Débat : "Marine Le Pen a saboté sa propre
stratégie de dédiabolisation"
Invectives, insinuations et même
quelques insultes... Les deux
heures et demie de débat entre Marine Le Pen et Emmanuel
Macron, mercredi soir 3 mai, se sont révélées tumultueuses.
« Essayer Le Pen, c’est comme essayer Hitler :
vous avez un ticket aller mais sans ticket retour »
Marine Le
Pen a attaqué Emmanuel Macron d'entrée, mercredi soir, et s'est montrée
particulièrement offensive tout au long du débat. Une stratégie payante ?
J'ai
été frappée, lors de ce débat, par l'incapacité de Marine Le Pen à contrôler sa
parole, que ce soit au niveau du ton comme du registre. Jusqu'à présent,
Marine Le Pen avait toujours très bien su se taire quand il le fallait, pour
éviter les polémiques et ne pas abîmer son image. Elle s'était même imposée une
diète médiatique en 2016 pour polir sa candidature...
Mercredi
soir, ce qui est très surprenant, c'est qu'elle a fait tout l'inverse de ce
qu'elle fait habituellement. En attaquant son rival sans cesse, dans des termes
parfois très violents et avec un certain manque de spontanéité, elle est vite
tombée dans une forme de surenchère. En restant dans le registre des
invectives permanentes, elle n'est jamais parvenue à développer un argumentaire
clair, précis. Surtout, focalisée uniquement sur Emmanuel Macron, elle n'a pas parlé
de son programme, y compris des mesures qui peuvent à première vue paraître
alléchantes pour de nombreux Français comme la baisse des impôts. C'est comme
si elle était sur le plateau non pour débattre et convaincre mais uniquement
pour attaquer voire diffamer. Or un débat d'entre-deux-tours est avant tout
censé permettre aux candidats de se présidentialiser, de prendre de la hauteur
et de se crédibiliser pour rassembler le plus largement possible. Elle n'a
clairement pas marqué des points sur le terrain de la crédibilité lors de ce
débat tant elle s'est montrée confuse. Or c'était bien l'un des principaux
enjeux de la soirée. Car il lui fallait gagner des points en la matière pour
espérer séduire une partie de l'électorat de droite d'ici dimanche.
Quels sont les mots de la candidate
d'extrême droite qui vous ont le plus frappée ?
Plus
que les mots, c'est vraiment le registre et le ton adoptés par Marine Le Pen
qui ont été très étonnants lors de ce duel. Mais un mot m'a particulièrement
marqué, c'est l'expression "Europe à la schlague" qu'elle a
lâchée dans les toutes dernières minutes du débat alors qu'Emmanuel Macron
parlait. C'est, il me semble, un dérapage à la Jean-Marie Le Pen. Alors que ce
débat est censé être un moment un peu solennel, Marine Le Pen a joué ici
sur les allusions à la Seconde Guerre mondiale...
Est-ce
le signe qu'elle a peu à peu perdu le contrôle dans ce débat ? C'est en tout
cas assez révélateur de sa contre-performance. En affichant une agressivité
quasi permanente, elle a saboté sa propre stratégie de dédiabolisation. Cela
fait maintenant des années qu'elle cherche à modérer son image. Elle a fait
campagne sur son nom, en gommant autant que possible l'étiquette FN, et depuis
le premier tour, elle fait en sorte de se construire une image de rassembleuse,
en faisant alliance avec Nicolas Dupont-Aignan. Alors qu'elle était assez bien
parvenue à prendre un peu de hauteur lors des débats précédents, elle s'est
montrée incapable, mercredi soir, de s'élever, de se présidentialiser à un
moment où c'est pourtant ce que l'on attend des candidats.
Emmanuel Macron est-il parvenu, lui,
à se présidentialiser ?
Dans
ce débat, le cafouillage a été permanent. Ce fut même parfois assez chaotique.
Mais le contraste entre les deux candidats était néanmoins assez saisissant. Emmanuel Macron était celui qui avait le plus à perdre
mercredi soir. Parce qu'il est annoncé comme le grand favori du scrutin, mais
aussi parce qu'il s'agit d'un candidat avec de possibles fragilités. Il serait
trop jeune, trop inexpérimenté, trop naïf, trop laxiste sur le régalien, trop
flou... Alors que Marine Le Pen est tombée dans la surenchère et a sur-investi
le terrain de l'émotion, lui est parvenu, durant ce duel, à sortir de son
registre habituel pour gagner en hauteur et camper le personnage de chef de l'Etat.
On
l'a assez peu entendu miser sur les émotions positives comme il le fait
habituellement dans ses meetings. Il a cette fois-ci tenu des propos plus
structurés, et surtout plus précis que sa rivale. Le danger, pour lui, était
d'apparaître comme arrogant. Sur ce point, il s'en assez bien tiré. Pédagogue,
il a su pointer les failles de son adversaire en illustrant son argumentaire et
ses démonstrations par des exemples concrets. Marine Le Pen était
venue pour attaquer, lui pour expliquer.