La cavale de Paul Watson, le
pirate qui parlait aux baleines
Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible rendront une révolution violente inévitable.
Ceux qui rendent une révolution pacifique impossible rendront une révolution violente inévitable.
John Fitzgerald Kennedy
Visé par un
mandat d'arrêt, l'activiste écolo a lancé sa 9e campagne en Antarctique contre
les chasseurs japonais.
"L'Obs"
était à bord avec lui.
De notre envoyée spéciale dans le
Pacifique
Rencontrer Paul Watson, ça se mérite. Pirate des océans, recherché par
toutes les polices du monde, il a disparu depuis des mois de la planète médias
et aucun journaliste, pas même ses amis du "Guardian", le quotidien
anglais, ne sont parvenus à le localiser. Se cachait-il à Vancouver ? En
Patagonie ? A Melbourne ? Beaucoup mieux. La première étape de ce
"Koh-Lanta" des flots bleus était au large des îles Samoa, à Pago
Pago. A vingt-quatre heures d'avion depuis Paris, et aucune autre indication.
Une seule certitude : pour rencontrer Paul Watson, il fallait se rendre à
bord du "Steve Irwin", au beau milieu du Pacifique Sud, quelque part
entre les îles Samoa, Tonga, Fidji et la Nouvelle-Zélande. Combien de temps,
dans quelles conditions se déroulerait le périple ? Pas de réponse. Car autour
de Watson, la paranoïa règne. Ne rien dire, ne rien écrire qui puisse
compromettre sa sécurité est la règle.
Siddharth (Sid), le capitaine en second et manager du "Steve
Irwin", avec qui la communication se fait par mail depuis le début de
l'expédition, en dira le minimum. Le déroulé du parcours sera fixé par mail...
une fois arrivé à Pago Pago. Rendez-vous est pris pour le lendemain à 9 heures
à l'aéroport de fortune de cette île perdue dans le Pacifique pour un décollage
en hélicoptère à 10 heures. Direction : le navire.
On ne le sait pas encore, mais ce sera l'épisode "Survivor" du
voyage. Militant de la flotte Sea Shepherd, Roger, le pilote américain, cheveux
longs poivre et sel rattrapés par un bandana noir, a beau se montrer rassurant,
les trente minutes à voler au raz du Pacifique dans le petit hélico blanc sans
portes paraissent une éternité. Et un défi à l'existence, avant un atterrissage
au millimètre sur le pont surélevé et très étroit du "Steve Irwin".
Paul Watson apparaît, jovial, bonhomme, blagueur sur le mode "Still alive
?", telle la récompense ultime d'une traversée qui va durer - et c'est la
surprise du chef - neuf jours. Neuf jours de navigation jusqu'à Auckland en
Nouvelle-Zélande, qui correspondent en réalité à la première étape de cette
campagne baptisée "Opération Tolérance zéro", pour zéro baleine tuée.
Une phase de préparation où les équipages s'entraînent pour ce qui sera leur
bataille navale, répétant tous les gestes des actions futures contre l'ennemi.
Une étape stratégique aussi où le navire amiral file vers le pôle Sud afin de
retrouver les trois autres vaisseaux de la flotte Sea Shepherd pour coordonner
leur traque contre les chasseurs de cétacés.
Une bombe sur
la mer australe
"On est à l'endroit le plus dangereux de la planète, dans des mers
hostiles juste au-dessus des quarantièmes rugissants, sur un bateau qui est
lui-même dangereux, sur lequel on est préparé pour faire un job dangereux,
prévient Beck, l'autre officier de navigation du navire. Assurer la sécurité à
bord reste la chose la plus importante si on veut mener cette campagne dans de
bonnes conditions." Il n'y a rien d'exagéré dans le propos de cet
Américain de 43 ans ultradiscipliné, qui fut éleveur de dauphins et qui suit
désormais une formation universitaire en alternance sur les espèces marines.
Le bateau, qui transporte la quasi-totalité de ses besoins en fioul pour
les trois mois de campagne, est en fait une vraie bombe lancée à plein régime
sur la mer australe. De la soute jusqu'au pont arrière, le "Steve
Irwin" est gorgé de dizaines de fûts de carburant en ferraille, soit de
centaines de milliers de litres de produit ultra-infammable stockés dans un
espace réduit. On comprend dès lors vite pourquoi il y a autant d'extincteurs
sur le navire.
