jeudi 25 septembre 2014

Hervé Gourdel: la récup ou l'hommage ?



Hervé Gourdel: la récup ou l'hommage ?

L’idéal, c’est quand on peut mourir pour ses idées,
La politique, c’est quand on peut en vivre. »

Charles Peguy



Le touriste français pris en otage dimanche a été décapité .
La nouvelle, mercredi, a choqué.
Depuis quelques jours et les menaces proférées par des djihadistes du Califat
contre les ressortissants français et américains, il fallait faire corps avec le gouvernement français. Ce dernier avait eu simplement raison de se joindre aux attaques contre l'Etat islamique installé à cheval sur la Syrie et l'Irak.
 L'armée française participe à la coalition internationale
qui bombarde et cherche à affaiblir le Califat.
Qui ne souhaite pas contrer ce dernier ?




"Hervé Gourdel est mort parce qu'il était Français, parce que son pays, la France, combat le terrorisme" François Hollande.
La nouvelle est tombée alors que Manuel Valls était à l'Assemblée pour justifier l'intervention militaire en Irak. 
  
Dans le drame, et sous la pression, on a vu ou entendu quelques indécences. Mais elles furent rares. 
  
1. Nicolas Sarkozy a appelé la famille de la victime. 
On peut s’attendre à tout, absolument tout,
D’un homme ambitieux et déformé par la vie politique,
Dès l’instant où cet homme se sent le pouvoir absolu entre les pattes.
Roger Martin du Gard

La récupération politique est grossière, indécente, à peine surprenante. Quand il était président, Nicolas Sarkozy était coutumier de la manoeuvre. 
  
La plupart des ténors de la droite, y compris des sous-fifres tels Hervé Mariton (qui ?) ont pourtant tenu des propos plus responsables et respectueux. Nicolas Sarkkzy se sentait sans doute pousser des ailes. La justice, qu'il accusait encore il y a peu de partialité politique, voire manipulée par un prétendu cabinet noir, cette même justice vient de suspendre pour quelques mois l'instruction pour corruption active qui frappait l'ancien monarque. C'est une faveur exceptionnelle. 
  
2. Quelques autres se sont inquiétés que l'intervention militaire française ne concerne que l'Irak et pas la Syrie. Sur France info, mercredi matin, Jean-Yves le Drian était encore questionné sur l'affaire. Mais quelle affaire ? La France bombarde le Califat sur son flanc irakien, quand d'autres - Américains et émirati son flanc syrien. 
  
3. Il y a eu, il y aura quelques autres esprits fragiles encore pour fustiger l'islam tout entier, ou interpeler les musulmans de France et d'ailleurs au motif que quelques terroristes surpuissants et haineux se réclament d'un "islam véritable". Ce rétrécissement de la pensée a rapidement frappé, ce mercredi, sans surprise. Il fallait s'en indigner. Le recteur de la grande Mosquée s'était pourtant déclaré bouleversé comme tant d'autres. Et Manuel Valls n'a cessé de répéter, comme le notait Mediapart, qu'il fallait distinguer "l'islam qui est la deuxième religion de France et qui est un atout pour notre pays, et l'islamisme ". 
  
4. D'autres encore diront que la France aurait du rester neutre. Ne rien faire, ne rien dire, se taire ou se coucher, laisser la Syrie et l'Iak, et demain la Jordanie, sombrer dans leurs guerres civiles et emportées par la progression surpuissante du Califat islamique. A l'Assemblée nationale, les députés du Front de gauche ont été les seuls à émettre des réserves à l'intervention française, non pas sur la livraison d'armes mais plutôt sur le prétendu leadership américain: "Oui, il faut apporter une aide militaire à ceux qui résistent aux djihadistes. Mais pas n’importe comment. Et certainement pas sous l’égide des Américains " a justifié le député François Asensi. 
  
5. Les assassins de l'otage français sont un groupuscule islamiste "issu d’une dissidence d’Aqmi", c'est-à-dire politiquement rien, un gang des barbares de plus. 
"Tuer un homme sans défense et désarmé est un acte de lâches et qui le commet n'est pas un guerrier mais un assassin." Jean-Luc Mélenchon
  
6. Sur les réseaux sociaux, mercredi, une campagne s'était lancée contre les amalgames. 

mardi 23 septembre 2014

Le vrai retour de Nicolas “Bismuth” Sarkozy



Mensonges et pressions sur la justice:

