Le cadeau
injustifiable
que vont conserver
les ultra riches
On lui aurait vraiment donné, ce soir-là, le bon Dieu sans confession.
Invité jeudi dernier de l’émission « Des paroles et des actes » sur France-2, Jean-Marc Ayrault a trouvé
des mots si sincères pour défendre la décision prise par son gouvernement de
maintenir, à quelques aménagements près, le système des défiscalisations dans
les DOM-TOM, qu’il aurait semblé malveillant de le contredire. La main sur le
cœur, croix de bois, croix de fer... le premier ministre a assuré que c’était
dans l’intérêt exclusif de ces territoires ultramarins que le statu quo fiscal
avait été décidé.
Pour la bonne cause en quelque
sorte : pour ne pas priver ces territoires, déjà rongés par un chômage
autrement plus spectaculaire qu’en métropole, d’une manne financière dont ils
ont absolument besoin pour leur développement. Le chef du gouvernement a même
interpellé le journaliste qui l’interrogeait pour lui retourner une question
qui a pu sembler de bon sens : et alors, d’autres solutions, vous en connaissez,
vous ?
de la fin de la décennie 1980. On parle
alors des « années
fric » ; de « l’argent fou »... La vérité, pourtant, c’est que ces allégements fiscaux constituent un
scandale majeur de la politique fiscale française depuis plus de vingt-cinq ans.
Inutilité économique du fait de leur absence d’effets sur l’emploi ou la
compétitivité des entreprises ; effets d’aubaine massif au profit des plus
grandes fortunes qui sont les premières bénéficiaires de ces dispositifs... De
la Cour des comptes jusqu’à l’Assemblée nationale, en passant par l’Inspection
générale des finances, de très nombreux organismes ont passé au crible ces
allégements. Et toutes les études – toutes, sans la moindre
exception – sont parvenues aux mêmes conclusions. Ces allégements fiscaux
grèvent lourdement les finances publiques pour le seul et unique profit d’une
minorité de contribuables richissimes. Pour cerner les ambiguïtés de la
politique fiscale des socialistes, il est donc utile de se replonger dans
l'histoire tortueuse et sulfureuse de la loi Pons et de ses avatars successifs.
Tout commence en effet en 1986, quand Bernard Pons, secrétaire d’État des
départements et territoires d’outre-mer du gouvernement de Jacques Chirac, a la
funeste idée de concocter une loi qui portera vite son nom – la loi
Pons – prévoyant un très large système de défiscalisation pour certains
investissements, aussi farfelus soient-ils, dans les DOM-TOM. Dans sa mouture
initiale, les particuliers peuvent profiter d'une baisse de leur impôt sur le
revenu, à la condition de conserver leur investissement au moins cinq ans. Mais
ce sont surtout les investisseurs qui interviennent au travers de sociétés qui
sont avantagés : dans ce cas, le système est tellement fou qu’il va
jusqu’à autoriser une réduction d’impôt égale à 100 % si le contribuable
adopte le régime des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).
Aussitôt, c’est la porte ouverte à une cascade d’abus. Investissements
fantômes ; sociétés écran ; évasion fiscale massive : la loi
Pons ne fait parler d’elle qu’à cause des scandales qu’elle génère. Du coup,
lors de l’élection présidentielle de 1988, il semble couler de source que la
gauche va mettre bon ordre à cela, et pratiquer des politiques de développement
dans les départements et territoires d’outre-mer en usant de moyens moins
sulfureux. Las ! À l’époque, il n’en est rien. Devenant ministre des
finances, Pierre Bérégovoy, qui s’illustre en conduisant la politique
économique la plus droitière possible, maintient les dispositifs de la loi Pons
en ne les amendant qu’à la marge.
