mardi 9 juillet 2013

la bande organisée - se regroupe, se recompose, se congratule,







Nicolas Sarkozy occupe le terrain politique et revient ce lundi devant le bureau de l'UMP. Un retour à la Berlusconi qui tente de circonscrire les multiples incendies judiciaires qui le menacent lui et ses proches. Depuis plusieurs mois, tous ceux qu'il avait pris soin de placer à des postes clés, tombent les uns après les autres : perquisition, ouverture d'enquêtes, mises en examen, voire renvoi en correctionnelle.
"La politique est l'art de se servir des hommes en leur faisant croire qu'on les sert."

Voltaire





Sarkozy : la démocratie énervée

Philippe Bilger


Je m'attends à recevoir des tombereaux d'insultes ou, pire, de la commisération, de la condescendance parce qu'à nouveau je m'assigne, trois ans avant la primaire UMP de 2016, de sonner modestement le tocsin.
Ce délai, au fond, est si court et le risque du retour de Nicolas Sarkozy déjà si proche.
Pour mesurer la précipitation avec laquelle passe le temps, il me suffit de percevoir le cours de ma propre vie pour sentir comme la réalité, la certitude du bonheur sont sans cesse altérées par la menace de la finitude. Le destin, sous toutes ses formes, avance à bride abattue.
On éprouve les détestations, les angoisses de ses compétences. Pour la plupart des citoyens, le champ économique et financier les préoccupe, le champ de leur vie quotidienne les concerne. Pour ma part, ayant été magistrat durant près de quarante ans, tout naturellement l'état de droit m'est apparu comme le critère dominant à partir duquel j'ai évalué le quinquennat de Nicolas Sarkozy. Et la République irréprochable promise en 2007 m'est demeurée en travers de l'esprit jusqu'en 2012, tant la malheureuse, avec sa pureté virtuelle, a été honteusement dégradée.
D'où mon obsession, je l'admets peut-être lassante, pour me mobiliser afin d'éviter aux naïfs, aux superficiels, aux réalistes à courte vue, aux cyniques à tous crins, aux républicains relatifs, l'amertume de ma propre expérience qui s'est condamnée, faute d'avoir fait le bon choix en 2007, à se battre contre de possibles retrouvailles de Nicolas Sarkozy en 2017 moins avec la France qu'avec l'image narcissique de soi.
Je ne peux pas oublier, comme mon péché originel en politique puisque j'ai tout permis, les premiers jours honteux, la suite illisible, erratique, arrogante, vulgaire, dominatrice, active, agitée, épuisante, étouffante, efficace, irréfléchie, instinctive, méprisante, surabondante, acceptable, catastrophique, si peu accordée à la Justice, médiocrement républicaine dans ses profondeurs et le terme tellement démagogique.
Qu'on ne s'y trompe pas : ce serait pareil en 2017. On peut changer de politique mais on ne quitte pas sa personnalité, surtout quand elle s'estime nécessaire et hors de prix. La démocratie énervée d'hier sera celle de demain si on laisse faire.
Qu'on ne vienne pas soutenir qu'il y a loin de la coupe aux lèvres, de la défaite de la droite en 2012 à la revanche de Nicolas Sarkozy, qu'on ne nous apaise pas en nous rappelant l'adage mitterrandien du temps au temps. Ce qui est vrai pour le pouvoir et sa conquête - savoir ménager les étapes et composer avec le rythme des jours - ne l'est pas évidemment pour le tâcheron vigilant que doit être tout citoyen pour peu qu'il partage ma vision. Si c'est le cas, il n'y a pas une seconde à perdre. Aucune dénonciation n'est inutile, aucune dérision superflue, aucune réplique vaine. L'antisarkozysme conséquent n'a plus droit au repos.
Puisqu'évidemment la promesse de Nicolas Sarkozy de quitter la scène politique a été, comme chacun de ses engagements, le signe éclatant qu'il accomplirait l'inverse, tant le besoin de se croire indispensable l'emporte chez lui sur l'honnêteté la plus élémentaire.
Son attitude depuis un an, sans paradoxe, manifeste qu'il a encore moins l'allure d'un chef d'Etat même battu que durant ses cinq ans d'exercice du pouvoir. Son inaptitude à demeurer dans l'ombre, sa conciliation pour l'instant réussie entre sa passion de l'argent et sa vanité partisane, son faux effacement mais ses vraies manoeuvres, son désir éperdu de laisser la droite dans l'état lamentable où il l'a laissée pour n'avoir à craindre aucun rival révèlent de manière éclatante qu'il n'a rien appris de son rejet mais qu'il n'est inspiré que par l'émergence de sa propre personne en se parant de la conscience d'un devoir dont tout le monde le dispense. Singer De Gaulle sans la substance.
Et, autour de lui, le clan - je n'ose écrire : la bande organisée - se regroupe, se recompose, se congratule, comme si tout était déjà fait, comme si on allait tous les voir revenir, ces politiques, ces ministres, ces collaborateurs estimables et fidèles qui n'ont pas ouvert leur bouche ni leur morale pour émettre le moindre bémol durant cinq ans de transgressions banales ou éclatantes. Les Balkany sont aux anges, Courroye espère, Guaino n'aura plus à insulter la justice indépendante puisqu'elle n'existera plus et même Guéant reprend des couleurs.
Il est si sûr d'être attendu, si persuadé de gagner haut la main, haut la manipulation que c'en devient, pour un homme comme lui, presque écoeurant de facilité. D'ailleurs, chaque jour le convainc que les médias ont compris parce qu'ils anticipent si bien. Le Monde annonce "son retour" et France Inter consacre une longue séquence à sa vie quotidienne comme si, pour un président défait, c'était la norme. Les journalistes piaffent autant que lui : ils veulent le revoir autant qu'il les a détestés. Comme les magistrats, les diplomates, beaucoup de citoyens, les corps intermédiaires. L'adulation de soi, je l'admets, laisse peu de place au respect d'autrui.
Il est tellement déjà vainqueur d'un match qui pourtant n'a pas encore commencé qu'autour de lui on traite avec désinvolture ou avec une aimable indifférence les éventuels obstacles qui oseraient se dresser devant son irrésistible ressentiment, sa revanche programmée et certaine. Son épouse qu'il aime - il paraît qu'ils n'ont jamais été plus heureux si on écoute sa merveilleuse et élégante amie, Isabelle Balkany - ne souhaite pas qu'il revienne en politique mais qui prendrait ce tendre conseil pour autre chose que du vent ?
Camille Pascal qui continue à écrire ses discours pour les remises de décoration et qui s'en flatte déclare que la seule personne qui pourrait empêcher Nicolas Sarkozy de faire à nouveau "don de sa personne à la France» comme l’avait fait à une autre époque Philippe Pétain..est Sarkozy lui-même.
Oubliée la défaite de 2012.
Oubliée la victoire de François Hollande.
Oubliée la Justice au quotidien qui traite enfin librement toutes les troubles affaires surgies du fond de son quinquennat. Pourtant, avant qu'un jour on le juge si cela survient, il n'est personne qui doute de la plausibilité de ces accusations. Il y a la présomption d'innocence certes mais sa personne, sa psychologie, son rapport à la République, son goût du lucre, son prurit de domination, son indifférence aux principes, tout nourrit ce qui lui est imputé. Etrange, d'ailleurs, comme la droite de Nicolas Sarkozy et de sa clientèle proche, en cette dernière année à la fois effrayée et nostalgique, a découvert les valeurs : elles ne sont recommandables que pour sa sauvegarde. L'innocence est invoquée à tout coup. Un tic même quand d'année en année elle s'est dégonflée.
Oublié, méprisé François Fillon. C'est "le pire des traîtres" et il a peur de dire en face ce qu'il assume médiatiquement. La primaire de 2016, avec une UMP sous la coupe de Copé, sera une partie de plaisir, un remake plus subtilement agencé que celui de la fraude pour la présidence de l'UMP. Celle-ci, d'ailleurs, est tellement obtuse dans sa majorité qu'elle fera ce qu'on murmurera, enjoindra à son aveuglement.
Oublié François Hollande. Il est "si nul". Les quatre années qui lui restent vont être un calvaire pour la France. Nicolas Sarkozy sera le sauveur. Presque aussi bien que de Gaulle. Il conviendrait que le président de la République fût plus attentif à ce risque et conscient du fait que son optimisme apparent ne nous préservera de rien s'il ne constitue pas sa social-démocratie comme une machine à réussir. Et pas seulement à calmer.