Pour cette campagne, Sea Shepherd a prévu de consommer 500.000 tonnes de
fioul pour toute sa flotte, ce qui représente la moitié du budget total de
cette opération de 4 millions de dollars. Au-dessus du pont arrière, sur un
deuxième niveau fabriqué pour la circonstance, est posé l'hélicoptère, un outil
indispensable pour repérer, localiser et harceler les navires japonais. A
l'avant, trois Zodiac sont alignés, prêts à être mis à l'eau en cas de
déclenchement d'une opération. Sur ce navire de 58 mètres, organisé sur quatre
niveaux, on se sent très vite à l'étroit, d'autant que les trois mois de vivres
stockés dans les cales dans de véritables épiceries et des congélateurs géants
occupent de la place.
Un boulot
dangereux sur un navire dangereux
Oui, Beck a raison. Il fait un boulot dangereux sur un navire dangereux. Il
en sait personnellement quelque chose, lui qui a failli en mourir l'an dernier,
prisonnier des eaux glacées de l'Antarctique pendant une attaque contre les
Japonais.
Ainsi vogue ce "Steve Irwin" surchargé, avec ses 35 membres
d'équipage parmi lesquels une dizaine de filles, tous volontaires, dédiés à la
cause écolo en général et à Paul Watson en particulier. Tous sont prêts à en
découdre pour la défense des mammifères marins.
Ils sont très jeunes - la moyenne d'âge à bord est de 25 ans -, tous
tatoués, souvent piercés et plutôt très stylés. Entre jeunes urbains
alternatifs et punks de bon ton. Bermuda sombre et tee-shirt noir à tête de
mort pour tout le monde - l'emblème de Sea Shepherd -, godillots noirs à la
coque en acier pour certains, notamment ceux qui travaillent dans la salle des
machines, les militants du "Steve Irwin" forment une étrange armée.
Un peu secte lorsqu'il s'agit de montrer sa détermination écolo - "Je
défends la cause animale au moins autant sinon plus que la cause humaine",
dit Hillary, embarquée pour ce qui constitue sa première campagne.
L'ambiance tourne un peu à la colonie de vacances à thème quand, après le
dîner, à 18 heures pétantes, certains jouent à la bataille navale quand
d'autres regardent un documentaire sur le scandale du recyclage des déchets
dans le monde. Animée d'un esprit de sérieux plutôt louable compte tenu de la
topographie océane, ils pratiquent quotidiennement le yoga - un cours est donné
par Terence sur le pont arrière tous les jours à 17 heures - et respectent la
hiérarchie et les ordres. La discipline est quasi militaire. Tableaux de
service pour le ménage, vaisselle, rangement, quarts de veille, corvées
multiples et variées, sorties des Zodiac, entraînement à l'hélico, exercices de
cordage et autres manoeuvres de pont. Comme sur un navire de guerre.
"Ici, ce
n'est pas une démocratie"
"Ici, ce n'est pas une démocratie, chacun ne fait pas ce qu'il veut,
insiste Sid. On prend des risques et il faut que toutes les situations soient
prépensées. Dans les actions contre les navires japonais, on ne peut pas
envoyer n'importe qui entraver un bateau. Il faut des gens calmes, concentrés
sous la pression, qui ne prennent pas des décisions perso. On ne veut pas des
agités qui font des doigts d'honneur aux Japonais." Sur le "Steve
Irwin", la grande partie des volontaires, en majorité des Australiens, des
Néo-Zélandais, des Anglais et quelques Américains, en sont à leur première ou
deuxième campagne. "C'est bien d'entretenir un esprit amateur, ça donne de
l'énergie à l'équipage et à la campagne, affirme Paul Watson. Ici, il n'y a que
Sid le manager et Bryan le chef ingénieur qui sont payés." Dans ce début
de campagne, seul Fly, un marin de Vancouver, engagé volontaire comme troisième
capitaine du bateau, n'a pas vraiment adhéré à l'esprit ambiant.