Ce qui lui vaut un célèbre et tapageur remerciement : le publicitaire
Jacques Séguéla, qui a fait l’acquisition, en réduction d’impôt, d’un splendide
voilier à Pointe-à-Pitre, décide de le baptiser sous le nom de Merci-Béré. La politique
fiscale est alors – avec la promotion de soi-disant entrepreneurs, style
Bernard Tapie – l’un des symboles des dérives socialistes…
Séguéla baptise son voilier “Merci-Béré”
Soit dit en
passant, François Hollande est l’un de ceux qui connaît le mieux ces questions
fiscales. Membre de la Commission des finances de l’Assemblée nationale de 1988
à 1993, il est l’un des socialistes – et ils n’étaient pas nombreux à
cette époque – qui a eu le courage de pointer les dérives économiques les
plus spectaculaires de ces années Bérégovoy. Pierre Moscovici aussi, dont il
était l’ami et le co-auteur, a suivi toutes ces controverses de très près, et
avec la même sensibilité.
Tout au long des années 1990, le
scandale de la défiscalisation dans les DOM-TOM – la « défisc »,
comme on dit aux Antilles –, se prolonge. Et toute la presse s’en fait
l’écho. Témoin cet éditorial d’Alternatives économiques (n° 110, en date de septembre 1993) qui,
sous le titre évocateur « Paradis », revient sur la loi Pons
et ses conséquences :
« Toutes
les sociétés investissant dans les DOM-TOM dans des opérations d'hôtellerie, de
tourisme ou de navigation de plaisance disposaient de la possibilité de déduire
de leur revenu imposable le montant des investissements effectués. Et ceci,
bien évidemment, sans préjudice des amortissements ultérieurs qui, comme pour
toute immobilisation, consistent à incorporer dans les charges de l'exercice (donc
à déduire de l'éventuel revenu imposable) une fraction du prix d'acquisition,
jusqu'à ce que les amortissements cumulés représentent la valeur d'achat de
l'immobilisation. Cette disposition ne concerne que les sociétés. Certes, mais
rien n'empêche un contribuable lourdement imposé de créer une société (SARL,
par exemple) pour effectuer l'investissement et le déduire, de telle sorte que
le revenu imposable soit négatif, et même lourdement négatif, à peu près du
montant de l'investissement effectué.
« La loi permet alors à
l'actionnaire principal (voire unique, dans le cas d'une EURL) de déduire de
son revenu personnel le déficit comptable de la société. Le Club Méditerranée a
ainsi lancé successivement deux voiliers de plaisance en copropriété (la part de
copropriété d'un navire s'appelle un quirat), basés respectivement aux Antilles
et en Nouvelle-Calédonie. Chaque quirat vendu 28 000 F peut être déduit à
hauteur de 80 % du revenu imposable. Pour peu que le contribuable, pour
financer cet achat, prenne un crédit destiné, pour moitié, à souscrire une
assurance vie, l'autre moitié servant à payer le quirat, il a la possibilité de
déduire également de son revenu imposable la totalité des intérêts du prêt. En
huit ans, les économies d'impôts payent l'emprunt. La publicité pour les
quirats du Club Med 2 est sans ambiguïté : “2471 investisseurs,
contribuables lourdement imposés, apprécient déjà la qualité d'une opération de
défiscalisation”. »
Et Alternatives économiques concluait : « C'était quand même gros. Après avoir quelque peu tergiversé, les socialistes avaient donc décidé de limiter les avantages fiscaux à fin 1992 et de réduire les déductibilités autorisées. La nouvelle majorité s'est empressée de réactiver la loi Pons. En l'améliorant : ceux qui achètent un logement destiné à être loué comme résidence principale dans les DOM-TOM pourront déduire (sur cinq ans) de leur impôt 45 % de l'acquisition. Quant aux sociétés, elles pourront déduire de leur revenu imposable 100 % de l'investissement (le montant avait été ramené à 75 ou 80 %) quel que soit le secteur d'investissement. En clair, cela s'appelle un paradis fiscal, puisque cela revient à faire payer par la collectivité jusqu'à 56,8 % de l'investissement effectué. Au bénéfice exclusif des plus riches. Intéressant, non ? »
Après les tergiversations de la gauche puis une bien tardive et surtout une bien timide moralisation, juste avant l’alternance, tout reprend donc comme avant. Même plus qu’avant : les très grandes fortunes commencent à comprendre que la défiscalisation est une aubaine formidable. C’est ce qu’établit une enquête deL’Expansion, en date du 29 août 1996. Sous le titre « La “défisc”, un pactole pour les békés », le magazine raconte tous les abus des années antérieures :