Seul Sarkozy lui-même, maître de sa destinée et de notre avenir radieux ou non.
Je ne caricature pas. Cela nous pend au nez, à l'esprit, au civisme.
Nicolas Sarkozy se vante, paraît-il, de n'être pas un homme à faire des réussites comme de Gaulle.
Dommage. Pour la démocratie énervée d'hier. Et pour prévenir celle de demain.

Ventes d’armes sous Édouard Balladur et financement illicite de la campagne présidentielle de ce dernier en 1995 ; immense cadeau accordé sur fonds publics à Bernard Tapie dès le début du quinquennat en 2007 ; liens d’affaires et d’amitiés noués dès 2005 et poursuivis jusqu’en 2009 avec le dictateur libyen Kadhafi, son régime et son entourage ; persistance d’un premier cercle d’entremetteurs où l’intermédiaire en armements Ziad Takieddine croise l’obscur mais indispensable Thierry Gaubert, en compagnie du plus fidèle compagnon, Brice Hortefeux ; révélation en 2010 de sollicitations et d’assiduités auprès des Bettencourt dont la fortune cachée, notamment dans des comptes bancaires suisses, garantissait la générosité financière...
Alors que l'ancien président tente ce lundi un vrai-faux retour en politique en participant au bureau national de l'UMP après le rejet par le Conseil constitutionnel de ses comptes de campagne 2012, la véritable explication de cette soudaine agitation est sans doute plutôt à chercher du côté de la justice. De fait, un an après la fin de son quinquennat, Nicolas Sarkozy, lui-même mis en examen dans l'affaire Bettencourt, comme ses proches, semblent cernés de toutes parts par la justice. La politique comme échappatoire ? Mediapart fait le point.
Édouard Balladur Premier ministre quand fut signé en 1994 le contrat de vente de sous-marins au Pakistan et de frégates à l'Arabie saoudite, Édouard Balladur continue de démentir tout financement occulte de sa campagne présidentielle de 1995 et les soupçons de rétrocommissions. Mais au vu de l'avancée de l'enquête menée par le juge Renaud Van Ruymbeke, il devrait logiquement être auditionné dans les mois à venir. D’autant que placé en garde, Ziad Takieddine a reconnu le 20 juin 2013 avoir financé la campagne de l’ancien premier ministre. Peu auparavant, le juge Van Ruymbeke avait découvert un document permettant d’affirmer que l'intermédiaire Abdul Rahman El Assir a utilisé une partie des commissions perçues sur les contrats d'armement pour payer des sondages d'opinion, qui se sont révélés être en faveur de Balladur, lors de la campagne présidentielle de 1995. Associé à l’époque au sulfureux homme d'affaires franco-libanais Ziad Takieddine, l’intermédiaire aurait ainsi fait appel au conseiller en communication Paul Manafort pour évaluer les chances de succès de l'ancien premier ministre, dont le directeur de campagne était à l'époque Nicolas Sarkozy.
Nicolas Bazire, Proche de Nicolas Sarkozy dont il a été témoin de mariage avec Carla Bruni, ancien directeur de cabinet d'Édouard Balladur et directeur de la campagne de ce dernier en 1995, Nicolas Bazire, 54 ans, a été mis en examen le 22 septembre 2011 pour « complicité d'abus de biens sociaux » dans le cadre de l'affaire Karachi. Il lui est notamment reproché d’avoir participé à la mise en place, depuis Matignon, du réseau Takieddine. Les agendas d’un intermédiaire saoudien, le cheik Ali Ben Moussalam, font d’ailleurs apparaître que Nicolas Bazire et Édouard Balladur ont personnellement rencontré les membres du réseau Takieddine avant la signature de juteux contrats avec l’Arabie saoudite, trois au total. Du jamais vu.
Philippe Courroye, Le procureur de Nanterre, proche notoire de Nicolas Sarkozy, a été mis en examen le 17 janvier pour « atteinte au secret des correspondances par personne dépositaire de l'autorité publique » et « collecte de données à caractère personnel par moyen frauduleux, déloyal ou illicite »Une décision par la suite annulée par la chambre de l’instruction car au moment de la mise en examen du procureur, le caractère illégal de la procédure engagée contre les journalistes n’était pas établi (ce ne sera établi qu’en décembre 2011). L’instruction va donc pouvoir reprendre. Le 1er septembre 2010, Philippe Courroye avait ouvert une enquête pour « violation du secret de l'enquête » après les révélations du Monde sur une perquisition chez Liliane Bettencourt. Le 24 février 2011, le quotidien portait plainte contre lui pour violation du secret des sources. L'avocat de M. Courroye, Me Jean-Yves Dupeux, a indiqué lundi 3 octobre que son client avait déposé plainte contre le quotidien pour dénonciation calomnieuse. L'avocat estime que la plainte déposée par Le Monde dans cette affaire pour violation du secret des sources l'a été « en toute connaissance de la fausseté des faits allégués ». En charge de l'affaire Bettencourt, le procureur Courroye était nommément cité dans les enregistrements publiés par Mediapart, lorsque, le 21 juillet 2009, Patrice de Maistre, le gestionnaire de Liliane Bettencourt, expliquait à sa cliente que Patrick Ouart, à l'époque conseiller juridique de Nicolas Sarkozy, lui avait assuré que le procureur Courroye allait annoncer le 3 septembre que la demande de sa fille était irrecevable, avant que le procureur rejette effectivement la plainte le 3 septembre 2009.
Renaud Donnedieu de Vabres, a été mis en examen en décembre 2011 pour « complicité d'abus de biens sociaux » dans l'affaire des ventes d'armes au Pakistan et à l'Arabie saoudite. Il est soupçonné d'avoir participé à la mise en place, au sein du gouvernement Balladur, d'un système de détournement de fonds.
Thierry Gaubert
 Affaire Karachi, 60 ans, proche de Nicolas Sarkozy, aujourd'hui conseiller du président du groupe Banques populaires-Caisse d'épargne, est interpellé et placé en garde à vue en septembre 2011. Mis en examen deux jours plus tard pour « recel d'abus de biens sociaux », il est laissé en liberté. M. Gaubert a été directement accusé par sa femme, Hélène de Yougoslavie, entendue le 10 septembre. Elle a indiqué aux enquêteurs que son mari avait, dans les années 1990, rapporté de l'étranger, avec Ziad Takieddine, des valises d'argent remises à Nicolas Bazire. Témoignage qu'elle a maintenu dans la presse. Thierry Gaubert est également mis en examen pour « subornation de témoin » le 22 novembre 2011. En mai 2012, Thierry Gaubert a annoncé lui-même avoir à nouveau été mis en examen, cette fois pour blanchiment aggravé.
– Affaire du 1 % logement, Reconnu coupable d’« abus de biens sociaux » et d’« abus de confiance » dans l’affaire du 1 % logement des Hauts-de-Seine, Thierry Gaubert a par ailleurs écopé d’une peine de dix mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende, le 3 mai 2012, au tribunal correctionnel de Nanterre.
Claude Guéan
 Affaire Tapie, L'ancien ministre de l'intérieur et ancien secrétaire général de l'Élysée a reçu Bernard Tapie en mai 2009 et interféré dans la négociation fiscale que l’ex-homme d’affaires avait avec le directeur de cabinet d’Éric Woerth et qui ne prenait pas la tournure qu’il souhaitait. Une négociation qui a joué un rôle majeur dans la constitution de la fortune de l'homme d'affaires, et qui vaut à l'ancien ministre d'avoir été perquisitionné. Avant, sans doute, une audition et peut-être une mise en examen.
