vendredi 4 juillet 2014

"Le roi Sarkozy est de plus en plus nu" Philippe Bilger

De la Démocratie, 
Iln'est pas bon que celui qui fait les lois les exécute, ni que le corps du peuple détourne son attention des vues générales, 
pour les donner aux objets particuliers.          
  Rien n’est plus dangereux que l’influence des intérêts privés dans les affaires publiques, & l’abus des lois par le Gouvernement est un mal moindre que la corruption du Législateur, suite infaillible des vues particulières.
J. J. Rousseau

Pour l’ancien magistrat, Philippe Bilger

La posture victimaire de Nicolas Sarkozy et de ses proches n’a pas lieu d’être. Selon lui, ce que l’ancien président dénonce comme une épreuve n’est que le retour de l’Etat de droit. Et plutôt que de s'agiter, Philippe Bilger estime qu'il devrait "être prié de rester auprès de son épouse et de continuer à donner des conférences au plus offrant" !

 

Faudra-t-il aussi supprimer la magistrature ?

Nadine Morano et Henri Guaino ne sont pas allés assez loin et Christian Estrosi, en maintenant son arrêté contre les drapeaux ostentatoires malgré sa suspension par la juridiction administrative, est évidemment bien placé pour évoquer la haine de la magistrature contre Nicolas Sarkozy (20 minutes, Le Figaro, France 2).
Les premiers n'ont en effet proposé que l'abolition du syndicalisme judiciaire et la suppression de l'Ecole nationale de la magistrature (ENM). Tant qu'à faire, ils n'auraient pas dû s'arrêter en si bon chemin !
Pour être habitué aux provocations de Nadine Morano et aux fulgurances pas toujours bien venues d'Henri Guaino, on reste cependant saisi devant cet extrémisme qui, chez eux, suit chaque péripétie procédurale liée à Nicolas Sarkozy.
Le propre du discours politique est en principe de devoir se soumettre aux exigences de liberté et de responsabilité mais il se donne aussi trop souvent le droit de s'abandonner à une absurdité totale parce qu'il sait qu'elle ne s'incarnera jamais dans le réel sauf à souhaiter l'émergence d'un pouvoir totalitaire qui détruira ce que l'esprit démocratique a permis.
Imagine-t-on en effet un gouvernement classique, de droite ou de gauche, libéral ou socialiste, décréter un jour de telles abolitions ?
Nadine Morano, Henri Guaino et tous ceux qui suivent leur ligne absurde sans l'avouer exigeront, bientôt, la suppression de la magistrature. Après tout, cette institution est détestable qui tente de rendre justice à tous, aux faibles comme aux puissants, et parfois, parce qu'elle est saisie d'affaires qu'elle n'a pas inventées, a l'impudence de mettre en examen même un ancien président de la République.
Que ces boutefeux continuent sur ce registre et on saura alors que le Mur des cons a fait des petits : le même délire mais de de l'autre côté.

Marianne : L’offensive à l’encontre des magistrats peut éventuellement avoir un impact positif pour Sarkozy auprès de l’opinion publique. Néanmoins, est-ce que cette méthode peut aggraver son cas pour ses futures échéances judiciaires ? 
Philippe Bilger : 
S’il n’était impliqué que dans une ou deux affaires, cette offensive pourrait être bénéfique. Or, il est mis en cause dans sept procédures. Sa stratégie devient usée et quand on traine autant d’affaires derrière soi la présomption d’innocence devient peu à peu une présomption de culpabilité. Ensuite, d’après mes informations, la magistrature commence enfin à réagir face à ses attaques et ne devrait plus — comme à l’accoutumée — tendre l’autre joue. 
  

Marianne : La magistrature a été mise en cause par Nicolas Sarkozy lors de son intervention sur TF1 et Europe 1, mais aussi par ses supporters la veille, et notamment Claire Thépaut, l’une des deux juges d’instruction, membre du Syndicat de la magistrature à qui l’on associe désormais le célèbre « mur des cons ». Pensez-vous qu’il faut, 
comme le propose Eric Ciottiinterdire aux magistrats d’être syndiqués ? 
Philippe Bilger : Non, bien sûr. Cependant, les syndicats doivent donner une image de rectitude en rapport avec leur profession. J’ai dénoncé vigoureusement le « mur des cons » qui confirme la chute libre intellectuelle du Syndicat de la magistrature. Mais cette imbécillité ne doit pas anéantir la crédibilité de l’ensemble d’une profession. 
  