Et Alternatives économiques concluait : « C'était quand même gros. Après avoir quelque peu tergiversé, les socialistes avaient donc décidé de limiter les avantages fiscaux à fin 1992 et de réduire les déductibilités autorisées. La nouvelle majorité s'est empressée de réactiver la loi Pons. En l'améliorant : ceux qui achètent un logement destiné à être loué comme résidence principale dans les DOM-TOM pourront déduire (sur cinq ans) de leur impôt 45 % de l'acquisition. Quant aux sociétés, elles pourront déduire de leur revenu imposable 100 % de l'investissement (le montant avait été ramené à 75 ou 80 %) quel que soit le secteur d'investissement. En clair, cela s'appelle un paradis fiscal, puisque cela revient à faire payer par la collectivité jusqu'à 56,8 % de l'investissement effectué. Au bénéfice exclusif des plus riches. Intéressant, non ? »
Après les tergiversations de la gauche puis une bien tardive et surtout une bien timide moralisation, juste avant l’alternance, tout reprend donc comme avant. Même plus qu’avant : les très grandes fortunes commencent à comprendre que la défiscalisation est une aubaine formidable. C’est ce qu’établit une enquête deL’Expansion, en date du 29 août 1996. Sous le titre « La “défisc”, un pactole pour les békés », le magazine raconte tous les abus des années antérieures :
« Aux
Antilles, la loi Pons a supplanté les pirates des Caraïbes : on ne compte
plus ses victimes célèbres. Le roi de la pub, Jacques Séguéla, qui avait
baptisé son yacht Merci Béré,
a dû payer un redressement fiscal. La femme la plus riche de France, Liliane
Bettencourt, a dû renflouer le déficit des huit voiliers défiscalisés dont elle
confiait la gestion à Stardust, une filiale du Crédit lyonnais. Quant aux 800
investisseurs clients de Jet-Sea, ils ont découvert, lors de sa faillite,
qu'une trentaine de leurs navires étaient menacés de redressement fiscal et
qu'autant n'avaient jamais existé. Les galères immobilières rivalisent avec les
bateaux fantômes. L'animateur Philippe Bouvard a englouti 4 millions de francs
dans un projet hôtelier mort-né à Saint-Martin, paradis fiscal où la GMF a
sombré et où on recense au moins 160 plaintes d'investisseurs ruinés. »
Jospin refuse de toucher à la loi Pons
Et le magazine ajoute : « Pour
moraliser la loi, les investissements supérieurs à 30 millions de francs sont
soumis depuis 1991 à un agrément du ministère des Finances. Depuis 1996, cette
procédure s'applique à tous les investissements. Les avantages fiscaux ont
aussi été réduits. À partir de 1997, les particuliers ne pourront plus
déduire que 25 % de leur investissement. La réduction d'impôt pour les
entreprises, abaissée à 75 % en 1992, a été remontée à 100 % depuis
le 1er juillet 1993, mais devrait totalement
disparaître en 2001. Enfin, les promoteurs de ces placements offrent des
protections aux épargnants. Le navire de croisière Paul-Gauguin, vendu début 1996 aux clients de la Société
générale, fait l'objet d'une garantie de rachat. Sur 1,3 million de francs
investis, chaque épargnant est assuré de récupérer 487 000 francs en 2002,
en plus des réductions d'impôt... La confiance est pourtant altérée. La BNP et
le Crédit agricole ont fait investir leurs clients dans des projets qui ont
fait faillite et pour lesquels ils risquent un redressement fiscal, en plus des
mensualités de remboursement que la banque leur réclame. Les garanties promises
par une société d'économie mixte du conseil général de la Martinique n'ont pas
été honorées quand cette dernière a fait faillite. Et les démêlés judiciaires
de Lucette Michaux-Chevry, député et ex-ministre du Tourisme, ne disent rien
qui vaille quant aux investissements réalisés dans sa commune de Gourbeyre, en
Guadeloupe. »
Et ensuite, rien ne change, ou presque. D’abord, quand la gauche
revient au pouvoir, en 1997, Lionel Jospin décide de s’en tenir au statu
quo : pas touche à la loi Pons ! Le premier ministre socialiste
décide à l’époque de proroger le dispositif au moins jusqu’en 2002. Et comme le
raconte le journal Libération du 20
avril 1999, il prend
même cet engagement : « Si
ce dispositif devait être modifié, ce serait à coût budgétaire constant, sans
rupture de continuité. »Puis, au lendemain de 2002, sous la droite, le
dispositif a été amendé à la marge, notamment avec la loi Girardin, mais
l’essentiel des mesures a survécu.