– Affaire Kadhafi, Mis en cause par Ziad Takieddine, dans l’affaire du financement libyen de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant est perquisitionné le 27 février 2013. Devant les juges, Ziad Takieddine avait déclaré : « Durant cette période, Bachir Saleh (ancien directeur de cabinet de Kadhafi – ndlr) est venu à plusieurs reprises voir M. Guéant au ministère de l’intérieur, quand il était directeur de cabinet du ministre, a-t-il précisé. Lors de ces rencontres, M. Guéant donnait à M. Saleh les indications bancaires nécessaires aux virements. »
– Primes de cabinet, Claude Guéant est également mis en cause pour avoir bénéficié de sommes d'argent en liquide pour environ 250 000 euros, provenant selon lui de « primes de cabinet », « non déclarées », versées d’après l’ancien ministre à « plusieurs milliers de fonctionnaires » du ministère de l'intérieur de 2002 à 2006. Cette défense est démentie par les anciens ministres Daniel Vaillant et Roselyne Bachelot mais sera confirmée par une enquête demandée par le ministère de l'intérieur. Le parquet de Paris a cependant ouvert, le 14 juin 2013, une enquête préliminaire pour de possibles « détournements de fonds publics » et « recel » visant les primes.
Brice Hortefeux
– Affaire Karachi, Le vendredi 23 septembre, Le Monde dévoile le contenu d'une conversation téléphonique entre Brice Hortefeux et Thierry Gaubert, datée du 14 septembre. L'ex-ministre de l'intérieur a appelé son ami pour le prévenir que sa femme, Hélène de Yougoslavie, « balançait beaucoup » au juge Van Ruymbeke. L'échange entre les deux hommes laisse penser que M. Hortefeux a eu accès au dossier d'instruction. D'autant que celui-ci a passé un deuxième appel à Thierry Gaubert, le 20 septembre, alors que ce dernier était placé en garde à vue. L'ex-ministre de l'intérieur demande à « être entendu par la justice » et menace « de porter plainte contre toute allégation mensongère et diffamatoire ». Ses vœux sont exaucés dans la soirée du vendredi : le parquet de Paris annonce l'ouverture d'une enquête préliminaire pour « violation du secret professionnel » et « recel de violation du secret professionnel ». Entendu le vendredi 30 septembre par la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ), l'ex-ministre de l'intérieur a déclaré dans un communiqué avoir « pu préciser et démontrer, en toute transparence, qu'il ne disposait d'aucun élément provenant du dossier de la procédure judiciaire ». Mais l'avocat des familles des victimes de l'attentat de Karachi n'entend pas en rester là. Le lundi 26 septembre, il annonce déposer plainte contre Brice Hortefeux pour « complicité de subornation de témoin »« violation du secret de l'enquête » et « entrave au déroulement des investigations ou à la manifestation de la vérité ».  L'enquête pour violation du secret professionnel a été classée sans suite.
– Affaire Kadhafi, Selon un document révélé par Mediapart en mars 2012, le marchand d’armes Ziad Takieddine, organisateur en 2005 des visites du ministre de l’intérieur et de ses proches en Libye, puis en 2007 du président élu Nicolas Sarkozy, aurait mis en place les « modalités de financement » de sa campagne présidentielle par le régime de Kadhafi, en lien avec Brice Hortefeux, alors ministre des collectivités locales. Le 18 octobre 2011, les policiers ont versé au dossier d’instruction une note de synthèse sur laquelle figure une référence à un document baptisé « GEN/ NS V. MEMO DG », qui contient sans les expliciter les initiales du président de la République. Cette note de synthèse a été rédigée et remise aux enquêteurs par un témoin du dossier, Jean-Charles Brisard, ancien membre de l’équipe de campagne d’Édouard Balladur, en 1995, aujourd’hui dirigeant d’une société de renseignements privée. Le document contient aussi les références du compte suisse de la sœur de Jean-François Copé, le patron de l’UMP, dont M. Brisard est un proche. Le premier volet du document est intitulé « CAMP07 » et concerne la campagne présidentielle de 2007. D’après la note, les « modalités de financement de la campagne » de « NS» ont été « réglées lors de la visite Libye NS + BH » le 6 octobre 2005. Cette visite officielle avait été activement préparée par Ziad Takieddine, comme en attestent ses notes à Claude Guéant, qui figurent au dossier d’instruction.
Christine Lagarde, L'actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) est mise en cause dans le cadre d'une enquête de la CJR, ouverte le 4 août, pour « complicité de faux » et « complicité de détournement de fonds publics ». Le 25 mai 2013, elle a été placée sous le statut de témoin assisté par la Cour de justice de la République. La Cour de justice de la République estime que l'ex-ministre de l'économie s'est impliquée « personnellement » dans un processus comportant « de nombreuses anomalies et irrégularités », qui a abouti à un dédommagement de Bernard Tapie de centaines de millions d'euros sur fonds publics.
François Léotard, Il est celui qui a signé les contrats de l’affaire de Karachi. L'ancien ministre de la défense, François Léotard, est au cœur de l'enquête du juge Van Ruymbeke sur les ventes d'armes du gouvernement Balladur avec le Pakistan et l'Arabie saoudite. Le magistrat a accumulé les preuves de son implication personnelle et de celle de son plus proche conseiller de l'époque, Renaud Donnedieu de Vabres, dans la mise en place du réseau Takieddine. À la clé : plus de 80 millions d'euros de commissions occultes. Avec les derniers rebondissements de l’affaire, une audition de François Léotard devrait intervenir prochainement. 
Stéphane Richard, ex-directeur de cabinet de Christine Lagarde, est convoqué le 10 juin 2013 devant la Cour de justice de la République (CJR) dans le cadre de l'arbitrage rendu en 2008, favorable à Bernard Tapie, qui avait touché 403 millions d'euros dans l'affaire l'opposant au Crédit lyonnais sur la vente d'Adidas. Il met en cause Jean-François Rocchi, président du Consortium de réalisation au moment de l'arbitrage. Le 10 juin 2013, il est placé en garde à vue et est mis en examen pour escroquerie en bande organisée en même temps que Jean-François Rocchi. Ancien directeur de cabinet de Jean-Louis Borloo puis de Christine Lagarde au ministère de l’économie, Stéphane Richard est donc considéré par les trois juges d’instruction chargés du dossier comme l’un des protagonistes majeurs de l’arbitrage frauduleux qui a rapporté 403 millions d’argent public à Bernard Tapie, dont 45 millions au titre du préjudice moral. Stéphane Richard a donné des versions différentes et parfois contradictoires de l’histoire de l’arbitrage et notamment de son origine : sur le rôle de Jean-Louis Borloo en particulier, sur celui de Jean-François Rocchi ou encore sur celui de Claude Guéant (lire Les protagonistes du scandale Tapie s’entre-déchirent). Ses déclarations étaient très attendues sur le rôle de Claude Guéant, qui pourrait avoir été décisif, comme le confirment les enquêtes de Mediapart.
Bernard Squarcini, Le 17 octobre 2011, alors qu'il est toujours directeur de la DCRI, Bernard Squarcini est mis en examen pour « atteinte au secret des correspondances », « collecte illicite de données » et « recel du secret professionnel », dans le cadre de l“affaire des fadettes” des journalistes du Monde en pleine affaire Bettencourt. Le 12 décembre 2012, la cour d'appel de Paris annule deux des trois chefs de mise en examen. Il reste mis en examen pour « collecte de données à caractère personnel par un moyen frauduleux, déloyal ou illicite ». En juin 2013, il est renvoyé en correctionnelle pour ce dernier chef d'accusation.