22 SEPTEMBRE 2014 |  PAR FABRICE ARFI
Bettencourt, Karachi, Azibert, financements libyens, Bygmalion… Mediapart propose une revue de détails pour démonter la rhétorique de Nicolas Sarkozy qui veut faire oublier que jamais un système présidentiel – le sien – n’a été cerné d’aussi près par la justice anti-corruption.
Non, il n’a pas changé. Fidèle à lui-même et l’inconscient au bord des lèvres, Nicolas Sarkozy s’est plu, dimanche 21 septembre, au 20 Heures de France 2, à se poser des questions à lui-même auxquelles il avait, comme par enchantement, la bonne réponse. Ce fut ainsi le cas sur le terrain des “affaires” : « Est-ce que vous croyez que si j’avais quelque chose à me reprocher au fond de moi, je viendrais m’exposer avec un retour en politique ? Je n’ai pas peur »­­a bombé le torse l’ancien chef de l’État devant le présentateur Laurent Delahousse.

A lui voir tant de prudence,

n'allez pas croire au moins que Tartarin eût peur...


Nicolas Sarkozy, donc, n’a pas peur. En 24 heures de communication accompagnant son retour en politique, que ce soit dans les colonnes du Journal du dimanche puis sur France 2, l’ex-président français n’a surtout pas eu peur de réussir l’exploit de se tromper et de mentir sur la totalité des exemples judiciaires qu’il a cités.
Bettencourt, Karachi, Azibert, financements libyens, Bygmalion... Mediapart propose une revue de détails factuelle pour démonter la rhétorique illusionniste de Nicolas Sarkozy, qui, comme au bon vieux temps, n’hésite pas à humilier la vérité pour faire oublier que jamais dans l’histoire de la Cinquième République un système présidentiel — le sien — n’a été cerné d’aussi près par la justice anti-corruption :
-         Bettencourt. « Trois juges ont décidé que je n’avais rien à voir avec cette affaire. » Les juges de Bordeaux écrivent ainsi : « Il existe également des charges suffisantes à l’encontre de Nicolas Sarkozy d’avoir le 24 février 2007 sollicité un soutien financier illégal d’André et Liliane Bettencourt de nature à entraîner pour eux des conséquences gravement préjudiciables »
-         Karachi. « Aujourd’hui, je suis lavé. » Dans une ordonnance judiciaire, signée le 12 juin dernier, les juges écrivent ainsi au sujet de Nicolas Sarkozy : « L’audition du ministre du budget […] n’a pu être réalisée, celui-ci relevant du statut de témoin assisté et donc de la compétence de la Cour de justice. »
-         Nicolas Sarkozy oublie d’évoquer les raisons de son placement sur écoute : il est soupçonné d’avoir profité d’un soutien financier illégal du régime Kadhafi en Libye à l’occasion de la campagne présidentielle de 2007. Le contenu des écoutes fut à ce point accablant que l’ancien président a été mis en examen, en juillet dernier, pour « corruption » et « trafic d’influence » avec son avocat, Me Thierry Herzog, et un haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert, suspecté d’avoir tuyauté les deux premiers et tenté d’influencer des décisions judiciaires en marge de l’affaire Bettencourt.
-         Bygmalion. « J’ai appris le nom de Bygmalion longtemps après la campagne présidentielle. » Qui peut croire une fable pareille ? L’ancien candidat à l’élection présidentielle, qui est responsable personnellement des frais engagés pendant la campagne, peut-il ignorer quelle fut la société choisie pour assurer le poste de dépenses le plus important.  En réalité, sa campagne truquée aurait dû rapporter beaucoup d’argent à l’État français. Car s’il se confirme que Nicolas Sarkozy a caché 17 millions d’euros de frais de meeting aux autorités de contrôle, ce n’est pas une amende de 363 000 euros que le Conseil constitutionnel aurait dû lui infliger, mais une méga-sanction de 17 millions d’euros, au profit de Bercy.
On peut s’attendre à tout, absolument tout,
D’un homme ambitieux et déformé par la vie politique,
Dès l’instant où cet homme se sent le pouvoir absolu
 Entre les pattes.
Roger Martin du Gard

lundi 22 septembre 2014

Sarkozy, BFM et i>Télé: la machine à décerveler

Entre la conférence de presse de François Hollande, jeudi, et l'entretien de Nicolas Sarkozy sur France 2, dimanche, les deux chaînes d'information en continu ont joué avec constance leur rôle de médias supplétifs au service de l'ancien président. Personnalisation à outrance, intoxications sondagières, pseudo-avis d’experts autoproclamés sur fond de poncifs droitiers. Rapport de visionnage sur canapé...