Marianne :
Selon vous, la justice a-t-elle été irréprochable dans cette affaire ? Que pensez-vous de ceux qui estiment que les juges ont usé de la technique dite du « filet dérivant » en plaçant sur écoute Nicolas Sarkozy fin 2013 pour des faits concernant la campagne de 2007 ? 
Philippe Bilger : Oui, la justice a été irréprochable. Si je voulais être tatillon, les seuls points qui posent problème sont en rapport avec la proportionnalité et la durée des écoutes. Mis à part ça, les écoutes, outil procédural efficient et profondément légal, ont permis d’identifier la préparation ou la commission d’infractions (trafic d’influences et violation du secret de l’instruction) entre Nicolas Sarkozy, Gilbert Azibert et Me Thierry Herzog. Dans ce cas précis, le rempart du secret professionnel est franchi. 

  
Marianne :  Dans une interview au Figaro, Me Jean-Yves Le Borgne, ancien vice-bâtonnier de Paris, estime que le « régime de la garde à vue a quelque chose d'humiliant » ?  D’ailleurs, l’ancien président n’a pas manqué de s’en plaindre à la télévision. 
Philippe Bilger : Effectivement, la garde à vue, n’est pas un moment facile à vivre, contraignant pour beaucoup de personnes, mais Sarkozy ne l’a t-il pas cherché ?                       Depuis sa défaite, l’ex-président n’a eu de cesse de tisser des liens dans les hautes sphères de l’Etat avec un important réseau d’informateurs visant à déstabiliser et influencer les bonnes personnes pour se tirer d’affaires. Cette garde à vue a justement permis d’éviter à Nicolas Sarkozy d’activer ses réseaux et de faire taire son caractère transgressif. 
  
Marianne :  Quelles réflexions sur nos institutions judiciaires vous inspirent in fine cette affaire ?
Philippe Bilger : 
Je pense que les Français seront ravis de voir que la justice fonctionne désormais. Ces multiples implications d’un ancien président, devraient faire progresser la confiance de la population, non pas dans la politique bien sûr, mais dans la justice. Pendant cinq ans, tous ceux qui hurlent aujourd’hui à l’humiliation de Nicolas Sarkozy, n’ont pas su ce qu’était un Etat de droit. Le rétablissement de cet Etat de droit se fait progressivement depuis mai 2012 et met en difficulté l’ancien président. C’est la revanche de l’Etat de droit contre ce dernier : le roi Sarkozy est de plus en plus nu. Il faudrait aussi que l’UMP fasse de la résistance, que les gens aient les yeux et l’esprit ouvert pour dissocier enfin ce qui relève du jugement politique et du jugement humain. Nicolas Sarkozy devrait être prié de rester auprès de son épouse et de continuer à donner des conférences au plus offrant. 
Est-il utile de revenir sur l'interview enregistrée par Nicolas Sarkozy à l'issue de sa garde à vue ? La technique qui consiste à essayer de discréditer ses juges n'est pas récente et tous les spécialistes du droit ont déjà remarqué que l'ancien Président de la République a été traité conformément aux règles posées par le Code de procédure pénale. 

Un passage de son intervention, passé largement inaperçu des commentateurs, mérite cependant quelques éclaircissements, celui relatif à "ses" archives de Président de la République. Il affirme en effet : "Quant à monsieur Hollande, ses collaborateurs se sont livrés à une exploitation éhontée de mes archives, en violation de toutes les règles républicaines, qui ont été consultées sans que l’on m’en demande l’autorisation, distribuées à toute personne qui les voulait".  Pour Nicolas Sarkozy, les archives du Président de la République sont sa propriété personnelle et son successeur n'y a pas accès. 