C'est donc cela qu’il y a de stupéfiant dans l’histoire de la défiscalisation DOM-TOM : critiquée de toutes parts, vilipendée, elle a pourtant survécu pendant plus de vingt-cinq ans. Car de fait, tous les rapports officiels sur le sujet ont toujours abouti aux mêmes conclusions : le système est aberrant. La Cour des comptes a ainsi publié pléthore d’études sur le sujet, mettant perpétuellement en garde la puissance publique sur les dérives du système. On peut par exemple se reporter au chapitre très sévère qu’elle a consacré au sujet dans son rapport public en 2011. Mais dans la période récente, le rapport le plus éloquent est sans conteste celui qu’a réalisé en juin 2011 l’Inspection générale des finances.
C'est donc cela qu’il y a de stupéfiant dans l’histoire de la défiscalisation DOM-TOM : critiquée de toutes parts, vilipendée, elle a pourtant survécu pendant plus de vingt-cinq ans. Car de fait, tous les rapports officiels sur le sujet ont toujours abouti aux mêmes conclusions : le système est aberrant. La Cour des comptes a ainsi publié pléthore d’études sur le sujet, mettant perpétuellement en garde la puissance publique sur les dérives du système. On peut par exemple se reporter au chapitre très sévère qu’elle a consacré au sujet dans son rapport public en 2011. Mais dans la période récente, le rapport le plus éloquent est sans conteste celui qu’a réalisé en juin 2011 l’Inspection générale des finances.
10 689 foyers favorisés captent 93 % de l'avantage fiscal
Pour comprendre la portée de ce rapport,
il faut avoir à l’esprit le climat fiscal de l’époque. À Bercy, tout le
monde sait en effet que le principe absolu du quinquennat est de chouchouter
les plus grosses fortunes, qui constituent la clientèle électorale de Nicolas
Sarkozy. Et pourtant, les hauts fonctionnaires de l’Inspection des finances,
qui ne sont pas d’un naturel frondeur, disent tout net que les défiscalisations
DOM-TOM dont profitent les plus hauts revenus sont des aberrations. C’est à
lire en particulier à partir de la page 73.