Quatre nuits ont passé. C’était voilà un siècle, à l’aune de l’instantanéité sautillante, haletante, impatiente, terrifiante des chaînes siamoises d’information en continu : BFM et i>Télé. Elles se repaissent de personnalisation à outrance, s’intoxiquent aux sondages et gobent toutes sortes de pseudo-avis prétendument autorisés d’experts autoproclamés. Elles attrapent un événement à la volée pour ne plus le lâcher, le temps qu’il faudra, tel un duo de chats torturant l’oiseau tombé entre leurs griffes. Puis elles passent à la proie suivante…


Jeudi 18 septembre, la paire de tévés avait François Hollande dans les pattes. Mais le cœur n’y était pas. Elles pensaient au client à venir, un client du tonnerre, sans mesure, nerveux jusqu’à la frénésie : emballement garanti ; il n’y a qu’à suivre son rythme pour imprimer la cadence ; ça, c’est du spectacle ! En attendant, il faut hélas ! traiter de l’actuel président de la République. Ça commence à bien faire. L’ennui s’avère palpable :« C’était la moins bonne de ses quatre conférences de presse et elle n’aura pas fait grand-chose pour sa popularité. » Féline et carnassière, Ruth Elkrief résume :« On reste un peu sur sa faim. »
François Hollande, sous les ors du palais, vient d’avoir l’outrecuidance de balayer l’hypothèse échafaudée sans relâche, le scénario feuilletonnisé à l’excès : ce triennat que décréteraient volontiers BFM et i>Télé, tant le quinquennat semble long. Leur coup d’État audiovisuel permanent ne va pas s'interrompre sur un claquement de doigt élyséen. En schématisant à leur façon l'exhortation présidentielle – « maintenant on va devant, on arrête, c’est fini » –, les deux chaînes ricanent dans leur coin. Comme ces cancres sachant que le chahut ne s’arrêtera pas de sitôt, en dépit de l’admonestation professorale.
BFM diffuse, sans y prêter plus d’attention que cela, l'avis du quatrième personnage de l’État, Claude Bartolone, sur la prestation du premier personnage de l’État : « Offensif et protecteur. » Un commentateur enfile comme des perles les anaphores, cette « marque de fabrique du président Hollande », en tâchant de faire un sort à son itératif « pas facile de... ». Chacun tâche de forcer les socialistes à dire ce qu’ils n’ont pas envie de dire. Question : « N’est-ce pas un constat d’échec ? » « Non », répond le ministre Stéphane Le Foll, qui tente un dégagement sur « l’engagement et la responsabilité », que personne n’écoute.
L’UMP Bernard Debré, 69 ans, a    préparé son estocade. Un micro se tend. Le député feint d’improviser une sentence de mort politique : « François Hollande est en train de se dire qu’il n’a que les journalistes à qui parler, alors il vous parle. » Le FN Florian Philippot, 32 ans, prend soin de reprendre la main sémantique (« nous ne sommes pas d’extrême droite mais patriotes »), avant de confirmer le “la” ambiant : « Nous avons perdu une ou deux heures. C’était un concours de vide. » Ruth Elkrief semble raccord : « C’est un creux ! »Silence interloqué.
Suite du propos de Mme Elkrief, dans la foulée de la pause de sa phrase : « C’est un creux dans ce quinquennat. » Son confrère de plateau, Thierry Arnaud, saisit le mot « creux »au passage. Il transforme le substantif en adjectif et glisse à l’animatrice : « Creux, c’est ainsi que Jean-Luc Mélenchon vient de qualifier la conférence de presse de François Hollande… » Ruth Elkrief repousse alors une telle comparaison, de toutes ses forces révulsées : « Non ! Non ! »
Thierry Arnaud fait mine de trouver à ce président du « courage dans des circonstances difficiles ». Il a maintenu cette conférence de presse inutile et sans intérêt, sur laquelle il faut bien gloser à regret : « S’il ne l’avait pas tenue, on aurait dit, c’est Valls qui a les manettes. » « On » ?                                                                                                                                  Qui aurait dit pareille chose ? Nos chaînes pythiques, pardi ! Celles qui serinent ce jeudi soir :      « On sait très bien que la France sera dégradée. »
Depuis des semaines, elles rabâchent que le premier ministre mange la laine sur le dos du président. Celui-ci vient de remettre à sa place, subalterne, l’homme qu’il a nommé à Matignon. Mais i>Télé trouve aussitôt la parade : l’image qui dément sous nos yeux le propos de M. Hollande. L'image qui confirme les supputations quant aux ambitions démesurées d’un Manuel Valls putschiste jusqu’au bout des ongles. N’est-il pas en train de s’attarder sur le perron du palais, entouré d’une poignée de journalistes ? Enfin un événement à se mettre sous la dent : M. Valls a bel et bien entrepris de « tenir une conférence de presse off », comme le confirme Jean-Jérôme Bertolus, le planton de service d’i>Télé à l’Élysée.
Déjà Audrey Pulvar passe à l’autre mâchoire de la tenaille dans laquelle serait pris le président : son prédécesseur. 2017, c’est maintenant. Et Mme Pulvar d’évoquer« l’éventuel retour ». Sur BFM, Ruth Elkrief enfonce le clou : « Nicolas Sarkozy, qui va revenir, dès demain sans doute. » Et BFM conclut en redessinant la temporalité :« François Hollande a déclaré faire son devoir en servant l’avenir plus que le présent. L’avenir peut-être très proche, c’est la déclaration de Nicolas Sarkozy : la presse régionale, les réseaux sociaux, un 20 heures ? On verra. »

