mercredi 19 septembre 2012

Intouchables ?

« Le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire,

 c’est d’obliger à dire. »

Roland Barthes

 

L'islam n'interdit pas la représentation de Mahomet

Cet assassinat de l’ambassadeur des États-Unis en Libye, et ces attaques contre toutes les ambassades américaines, et parfois tout simplement occidentales, à travers le monde, marquent une escalade dans le processus qui avait déjà vu la fatwah contre Salman Rushdie, l’assassinat de Théo Van Gogh ou les menaces contre les caricaturistes danois de Mahomet, mettre le feu aux poudres.

Une étape supplémentaire est franchie : on est face à des intégristes qui œuvrent pour des sociétés dans lesquelles l’État dicterait à chacun ce qu’il peut faire et ne pas faire – et alors, tout représentant de l’Etat serait effectivement co-responsable de tout acte commis par n’importe lequel de ses ressortissants, qu’il ne pourrait qu’avoir préalablement autorisé : des sociétés dans lesquelles toute responsabilité devient alors collective, et non individuelle, puisque le libre-arbitre a disparu.

L’idée d’une société dans laquelle un citoyen pourrait réaliser un film sans en demander l’autorisation à qui que ce soit, et en particulier à l’Etat, leur est insupportable, voire inconcevable.

Ironie de l’Histoire : cet assassinat de quelqu’un qui n’était pour rien dans ce film, qui peut-être en ignorait l’existence ou bien le désapprouvait vivement, a aussi eu lieu un 11 septembre, date d’une autre manifestation, encore plus spectaculaire, de l’idée de culpabilité et de punition collectives et aveugles.

Derrière cet assassinat, il y a bien deux conceptions des sociétés humaines qui s’affrontent : celle de la responsabilité individuelle, et celle de la culpabilité et du châtiment collectifs et indifférenciés.

On remarquera d’ailleurs :
·         Que l’immense majorité des manifestants contre ce film, à travers le monde, ne l’ont sans doute pas vu, ignorent s'il existe vraiment ou pas (seule existerait sa bande-annonce) et qu’il a été réalisé par un Egyptien.
·         Que l’organisation de ces manifestations d’indignation n’a rien de spontané
On est face à une religion qui connaît une poussée d’intégrisme (comme l’hindouisme, d’ailleurs, et comme toutes les autres en ont connu à d’autres époques. Toute religion est potentiellement intégriste, et l’intégrisme ne connaît que les limites qu’on lui impose) et qui cherche à repousser chaque jour davantage les limites; à travers ce film (qui est sans doute complètement nul, qui n’existe d’ailleurs peut-être pas et qui joue de la recette facile de la provocation pour attirer l’attention sur lui, tout comme l’ «apologie littéraire» de Breivik par Millet), c’est la liberté d’expression qui est en cause : car toute critique peut être vécue comme une provocation inacceptable par ceux qu’elle vise.

Mais qui fixe la limite de l’acceptable ? C’est pourquoi le droit au blasphème contre toute religion – qui n’est pas le droit d’attaquer ses croyants et leur foi – doit être sauvegardé, au même titre que celui du blasphème contre toute idéologie politique.

Les textes condamnent l'idolâtrie, mais la figuration n'est jamais expressément condamnée.
L'islam autorise-t-il la représentation du prophète Mahomet ? Contrairement aux idées reçues, représenter Mahomet n'est pas interdit. Interrogé lors de l'incendie criminel des locaux de Charlie Hebdo en novembre 2011 après la publication d'un numéro spécial rebaptisé "Charia hebdo" avec en Une la caricature d'un prophète Mahomet hilare, le spécialiste de l'islam, Malek Chebel, (auteur d'une nouvelle traduction du Coran et d'un "Dictionnaire encyclopédique du Coran") expliquait qu'"aucun texte fondateur de l'islam ne formule comme telle une interdiction de la représentation de Mahomet" avant d'ajouter : "le prophète en son temps n'a pas laissé de disciples. L'ensemble des califes ont alors décidé dans un objectif d'unité de sanctifier l'image de ce messager de Dieu et sa personne a ainsi été sacralisée. Certaines hadiths (recueil des paroles de Mahomet, ndlr) ont en revanche donné une appréciation négative de la représentation".
Une image sacrée mais pas interdite