Lisons. « Concernant
les dépenses fiscales outre‐mer
destinées à améliorer le financement et la rentabilité des entreprises », l’inspection a ainsi « recensé 55 dépenses fiscales
et sociales outre‐mer pour un coût total annuel estimé à 4,2
milliards d’euros, parmi lesquelles un tiers ne sont pas retracées dans les
annexes au Projet de loi de finances et au Projet de loi de financement de la
Sécurité sociale (elles concernent tout particulièrement le secteur agricole). » À ce sujet, le
rapport relève que ces sommes sont englouties en pure perte, ou presque :« L’objectif
de maintien ou de création d’emplois affiché par le législateur n’est atteint
qu’à la marge, pour un coût unitaire de plusieurs centaines de milliers
d’euros, alors même que l’objectif de la défiscalisation est souvent la
recherche d’une plus grande productivité. »
Et l’Inspection poursuit : « Quant
aux dépenses fiscales qui visent à stimuler l’investissement et la rentabilité
des entreprises (TVA NPR, régime de l’abattement du tiers à l’IS et zones
franches d’activité), leur accumulation est injustifiée. »
Même critique acerbe, dans un autre domaine de l’activité dans les DOM-TOM : « Concernant les dépenses fiscales bénéficiant au secteur du logement en outre‐mer, le bénéfice de la défiscalisation en matière de logement est en effet concentré au profit des ménages les plus aisés. » Et tout est à l’avenant : il n’y a pas un volet du dispositif DOM-TOM qui échappe à la critique. Résultat, même Les Échos (n° 20966 du 4 juillet 2011) doivent convenir que le système est fou. Voici le compte rendu du quotidien : « Les entreprises bénéficient d'allègements sur le capital (défiscalisation des investissements, moindre TVA), d'exonérations sur les salaires et, in fine, d'abattements sur les bénéfices. Or “le taux de marge moyen des entreprises ultramarines est supérieur à celui constaté en métropole” : l'excédent brut d'exploitation représentait 24,8 % de la valeur ajoutée des entreprises réalisant plus de 550 000 euros de chiffre d'affaires en métropole en 2005 contre 34,3 % à la Réunion, 30,5 % en Guadeloupe et 29 % en Martinique. L'abattement d'un tiers à l'impôt sur les sociétés s'apparente “à une absence de contribution complète aux charges publiques des entreprises ayant réussi à devenir rentables (...). C'est l'égalité devant l'impôt qui est mise en cause. »
Et le constat le plus grave est encore à venir, comme l’explique ensuite le journal : « Ces avantages sont toujours captés par les ménages les plus aisés de métropole, en dépit des mécanismes de plafonnement des niches récemment votés. En matière d'impôt sur le revenu, les 10 689 foyers, appartenant au centile de la population disposant des plus hauts revenus, reçoivent 93 % de l'avantage fiscal outre-mer, soit 710 millions (sur 761 millions). »
Tout en effet est là. Budgétairement dispendieux, économiquement inefficace, le dispositif a pour seul avantage d’enrichir... les ultra riches. Certes, les rapports publics sont moins prolixes sur le sujet, pourtant décisif : qui sont les premiers bénéficiaires de ces dispositifs ? Et où se situent-ils dans l’échelle des revenus ? Pourtant, de nombreux indices viennent confirmer que ce sont effectivement les plus riches des contribuables, représentant 1 % dans le haut de l’échelle des revenus, qui sont les premiers bénéficiaires de ces avantages indus. En d’autres termes, si l’impôt sur le revenu, qui est progressif dans les premières tranches du barème, devient dégressif pour les très hauts revenus, en violation des principes républicains, c’est à cause de plusieurs dispositifs de défiscalisation, mais tout particulièrement du dispositif DOM-TOM.