Ziad Takieddine  
 Affaire du vrai-faux passeport L'homme d'affaires franco-libanais, soupçonné d'avoir voulu prendre la fuite à l'étranger alors qu'il fait l'objet d'un contrôle judiciaire, a été mis en examen le 1er juin 2013 et écroué à la prison de la Santé. Les policiers le soupçonnent d'avoir envisagé de fuir la France en cherchant à se procurer un passeport diplomatique de la République dominicaine, moyennant 200 000 dollars (145 000 euros). C'est lors d'une perquisition le 11 avril à son domicile que les policiers ont découvert l'existence d'un courriel qui permettait de comprendre que M. Takieddine allait se faire délivrer ce document.
– Affaire Karachi  Au cœur de l'affaire, Ziad Takieddine est mis en examen trois fois dans ce dossier : d'abord pour complicité et recel d'abus de biens sociaux et faux témoignage, puis pour blanchiment et recel d'abus de biens sociaux. 
– Affaire Kadhafi De septembre à décembre 2005, Ziad Takieddine aura été l'organisateur des visites à Tripoli du ministre Sarkozy, de Claude Guéant, son directeur de cabinet, et même de Brice Hortefeux, ministre délégué... aux collectivités territoriales. Officiellement, il s’agit de parler d’immigration et de lutte contre le terrorisme. En coulisses, le cabinet Sarkozy et Ziad Takieddine négocient en secret des contrats commerciaux, plus ou moins avouables. 
Bernard Tapie, Le 28 juin 2013, Bernard Tapie et son avocat Maurice Lantourne sont mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » dans l’affaire Tapie-Crédit lyonnais. Au centre des investigations des juges d’instruction : les multiples rencontres à l’Élysée avec Bernard Tapie, avant et après l’arbitrage ultra favorable qui lui a alloué plus de 400 millions d’euros, dont 45 de préjudice moral. Après moult circonlocutions, Bernard Tapie a fini par admettre avoir participé à une réunion à la présidence de la République, en juillet 2007, en vue de mettre en place le processus d’arbitrage qui, un an plus tard, lui accordera 403 millions de dommages et intérêts.
Dans les turbulences des perquisitions, des gardes à vue ou des mises en examen qui se sont succédé à un rythme effréné ces dernières semaines pour « escroquerie en bande organisée », de nouvelles révélations viennent sans cesse confirmer que l’arbitrage, qui a fait la fortune de Bernard Tapie, n’a sans doute été qu’une vaste machination visant à détourner 403 millions d’euros d’argent public. Des indices graves et concordants semblent attester que c’est en particulier au travers de l’un des trois arbitres, en l’occurrence l’ancien président de la cour d’appel de Versailles, Pierre Estoup, que l’arbitrage aurait pu être faussé, les deux autres arbitres ne semblant avoir joué que les utilités. Mediapart est pourtant en mesure d’établir que cette version des faits, qui a été reprise par de nombreux médias, n’est pas conforme aux dépositions faites par de nombreux acteurs de l’histoire, soit devant la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR), soit lors des auditions auxquelles a procédé ces dernières semaines la Brigade financière – auditions dont nous avons pu prendre connaissance grâce à des sources proches de l’enquête.
Les soupçons qui pèsent sur Pierre Estoup sont certes graves et ont conduit à ce que, des trois arbitres, il soit le seul à avoir été placé quarante-huit heures en garde à vue et à avoir été, à l’issue, mis en examen pour « escroquerie en bande organisée ». Ces soupçons, Mediapart les a évoqués depuis longtemps. Dans une enquête mise en ligne dès le 24 juillet 2008, soit deux semaines après l’annonce de la sentence controversée, nous racontions dans quelles conditions il avait été mis en cause lors du procès Elf, en 2003, pour avoir rendu un autre arbitrage, lui aussi contesté, entre le tyran du Gabon, Omar Bongo, et l’un des principaux condamnés, André Tarallo, le « Monsieur Afrique » d’Elf, arbitrage qui avait pour objet de disculper ce dernier des détournements dont il avait profité.
Puis, dans le cours même de l’arbitrage en faveur de Bernard Tapie, Pierre Estoup a été mis en cause puisque, comme l’avait révélé le rapport de la Cour des comptes (il est ici, à lire en particulier les pages 31 et 32), les parties en présence ont appris que l’ex-magistrat avait manqué à ses obligations de révélations étendues et n’avait pas indiqué que dans le passé il avait déjà fait d’autres arbitrages dont était également partie MeMaurice Lantourne, l'avocat de Bernard Tapie. C’est d’ailleurs l’un des griefs qui pourrait être retenu pour Christine Lagarde, qui à l’époque n’a pas fait jouer ce motif de récusation et qui a caché au Parlement cette faute de l’arbitre.
Et puis surtout, il y a eu toutes les nouvelles découvertes réalisées ces derniers mois par la Brigade financière notamment au cours des perquisitions qu’elle a effectuées, découvertes qui viennent confirmer que Bernard Tapie et Pierre Estoup étaient en fait de vieilles connaissances, même s’ils prétendaient ne pas se connaître. Révélés récemment par Le Monde, certains extraits des procès-verbaux des auditions auxquelles la Brigade financière a procédé, viennent le confirmer, tout comme les sources proches de l’enquête auxquelles Mediapart a pu avoir accès.
Découvert lors d’une perquisition effectuée le 14 mai 2013 dans un domicile de l’arbitre à Thionville, il y a d’abord ce livre intitulé Librement dont Bernard Tapie est l’auteur et qu’il a offert à Pierre Estoup, assorti de cette dédicace lourde de sens : « Pour le Président Pierre Estoupe, en témoignage de mon infinie reconnaissance, Votre soutien a changé le cours de mon destin. Je vous remercie d’avoir eu l’intelligence et le cœur de chercher la vérité cachée derrière les clichés et les apparences. Avec toute mon affection. B. Tapie, le 10 juin 1998 ». Il y a donc une faute d’orthographe au nom de Pierre Estoup, dont se prévaut aujourd’hui Bernard Tapie pour prétendre qu’il connaissait en réalité très mal l’arbitre.
Depuis, la Brigade financière s’applique donc à comprendre ce qu’a fait dans le passé Pierre Estoup qui ait pu changer « le cours du destin » de Bernard Tapie. De son côté, Mediapart a révélé que le même Pierre Estoup avait réalisé dans le passé eu moins deux consultations rémunérées pour le compte d’un ancien avocat de Bernard Tapie, MeFrancis Chouraqui, portant sur des dossiers impliquant directement le même Bernard Tapie, dont l’un avait trait à une demande de confusion de peine
La Brigade financière détient par ailleurs la preuve que Bernard Tapie et Pierre Estoup ont menti en affirmant qu’ils ne se connaissaient pas, puisque figure « - sur l’agenda de Monsieur Pierre Estoup pour l’année 2006 la mention d’un rendez-vous avec Tapie le mercredi 30 août 2006 à 15H ; - sur l’agenda de Monsieur Pierre Estoup pour l’année 2010, la mention sur la 3eme page de couverture  « [suivent les adresses et téléphones de Tapie, ndlr]- sans plus de précision quant à la personne demeurant à cette adresse. Il s’agit de l’adresse et des coordonnées téléphoniques de Monsieur Bernard Tapie ; - la présence des coordonnées téléphoniques de  Monsieur Pierre Estoup [suit le téléphone de l’arbitre, ndlr] dans le répertoire du téléphone portable de Monsieur Tapie ».Pourquoi Pierre Estoup et Bernard Tapie se seraient-ils rencontrés le 30 août 2006, tout en tenant à ce que cette rencontre reste secrète ?