"Where is The Beef?"

Le lendemain, vendredi 19 septembre, c’est tout vu. Une vision de guerre civile.  le « pas aussi européiste et islamophile que Juppé » ; ou,  « les gens ne se supportent plus parce qu’on a deux cultures qui s’affrontent et qui ne peuvent pas vivre sur le même sol » ; ou encore, la fascination à la fois sépulcrale et gourmande pour les règlements de comptes à coups de fusils… Face à Nicolas Domenach, Éric Zemmour se plaint du dispositif qui l’empêcherait d’affiner ses« analyses », alors que la chaîne sur laquelle il se déchaîne s’avère le réceptacle idéal pour son caquet haineux et simpliste – des formules à l’emporte-pièce fondées sur des réminiscences d’une vague première année de Sciences-Po, à faire se retourner dans leur tombe les professeurs Girardet et Rémond ! Voici comment une rhétorique et des obsessions détestables s'acclimatent puis se propagent, en notre étrange pays...
Le résultat est là : Nicolas Sarkozy peut resurgir dans un paysage politique que les chaînes siamoises d’information en continu contribuent à faire glisser le plus à droite possible. Un paysage où Juppé incarne la gauche, Sarkozy le centre et Le Pen une droite bonasse pleine de bon sens près de chez vous. Un paysage où, comme sur BFM, le dialogue politique entre “experts” réunit le directeur de la rédaction du Figaro Magazine, Guillaume Roquette, et un journaliste de L’Opinion, Ludovic Vigogne. Comme si une tornade audiovisuelle avait préparé le terrain, pour que Nicolas Sarkozy revînt sur des positions relativement modérées, tempérées ; tel un messie du juste milieu…
L’échange entre le journaliste convulsionnaire du Figaro et son confrère plus placide de Marianne a été enregistré en un lieu confiné avant diffusion. Cependant le retour de Nicolas Sarkozy prétend répondre aux lois du direct hors studio. Les communicants de l’ancien président osent se mesurer à la grammaire de ce que l’anthropologue Daniel Dayan a défini, avec Elihu Katz, comme La Télévision cérémonielle (PUF, 1996). Ces moments mythiques du petit écran, où tout est bouleversé par un événement monstre, qui chamboule les programmes et monopolise l’attention planétaire : en 1965, les funérailles de Churchill ; en 1977, la visite de Sadate à Jérusalem ; en 1997, la mort de Diana et Jean-Paul II aux journées mondiales de la jeunesse à Paris ; tous les quatre ans, l’ouverture des Jeux olympiques. Il peut certes y avoir des adaptations au simple niveau national : un discours du président Eyadema à Lomé (Togo), une conférence de presse de François Hollande à Paris (France). Même déprécié, l'événement doit cependant donner l'impression d'en avoir pour son regard.
Alors quid du retour de M. Sarkozy ? Qui va prendre pour argent comptant cette farce : la fin de sa traversée d'un désert aux allures de minuscule bac à sable ? Comment peut-on croire à une soudaine renaissance, alors que la parturition s'accomplit depuis le soir de la défaite du compétiteur, voilà vingt-huit mois ? Un tel non-événement, éventé mais gonflé, va-t-il franchir la barre cathodique ? Suffit-il de promouvoir à l'extrême pour que le suspens instauré, aussi faux que furieux, arrache des alléluias aux tréfonds de la nation ? Le désir est grand mais la force est petite. Fiasco dans l'air...
L'épisode, grotesque, s'est mis à ressembler, trait pour trait, à une publicité américaine d'il y a 30 ans. Des dames chics et âgées (on les croirait issues de Neuilly !) s'apprêtent à goûter un hamburger prometteur. Cependant, il n'y a qu'un tout petit bout de viande à l'intérieur. Alors les dupées s'exclament : « Où est le bœuf ? » ("Where is The Beef?"). Voilà très exactement l'effet produit par Nicolas Sarkozy le 19 septembre : un regain colossal annoncé qui se transforme en ricochet avorté.
 Tout a commencé par une lecture de texte. Dans les églises, les temples, les synagogues, ou les mosquées, un tel rituel en impose. Au cinéma, le dispositif impressionne, à condition d’être pensé, comme lorsqu’à la fin de Sobibor, 14 octobre 1943, 16 heures, Claude Lanzmann, de sa voix jupitérienne, égrène solennellement la liste des convois de déportés parvenus au camp d’extermination nazi, qu’un carton déroulant fait défiler sous nos yeux. L'effet produit s'avère alors grandiose : la vidéosphère, la graphosphère et la logosphère nous étreignent de concert.
Patatras ! Une catastrophe dans l'ordre de la représentation est au rendez-vous, avec la page Facebook de Nicolas Sarkozy. La déclaration de “revenez-y” sarkozyen se retrouve ânonnée par un homme et une femme pris au dépourvu, en direct sur BFM. Le ratage submerge. On ne pouvait rien rêver de pire !... 
L'entier vendredi soir se révèle à l’avenant. Il n’y a rien à voir, en dépit de “l’édition spéciale” qui occupe chacune des chaînes jumelles. Alors les journalistes meublent comme ils peuvent : « Bruno Le Maire oppose son jeune corps calme au corps nerveux et plus vieux de Nicolas Sarkozy. » Tout cela semble soudain physique. Et même sexuel, s'il faut en croire Laurent Wauquiez, saisi par un étrange démon : « Ça donne envie parce que lui en a envie ! » Les commentaires parlent de « garde rapprochée ». Nous n'avions rien connu d'aussi torride depuis les “amazones” du colonel Kadhafi.