En réalité, les textes condamnent l'idolâtrie, le fait d'ériger des statues de divinités à adorer qui rivaliseraient avec Dieu, comme dans les religions polythéïstes. A la naissance de la religion musulmane, la destruction des idoles est même instituée. Au gré des évolutions des différentes écoles théologiques, cette loi s’est parfois durcie, parfois assouplie. Pour éviter un retour à l’idolâtrie, on est allé jusqu'à interdire n’importe quelle image représentant un objet, un animal ou un humain, au motif que seul Dieu peut créer. Au contraire, on retrouve des représentations figurées de Mahomet et de sa famille notamment dans les mondes iranien, turc et indien.
Mais la figuration n’est jamais expressément condamnée. "L'islam étant une religion abstraite, il a fallu cependant trouver un système pour représenter le prophète", explique Malek Chebel. "On a alors inventé la calligraphie qui est née dans les mosquées. Allah (Dieu d'Abraham) et le prophète Mahomet ont trouvé leurs représentations dans un graphème. En fait, l'équivalent des icônes représentant Jésus dans les églises", continue-t-il.
Des représentants musulmans prudents
Au moment de la publication du numéro spécial "Charia hebdo", de nombreux musulmans se sont sentis heurtés par la représentation de Mahomet, poussant certains, soupçonnés d'être des intégristes religieux, à incendier les locaux du journal.
Les représentants de la communauté musulmane avaient alors jugé le dessin moins violent que les caricatures publiées par l'hebdomadaire en 2006. Interrogé par "le Nouvel Observateur", le recteur de la mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, allait jusqu'à laisser le bénéfice du doute au journal quant à la ressemblance entre la caricature et la représentation qu'on peut se faire de Mahomet parlant de la "tête supposée de Mahomet". "Personnellement j'y vois plus un homme au nez crochu qui ressemble plus à Ben Laden. Ce dessin évoque moins directement le prophète". Grand seigneur, le recteur de la mosquée ? En page 3, c'était bien le même dessin qui y figurait sous le titre "L'édito de Mahomet".
Tout en condamnant l'incendie, Mohammed Moussaoui, président du Conseil français du culte musulman (CFCM) avait lui rappelé pour sa part que "caricaturer le prophète" est "considéré comme une offense pour les musulmans". 
"Profanation politique"

 En France, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 adopte par la suite ce droit fondamental, qui relève de valeurs aussi bien laïque que démocratiques.  
L’article 10 de cette déclaration dispose que « tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ». La DDHC étant insérée dans le préambule de la Constitution de 1958, elle dispose depuis une décision du Conseil Constitutionnel d’une valeur constitutionnelle. Ainsi, la liberté d’expression a une valeur importante et doit être garantie par les pouvoirs publics.
L’article 10 regroupe « la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière ».

"Il ne faut pas voir cette indignation d'un point de vue religieux", estime Malek Chebel qui condamne lui aussi la violence exercée contre un organe de presse. "Il s'agit là d'une réaction à ce que j'appellerais une profanation politique. L'idée selon laquelle on peut s'autoriser tous les dépassements parce que l'islam n'est pas puissant, n'a pas de clergé qui peut se faire le porte-parole et le défenseur des musulmans".
Un avis que partage Dalil Boubakeur, qui insiste sur le fait que le journal satirique s'est avec ce précédent attaqué à la communauté musulmane de France. "La charia occupe aujourd'hui les Libyens, voire les Tunisiens, mais elle ne concerne pas les musulmans de France", regrette Dalil Boubakeur. "En impliquant ainsi la communauté musulmane de France, les journalistes de 'Charlie Hebdo' attisent les haines et les tensions communautaires".

mardi 18 septembre 2012

Quel accueil pour Stiglitz?