L'audition éruptive de Pierre Mazeaud

Il reste que les deux autres arbitres n’apparaissent pas, dans l’histoire de l’arbitrage, comme de simples lampistes, comme la presse les a parfois un peu hâtivement présentés. Quand les magistrats de la commission d’instruction de la Cour de justice de la République (CJR) interrogent, le 28 novembre 2012, Pierre Mazeaud, ancien président du Conseil constitutionnel, et, dans l’affaire qui nous concerne, président du tribunal arbitral, il s’insurge lui-même contre l’idée que Pierre Estoup ait pu jouer le rôle central, et qu’il n’ait joué, lui, que les utilités. À l’inverse, alors que la sentence a été prononcée à l’unanimité des trois arbitres, il revendique un travail totalement collégial.« Je trouve scandaleux que [le député centriste] Monsieur de Courson puisse insinuer que je n’ai siégé pour rien, que j’étais aux ordres de tiers (…) Je n’ai jamais fait l’objet d’une quelconque tentative de pression », proteste-t-il ce jour-là.
Interrogé le 4 juin 2013 par la Brigade financière, le même Pierre Mazeaud défend la même version. Il a certes, à la fin de l’arbitrage, adressé une lettre à en-tête de l’Institut de France et de l’Académie des sciences morales et politiques à Pierre Estoup pouvant laisser penser que c’est ce dernier qui a fait le gros du travail : « Monsieur le premier président, j’ai bien eu votre note. Vous avez fait un travail remarquable, ne laissant aucune question. Je tiens donc à vous remercier tout particulièrement pour tout ce que vous faites, d’autant plus que j’en serais totalement incapable », écrivait Pierre Mazeaud dans cette lettre qui a été saisie à l’occasion d’une perquisition.
Mais face à la Brigade financière qui l’interroge ce 4 juin sur le sens de ses propres écrits, Pierre Mazeaud souligne qu’il ne faut surtout pas en conclure que le travail n’a pas été collectif et que Pierre Estoup aurait écrit seul la sentence controversée : « Il a fait un travail remarquable. Je ne conteste pas le travail qu’il a fait. Je réponds qu’il n’en a pas été le maître d’œuvre mais que nous nous sommes réparti la tâche », insiste-t-il.
Lors de ces auditions, la Brigade financière s’est d’ailleurs elle-même appliquée à comprendre si Pierre Mazeaud n’avait pas eu des contacts qui pourraient suggérer que des pressions se soient exercées sur lui. La police a, en particulier, connaissance non seulement de nombreux rendez-vous entre Nicolas Sarkozy et Bernard Tapie, avant et pendant l’arbitrage, mais aussi de nombreux rendez-vous entre le même Nicolas Sarkozy et Pierre Mazeaud : les 21 août 2007 à 15h30 ; 25 février 2008 à 14h45 ;  7 mai 2008 à 18h (mais ce rendez-vous était visiblement dédié à une remise de décoration) ; le 28 juillet 2008 à 14h30 ; le 2 novembre 2008 à 14h30 ; le 3 novembre 2008 à 15h ; le 22 janvier 2009 à 16h30 ; le 25 janvier 2009 à 17h ou encore le 28 janvier 2009 à 18h30.
La Brigade financière a en particulier demandé à Pierre Mazeaud d’apporter des explications sur la nature de son rendez-vous du 28 juillet 2008, « date à laquelle Monsieur Richard [l’actuel patron d’Orange, à l’époque directeur de cabinet de Christine Lagarde au ministère des finances] donnait des instructions à Monsieur Scemama, président de l’EPFR [l’établissement public contrôlant à 100 % le Consortium de réalisation, lequel CDR est lui-même la structure de défaisance des actifs douteux de l’ex-Crédit lyonnais], de ne pas recourir à l’arbitrage ». Ce qui a eu le don d’agacer Pierre Mazeaud, qui a répondu tout à trac : « On n’a pas parlé de cela. » Avant de s’indigner que l’on puisse faire peser sur lui des soupçons de manipulation de l’arbitrage : « Je n’accepte pas que l’on me considère et que l’on m’interroge comme si j’étais un escroc. »
À certains moments, l’audition de Pierre Mazeaud est même devenue éruptive. Agacé qu’on puisse l’interroger sur l’article de Mediapart évoquant les consultations juridiques effectuées par Pierre Estoup pour le compte de Me Chouraqui (lire Tapie : les interventions cachées de l’arbitre Pierre Estoup), il lâche même : « Je prends acte d’abord que le ministère de l’intérieur prend pour argent comptant ce que dit Mediapart. »
Quoi qu’il en soit, Pierre Mazeaud tient donc à assurer qu’il assume ce qu’il a fait et qu’il ne voit nulle duperie dans l’arbitrage. Il ne prétend encore moins qu’il aurait pu être dupé par Pierre Estoup.
Dans le cas du dernier des trois arbitres, Jean-Denis Bredin, son implication dans l’arbitrage est encore plus nette et mérite qu’on s’y arrête. Avant même les explications qu’il a livrées lors de ses auditions devant la Commission d’instruction de la CJR puis devant la Brigade financière, sa cooptation comme arbitre avait suscité de vives controverses pour plusieurs raisons. D’abord, il a été dans le passé vice-président du Mouvement des radicaux de gauche de 1976 à 1980, parti dont Bernard Tapie a été la figure de proue à partir de 1993. Ensuite, Mediapart a révélé dans une enquête en 2008 que Pierre Estoup n’avait pas été le seul à avoir été mis en cause pour un arbitrage dans le passé lié au scandale d’Elf. De son côté, Jean-Denis Bredin a aussi été arbitre dans un arbitrage portant sur un autre volet de l’affaire Elf, concernant cette fois Alfred Sirven, arbitrage que le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke avait qualifié « d’escroquerie au jugement ». Sans doute Jean-Denis Bredin avait-il donc été abusé, mais tout cela n’était évidemment guère glorieux.

