Comment expliquer la montée du FN ? La faute à Hollande, selon « Les Républicains ». La droite aime les raccourcis faciles, on le sait. Cela lui permet de s'exonérer de ses propres responsabilités.
Ça y est, on a enfin trouvé le coupable. Le responsable de la
montée du Front national s’appelle… François Hollande. Il suffisait d’y penser !
Chaque semaine, avec son gouvernement, le président de la République imagine en
effet des stratagèmes machiavéliques pour faire grimper l’électorat lepéniste.
Un jour, il
demande aux forces de l’ordre de laisser les gens du voyage se faire justice
eux-mêmes et passe des consignes pour que des "mafias" et des
"trafics" prolifèrent dans la "jungle" de Calais. Une autre fois, il monte
des "cellules spéciales" pour faire gagner le parti frontiste
dans les régions les plus susceptibles de basculer. Demain, qui sait, on
l’accusera peut-être d’avoir provoqué en personne l’afflux massif de réfugiés ?
Après tout, disent-ils, la gauche a déjà démontré qu’elle pouvait
jouer avec le feu par le passé. François Mitterrand, en introduisant la
proportionnelle intégrale aux législatives de 1986, n’avait-il pas permis au
Front national de gagner ses lettres de noblesse en entrant à l’Assemblée ? Et
puis, expliquent encore les fins limiers de l’UMP, François Hollande n’installe-t-il pas dans ses discours Marine Le Pen comme
son adversaire principale ?
On peut prêter au chef de l’Etat beaucoup d’arrière-pensées, mais
il n’est pas stupide. Or quelque chose a changé avec l’avènement du tripartisme : c’est
que la montée du FN fait autant de victimes à gauche qu’à droite. Il n’est qu’à
voir le nombre de scrutins récents où les socialistes n’ont pas su se qualifier au
second tour pour s’en persuader.
Faut-il
rappeler par ailleurs aux complotistes de l’ex-UMP qu’en 2002 le PS avait vu son candidat purement et simplement
éliminé du second tour de l’élection présidentielle ? Et
qu’à l’époque le sursaut citoyen et républicain de la gauche tout entière (ou
presque) avait permis d’endiguer la progression frontiste en maintenant Jacques
Chirac à l’Elysée ?
La droite aime les raccourcis faciles, on le sait. Cela lui permet
de s’exonérer de ses propres responsabilités. Elle feint d’oublier qu’il y a
trois ans le FN de Marine Le Pen enregistrait le meilleur score de son histoire à la
présidentielle après cinq années de sarkozysme.
Un quinquennat où le braconnage sur les terres de l’extrême droite
avait été théorisé par une cellule de conseillers à l’Elysée, bien réelle
celle-là… C’est la faillite de la classe politique dans son ensemble qui fait monter le Front national.
Ceux qui tentent de l’instrumentaliser comme ceux qui légitiment son discours
de rejet.
La politique est l'art de se servir des hommes en leur faisant
croire qu'on les sert."
Voltaire
Pour un "politiquement incorrect" de gauche
Laurent Binet (L’Obs) (*) Ecrivain né en
1972, Laurent Binet est notamment l'auteur
de "HHhH"(prix Goncourt du Premier roman en 2010) et de "la
Septième fonction du langage" (Grasset).
Comment répondre à l'essor de la pensée contestataire de droite, qui a favorisé l'essor du lepénisme?
L’erreur aura été sans doute de croire à une opposition binaire: d’un côté,
l’intellectuel de droite justifie l’ordre établi au service des dominants; de
l’autre, l’intellectuel de gauche conteste cet ordre pour un rééquilibrage en
faveur des dominés. Le second critique le pouvoir en dévoilant les mécanismes
de domination, le premier le défend en essayant de légitimer ces mécanismes.
Première
complication soulevée par Foucault: il n’y a pas un pouvoir mais des pouvoirs,
éclatés, stratifiés, entrelacés. Seconde complication: Gramsci distingue deux
sortes d’intellectuels de droite, l’«organique» qui défend le pouvoir en place
et le «traditionnel», nostalgique d’un ordre antérieur.