Le fond d'écran se voit occupé, plus que de raison, par un cliché torchonné du président de la République honoraire à l’arrière de sa voiture. Il a été pris au sortir de ses bureaux parisiens, mais rappelle une arrivée honteuse au tribunal de Bordeaux. BFM et i>Télé devraient chacune engager des sémiologues !
L'image fixe cède par intermittence la priorité à un petit film n'ayant rien à envier aux interludes de la télévision de papa. Une voiture automobile noire est en train de regagner le XVIe arrondissement de la capitale, où nichent M. et Mme Sarkozy. Les plans n’ont aucun intérêt. On finit par regarder ce chewing-gum pour les yeux. La berline qui chemine dans des artères huppées s'avère une Citroën C6 (57 350 € TTC avec options selon largus.fr). On découvre même son immatriculation assez grand genre, dans la mesure où on croirait un numéro de compte en banque : CF862KL75. « Il va faire du social. Il donne un signal clair puisqu’il va dans le Nord », édicte Ruth Elkrief, à propos du premier meeting « à la rencontre des militants de l’UMP », annoncé par le candidat repeint à neuf.

Plaque d'immatriculation désormais floutée...

M. Sarkozy est candidat, mais à quoi ? À un repos bien mérité, s’il faut en croire Damien Fleurot (BFM) et Julien Arnaud (i>Télé), chacun posté dans une allée privée verdoyante (villa Montmorency). Le pied de grue journalistique y atteint des sommets, à mesure que l’heure tourne : « A priori Nicolas Sarkozy ne devrait pas sortir de son domicile, où il passera la soirée en famille », répètent sans mollir nos hallebardiers des temps modernes. Le studio revient avec constance vers ces deux-là, qui n’ont donc rien à déclarer. Il s'agit sans doute de rentabiliser l’envoi de telles sentinelles, en faction inutile, aux marches occidentales de la capitale…
Michaël Darmon se lance, histoire de donner du sens à cette folle journée – Nicolas Sarkozy, arrivé ce matin à pied à ses bureaux, annonçait par ce geste inédit un événement prodigieux : « Séduction permanente… Texte vrillé par une idée : “C’est mon devoir.”… c’est sa vie, tout simplement… même son épouse… nouvelle martingale… à la tête du pays. » Le téléspectateur se réveille en sursaut : à la tête du pays ? Sur i>Télé, un jeune présentateur, à la barbe soigneusement sauvage et au regard d’un bleu insoutenable, se prend à évoquer, dans le feu du direct, ce qu’a « publié sur Facebook le chef de l’État. Euh… l’ancien chef de l’État ».
Oui ou non, « ne s’agit-il que de succéder à M. Copé à l'UMP » (David Assouline sur BFM) ? Certes, pour le moment, c’est la priorité, selon le directeur de campagne du revenant, Frédéric Péchenard, un ancien policier reconverti. « Péche », dont Jean-Michel Décugis, « spécialiste Police-Justice i>Télé », nous dresse un panégyrique dont tout recul critique semble avoir été nettoyé au karcher. M. Péchenard se répand sur les ondes, avec sa mine si rassurante de passe-muraille de la plaine Monceau :
Déjà s’annonce « le premier sondage sur ce retour à la vie politique ». La formule est vague, il n'est plus question de magistrature suprême. « À tout de suite » : tiens voilà de la pub. Il y est question d'une compétition acharnée : « Les cheeps contre les cacahuètes. » La comprenette s'encrasse, face à un tel déferlement. Tiens voilà Jean-Jacques Bourdin. Mais c'est une archive. Quinze jours avant le scrutin présidentiel de mai 2012. Nicolas Sarkozy chante l'air du “jamais plus jamais”. Tout va décidément très vite. Les chaînes d'information en continu se poseraient-elles en mémoire de ce monde amnésique, en boussole de ce pays déboussolé ?