De toute évidence, Nicolas Sarkozy ignore tout du droit des archives, pourtant réformé durant son mandat par une loi du 15 juillet 2008. Ce nouveau texte était indispensable pour plusieurs raisons. Il était d'abord indispensable d'assurer la cohérence entre la procédure d'accès aux documents administratifs établie par la loi du 17 juillet 1978 et celle d'accès aux archives précisée, quelques mois plus tard, par la loi du 3 janvier 1979. Certains documents administratifs constituent des archives publiques et les conditions d'accès pouvaient parfois être différentes, selon que le demandeur se fondait sur l'un ou l'autre texte. En 2008, il apparaissait tout aussi nécessaire de détacher la notion d'archive de toute dimension historique. Toute pièce produite ou reçue par un service est une archive potentielle, quel que soit d'ailleurs son support, papier ou numérique. Enfin, il convenait de faire évoluer la finalité même des archives qu'il ne s'agit plus de conserver mais aussi de diffuser aussi largement que possible. Les secrets du Président de la République sont donc protégés, mais les pièces demeurent, en tout état de cause des archives publiques. Qui plus est, elles relèvent du droit commun des archives publiques, dès lors que le législateur n'a défini aucun régime spécial pour elle, contrairement à ce qui existe pour les archives parlementaires, le Conseil constitutionnel, le ministère de la défense, celui des affaires étrangères ou encore celui de l'économie.


