, d'avoir reçu début 2007,
alors qu'il était ministre du budget et trésorier de l'UMP, 150 000 euros
de Patrice de Maistre, l'ex-gestionnaire de fortune de la milliardaire, Éric
Woerth a déposé plainte pour dénonciation calomnieuse. Le
31 août 2010, le site internet de L'Express annonce
qu'une lettre adressée place Beauvau au début du mois de mars 2007 et signée de
la main d'Éric Woerth, alors trésorier de l'UMP et de la campagne
présidentielle de Nicolas Sarkozy, a été retrouvée à la mi-août par les
enquêteurs de la Brigade financière lors d'une perquisition. Dans ce courrier,
Éric Woerth intervient auprès de Nicolas Sarkozy, alors ministre de
l'intérieur, afin de lui demander d'attribuer la Légion d'honneur à Patrice de
Maistre, donateur de l'UMP et gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt,
mais aussi employeur de sa femme. Le 8 février 2012, il est mis en
examen pour trafic d'influence passif, et le lendemain pour recel de financement
illicite de parti politique.
Le 4 juillet 2013, Éric Woerth est renvoyé en
correctionnelle pour ce dernier volet du dossier.
– Affaire Tapie La justice détient une lettre de l'ancien ministre du budget
adressée aux avocats de Bernard Tapie. Datée d'avril 2009, elle fixerait le
montant d'impôt dû par l'ex-homme d'affaires au terme de l'arbitrage à environ
12 millions d'euros alors que d'autres modes de calcul auraient pu aboutir à…
120 millions d'euros.
– Vente de l'hippodrome de Compiègne Il est par ailleurs sous
le coup d'une enquête de la Cour de justice de la République (CJR) pour « prise
illégale d'intérêts » dans la vente de l'hippodrome de
Compiègne.