jeudi 22 février 2018

Assad le gagnant

Laurent Joffrin

Assad le gagnant

Il fallait «parler avec Assad». Il fallait d’abord «battre l’Etat islamique» et dans cette lutte, Assad était un allié et un moindre mal. Ceux qui ont préconisé cette realpolitik – une partie de la droite française, d’autres adeptes du «réalisme», sans parler de l’extrême droite unanime – devraient s’expliquer plus avant. Comme il le fait depuis le début du conflit, Assad ne recule devant rien pour retrouver l’emprise traditionnelle de son clan sur la Syrie. Bombardements aveugles de quartiers ou de villes entières, massacres de civils, usage des bombes chimiques prohibées depuis les années 30 dans le monde entier : il faut avoir les nerfs solides et la conscience bien endormie pour défendre le bourreau de la Ghouta, ce faubourg de Damas aujourd’hui menacé d’un «cataclysme humanitaire», selon les mots du ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian.
La lutte contre Daech ? Elle fut l’œuvre des Kurdes, des Irakiens et de la coalition emmenée par les puissances occidentales mais aussi approuvée par nombre de pays arabes. Lesquels Kurdes sont maintenant remerciés par un abandon sans cérémonie de la part des puissances qu’ils ont épaulées, souvent en première ligne. Assad a fait très peu contre Daech, qu’il a utilisé comme repoussoir pour justifier son maintien en place. Certes, il bénéficie du soutien de minorités syriennes qui craignent plus que tout les islamistes. Certes, il arrive qu’une dictature vaille mieux qu’une situation d’anarchie guerrière encore plus dommageable aux populations civiles. Mais le relâchement de la pression sur le régime laisse libre cours à ses penchants les plus cruels. Asssad veut punir ses opposants, les moins islamistes en tête, dans la mesure où ils étaient à l’origine les plus dangereux, pour la bonne raison que leur cause était juste.
Pour avoir reculé devant des sanctions sérieuses quand la ligne rouge des bombardements chimiques a été franchie par le régime de Damas en 2013, les démocraties doivent maintenant contempler, impuissantes, le martyre des populations qui ont soutenu l’opposition syrienne. L’Iran et la Russie ont repris la main dans la région. Où est la victoire géopolitique dont on se gargarisait au départ ? Au fond, les «réalistes» se trompent aussi souvent, sinon plus, que les supposés «droit-de-l’hommistes». On a accepté le déshonneur de l’abstention face à Assad pour éviter un conflit encore plus sanglant. On a maintenant les deux.