La conséquence est que les archives du Président de la République, comme toutes les archives publiques, sont soumises à l'obligation de versement à l'administration des archives. Les archives des présidents de la Vè Républiques sont donc aux archives nationales, dans la série AG. Y sont notamment conservées toutes les archives du Général de Gaulle durant sa présidence, de 1959 à 1969. (blog : Liberté libertés chéries)
Le réveil du «sarko-berlusconisme»
Médiapart
Nicolas Sarkozy tente, à la manière de Silvio Berlusconi, de se poser en victime de juges illégitimes, terrorisants, cruels et iniques. La magistrature serait obsédée par la paille dans l'oil du pouvoir politique. La fable est ainsi servie, sur un plateau télé. Petit manuel illustré. 
 "Ce que je ne veux pas, moi, c'est de la berlusconisation de notre pays".         Lors d’un déplacement dimanche 6 juillet à Vauvert (Gard), le Premier ministre Manuel Valls a osé un rapprochement entre les vies politiques italienne et française, sous l'influence de Silvio Berlusconi et de Nicolas Sarkozy - il a dénoncé "l'instrumentalisation de la justice" lors de sa dernière allocution télévisée. Le Premier ministre a affirmé refuser toute mise en cause des fondements de la République, de la justice, de l'État de droit" dans le discours politique. 
Le chercheur Pierre Musso avait isolé, dès 2008, le "Sarkoberlusconisme", un « modèle politique néolibéral euro-méditerranéen » exaltant l'entreprise et ne jurant que par les managers.
Aux yeux de l'universitaire, MM. Berlusconi et Sarkozy partagent une même pratique du pouvoir : narcissisme hystérisant tout sur son passage ; voisinage incestueux avec les milieux économiques, financiers et médiatiques ; approche autoritaire, exaltée, jubilante et jouissive d'une politique de l'action plutôt que de l'action politique. On peut y voir un "pédégisme" cathodique : diriger un pays comme une entreprise, tout en tablant sur une télévision apprivoisée. L'Italien se montrait toutefois plus accompli que le Français. Il avait vraiment ravalé le citoyen au rang d'électeur pris dans ses rets : « Du caddie à l'isoloir, via le petit écran », selon Pierre Musso...
Le petit écran est à la fois le berceau et le fort-Chabrol de nos deux bateleurs aux moultes casseroles. C'est sous les sunlights qu'ils se proclament innocents, forcément innocents, avec des mots siamois. Nicolas Sarkozy, le 2 juillet 2014 : « Parce que vis-à-vis de son pays, on a des devoirs, on n'a pas des droits. » Silvio Berlusconi, onze mois auparavant : « Nous ne sommes pas guidés par des intérêts personnels. Les intérêts de tous et de notre pays viendront toujours en premier. »
Nicolas Sarkozy : « Cela fait 35 ans que je fais de la politique. Jamais aucun responsable politique n'a été autant examiné par des magistrats, des policiers. Aujourd'hui, il y a peut-être une vingtaine de magistrats qui s'occupent de moi, des dizaines de policiers, et je suis écouté dans tous mes téléphones depuis plusieurs mois. » Silvio Berlusconi : voir ci-dessous...
Silvio Berlusconi a dix-neuf ans de plus que Nicolas Sarkozy. Il essuya les plâtres. Quand il lança son mouvement, Forza Italia, en janvier 1994, il était déjà sous le coup d'enquêtes judiciaires (il avait notamment été jugé coupable, en 1990, de fausses déclarations sous serment au sujet de son implication dans la loge P2). Mais comme l'a démontré le politologue Jean-Louis Briquet (dans un article intitulé « "Juges rouges" ou "Mains propres" ? La politisation de la question judiciaire en Italie »), Berlusconi, en jouant sur la mémoire courte de ses concitoyens, « justifiait la fondation de son parti, à la veille des élections législatives de 1994, par la nécessité de "renouveler" une "vieille classe politique" minée par la corruption. Après ces élections, il dira de son premier gouvernement qu'il est "rangé du côté de l'œuvre de moralisation de la vie publique entreprise par des magistrats de valeur". »
C'est dans un tel contexte que Silvio Berlusconi devint président du conseil, en mai 1994. Mais il dut démissionner dès janvier 1995.
Jean-Louis Briquet note : « Dès la fin de 1994 cependant, le consensus a commencé à s'effriter, et l'enthousiasme populaire à perdre de son ampleur. Le pouvoir de sanction qui avait été accordé à la magistrature s'est considérablement amoindri et la portée politique des dénonciations dont elle était le support a été fortement réduite. Les enquêtes impliquant Berlusconi et des membres de son entourage, bien qu'elles aient porté sur des faits comparables à ceux qui, peu avant, avaient entraîné la chute de "l'ancien régime" (corruption, financement illégal des partis, voire collusion avec le crime organisé), n'ont eu que des effets limités sur la carrière politique de ceux qui y étaient mis en cause. Les invitations à stimuler la "tension civile" contre les illégalismes politiques n'ont plus rencontré la même adhésion. »
Les affaires politico-financières assaillent alors Silvio Berlusconi, qui apparaît, de ce fait, aussi proche de Nicolas Sarkozy que de Bernard Tapie. Nous avons en tête quelques scandales de mœurs (Rubygate), mais la liste des boulets politico-financiers du prétendu Cavalière s'avère aujourd'hui instructive. En voici un florilège :
·         1995 : accusation de falsification de bilan dans le cadre d'un transfert de joueur de football. A été financé, avec une caisse noire, l'achat de Gianluigi Lentini pour le Milan AC, propriété personnelle de M. Berlusconi. Celui-ci bénéficie de la prescription en novembre 2002, grâce à une loi dépénalisant la falsification de bilan, votée par sa majorité au Parlement.