Le viol de l'autorité de la chose jugée

Mais les auditions devant la CJR et devant la Brigade financière révèlent plus que cela. Car elles font apparaître que, contrairement à une légende, ce n’est pas Pierre Estoup qui a tenu la plume, de bout en bout, pour écrire la sentence controversée qui a alloué 403 millions d’euros à Bernard Tapie, sentence que les deux autres arbitres par manque de vigilance ou par paresse et peu d’implication auraient fini par avaliser. Non ! La partie la plus controversée de la sentence, celle qui porte sur les 45 millions d’euros de préjudice moral alloués à Bernard Tapie, a été écrite par... Jean-Denis Bredin !
Cette implication de Jean-Denis Bredin dans ce volet de la sentence prend un relief très important, car de fait, les 45 millions d’euros alloués à Bernard Tapie par les trois arbitres au titre du préjudice moral ont suscité dans le pays une vive émotion, pour de nombreuses raisons. La première raison est que cette somme est sans précédent dans l’histoire judiciaire française. Jusque-là, le plus grand préjudice moral jamais alloué en France avait bénéficié à Patrick Dils, un jeune apprenti pâtissier qui a passé 15 ans de sa vie en prison à la suite d’une erreur judiciaire et qui a perçu 1 million d’euros au titre du préjudice moral, soit… 45 fois moins que Bernard Tapie !
La deuxième de ces raisons est que le tribunal arbitral était supposé juger le différend entre Bernard Tapie et le Consortium de réalisation (CDR, la structure publique de défaisance qui a accueilli les actifs douteux de l’ex-Crédit lyonnais en 1995), épaulé par sa filiale CDR Créances, au sujet de la vente d’Adidas, dans le respect de la chose jugée. En clair, les arbitres devaient rendre leurs décisions sans contrevenir aux décisions de justice prises antérieurement.
Or, pour qui connaît la longue histoire du Crédit lyonnais et de ses relations avec Bernard Tapie, les arguments évoqués par la sentence arbitrale du 7 juillet 2008 pour justifier les 45 millions d’euros octroyés au titre du préjudice moral sont proprement stupéfiants. À la page 40, on apprend ainsi d’abord que « le CDR et CDR Créances ont abandonné le moyen d’irrecevabilité de la demande des liquidateurs en réparation du préjudice moral de Monsieur et Madame Bernard Tapie ». C’est ahurissant, mais c’est ainsi : épaulé par ses avocats, Me Gilles August (qui dans l’intervalle a été écarté) et surtout, Me Jean-Pierre Martel (qui, lui, est toujours curieusement dans le dossier et même en charge du recours en révision), le CDR, qui est censé défendre les intérêts de l’État, ne fait pas valoir que la demande de Bernard Tapie à percevoir un préjudice moral est irrecevable.
Et plus loin, notamment aux pages 83 et 84 de la sentence, les arbitres décrivent les diverses raisons pour lesquelles Bernard Tapie peut revendiquer un préjudice moral. Parmi ces raisons figure en particulier celle-ci : « La violente campagne de presse conduite par la banque, usant par tous les moyens du nom de Tapie – par exemple inscrit sur une poubelle pour le discréditer. » Et dans la foulée, la sentence souligne que le CDR ne conteste que très mollement le préjudice moral, alors que Bernard Tapie est très pugnace : « Le CDR et CDR Créances se bornent à qualifier le préjudice d’inexistant mais n’apportent pas d'élément de réfutation. (…) Prenant la parole lors de l’audience du 4 juin 2008, sans qu’aucune partie ne s’y oppose, Monsieur Bernard Tapie a décrit quelques-unes des humiliations et des manœuvres destructrices qu’il a dû subir avec son épouse. CDR Créances et CDR n’ont pas contesté oralement ce douloureux exposé indiquant seulement que le Crédit lyonnais et non la SDBO serait l’auteur de ces faits. »
Lisant ces extraits de la sentence, on peut à bon droit être stupéfait, car on s’aperçoit que le CDR apparaît presque complice de cette demande de préjudice moral formulée par Bernard Tapie, ou en tout cas qu’il ne fait rien pour la torpiller. Résultat : « Le tribunal arbitral allouera aux liquidateurs une indemnité de 45 millions d’euros en réparation d’un préjudice moral d’une très lourde gravité. »
Mais la vérité, c’est que ce préjudice moral n’est pas seulement scandaleux dans son montant. Même si le CDR n’use pas de cet argument, il est aussi infondé en droit. Et pour une raison facile à comprendre : l’affaire avait déjà été jugée, et Bernard Tapie avait été… débouté de ses demandes, comme Mediapart l’avait déjà raconté dans les jours suivant l’arbitrage

Une poubelle à 45 millions d'euros

