jeudi 24 avril 2014

La justice est inséparable de la liberté.

Le coeur de Jaurès bat encore...

...car il est toujours vivant, ce cœur.
Malgré "le monde entier, autour de nous, avec ses barrières, ses lois d'oppression, d'étouffement, de spoliation !".
La grande voix du socialisme reste présente, à Carmaux et partout en France, par delà les convulsions et les massacres, en dépit des trahisons :
La Liberté guidant le Peuple

"Si nous allons vers l'égalité et la justice, ce n'est pas aux dépens de la liberté ;
 nous ne voulons pas enfermer les hommes dans des compartiments étroits, numérotés par la force publique.
Nous ne sommes pas séduits par un idéal de réglementation tracassière et étouffante.
 Nous aussi, nous avons une âme libre ; nous aussi, nous sentons en nous l'impatience de toute contrainte extérieure !...
Et si, dans l'ordre social rêvé par nous, nous ne rencontrions pas d'emblée la liberté, la vraie, la pleine, la vivante liberté, si nous ne pouvions pas marcher, et chanter, et délirer même sous les cieux, respirer les larges souffles...
    Le courage, c'est de comprendre sa propre vie, de la préciser,         de l'approfondir et de la coordonner cependant à la vie générale.
 Le courage, c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel. C'est d'agir et de se donner aux grandes causes, sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l'univers.
Le courage, c'est de chercher la vérité et de la dire.
 Ce n'est pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe,
et de ne pas faire écho..."

Cette parole magnifique, qui n'est hélas plus à la mode aujourd’hui, qui est incompatible avec le libéralisme européiste triomphant, porte comme un drapeau qui claque au vent, la valeur suprême de l'humanisme socialiste : la solidarité.
La justice est inséparable de la liberté.


En cette période noire où un gouvernement "socialiste" est en train de mettre en place la plus réactionnaire des politiques, il m'a semblé utile de citer un extrait de l'essai d'Alain Badiou "D'un désastre obcur", qui date de 1991 mais qui vient d'être réédité par l'Aube.
"Nous sommes, c'est important, dans un moment d'aveu. Que le contenu substantiel de toute "démocratie" soit l'existence de gigantesques et suspectes fortunes, que la maxime "enrichissez-vous !" soit l'alpha et l’Oméga de l'époque, que la matérialité brutale des profits soit la condition absolue de toute socialité convenable, bref : que la propriété soit l'essence de la "civilisation", voilà qui fait consensus, après avoir été, pendant presque deux siècles, la thèse aventureuse et calomniée des révolutionnaires qui voulaient en finir avec une aussi pitoyable "civilisation". Un "marxisme" sans prolétariat ni politique, un économisme qui met la richesse privée au centre de la détermination sociale, la bonne conscience retrouvée des agioteurs, des corrompus, des spéculateurs, des financiers, des gouvernements exclusivement soucieux de soutenir l'enrichissement des riches : voilà la vision du monde qu'on nous propose sous les étendards triomphaux de la civilisation.
Je pense à Robespierre, le 9 Thermidor : "La République est perdue ! les brigands triomphent". Il est bien vrai qu'ils n'ont cessé depuis de l'emporter, mais jamais autant qu'aujourd'hui, dans une arrogance que conforte sans mesure la défaite, puis la disparition (croient-ils) de tous leurs adversaires successifs."
A l'instar de Jaurès, les socialistes français voulaient compléter la démocratie politique par une démocratie économique.
Mais Léon Blum a bien compris, à ses dépens, quela Démocratie politique était nouée à la domination des propriétaires et qu'elle ne serait jamais complétée par une démocratie économique.


La nécessité, telle est la raison

que l'on invoque pour toute atteinte à la liberté humaine. C'est l'argument des tyrans
c'est le credo des esclaves.
William Pitt

Ces leçons du passé auraient du faire réfléchir nos gouvernants avant qu'ils capitulent devant le patronat.

Le maître Hollande et les voix pour rien

Justice au Singulier blog de Philippe Bilger

Il y a des épisodes plus éclairants sur la démocratie que la vie officielle de l’État et le spectacle parlementaire.
Quand une voix surgit du peuple et vient interpeller le président de la République, par exemple.
A Carmaux, François Hollande, venu pour célébrer Jean Jaurès - une personnalité si riche, si puissante, si remarquable à tous les points de vue que l'étiqueter socialiste est un carcan bien trop étroit pour elle ! , avant de prononcer son discours, a été arrêtée par une citoyenne, Yveline Roux, qui s'est adressée à lui avec vigueur.
Elle a déjà le mérite d'avoir eu l'audace de le faire alors qu'un impressionnant appareil de protection et un service d'ordre conséquent avaient été mis en place.
Encore un triste mimétisme avec les voyages en province de Nicolas Sarkozy qui offrait en définitive seulement à un noyau de privilégiés l'honneur de sa présence. Quand le président légal et légitime est contraint de se séparer du pays réel, force est de considérer qu'il y a là comme un dysfonctionnement républicain.
Yveline Roux a reproché vertement à François Hollande : "vous ne tenez pas vos promesses". Il l'a écoutée poliment, je ne sais s'il lui a répondu quelque chose, et il a continué son chemin. Sans doute d'autres habitants ont-ils crié des encouragements ou des critiques à son égard mais c'est elle seule qu'on a vue et à laquelle le reportage lors du journal télévisé de TF1 a fait un sort.
Elle s'est expliquée en soulignant qu'elle "avait essayé de parler pour beaucoup de gens".
Je perçois ce qu'il pourrait y avoir d'immédiatement rassurant dans le fait d'avoir une proximité telle avec le président de la République qu'une parole puisse aisément lui être destinée et qu'éventuellement elle soit même susceptible, sinon de lui apprendre quelque chose ou de le convaincre, au moins de l'étonner et de le plonger sans détour dans un quotidien qui, à défaut de cette brusquerie, lui serait demeuré étranger.
Mais je ressens davantage le pathétique d'une telle démarche, d'une confrontation tellement inégale entre le pouvoir et l'un de ses sujets qu'elle révèle plus un manque, une béance par rapport à une conception politique authentique, qu'une chance ou une opportunité.
J'entends bien que paradoxalement, si la multitude des opposants sur tel ou tel projet n'est pratiquement jamais prise en considération - dans tous les sens du terme - et même parfois molestée, une voix singulière, que le président de la République, sur son passage, a l'obligation d'enregistrer, est investie d'un impact plus fort, particulier.
En même temps, cette espérance citoyenne de pouvoir faire changer les choses par cette invocation directe est illusoire et manifeste à quel point, forcément, aucune évolution ne s'accomplira qui ne sera pas décrétée, élaborée par le fait du prince et dans la tête du président de la République.
Yveline Roux aura eu beau parler "pour beaucoup de gens", cela ne modifiera en rien cette pente fatale de notre démocratie qui exclut de plus en plus le peuple de ce qui le regarde et rend vaines en tout cas ses attentes, ses protestations et ses indignations.
Cette citoyenne sincère de Carmaux prévenait François Hollande de ce que les promesses faites à la gauche n'avaient pas été tenues en matière économique et sociale. Elle aurait pu aussi déplorer que sur le plan pénal et dans le domaine judiciaire, rien n'était plus insupportable au pouvoir en place que la possible irruption du peuple dans un débat qui pourtant était fondamentalement le sien.
Un jour, j'en suis persuadé, notre République sera lassée de s'entendre traiter par ses présidents successifs sur ce mode vulgaire, définitif et déprimant : causez toujours, vous ne m'intéressez pas !