·         1995 : accusé de fraude fiscale dans l'acquisition d'une villa, à Macherio, près de Milan. Il bénéficie de la prescription.
·         1995 : accusé de faux en bilan au moment de l'acquisition de la société cinématographique Medusa. M. Berlusconi est condamné à 16 mois de prison en première instance en décembre 1997. Il est acquitté en appel en février 2000, décision confirmée en cassation en octobre 2001.
·         1995 : accusé de financement illégal du Parti socialiste italien (PSI) à travers une société offshore, la All Iberian, il est condamné en première instance à 28 mois de prison en juillet 1998. Acquitté pour prescription en appel en octobre 1999, confirmé en cassation en 2000.
·         1996 : accusé de faux en bilan dans un autre volet de l'affaire All Iberian, il est acquitté en septembre 2005.
·         1998 : accusé de corruption de juges pour empêcher l'achat de la société de produits agroalimentaires publique SME en 1985 par l'industriel Carlo De Benedetti. M. Berlusconi est définitivement acquitté par la Cour de cassation en octobre 2007.
·         26 octobre 2012 : accusé de fraude fiscale dans l'affaire Mediaset, nom de son empire audiovisuel, il est condamné à quatre ans de prison pour fraude fiscale, peine réduite de facto à un an grâce à une amnistie. Il est également condamné à cinq ans d'interdiction d'exercer toute fonction publique, peines confirmées en appel en mai 2013.
·         7 mars 2013 : Silvio Berlusconi est condamné à un an de prison en première instance dans le procès sur le rachat de la banque Unipol dans lequel il était accusé d'avoir violé le secret de l'instruction.
La rhétorique, conçue comme un écran de fumée, qui s'est abattue sur la Péninsule à mesure que la justice rattrapait le délinquant politico-financier Berlusconi, éclaire puissamment l'exercice auquel se livra M. Sarkozy le 2 juillet au soir. En mars 2013 « Les initiatives répétées de magistrats pour des procès ouverts, qui répondent à des motivations politiques, ne sont plus tolérables (...) C'est un combat que nous ne pouvons pas perdre si on ne veut pas que l'Italie continue d'être un pays dans lequel il n'existe pas de protection pour quiconque se consacre au service de l'État. »
En février 2010, M. Berlusconi traite les juges de « Talibans » ayant ravi la souveraineté aux dépens du peuple. En mai 2011, au G8 de Deauville, nonobstant un ordre du jour chargé (la guerre en Libye), Silvio Berlusconi aborde Barack Obama en fustigeant « la dictature des juges de gauche » (« una dittatura dei giudici di sinistra ») dans son pays, ajoutant : « On m'a fait 31 procès et j'ai toujours été acquitté. »
Des caméras enregistrent cette momerie : scandale en Italie. En plus, il va geindre auprès d'une puissance étrangère !...
À l'intérieur des frontières, le refrain est connu à force d'être ressassé. 
La magistrature ? « Une criminalité judiciaire », « un cancer à extirper », « des caillots éversifs ». Des « robes rouges » (allusion aux brigades de la même couleur), des « fous furieux »,« anthropologiquement différents du reste de la race humaine ». Une « internationale jacobine », « des putschistes ». L'opération "Mains propres" était un « coup d'État judiciaire ». Tout procès à son encontre devient « massacre de la légalité ».
À l'une des rares audiences auxquelles il daigne assister, Silvio Berlusconi livre le fond de sa pensée. Face à l'inscription gravée dans le prétoire - « Tous les hommes sont égaux devant la loi » -, il raille : « C'est vrai que la loi est égale. Mais, pour Berlusconi, elle est plus égale parce que la majorité des Italiens a voté pour moi. » Il estime ne devoir être jugé que par ses pairs ou, mieux encore, par le peuple. Mais jamais par des fonctionnaires - envieux, hostiles, revanchards -, ennemis du dynamisme pour n'avoir obtenu leur petite place lamentable que grâce à de lamentables concours ...Silvio Berlusconi se retrouva une deuxième fois président du conseil, de 2001 à 2006, puis une troisième fois, de 2008 à 2011. 
C'est alors, en octobre 2009, que fut annulée son immunité pénale par la cour constitutionnelle. 
Cris d'orfraie du potentat, dont nous retrouvons l'écho chez Nicolas Sarkozy en juillet 2014 : « Je suis, dans l'absolu, la personne la plus persécutée par la magistrature de tous les temps et de toute l'histoire des hommes dans le monde entier. J'ai dû subir plus de 2 500 audiences (...) J'ai eu de la chance, en ayant bien travaillé et en ayant mis de côté un patrimoine, d'avoir pu dépenser plus de 200 millions d'euros pour mes consultants et juges. » (N.B. M. Berlusconi commit alors un lapsus lourd de sens : il voulait dire avocats et non juges, à propos des hommes de lois à payer !) 
Une fois de plus, on retrouvait la seule défense qui vaille chez les grands fauves du pouvoir : « Ces procès sont de vraies farces, j'irai à la télévision pour expliquer tout cela. » Silvio Berlusconi avait certes pris de l'avance, mais Nicolas Sarkozy est en train de combler son retard, sous nos yeux. Il tente d'arracher à la magistrature son pouvoir d'arbitrage, au nom de l'onction populaire - fût-elle à venir. But ultime ? Neutraliser ce qui ose révéler ; rétablir l'opacité face aux avancées de la transparence. Avec une dialectique orwellienne en deçà comme au-delà des Alpes : la dictature consiste à démasquer, dissimuler demeurera toujours synonyme de liberté !...

