jeudi 24 octobre 2019

Vladimir Trump

Vladimir Trump

Il y avait une erreur dans le slogan de Trump, «Make America Great Again». Il fallait lire : «Make Russia Great Again». En effet, tout se passe comme si le vrai but du milliardaire n’était pas de renforcer son propre pays, mais d’aider celui que gouverne son ami Vladimir Poutine.
L’affaire du nord de la Syrie l’illustre à merveille. Elle se divise en deux périodes : l’avant-tweet et l’après-tweet. Avant que Trump, d’une phrase jetée sur les réseaux, ne largue ses alliés kurdes sans cérémonie, les mille soldats américains présents dans la zone, coordonnés aux forces kurdes, pouvaient maintenir à distance les appétits des parties prenantes, tandis qu’on négociait un compromis qui rassure la Turquie et garantisse la sécurité des Kurdes.
Depuis que Trump, dans une foudroyante inspiration, a donné son feu vert à Erdogan, les Turcs ont avancé par le nord et les Syriens par le sud. Les Kurdes ont cherché en panique un accord avec Assad et c’est désormais la Russie qui est maîtresse du jeu, concluant un «deal» avec Erdogan et permettant à son allié de Damas de réoccuper les territoires perdus. Poutine épaule ses alliés ; Trump livre les siens.
Sans le savoir, ou en le sachant, le président américain s’est fait l’agent du Kremlin, qui empoche avec un large sourire le magot offert par la Maison Blanche. La Russie gagne beaucoup au retrait de l’US Army et les Etats-Unis, rien. Trump démontre surtout qu’on risque gros à compter sur son administration et incite ses alliés historiques à chercher des appuis ailleurs. «Make America Smaller».
Au total, le poids des démocraties dans le monde s’en trouve réduit : les Etats-Unis se replient derrière un mur de rodomontades ; l’Europe, qui ne peut pas agir au loin sans l’appui américain, est renforcée dans son abstention stratégique. Mis en cause violemment par Trump, l’Iran se raidit au lieu de s’adoucir ; la Corée du Nord poursuit sa course dangereuse ; la Chine tient pour des piqûres d’épingle les mesures protectionnistes prises contre elle par les Etats-Unis ; le Moyen-Orient devient un terrain de jeu privilégié pour la Russie. Quand on largue le multilatéralisme au profit du nationalisme, il ne faut pas s’étonner de voir chacun jouer son jeu.
Quant aux défis planétaires – changement climatique, immigration, inégalités sociales – ils sont ignorés, ou bien abordés par le biais de tweets ineptes qui sont autant de jets d’huile lancés sur le feu. A moins que la politique étrangère américaine, comme dans l’affaire ukrainienne qui vaut à Trump une procédure d’impeachment, ne soit instrumentalisée purement et simplement pour servir de bas objectifs politiciens. Il est encore des «réalistes», plus naïfs que tant de «multilatéralistes», pour saluer «le retour des nations», la fin du «politiquement correct», la restauration de la logique des intérêts d’Etat, etc. Alors qu’il n’y a dans cette politique erratique qu’incompétence et irrationalité.
LAURENT JOFFRIN