Accédant à la présidence du Crédit lyonnais, à la mi-1993, avec pour mandat de redresser la banque publique en très piteux état, Jean Peyrelevade avait engagé, au lendemain de premières mesures de restructuration, une campagne de publicité dans la presse pour convaincre les épargnants que l'établissement était en convalescence C'est ainsi qu'est parue, le 30 septembre 1994, en page 3 du Figaro, une pleine page de publicité, avec pour titre : « Pour changer la banque, c'est maintenant ou jamais ». En bas de la page, figure un dessin – Jean Peyrelevade a toujours assuré qu'il ne l'avait vu qu'après publication – d'un humoriste : on y voit un immeuble en réfection dénommé« Crédit lyonnais », d'où sort une bulle : « Bon... plus que la cave et les greniers à nettoyer ». Et à côté de la cave, on distingue plusieurs poubelles où a été entreposé ce qui a été sorti de ces caves et greniers. Sur ces poubelles, figurent des étiquettes : « MGM », « Tapie »... C'est écrit tellement petit qu'on les voit à peine . Rien de bien grave. En ces temps de désastre du Crédit lyonnais, tous les autres caricaturistes de la presse s'en donnent à cœur joie contre la banque. Souvent avec beaucoup plus de férocité. Mais comme ce dessin figure dans une publicité, Bernard Tapie porte plainte en diffamation. Peine perdue ! Dans un jugement en date du 21 décembre 1994, le tribunal de grande instance de Paris déboute Bernard Tapie,« attendu (...) que cette publicité ne pouvait être comprise par le lecteur comme imputant clairement aux demandeurs l'accomplissement d'actes contraires à l'honneur ou à la considération ; que le seul fait que les comptes de Bernard Tapie et de ses sociétés dans les livres de la banque soient débiteurs n'est pas diffamatoire dès lors qu'il n'est pas suggéré que les intéressés auraient obtenu ou maintenu cette position débitrice par des procédés illicites ».
Et malgré l'autorité de la chose jugée, voici que cette bataille autour d'une « poubelle », perdue par Bernard Tapie, est exhumée quatorze ans plus tard. Et cette fois, le protégé de l'Élysée la gagne. Et empoche une invraisemblable pénalité de 45 millions d'euros, au titre du préjudice moral.
Pour toutes ces raisons, on comprend que la responsabilité des trois arbitres qui, ce faisant, ont violé l’autorité de la chose jugée, est lourdement engagée. Or, dans le cas présent, ce n’est pas à Pierre Estoup que Bernard Tapie doit ce cadeau proprement hallucinant. C’est à Jean-Denis Bredin, l’arbitre qui a été choisi par Me Jean-Pierre Martel et Me Gilles August, pour le compte du CDR – lesquels avocats, comme on vient de le voir, n’ont eux-mêmes pas contesté la recevabilité de cette demande. Entendant Jean-Denis Bredin le 3 juin, la Brigade financière lui a en effet présenté un courrier qu’il avait lui-même adressé à Pierre Estoup, en date du 23 juin 2008, courrier qui a été saisi lors d’une perquisition. Dans ce courrier, Jean-Denis Bredin écrit : « Je vous adresse ci-joint mon modeste brouillon sur le préjudice moral, qui reprend pour l’essentiel vos excellentes observations. »
La Brigade financière demande donc à l’avocat s’il est bien l’auteur de la partie de la sentence relative au préjudice moral. Dans un premier temps, l’avocat tergiverse et dit qu’il ne « se souvient pas de ce courrier ». La Brigade financière insiste et lui montre le« modeste brouillon » à 45 millions. L’académicien est alors contraint de rendre les armes : « Oui, il s’agit bien de mon modeste brouillon. » Et finalement, Jean-Denis Bredin donne tous les détails : « Oui, j’ai plus particulièrement travaillé sur le préjudice moral. Le préjudice moral fait peu souvent l’objet de difficultés, soit il est limité à 1 €, soit à 1 million d’euros. Mais là, il posait problème. C’est peut-être pour cela que Monsieur Mazeaud m’a demandé de m’en occuper et a chargé Monsieur Estoup de rédiger le reste de la sentence. »
En réponse à la Brigade financière qui lui fait alors observer que « ce document intitulé "brouillon" semble en tous points identique à la partie de la sentence arbitrale sur le préjudice moral rendue le 7 juillet 2008 », l’arbitre poursuit ces explications : « Oui, certainement, la demande était de 50 millions d’euros. Moi, j’étais à 40 et le président Mazeaud a dû trancher et a amené les deux autres arbitres à accepter une solution moyenne. » Jean-Denis Bredin précise enfin que Pierre Estoup a écrit le reste de la sentence : « Oui, il a fait la rédaction du travail préparatoire de la sentence dans sa quasi-totalité. 
Les investigations de la Brigade financière ont ainsi fini par établir que le rôle de l’arbitre Jean-Denis Bredin a été très important, même si dans la presse on en a beaucoup moins parlé que de celui de Pierre Estoup. Son rôle retient d’autant plus l’attention que les auditions de l’académicien ont révélé aussi d’autres détails, pour le moins troublants. Lors d’une audition préalable, le 21 février précédent, Jean-Denis Bredin avait en effet prétendu qu’il ne connaissait pas Bernard Tapie et son épouse : « Non, je n’ai jamais eu l’occasion de les connaître. J’en ai beaucoup entendu parler mais je ne les connais pas personnellement », avait-il déclaré.