Sur i>Télé : « ...se remettre à l'abri du chef... pour l'instant pas un mot de politique. » Sur BFM, Guillaume Larrivé, un député UMP de 37 ans très propre sur lui, un peu tête à claques mais sans doute futé, puisqu'il est là. Pour nous dire ceci : « Il a un devoir, il a un devoir. Il est dans la volonté, dans l'imagination de la construction... volonté de brancher la France sur le monde. » On regarde une seconde Arte, afin de reprendre son souffle : voici une analyse structurée sur le non à l'indépendance en Écosse. Retour à Ruth Elkrief sur BFM : « Et c'est l'autre grand titre aujourd'hui, les frappes françaises en Irak. » Claude Askolovitch sur i>Télé : « Imposer une évidence, c'est imposer une histoire, tout tourne autour de lui. Nous ne parlons plus des frappes en Irak. » Il est très fort, Askolovitch : il instille une distanciation “fonctionnelle”, c'est-à-dire qui légitimise ce contre quoi elle prétend s'exercer. Son discours, c'est : permettez-moi de jouer un instant le Daniel Schneidermann de la chaîne en décryptant les panneaux dans lesquels nous tombons, ce qui nous permet, sitôt fait, de continuer sur notre lancée ! Quel tournis conceptuel, sous couvert d'apparente crétinisation des masses !...
Le pompon s'annonce. Christophe Hondelatte donne la parole à Éric Brunet, un homme qui, lorsqu'il regarde très loin sur sa gauche, aperçoit Nicolas Sarkozy. M. Brunet brosse un tableau senti de la situation : « L'ancien président a choisi des gens, comme on dit au rugby, des gens un peu méchants devant. » Le tout est ponctué d'enregistrements de réactions venues de toutes parts. Jean-Christophe Cambadélis, par exemple, tonne :« Faire oublier son passé et son passif. Il n'échappera pas à son bilan, ce sera son boulet. » Il parle, à l'évidence, du prédécesseur de François Hollande. Soudain, Christophe Hondelatte en vient à « nos Rafales » – il doit payer ses impôts pour déranger ainsi le déterminant possessif. Claude Askolovitch mobilise, pour sa part, on ne sait quelle « mystique politique ». Puis il conclut, harassé : « La réalité, on la connaîtra dans 48 heures. »
Dix-sept heures plus tard, samedi 20 septembre à 13 heures, l'esprit un peu plus vif, on s'enchaîne à nouveau. La confusion et la surchauffe menacent encore et toujours dans le poste. Le retour de Nicolas Sarkozy débouche irrémédiablement sur les journées du patrimoine en général et sur la visite de l'Élysée en particulier. Un journaliste a désormais son casting en tête. Il distribue les postes : « Bertrand, Le Maire et NKM jouent Matignon en 2017 plutôt que l'Élysée. »


« C'est l'histoire d'un faux départ, d'une fausse absence et d'un vrai retour. »Yves de Kerdrel, de Valeurs actuelles, met beaucoup d'empathie pédagogique à expliquer« la stratégie de la carte postale » et l'impérieuse nécessité du « recours ». Il est tout à coup question des affaires. Inserts de tous les journaux possibles et imaginables sur l'écran, sauf Mediapart et Le Canard enchaîné. « On essaie en vain de l'abîmer », geint Guillaume Peltier à propos de son grand homme.
Les mêmes images forment la même ronde : Sarkozy au théâtre, accueilli par un auteur à la page (BHL). Sarkozy à bicyclette. Sarkozy au pas de course. Sarkozy s'installant dans sa voiture noire, à la plaque d'immatriculation désormais floutée... Thierry Saussez, conseiller du revenant, interrogé tel un vieux sage : « Aller au cœur de ses soutiens sur Facebook, puis faire le buzz dans tous les médias – vous en êtes d'ailleurs le meilleur exemple –, avant d'approfondir à la télévision, puis de partir à la rencontre des militants. C'est une boule d'énergie et d'initiative. Il ne vient pas faire la restauration, mais donner la même énergie pour construire un projet. Il faut la puissance et il faut la proximité. »