Régime
végétarien pour tout le monde
Ou plutôt à la diète alimentaire locale, puisque, sur les bateaux Sea
Shepherd, c'est régime végétarien pour tout le monde. Dans les assiettes, on ne
sert aucun produit provenant d'un animal vivant - ni viande, ni poissons, ni
oeufs, ni produits laitiers. Mais des légumes, des féculents, des graines, des
pâtes et du riz et des gâteaux. Fly n'a pas supporté cette absence de protéines
animales et s'est affaibli, risquant, a-t-il dit, "de faire prendre des
risques à l'ensemble de l'équipage". C'est ainsi qu'à Auckland il a dû
quitter le "Steve Irwin".
En ce début de campagne, le capitaine Watson semble avoir la maîtrise des
opérations. En tout cas, il l'espère. Pas dupe du folklore ambiant, lucide
aussi sur le dogmatisme des plus jeunes, qui se sentent souvent dépositaires
d'une radicalité supposée. "J'ai été obligé d'intervenir sur le régime
végétarien du bateau, dit-il. Il a fallu que je précise que, si le navire suit
ce principe alimentaire à titre d'exemplarité, chacun dans sa cabine a le droit
de faire ce qu'il veut, ça le regarde, et personne ne doit faire la police des
placards."
Depuis cinq ans, une équipe de télé américaine de la série "Whale
Wars" diffusée sur Animal Planet filme en permanence la campagne, qu'elle
reconstitue en épisodes à la manière d'une émission de télé-réalité. "Je
sais qu'ici tout le monde n'est pas d'accord avec ce principe mais la réalité
c'est que "Whale Wars" est une formidable plateforme pour Sea
Shepherd".
Poèmes
épiques sur les baleines
Dans sa cabine sur le pont supérieur, Watson ne dirige plus le
"Steve" au quotidien. Il écrit des poèmes à longueur de nuit, des
poèmes épiques sur les baleines, "Planet of Whales, an Epic Poem",
trois histoires en 64 chapitres de 192 strophes, ou encore des poèmes d'amour,
"Horatio and Emma", sur les amours de l'amiral Nelson, ou encore des
textes religieux sur l'utilisation de substance illicite par l'apôtre Paul :
"On the High Road to Damascus".
Le reste du temps, il peaufine sa guerre, améliore ses stratégies d'attaque
contre les Japonais - "un secret d'Etat", dit-il. Et il passe une
bonne partie de la journée sur internet à gérer la surface médias de son
organisation. Et accessoirement sa propre célébrité. Tous les jours à midi
pile, Paul Watson a rendez-vous devant le grand écran de la salle commune du
mess pour assister à la diffusion du "Colbert Report", une émission
politique et satirique de télé américaine. "Stephen Colbert m'a déjà
invité sur son plateau, c'était une façon très drôle et très décalée de parler
de Sea Shepherd. J'ai aussi été invité deux fois chez Larry king sur CNN, deux
fois au "Grand Journal" sur Canal+ et une fois au "Tonight
Show" de Jay Leno", recense-t-il.
Terroriste
présumé des océans
Pour un terroriste présumé des océans, le capitaine Watson est plutôt
sympathique, avenant, un peu intimidant. Dans la cabine de pilotage du
"Steve Irwin", le navire amiral de l'association Sea Shepherd qu'il a
fondée en 1977, il regarde la lumière de fin de journée tomber sur la mer, les
yeux plantés dans l'infini de ce Pacifique Sud qu'il connaît par coeur. La voix
d'une chanteuse folk résonne plein pot, une rengaine celte remplit le pont
supérieur du navire.
Autour, personne ne bronche : ici, c'est lui le patron et s'il a envie que
le moment soit cinématographique, nul ne le contredira. Francis Ford Coppola
n'est pas très loin, quand il s'amuse à rejouer "Apocalypse Now", en
lançant, dit-il, "la Walkyrie" de Wagner... La mise en scène, Watson
connaît bien. Il aime donner le ton, grandiloquent s'il le faut, rien ne le
fera renoncer "à ses valeurs, à sa lutte... et à son esthétique de
l'existence". "Je mène un combat pour le gagner, il n'y a pas d'autre
option, explique-t-il. Et ce n'est pas maintenant que nous sommes tout près
d'en finir pour de bon avec la chasse à la baleine en Antarctique que je vais
abandonner."