Il en
résulte un jeu à trois qui brouille les cartes au profit de cette dernière
catégorie. En effet, le prestige allant naturellement à celui qui conteste,
l’intellectuel organique apparaît à peu près aux yeux de tous pour ce qu’il
est: ce que Gramsci nomme un «fonctionnaire de la superstructure»,
c’est-à-dire un collaborateur servile du
pouvoir en place oeuvrant au «consentement spontané des masses» (en gros,
Jacques Attali ou Alain Minc). Il est donc rapidement disqualifié. Restent,
face à face, le progressiste et le réactionnaire.
L’illusion
d’équivalence qui fait du réactionnaire, au même titre que le progressiste, un
penseur contestataire, provient d’un malentendu: les deux aspirent à des
changements dans la société, mais le changement réactionnaire n’en est pas
vraiment un puisqu’il s’agit d’un retour.
C’est son
premier atout: par définition, le passé est toujours plus concret que le futur.
Que ce passé désiré soit en réalité objectivement plus féroce et injuste que le
présent n’entre pas en ligne de compte: l’éternelle nostalgie d’un âge d’or
mythique nous fait refouler ce léger détail.
Second atout dans la manche du réactionnaire: les victoires
passées de la cause progressiste. Parce qu’à un certain point de l’histoire la
France a conquis ce qu’on appelle
improprement des «acquis sociaux» (alors que ce sont bien des conquêtes), ceux qui les défendent peuvent se faire
traiter, par un habile renversement rhétorique, de «conservateurs». Conseil
national de la Résistance contre régime de Vichy, après tout, c’est nostalgie
contre nostalgie.
Pour briser
cette équation fallacieuse, il faut peut-être abandonner l’opposition
passé-futur, au profit d’une autre plus opératoire: l’intellectuel de gauche
est celui qui pense verticalement les antagonismes de la société, quand
l’intellectuel de droite les pense horizontalement. Pour les Zemmour, Finkielkraut, Onfray, le problème n’est pas le rapport
d’inégalité et d’exploitation entre le dominant et le dominé. Le problème,
c’est l’Autre: le Noir (en équipe de France), la femme (féministe), l’homosexuel
(qui veut se marier), le
salarié (qui déchire des chemises), etc. Et, bien sûr, le musulman.
C’est parce
qu’ils oublient de penser verticalement que certains à gauche sont si mal à l’aise sur la question de l’islam:
tant qu’ils se placeront sur le terrain de l’adversaire, tant qu’ils auront une
approche horizontale des religions et non verticale de "LA religion", quelle qu’elle soit, envisagée partout comme instrument
historique d’aliénation et de coercition dont il faut desserrer l’emprise (en
rappelant des choses simples, par exemple, que Dieu n’existe pas, position qui
était justement celle de «Charlie Hebdo»), la gauche perdra aussi ce débat-là.
Le point Charlie est d’ailleurs intéressant: les penseurs
réactionnaires ont aussi remporté la bataille grâce à ce concept génial de
«politiquement correct», arme fatale de la promotion des idées lepénistes. Mais rien n’interdit un politiquement
incorrect de gauche, qui était la vocation de «Charlie Hebdo».
Quand on a
fait remarquer à Xavier Mathieu [ex-délégué
CGT de Continental, NDLR] que,
à la suite des violences à Air France, un vigile était toujours dans le
coma (ce qui était faux, au passage), le syndicaliste a répondu gravement: «Et alors ?» Face à des journalistes incapables de
comprendre la notion même de luttes sociales, il y avait de la verticalité dans
ce politiquement incorrect-là.
Appelons-nous toujours à "une véritable insurrection pacifique
contre les moyens de communications de masse
qui ne proposent comme horizon pour notre jeunesse que la consommation
de masse,
le mépris des plus faibles et de la culture,
l'amnésie généralisée et la compétition à outrance de tous contre
tous"
Refuser le diktat du profit et de l'argent,
s'indigner contre la coexistence d'une extrême pauvreté et d'une
richesse arrogante,
refuser les féodalités économiques, réaffirmer le besoin d'une presse
vraiment indépendante,
assurer la sécurité sociale sous toutes ses formes...
nombre de ces valeurs et acquis que nous défendions hier sont
aujourd'hui en difficulté ou même en danger.
C'est tout le socle des conquêtes sociales de la Résistance qui est
aujourd'hui remis en cause.
Mais si, aujourd’hui comme alors,
une minorité active se dresse, cela suffira, nous aurons le levain pour
que la pâte lève.