La politique consiste dans la volonté de conquête et de conservation du pouvoir ;
elle exige, par conséquent, une action
de contrainte ou d'illusion sur les esprits,
qui sont la matière de tout pouvoir.

Paul Valery
·           Or si toutes les explications avancées, historico-politique (la haine de l'Etat aurait porté un peuple à choisir celui qui incarnait le mieux cette haine) ;                         socio-politique (Berlusconi aurait donné raison à l'hypothèse d'une «servitude» volontaire) ;                                                                                                                   économico-politique (Berlusconi aurait réussi à «acheter» les Italiens) ;  médiatico-politique (il les aurait anesthésiés par l'effet continu et agissant de l'opium médiatique), sont préférables à la tentation de reconnaître chez les Italiens des tendances profondes à un fascisme éternel, il n'est pas certain qu'elles suffisent. D'aucuns voudraient que Silvio Berlusconi soit la « métaphore » de l'Italie. Ils veulent sans doute dire sa synecdoque : il en résumerait l'essence. 
Mais cette rhétorique n'est pas la bonne.Une autre hypothèse, plus inquiétante, peut être formulée. Carlo Ginzburg vient de rappeler la généalogie du césarisme dans Le fil et les traces, vrai faux fictif . En 1850, Auguste Romieu avait inventé ce terme « césarisme » pour définir un régime qui était le « résultat nécessaire d'une phase d'extrême civilité [...], ni monarchie, ni empire, ni despotisme, ni tyrannie, mais quelque chose de singulier qui n'est pas encore bien connu ». En 1864, le Machiavel du Dialogue aux enfers de Joly fait écho à Romieu :                        « Tous les pouvoirs souverains ont eu la force pour origine, ou, ce qui est la même chose, la négation du droit (...) Ce mot de droit lui-même, d'ailleurs, ne voyez-vous pas qu'il est d'un vague infini? »
Machiavel n'hésite pas à provoquer son interlocuteur (Montesquieu) en associant brutalement le « césarisme » à un « despotisme gigantesque ». Joly suit ici Tocqueville qui annonçait en ces termes le futur des sociétés démocratiques dans De la démocratie en Amérique : une « sorte de servitude, réglée, douce et paisible [...] pourrait se combiner mieux qu'on ne l'imagine avec quelques-unes des formes extérieures de la liberté, et qu'il ne lui serait pas impossible de s'établir à l'ombre même de la souveraineté du peuple »
Mais alors que Tocqueville voyait encore dans la liberté de la presse l'antidote le plus fort contre les maux de l'égalité, Joly, qui avait vécu l'expérience du Second Empire, ne se faisait aucune illusion à ce propos. Selon son Machiavel, le futur le plus adapté aux sociétés modernes serait une forme de despotisme qui laisserait intacts le système parlementaire et la liberté de la presse :
 « Un de mes grands principes », dit le Machiavel de Joly, « est d'opposer les semblables. De même que j'use la presse par la presse, j'userai la tribune par la tribune... Les dix-neuf vingtièmes de la Chambre seraient des hommes à moi qui voteraient sur une consigne, tandis que je ferais mouvoir les fils d'une opposition factice et clandestinement embauchée ».
Cette stratégie devra porter à « l'anéantissement des partis et la destruction des forces collectives » même si la liberté restera formellement intacte. On pourra utiliser une stratégie analogue avec la presse : « j'entrevois la possibilité de neutraliser la presse par la presse elle-même. Puisque c'est une si grande force que le journalisme, savez-vous ce que ferait mon gouvernement ? Il se ferait journaliste, ce serait le journalisme incarné. (...) Comme le dieu Vishnou, ma presse aura cent bras, et ces bras donneront la main à toutes les nuances d'opinion quelconque sur la surface entière du pays. On sera de mon parti sans le savoir. Ceux qui croiront parler leur langue parleront la mienne, ceux qui croiront agiter leur parti agiteront le mien, ceux qui croiront marcher sous leur drapeau marcheront sous le mien ».
