jeudi 7 avril 2016

Le port du voile et la «mode islamique» doivent pouvoir être critiqués

Se mettre du côté de celles qui n’ont pas le choix

Le port du voile et la «mode islamique» doivent pouvoir être critiqués. Si pour certaines, c’est un acte volontaire, il peut aussi signifier pour d’autres enfermement et ségrégation entre les sexes.

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Pour vendre, le capitalisme, encore appelé «paradigme marchand», ou néolibéralisme économique, comme on voudra, s’accommode de tout, des corps féminins dénudés comme des corps couverts, des fesses exposées comme des cheveux cachés, du string comme du burkini. Pourquoi ne pas s’y mettre puisqu’il y a un marché de la burqa à fleurs et du tchador à carreaux ? Pourquoi, de surcroît, ne pas les qualifier, trouvaille géniale de communicant, de «mode pudique» ? Et c’est là que la mode versus loi du marché rejoint des propos, des textes, des injonctions concernant les femmes musulmanes ou d’origine musulmane qui ne portent pas le foulard.
Elles sont sans pudeur, dit tel imam, elles sont des violées potentielles, affirme un autre. Houria Bouteldja, porte-parole du Parti des indigènes de la République, et autoproclamée antiraciste, affirme quant à elle que le foulard envoie «un message clair à la société indigène : nous appartenons à la communauté et nous l’assurons de notre loyauté» et un message tout aussi clair à la société blanche : «Nous ne sommes pas des corps disponibles à la consommation masculine blanche.» Que faut-il comprendre ? Que les femmes qui ne portent pas le foulard envoient un message de disponibilité à  «la consommation masculine blanche» et accessoirement non blanche ?
Sans doute des femmes portent-elles le voile par choix, comme elles disent, et pour des raisons multiples et hétérogènes : piété religieuse, positionnement politique, affichage identitaire, réponse à la stigmatisation, pudeur ou au contraire impudeur exhibitionniste - à se cacher on se montre - ou encore pour rendre visibles le racisme et l’islamophobie, ou pour provoquer les «féministes occidentalo-centrées» ou «franco-centrées». Ou bien pour signifier un refus de la modernité ou pour au contraire la mettre en œuvre, façon «c’est mon choix et je vous emmerde»…
Mais est-il permis, sans être traitée de raciste ou d’islamophobe, de considérer aussi le voile comme une façon de faire porter aux femmes le poids de l’identité, ou encore comme un signe de subordination et de contrôle des femmes ? Est-il permis de le considérer comme pouvant être un signe politique, renvoyant à l’islam politique ? Est-il permis d’y voir aussi un consentement à l’oppression ? C’est le point de vue de la ministre des Droits des femmes. Laurence Rossignol n’aurait certes pas dû utiliser le mot «nègre» ni comparer le port du voile à l’esclavage des Noirs. Elle a reconnu avoir eu tort, attitude qui n’est guère fréquente du côté du personnel politique.
Il semble que, pour certains, ce mea culpa soit insuffisant. Que veulent-ils ? Inscrire au fer rouge sur son front une marque d’infamie ?

Pour Mme Esther Benbassa, "Il est normal que des marques créent des collections «pudiques» pour des femmes qui, par revendication identitaire ou conviction religieuse, y trouveront leur compte, où est le mal ? Elles risquent même de tenter quelques juives orthodoxes, au moins aussi soucieuses de «pudeur» que leurs homologues musulmanes. La loi de 1905 n’interdit à personne de se conformer aux codes vestimentaires que sa confession ou sa fantaisie lui recommandent. Rien en tout cela n’est contraire à notre législation. Nul ne niera, dans certains cas de port du voile, la réalité du contrôle social, voire de la contrainte. Mais de là à faire un parallèle entre celles qui, par choix personnel, décident se s’habiller ainsi.

Non,  Mme Esther Benbassa, en tant que musulmane vous trouvez Le voile, pas plus aliénant que la minijupe, vous oubliez d’ajouter que la mini jupe n’a jamais dans nos pays provoquée la lapidation de celle qui la porte.

Pour vous répondre qui mieux que Chadortt Djavann obligée  pendant dix ans en Iran de porter le voile islamique, elle restitue au voile sa signification - le marquage visible de la soumission de la femme - et surtout sa fonction: par l'empaquetage de l'objet de tentation, protéger l'homme d'une pulsion sexuelle qu'il n'apprend pas à maîtriser. «Après tout, pourquoi ne voile-t-on pas les garçons musulmans? Leur corps, leur chevelure ne peuvent-ils pas susciter le désir des filles? Mais les filles ne sont pas faites pour avoir du désir, dans l'islam, seulement pour être l'objet du désir des hommes.» 