Quel accueil pour Stiglitz?
03 septembre 2012 Par Frédérick Stambach
Le livre à paraître le 5 septembre 2012 de Joseph E.Stiglitz (prix de la banque de Suède 2001), Le prix de l'inégalité aux éditions Les Liens qui Libèrent
s'annonce stupéfiant.
Marianne en publie cette semaine des extraits. Les argument développés rappellent étrangement ceux défendus par les altermondialistes depuis le début des années 2000 et, plus proche de nous, ceux du Front de gauche en 2012,
 tous censés être ridicules.
Stiglitz, prix Nobel d’économie, serait-il lui aussi un stalinien ou un hippie?
Ces « gens-là » n'ont jamais renoncé.
 Utilisant désormais les leviers financiers,
une caste confisque les fruits des efforts de tous,
 collectivisant les pertes et privatisant les bénéfices,
ils ont simplement changé d'échelle. 

 Elle est désormais planétaire. Et ils se gavent.
 Face à cela, la gauche, qui n'a rien appris  

en plus de cent ans. Rien

Ni sur le fond, ni sur les méthodes,

 encore moins sur la nécessité de la morale dans l'action.

Danielle Mitterrand

Pour patienter d'ici la sortie du livre, les arguments de Stiglitz publiés dans Marianne sont les suivants:
- la démocratie est incompatible avec la mondialisation dans sa forme actuelle principalement à cause de la liberté totale de circulation des capitaux, qui ne favorisent pas la croissance mais provoque instabilité et inégalité, et de la concurrence mondialisée permettant aux détenteurs de capitaux d'effectuer un chantage insupportable sur les gouvernements élus.
- l'OMC (qu'il qualifie de diktat) mine l'autodétermination des pays et la démocratie
- Les 1% les plus riches manipulent l'opinion pour orienter les politiques vers leurs intérêts bien compris

Il va même jusqu'à écrire "les sociétés financières de Londres ont réagi à un projet de régulation de leurs bonus en menaçant de quitter le pays. Dans ces cas-là on pourrait dire : bon débarras! Le coût pour la société des excès du secteur financier dépasse de très loin les quelques emplois qu'il crée. Les spéculateurs s'en iront ; mais les sociétés qui effectuent les activités financières importantes - celles qui prêtent aux entreprises locales - resteront. Elles doivent être sur place."
C'est exactement ce que dit JL Mélenchon (1).
Stiglitz semble estimer que les américains sont trop optimistes devant la situation réelle de leur pays. Je rappelle que les français au contraire sont les champions du pessimisme, peut-être parce que justement nous avons une conscience plus nette des inégalités insupportables, de leur origine et de leur rôle. Les dominants nous expliquent d'ailleurs régulièrement à quel point il est dommageable pour l'économie que les français "détestent" les riches, contrairement aux anglo-saxons qui les "adorent", car ils auraient "compris" à quel point cela est nécessaire à leur bonheur. Stiglitz ne semble pas de cet avis.
Il est vrai que cela doit être bien inconvenant de devoir se justifier devant ce peuple si stupide et si vulgaire, qui va jusqu'à montrer du doigt ces inégalités, quelle injustice. Le peuple ne devrait-il pas être heureux avec tous les divertissements qu'on lui propose?
Les dominants essayeront-ils de ridiculiser Stiglitz de la même manière que Mélenchon, lorsque l'économiste défend des idées identiques?
Il sera en tout cas difficile d'utiliser l'anti-communisme avec l'ancien économiste en chef de la banque mondiale.