Alors que les gouvernements avaient pris coutume de soutenir les intérêts des plus forts, ils n'avaient eu de cesse de dissimuler leur action sous le masque de l'intérêt général. Berlusconi aura changé la donne. Il a très vite expliqué que les premières mesures qu'il devait prendre le concernaient lui et lui seul : la fiscalité, l'économie des médias, la justice. Et il n'a de cesse de dénoncer un Etat, une administration, une justice qui l'empêchent de gouverner. Comme il est le seul maître à bord, il faut comprendre sa formule : un Etat, une administration, une justice qui l'empêchent de gouverner pour lui.
Pour le reste, lui qui s'était présenté comme l'homme de l'exécutif, l'homme d'action, l'entrepreneur, on sait mieux maintenant ce qu'il a fait. Rien.
Rien pour l'économie, rien pour la fiscalité, rien pour la justice, rien pour la santé, rien pour l'éducation, encore moins pour la culture, rien pour le chômage, rien pour les décharges de Naples ou pour les sinistrés de l'Aquila. Il a laissé les chacals rire sur les décombres et organiser la dépouille des morts. Ces nuits là, on sait qu'il avait mieux à faire.
Mais, objectera-t-on naturellement : si Berlusconi n'a rien fait, s'il a mis à sa botte un pays tout entier pour faire flamber ses affaires et soulager ses pulsions, ne faut-il pas qu'il soit le plus grand des communicateurs ? Un « formidable animal politique » ? Une espèce de « Rocky Balboa » de la vie politique italienne, se relevant toujours d'un tapis où ses adversaires incléments voudraient le déclarer k.o. ? Son corps lui-même qui défie le temps et les coups n'est-il pas un corps glorieux ? Un corps de jeunesse promis à toutes les vigueurs ?
Mieux, n'incarne-t-il pas l'avenir du politique ? Le passage d'une démocratie rêvée sur le modèle de l'échange contradictoire (Arendt) à une démocratie manipulée par un bonimenteur ? Berlusconi n'atteste-t-il pas le triomphe des cabinets de communicants toujours prêts à mettre sur pied de nouvelles stratégies, de nouveaux audits, de nouvelles campagnes, de nouvelles images ? N'est-il pas le grand communiquant ?
 L’ensemble des quotidiens étrangers se posent la même question : Sarkozy pourra t-il revenir en politique après cette affaire ? Pour le New York Times, celle-ci met grandement « en péril son éventuel retour en politique. » The Indepedent enfonce le clou en évoquant « la grande menace » que représente cette affaire sur son retour, le quotidien le jugeant même « improbable. » El Pais  voit aussi dans cette garde à vue et mise en examen une influence néfaste « à l’heure où Sarkozy pouvait revenir pour faire barrage à l’extrême droite. » Sur le Financial Times online, on retrouvait en une la mine déconfite de l’ancien Président comme sur le site du New York Times. Si le quotidien américain évoque « le frein que représente cette affaire pour les ambitions de retour de Nicolas Sarkozy », il poursuit son analyse en ajoutant que cette garde a vue « met en lumière les liens étroits entre les élites politiques et le milieu judiciaire. » La Stampa ne fait d’ailleurs pas dans le détail en affirmant qu’il « voulait corrompre un juge. » Le très piquant quotidien allemand Spiegel prévoit dans sa version électronique que cette affaire sera une « aubaine pour ceux qui souhaitent briguer la primaire UMP » et rappelle malicieusement que « Nicolas Sarkozy est punissable de cinq ans de prison et d’une amende de 500 000 euros. »
Cette Sarko-berlusconisation des moeurs politiques est à peine surprenante.Prendre l'opinion à témoin, accuser la justice de partialité dont on pensait qu'il aurait du travailler à la rendre indépendante quand il était Président, réclamer un statut particulier, au-dessus des Français, sous prétexte de quelques victoires électorales passées, tout ceci est indigne de la République mais peut-être symptomatique de la période. Au final, Sarkozy a donc dépensé quelque 39 millions d'euros pour tenter, en vain, de se faire réélire en 2012, quand le plafond légal n'était que de 21 millions. Le plus drôle fut d'entendre l'ancien monarque s'exclamer que pour sa campagne,  
"il n’y a jamais eu le moindre système de double facturation ." 
à, suivre ...

Allons, consciences, debout ! éveillez-vous, il est temps !
Si la loi, le droit, le devoir, la raison, le bon sens,
 l'équité, la justice,

ne suffisent pas, qu'on songe à l'avenir.

Si le remords se tait, que la responsabilité parle !
Victor Hugo