Elle analyse aussi les effets du voile: la réduction de l'existence sociale de la femme à ses attraits sexuels et, chez les fillettes qui doivent intérioriser la honte de leur sort, «une maltraitance psycho-sexuelle, un traumatisme qui marquera à jamais le corps et l'esprit des futures femmes».
N'étant embarrassée d'aucune mauvaise conscience, Chahdortt Djavann n'hésite pas à affirmer que le code de civilité occidental qui règle les jeux de la séduction entre les deux sexes - contrôle de soi et respect de l'autre - lui semble préférable au voile. Et que ce code est en péril dans des banlieues où des filles sont menacées d'un autre type de rapports entre les sexes: «Le viol ou le voile.» Elle ne craint pas non plus de sortir le débat sur le voile de ses limites scolaires. «La discrimination sexuelle et le discrédit du corps dès l'enfance sont-ils une forme de conditionnement moins grave que le conditionnement par les sectes?» Dépassant la question de la laïcité, c'est «au nom de la protection des mineures» qu'elle réclame une loi épargnant le voile aux enfants de moins de 18 ans. 
En critiquant la dite «mode islamique», Laurence Rossignol se met du côté de celles qui n’ont pas le choix. Elle a raison. Il faut toujours être du côté de celles et ceux qui ne peuvent pas choisir. Et qui se battent pour la liberté, la leur et celle des autres. On a pu entendre, à propos des caricatures de Mahomet, une invitation et même parfois une sommation à la prudence : avec la mondialisation, avec Internet, le local n’existe plus, ce qui est publié ici, est immédiatement regardé là-bas. Et ce qui est toléré ici peut être jugé là-bas insupportable.

Ce lien entre ici et là-bas vaut aussi pour le voile. Porté ici, il peut signifier, pour d’autres femmes là-bas, une caution à ce qu’elles refusent, cet enfermement qui, peu importe le nom, burqa, tchador, abaya, niqab, hijab, est un enfermement dans le sexe, une négation de la personne, un interdit de liberté. Des milliers de femmes ont lutté au long du XXe siècle contre cet enfermement. D’autres ont pris aujourd’hui le relais, pour affirmer que les droits des femmes sont des enjeux politiques et non de mœurs, comme ils sont une composante de la démocratie. Ces femmes sont encore loin, très loin d’avoir partout gagné leur combat. Raison de plus pour ne pas les affaiblir en cautionnant ici ce qu’elles refusent là-bas.
 L’islam peut imposer ces coutumes barbares chez nous, mais quand les chrétiens vont dans leurs pays ils doivent aussi suivre LEURS lois. Ils imposent leurs propres lois mêmes dans nos pays. 

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Après que les plus hautes autorités religieuses musulmanes ont déclaré que les vêtements qui couvrent la totalité du corps et du visage ne relèvent pas du commandement religieux mais de la tradition, wahhabite (Arabie Saoudite) pour l’un, pachtoune (Afghanistan/Pakistan) pour l’autre, allez-vous continuer à cacher l’intégralité de votre visage ?
Ainsi dissimulée au regard d’autrui, vous devez bien vous rendre compte que vous suscitez ladéfiance et la peur, des enfants comme des adultes. Sommes-nous à ce point méprisables et impurs à vos yeux pour que vous nous refusiez tout contact, toute relation, et jusqu’à la connivence d’un sourire ?
Dans une démocratie moderne, où l’on tente d’instaurer transparence et égalité des sexes, vous nous signifiez brutalement que tout ceci n’est pas votre affaire, que les relations avec les autres ne vous concernent pas et que nos combats ne sont pas les vôtres.
Alors je m’interroge : pourquoi ne pas gagner les terres saoudiennes ou afghanes où nul ne vous demandera de montrer votre visage, où vos filles seront voilées à leur tour, où votre époux pourra être polygame et vous répudier quand bon lui semble, ce qui fait tant souffrir nombre de femmes là- bas ?
En vérité, vous utilisez les libertés démocratiques pour les retourner contre la démocratie
Subversion, provocation ou ignorance, le scandale est moins l’offense de votre rejet que la gifle que vous adressez à toutes vos sœurs opprimées qui, elles, risquent la mort pour jouir enfin des libertés que vous méprisez
C’est aujourd’hui votre choix, mais qui sait si demain vous ne serez pas heureuses de pouvoir en changer. Elles ne le peuvent pas… Pensez-y.
                                                                                                              Elisabeth Badinter