Même critique acerbe, dans un autre domaine de l’activité dans les DOM-TOM : « Concernant les dépenses fiscales bénéficiant au secteur du logement en outre‐mer, le bénéfice de la défiscalisation en matière de logement est en effet concentré au profit des ménages les plus aisés. » Et tout est à l’avenant : il n’y a pas un volet du dispositif DOM-TOM qui échappe à la critique. Résultat, même Les Échos (n° 20966 du 4 juillet 2011) doivent convenir que le système est fou. Voici le compte rendu du quotidien : « Les entreprises bénéficient d'allègements sur le capital (défiscalisation des investissements, moindre TVA), d'exonérations sur les salaires et, in fine, d'abattements sur les bénéfices. Or “le taux de marge moyen des entreprises ultramarines est supérieur à celui constaté en métropole” : l'excédent brut d'exploitation représentait 24,8 % de la valeur ajoutée des entreprises réalisant plus de 550 000 euros de chiffre d'affaires en métropole en 2005 contre 34,3 % à la Réunion, 30,5 % en Guadeloupe et 29 % en Martinique. L'abattement d'un tiers à l'impôt sur les sociétés s'apparente “à une absence de contribution complète aux charges publiques des entreprises ayant réussi à devenir rentables (...). C'est l'égalité devant l'impôt qui est mise en cause. »
Et le constat le plus grave est encore à venir, comme l’explique ensuite le journal : « Ces avantages sont toujours captés par les ménages les plus aisés de métropole, en dépit des mécanismes de plafonnement des niches récemment votés. En matière d'impôt sur le revenu, les 10 689 foyers, appartenant au centile de la population disposant des plus hauts revenus, reçoivent 93 % de l'avantage fiscal outre-mer, soit 710 millions (sur 761 millions). »
Tout en effet est là. Budgétairement dispendieux, économiquement inefficace, le dispositif a pour seul avantage d’enrichir... les ultra riches. Certes, les rapports publics sont moins prolixes sur le sujet, pourtant décisif : qui sont les premiers bénéficiaires de ces dispositifs ? Et où se situent-ils dans l’échelle des revenus ? Pourtant, de nombreux indices viennent confirmer que ce sont effectivement les plus riches des contribuables, représentant 1 % dans le haut de l’échelle des revenus, qui sont les premiers bénéficiaires de ces avantages indus. En d’autres termes, si l’impôt sur le revenu, qui est progressif dans les premières tranches du barème, devient dégressif pour les très hauts revenus, en violation des principes républicains, c’est à cause de plusieurs dispositifs de défiscalisation, mais tout particulièrement du dispositif DOM-TOM.
Les ultra riches se défiscalisent d'abord dans les DOM-TOM
Il se trouve même des experts à droite
pour en convenir. Le président (UMP) de la Commission des finances de
l’Assemblée nationale, Gilles Carrez, qui parle droit et qui a souvent le
courage de ne ménager personne, même ceux de son camp, rappelle ainsi avec
plaisir un souvenir de l’automne 2008. À l’époque, c’est le socialiste
Didier Migaud qui préside la Commission des finances de
l’Assemblée – il est depuis devenu premier président de la Cour des
comptes – et lui-même est Rapporteur général du budget à l’Assemblée.
Tous deux décident à l’époque, comme la loi les y autorise, à
organiser un contrôle sur place et sur pièces à Bercy, notamment pour connaître
les bénéficiaires des allégements fiscaux DOM-TOM. Et ce qu’ils découvrent
alors est sidérant : pour les 1 % des contribuables les plus
fortunés, la « défisc » DOM-TOM dans le cas des investissements
productifs (c’est-à-dire, hors immobilier) constitue de 50 à 75 % des
défiscalisations totales.
Sans doute les choses ont-elles un peu changé depuis, car à l’époque, les fameuses « niches » fiscales n’avaient pas encore reçu de coup de rabot. Mais ces indications en disent long : si les très grandes fortunes ont des taux d’imposition souvent très inférieurs aux contribuables des couches moyennes, c’est d’abord à cause de cette folie fiscale. Dans la foulée de cette découverte, plusieurs députés avaient décidé en 2008 d’aller sur place dans les DOM-TOM, pour vérifier les abus qu’ils avaient constatés. Dans le voyage d'étude, il y avait Gilles Carrez, Didier Migaud, ainsi qu’un certain... Jérôme Cahuzac, aujourd’hui ministre du budget.
Face à ce scandale, on comprend donc que le candidat François Hollande annonce pendant la campagne présidentielle qu’il mettra un terme à tous ces abus. C’est consigné, noir sur blanc, dans la proposition 15 de son programme : « En outre, nul ne pourra plus tirer avantage des “niches fiscales” au-delà d’une somme de 10 000 euros de diminution d’impôt par an. » Rien que du bon sens ! S’il y a eu autant d’abus, si les contribuables les plus fortunés ont été gorgés de cadeaux, si l’impôt sur le revenu a fini par être détourné de sa mission et n’est plus progressif, il faut assurément remettre de l’ordre dans la politique fiscale française.