Depuis trente-cinq ans, il a consacré toute sa vie à la conservation des
océans, "de la défense du plancton jusqu'à celle des orques, des baleines,
des bébés phoques ou des requins, précise-t-il. Des Féroé aux Galapagos, de
Tahiti à l'Antarctique".
Pêche
scélérate
Pour la neuvième année consécutive, Paul Watson, cheveux blancs et barbe
blanche, figure épique des océans, vêtu de noir de la tête aux pieds, est
reparti avec son armada Sea Shepherd à l'assaut des navires japonais qui, de
décembre à mars, chassent la baleine dans l'Antarctique Sud. Une fois encore,
il veut les harceler, les empêcher physiquement d'approcher les cétacés, les
entraver avec ses Zodiac, les arroser de fumigènes et de beurre rance, bref
pourrir cette pêche scélérate pour qu'ils n'y reviennent plus jamais. Le combat
est risqué, très risqué, mais plutôt efficace puisque les navires nippons ont
tué l'an dernier un quart de leur stock habituel, soit un peu moins de 250
baleines. Ses détracteurs (et notamment Greenpeace) l'accusent d'écoterrorisme
et lui reprochent la violence de son action, si écolo soit-elle. Que
pense-t-il, lui qui est toujours aussi contesté, des autres formes d'activisme
? A-t-il eu vent des manifestants français de Notre-Dame-des-Landes ? Et les
manifestants radicaux anti- G20 ?
Il ne répond pas directement mais cite... le Mahatma Gandhi : "Entre
la lâcheté et la violence, je choisis la violence." "En vérité,
ajoute-t-il, on n'a jamais vu personne intervenir comme nous, toujours dans la
limite de la légalité, il n'y a que nous qui faisons ça."
Recherché par
les polices du monde entier
Sauf que cette année le capitaine a mordu le trait de la légalité.
Recherché par les polices du monde entier, il est en cavale. Ou plutôt comme
assigné à résidence en pleine mer, dans les eaux extraterritoriales, un mandat
d'arrêt international ayant été réactivé contre lui pour "entrave et bris
de bateau".
Arrêté à l'aéroport de Francfort en mai 2012 sur une requête vieille de
plus dix ans du Costa Rica, passé par la case prison, il a fui l'Allemagne
clandestinement en juillet dernier. Il ne s'est pas présenté au contrôle
judiciaire qui lui était imposé. Depuis, c'est un fugitif international inscrit
sur la liste rouge d'Interpol, menacé d'extradition vers le Japon. Watson, à
qui la justice allemande a confisqué ses deux passeports - le canadien et l'américain
-, ne prend pas cette menace à la légère. Il se méfie désormais de toutes les
polices et autres douanes des ports.
Alors il aimerait bien que sa vie soit un peu moins un roman, même si son
nouveau statut de fuyard des océans participe de sa légende de pirate. Que
cette campagne en Antarctique soit la der des ders. Que ses cinq avocats (dont
un Américain, un Allemand et le Français William Bourdon) fassent tomber ce
mandat d'arrêt international qui lui colle au train "et qu'il puisse un de
ces jours passer Noël dans une vraie maison devant un vrai sapin".
L'asile
politique en France ?
"En attendant, dit-il, je vis en mer, avec les incertitudes et
l'instabilité de la vie sur un navire, y compris celle du mal de mer même si je
ne l'ai pas. Comme disait l'amiral Nelson, qui lui était malade en permanence
en mer, on fait avec", plaisante-t-il.
Que fera-t-il après cette campagne ? "On va se concentrer vers le
Nord, les îles Féroé qui chassent les dauphins et les baleines. Mon ambition,
c'est de venir à bout de toutes les chasses contre les mammifères marins. Je
pense que ça peut durer très longtemps." De toutes les manières, Paul
Watson compte sur l'autre dirigeant de Sea Shepherd, Peter Hammarsted,
capitaine d'un des quatre navires de la flotte, pour assurer "la
continuité du boulot quand je n'y suis pas". L'aventurier rêverait-il très
secrètement de retraite ? "Impossible, dit Sid, ce n'est pas lui."
Pourtant, Watson ne détesterait pas que la France lui accorde l'asile
politique, "ce serait formidable, j'y ai beaucoup d'amis".