Le mystérieux courrier de Me Lantourne à Me Bredin

Mais lors de sa nouvelle audition, ce 3 juin 2013, la Brigade financière soumet à Jean-Denis Bredin un courrier que lui a adressé le 29 septembre 2006, donc longtemps avant l’arbitrage, Me Maurice Lantourne, l'avocat de Bernard Tapie. Et dans la foulée de l’échange avec la police, Jean-Denis Bredin change de version et finit par admettre qu’il a « rencontré M. et Mme Tapie à deux ou trois reprises dans un cadre mondain, il y a très longtemps, autour de 1993-1995 ». Mais il ajoute tout aussitôt qu’il ne se souvient plus de la lettre de Me Lantourne. Or, cette lettre, adressée par Me Lantourne à Me Bredin, que la Brigade financière a saisie lors d’une perquisition, est tout sauf anodine. Dans ce courrier, l’avocat écrit en effet ceci à l’académicien : « Mon cher confrère, Monsieur Bernard Tapie m’a demandé de vous faire parvenir par la présente copie du projet d’avis de Monsieur Lafortune, avocat général près la Cour de cassation. Je vous en souhaite bonne réception. »
Ce courrier soulève une cascade d’interrogations. D’abord, il suggère que, contrairement à ce que Jean-Denis Bredin a prétendu, il connaissait Bernard Tapie, mais pas seulement « dans un cadre mondain », peut-être aussi dans un cadre professionnel : la lettre peut en effet laisser entendre que Bernard Tapie transmet ce projet d’avis à Me Bredin pour recueillir son avis. Mais dans ce cas, si Jean-Denis Bredin a eu à connaître des dossiers Tapie avant l’arbitrage, n’a-t-il pas lui aussi manqué à ses obligations d’indépendance puisqu’il ne l’a pas déclaré quand le tribunal arbitral a été constitué ?
Et puis la seconde interrogation n’est pas des moindres. Car au printemps 2006, un étrange incident – absolument sans précédent – était survenu à la Cour de cassation, peu de temps avant qu’elle ne se prononce sur le litige Adidas : durant quelques heures, le matin du 19 juin, les conclusions confidentielles du conseiller-rapporteur de la chambre commerciale, chargée d'examiner le dossier Adidas, ont été accessibles sur le site intranet de la haute juridiction, à cause d’un dysfonctionnement d’origine mystérieuse. Du coup, l’audience prévue par la Cour de cassation initialement le 4 juillet avait été reportée à l'automne et son premier président, Guy Canivet, avait décidé que l'arrêt serait rendu le 9 octobre par l’assemblée plénière de la juridiction, pour lui conférer le plus de solennité possible et éviter toute pression.
Or, la lettre de Me Lantourne suggère qu’en réalité, dix jours avant cette assemblée plénière, ce projet d’avis, qui aurait dû rester confidentiel, est entre les mains de Bernard Tapie et que ce dernier le fait adresser à Jean-Denis Bredin. Qui a donc pu transmettre ce document confidentiel à Bernard Tapie ? Et pourquoi Jean-Denis Bredin en est-il aussi destinataire ? À l’aune de ces révélations, on devine, quoi qu’il en soit, que la Brigade financière et les magistrats qui supervisent leurs investigations ont fait un formidable travail. Car au gré des perquisitions qu’ils ont conduites et des auditions auxquelles ils ont procédé, la vraie histoire, telle qu’elle apparaît, n’est pas celle dont on parle trop souvent : celle d’un arbitre qui aurait pu masquer ses liens avec le clan Tapie et berner ses deux autres collègues.
En vérité, les trois arbitres ont été solidaires, et puisqu’ils le disent eux-mêmes, il n’y a guère de raison d’en douter…

Éric Woerth
 Affaire Bettencourt Accusé par l'ex-comptable de Liliane Bettencourt, Claire Thibout, d'avoir reçu début 2007, alors qu'il était ministre du budget et trésorier de l'UMP, 150 000 euros de Patrice de Maistre, l'ex-gestionnaire de fortune de la milliardaire, Éric Woerth a déposé plainte pour dénonciation calomnieuse. Le 31 août 2010, le site internet de L'Express annonce qu'une lettre adressée place Beauvau au début du mois de mars 2007 et signée de la main d'Éric Woerth, alors trésorier de l'UMP et de la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, a été retrouvée à la mi-août par les enquêteurs de la Brigade financière lors d'une perquisition. Dans ce courrier, Éric Woerth intervient auprès de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'intérieur, afin de lui demander d'attribuer la Légion d'honneur à Patrice de Maistre, donateur de l'UMP et gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt, mais aussi employeur de sa femme. Le 8 février 2012, il est mis en examen pour trafic d'influence passif, et le lendemain pour recel de financement illicite de parti politique.
Le 4 juillet 2013, Éric Woerth est renvoyé en correctionnelle pour ce dernier volet du dossier.
– Affaire Tapie La justice détient une lettre de l'ancien ministre du budget adressée aux avocats de Bernard Tapie. Datée d'avril 2009, elle fixerait le montant d'impôt dû par l'ex-homme d'affaires au terme de l'arbitrage à environ 12 millions d'euros alors que d'autres modes de calcul auraient pu aboutir à… 120 millions d'euros.
– Vente de l'hippodrome de Compiègne Il est par ailleurs sous le coup d'une enquête de la Cour de justice de la République (CJR) pour « prise illégale d'intérêts » dans la vente de l'hippodrome de Compiègne.