« Refaire un bout de chemin avec cet homme-là ? »
Pendant ce temps, la BBC développe quatre titres : la libération d'une cinquantaine d'otages turcs en Irak, l'accord sur une zone démilitarisée en Ukraine, les élections en Nouvelle-Zélande et de terribles inondations aux Philippines.
Samedi est un jour sans, un entre-deux (le lendemain de Facebook, la veille de France 2). Cela patine, sur BFM et i>Télé. Cela radote et ressasse : « Enquête sur un come back minutieusement orchestré » – la caisse de résonance ne fait-elle pas partie de l’orchestration ? Le ronron du climatiseur médiatique s'installe : « Après l’omni président, l’omni absent… Ah ! les concerts de sa femme, Carla : dans la salle comme en coulisse, il fait partie du spectacle. »
Le jour d’y croire est arrivé. Mais en ce dimanche 21 septembre à 13 heures, François Bayrou se montre réfractaire. Non au parti unique et à toute tentative de soumission du centre : « Ce n’est pas imaginable et je ferai tout ce qu’il faut pour que ce ne soit pas imaginé. »
À 18 heures, le compte à rebours est entamé : « Sarkozy, le retour, acte II. L'ancien président va s'expliquer devant les Français », affiche i>Télé en fond d'écran. Audrey Pulvar : « Il ne va pas pouvoir dire j'ai changé, il va trouver une autre narration. »Michaël Darmon : « Il va dire j'ai compris. Ce qui n'a pas changé chez lui, c'est sa croyance absolue en la saturation médiatique et à sa force quand il s'exprime. »
Sur BFM, deux heures avec Julien Dray, le socialiste peut-être le moins incompatible avec le côté flambeur de l'ancien président sur le retour. M. Dray arbore une minuscule montre à son poignet dodu. Il n'a jamais cru à l'effacement de Nicolas Sarkozy : « À 20h05 le 6 mai 2012, j'étais convaincu qu'il serait candidat en 2017. Je regrette de ne pas avoir parié dès le départ. » Question perfide et glacée d'Apolline de Malherbe :« Vous auriez gagné gros ? »
Julien Dray change de sujet et sonne la charge : « Depuis vendredi, tout tourne autour de lui et s'est presque noué un rapport sado-maso avec la presse. » Apolline de Malherbe le coupe : « Je vous en prie ! » Julien Dray évoque Nicolas Sarkozy avec une complicité à peine comprimée : « J'ai à peu près le même âge que lui. Il y a ceux qui l'apprécient et ceux qui ne l'apprécient pas. Je ne suis pas fan mais il m'a épaté, j'ai été au départ un peu fasciné. Toutefois il y a un grand fossé entre le Sarkozy qui parle et celui qui agit. »Apolline de Malherbe : « N'est-ce pas le cas de François Hollande ? »
Près de deux heures plus tard, en nage sous les projecteurs, Julien Dray persiste et signe. Alors que France 2 s'apprête à recevoir trois quarts d'heure durant Nicolas Sarkozy, le conseiller régional socialiste d'Île-de-France se montre toujours mesuré dans son appréciation de l'ancien président – « ses talents, ses qualités, ses défauts » – et tire pour le PS les conséquences d'un tel retour : « Il faut désormais une forme de solidarité entre nous. » Apolline de Malherbe prend congé en annonçant une « soirée 100 % politique ». Julien Dray s'arroge le dernier mot : « 100 % Sarkozy ! »
Quand Nicolas Sarkozy, feignant la réserve, n'a eu de cesse que d'interdire, par une intimidation constante, le moindre inventaire de son quinquennat et de bloquer toute émergence de rivaux plausibles au sein de son propre camp, je me suis ému devant cette démarche si peu républicaine et, paraît-il, j'en ai trop parlé.
Lorsque Nicolas Sarkozy, englué dans les affaires, a manoeuvré pour empêcher une victoire éclatante de François Fillon contre Jean-François Copé à la tête de l'UMP et placé son parti en fâcheuse posture morale et financière, j'ai pressenti que le ressentiment, le désir de revanche et le souci de sa sauvegarde judiciaire allaient le projeter à nouveau en première ligne, mais qu'on m'excuse d'en avoir trop parlé.
Quand, évoquant son devoir, se prenant pour de Gaulle, alors qu'une majorité de Français déplorent son irruption dans l'espace politique pour s'approprier l'UMP et l'instrumentaliser à son seul bénéfice pour la primaire, à peine 28 mois après sa défaite, affichant un prétendu changement dont il serait vain de compter les innombrables étapes (Le Monde, Libération), je m'indigne et il est clair que j'en parle trop.
Maintenant qu'il a mis fin à son jeu cousu de fil grossier de cache-cache avec la République, que sur Facebook il a posté un message aussi sincère dans sa grandeur et sa noblesse affectées que Cahuzac face à l'Assemblée nationale, qu'il va être courtoisement questionné par Laurent Delahousse sur France 2, qu'il ira de manifestation en manifestation avec le concours de soutiens et de ralliés tristement opportunistes, qu'il portera des coups et qu'il en recevra, qu'il ne sera plus jamais le miracle virtuel de 2007 mais de plus en plus le superfétatoire lassant de 2014, je n'aurai plus aucun scrupule puisqu'on ne pourra plus me dénier le droit d'en parler.
J'avoue que j'ai peur. François Hollande a été élu à cause de Nicolas Sarkozy et je crains que celui-ci, grâce à François Hollande, se redonne une chance.