Seulement voilà ! Finalement, la promesse ne sera pas honorée. Pour le comprendre, il suffit de se reporter à la page 11 du document de Bercy, qui présente les mesures fiscales du projet de loi de finances pour 2013.
Sans doute les choses ont-elles un peu changé depuis, car à l’époque, les fameuses « niches » fiscales n’avaient pas encore reçu de coup de rabot. Mais ces indications en disent long : si les très grandes fortunes ont des taux d’imposition souvent très inférieurs aux contribuables des couches moyennes, c’est d’abord à cause de cette folie fiscale. Dans la foulée de cette découverte, plusieurs députés avaient décidé en 2008 d’aller sur place dans les DOM-TOM, pour vérifier les abus qu’ils avaient constatés. Dans le voyage d'étude, il y avait Gilles Carrez, Didier Migaud, ainsi qu’un certain... Jérôme Cahuzac, aujourd’hui ministre du budget.
Face à ce scandale, on comprend donc que le candidat François Hollande annonce pendant la campagne présidentielle qu’il mettra un terme à tous ces abus. C’est consigné, noir sur blanc, dans la proposition 15 de son programme : « En outre, nul ne pourra plus tirer avantage des “niches fiscales” au-delà d’une somme de 10 000 euros de diminution d’impôt par an. » Rien que du bon sens ! S’il y a eu autant d’abus, si les contribuables les plus fortunés ont été gorgés de cadeaux, si l’impôt sur le revenu a fini par être détourné de sa mission et n’est plus progressif, il faut assurément remettre de l’ordre dans la politique fiscale française.
Seulement voilà ! Finalement, la promesse ne sera pas honorée. Pour le comprendre, il suffit de se reporter à la page 11 du document de Bercy, qui présente les mesures fiscales du projet de loi de finances pour 2013.
Concrètement, la situation actuelle est la
suivante : « Pour
l’imposition des revenus de 2012, le plafonnement global » des diminutions fiscales auxquelles
peuvent prétendre les contribuables fortunés « est
égal à 18 000 euros majorés de 4 % du revenu imposable du foyer
fiscal ». « Cette
part proportionnelle au revenu imposable permet aux ménages les plus aisés de
réduire fortement leur impôt », dit à juste titre le document de
Bercy.
Pour 2013, il est donc « proposé d’abaisser le niveau du plafonnement global en ramenant la part forfaitaire à 10 000 euros et en supprimant la part proportionnelle de 4 % ». Mais la mesure est tout aussitôt complétée par un codicille qui change tout :« La somme de ces avantages et de ceux acquis au titre d’investissements réalisés en outre-mer continuerait à bénéficier d’un plafonnement maintenu à son niveau actuel, pour préserver à ces derniers leur caractère attractif, et en raison des enjeux économiques qu’ils représentent pour l’outre-mer. »
Pour 2013, il est donc « proposé d’abaisser le niveau du plafonnement global en ramenant la part forfaitaire à 10 000 euros et en supprimant la part proportionnelle de 4 % ». Mais la mesure est tout aussitôt complétée par un codicille qui change tout :« La somme de ces avantages et de ceux acquis au titre d’investissements réalisés en outre-mer continuerait à bénéficier d’un plafonnement maintenu à son niveau actuel, pour préserver à ces derniers leur caractère attractif, et en raison des enjeux économiques qu’ils représentent pour l’outre-mer. »
En clair, le système DOM-TOM, qui comme on l’a vu joue si
fortement dans les minorations d’impôts des plus riches, serait sorti du
nouveau plafonnement. Tout continuerait donc comme avant.