L'émission de Frédéric Taddéï dont une partie a été consacrée au "retour" de Nicolas Sarkozy (France 2) m'a littéralement stupéfié. En face d'un Edwy Plenel courageux, pugnace, convaincu et seul à manifester un souci éthique dans l'appréciation de la démarche politique de l'ancien président, on a eu un front composé de personnalités qui, aussi nuancées voire différentes que soient leurs convictions, étaient toutes réunies par l'indifférence qu'elles manifestaient à l'égard de la morale publique, de l'incidence des procédures judiciaires sur Nicolas Sarkozy et, plus globalement, de la personnalité si peu exemplaire de celui qui, à nouveau, survenait comme un importun non désiré. Cette argumentation collective était déprimante car elle laissait croire que les projets politiques, les plans économiques et financiers, la vision sociale, les perspectives internationales étaient autonomes, indépendants en tout cas de la personne qui, dans le meilleur des cas, allaient les élaborer, les servir, les incarner. A les entendre, si ignorants par ailleurs des réalités judiciaires, n'importe qui aurait pu faire l'affaire. Une personnalité de nuit comme un être de lumière. Un politique plombé par les affaires comme un démocrate irréprochable et jamais pris en faute. Face à une telle inégalité, aussi injuste, des perceptions, il faut se battre. On ne peut plus laisser politique et morale faire monde à part ! 

Enfin, la justice.
Depuis 28 mois, le président de la République ne fait pas bonne figure et son bilan, pour l'instant, est médiocre. Toutefois, si Christiane Taubira n'a pas été et n'est pas un ministre aussi bon qu'elle le pense d'elle-même, force est de considérer que le président et elle, sur le plan des libertés publiques, de la considération due aux magistrats et de l'indépendance dans la gestion des dossiers sensibles, ont inauguré une ère et adopté des pratiques au pire d'indifférence, au mieux d'abstention et qu'il convient de saluer cette positive évolution d'un quinquennat à l'autre.
Certes, Nicolas Sarkozy ne sera sans doute que président de l'UMP mais son implication dans des affaires multiples va l'inciter à faire feu de tout bois. Il est hors de question qu'il s'en prenne aux magistrats comme il s'est permis de le faire lorsqu'il était président. Certains des plus hauts postes judiciaires sont encore occupés par des fidèles, des inconditionnels, des opportunistes, aux ordres hier et prêts à le redevenir en flairant demain.
Tout de même, par rapport à un passé dévastateur pour l'honneur des magistrats, une assurance. Je sais qu'à des postes clés, notamment Premier Président de la Cour de cassation et président du tribunal de grande instance de Paris, la présence de magistrats exceptionnels, aujourd'hui, garantira la justice, et la magistrature qui en est la servante, des abus et des scandales du quinquennat précédent. En espérant qu'aucun Mur des cons ne viendra plus souiller, à cause de quelques énergumènes, l'image de tous les juges auprès des citoyens.
Nicolas Sarkozy est revenu. Il faut en parler. On ne change pas, François Bayrou a raison. On se répète. Il va se plagier.
On se laisse faire ou non ?