Cette exemption n’est d’ailleurs pas la seule. Le projet de loi de finances pour 2013 ajoute en effet ceci : « Compte tenu de leurs spécificités, certains dispositifs ne seraient plus pris en compte dans le plafonnement global :
– les réductions d’impôt accordées au titre des dépenses supportées en vue de la restauration complète d’un immeuble bâti (“loi Malraux”) ;
– les réductions d’impôt accordées au titre du financement en capital d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles “SOFICA”. »
Or, là encore, cette reculade est stupéfiante. Non pas dans le cas de la loi Malraux : après tout, il est logique que l’État contribue à sa façon à la conservation et à la rénovation de monuments historiques, fussent-ils entre des mains privées, à la condition que les bénéficiaires des aides fiscales soient soumis en contrepartie à des obligations (ouverture au public, etc.). En revanche, le système de financement du cinéma français est sophistiqué et multiple. Et il dispose d’outils efficaces, à commencer par le Centre national du cinéma. Et on peine à deviner par quel type de lobbying chic le système des Sofica a été maintenu pour 2013, alors que bien évidemment aucune banque ne propose à ses clients ordinaires ce type de défiscalisation, réservé à des riches contribuables un peu snob de Saint-Germain-des-Prés.
Mais la vérité, c’est que le premier des scandales, c’est celui de la « défisc » dans les DOM-TOM, que la gauche ne veut pas interrompre. C’est le détournement au profit des richissimes contribuables de sommes publiques qui seraient bien mieux utilisées à des politiques volontaristes et transparentes dans ces départements et territoires.
Cette histoire de défiscalisation dit donc quelque chose de ce projet de budget pour 2013 et du conservatisme qui l'a inspiré. Triste bégaiement de l’histoire. Y aura-t-il un milliardaire de Neuilly ou d’ailleurs qui baptisera son prochain investissement à Saint-Martin ou dans une île voisine « Merci-Mosco » ou « Merci-Cahuzac » ? Ce serait sûrement indécent, mais le coup de chapeau ne serait pas immérité.
Cette exemption n’est d’ailleurs pas la seule. Le projet de loi de finances pour 2013 ajoute en effet ceci : « Compte tenu de leurs spécificités, certains dispositifs ne seraient plus pris en compte dans le plafonnement global :
– les réductions d’impôt accordées au titre des dépenses supportées en vue de la restauration complète d’un immeuble bâti (“loi Malraux”) ;
– les réductions d’impôt accordées au titre du financement en capital d’œuvres cinématographiques ou audiovisuelles “SOFICA”. »
Or, là encore, cette reculade est stupéfiante. Non pas dans le cas de la loi Malraux : après tout, il est logique que l’État contribue à sa façon à la conservation et à la rénovation de monuments historiques, fussent-ils entre des mains privées, à la condition que les bénéficiaires des aides fiscales soient soumis en contrepartie à des obligations (ouverture au public, etc.). En revanche, le système de financement du cinéma français est sophistiqué et multiple. Et il dispose d’outils efficaces, à commencer par le Centre national du cinéma. Et on peine à deviner par quel type de lobbying chic le système des Sofica a été maintenu pour 2013, alors que bien évidemment aucune banque ne propose à ses clients ordinaires ce type de défiscalisation, réservé à des riches contribuables un peu snob de Saint-Germain-des-Prés.
Mais la vérité, c’est que le premier des scandales, c’est celui de la « défisc » dans les DOM-TOM, que la gauche ne veut pas interrompre. C’est le détournement au profit des richissimes contribuables de sommes publiques qui seraient bien mieux utilisées à des politiques volontaristes et transparentes dans ces départements et territoires.
Cette histoire de défiscalisation dit donc quelque chose de ce projet de budget pour 2013 et du conservatisme qui l'a inspiré. Triste bégaiement de l’histoire. Y aura-t-il un milliardaire de Neuilly ou d’ailleurs qui baptisera son prochain investissement à Saint-Martin ou dans une île voisine « Merci-Mosco » ou « Merci-Cahuzac » ? Ce serait sûrement indécent, mais le coup de chapeau ne serait pas immérité.