 Pour lui, «la globalisation circonscrit la démocratie à travers la compétition» entre les systèmes fiscaux que promeuvent notamment les multinationales, qui n’hésitent pas à recourir au chantage. Et à ceux qui disent que la globalisation ne nous donne pas de choix, Joseph Stiglitz soutient que c’est le cadre politique que nous avons donné à la globalisation qui ne nous donne pas de choix. 

Et par conséquent, la globalisation pousse le niveau de certains impôts vers le bas, ce qui ne permet pas non plus d’en financer les conséquences sociales. Si la mondialisation a permis beaucoup de progrès dans les pays en voie de développement cela se fait au détriment des classes populaires et moyennes des pays dits développés. Il rappelle que les pays qui parviennent à la plus forte croissance (Japon avant-hier, Corée hier, Chine aujourd’hui) et les pays avec les plus hauts niveaux de vie (pays scandinaves) ont tous en commun d’avoir des Etats assez forts et présents. 

Stiglitz adopte une démarche pragmatique pour la dépense publique. Il est favorable à son augmentation pendant les récessions mais pas autrement «quand l’économie est au plein emploi, davantage de dépenses publiques n’augmentera pas le PIB. Elle évincera d’autres dépenses». Mais il rappelle aussi que la libéralisation n’est pas forcément plus efficace comme le montre l’état du système de santé. Enfin, il souligne « qu’Il est curieux qu’à une époque où le chômage est si élevé, les supermarchés remplacent les caissiers par des caisses automatiques ».

Après avoir dénoncé la montée des inégalités et décortiqué les mécanismes qui sont en œuvre, et notamment la mondialisation des échanges, Joseph Stiglitz se penche sur les conséquences de ces inégalités sur notre système démocratique

 A suivre...

les affaires de Bernard et Laurent Tapie


Enquête sur les affaires de Bernard et Laurent Tapie
17 SEPTEMBRE 2012 | PAR LAURENT MAUDUIT


 
Depuis que son ami Nicolas Sarkozy a pesé sur le cours de la justice dans l'affaire Adidas-Crédit lyonnais et lui a permis de mettre la main sur 403 millions d'euros, dont 304 millions sont tombés, en net, dans sa poche, Bernard Tapie vit dans l’opulence. Acquisition en 2009 de l’un des plus beaux yachts du monde pour 40 millions d’euros ; projet portant sur l’une des plus belles villas de Saint-Tropez pour 47 millions d’euros : il dépense désormais sans compter et vit dans le luxe. Reste une interrogation : mais que fait-il donc du reste de son argent – de notre argent, ne peut-on s’empêcher de dire, puisque tout ce magot a été pris dans la poche des contribuables ?
Pour le comprendre, Mediapart a mené une longue enquête. Car de cela, Bernard Tapie n’aime pas parler. En réalité, selon des confidences qu’il a faites à des proches et dont Mediapart a obtenu confirmation, il estime qu’il existe un risque, même faible, que l’arbitrage puisse être remis en cause. Du même coup, Bernard Tapie a fait le choix de n’investir que très peu en France et dans des conditions de forte confidentialité, l’essentiel de sa fortune ayant pris la destination de la Belgique. La victoire de la gauche à la présidentielle l’a conforté dans cette prudence. Faisant jouer ses relations politiques, cela ne l’a pas empêché de construire un réseau complexe de structures financières, installant le plus souvent son fils Laurent Tapie comme gérant, et même, aussi stupéfiant que cela soit, de décrocher… des subventions publiques pour l’une des jeunes entreprises qu’il a créées.

De ses investissements de confort – si on peut les appeler comme cela –, on commence à connaître beaucoup de choses. Comme Mediapart l’a révélé en début d’année, Bernard Tapie a d’abord fait l’acquisition en 2009 d’un yacht luxueux, rebaptisé le Reborn, qu’il loue à des milliardaires 800 000 euros la semaine, pour l’essentiel des oligarques russes, ou qu’il utilise parfois pour son compte personnel .
 Nous avons aussi révélé que Bernard Tapie est en passe d’acquérir pour 47 millions d’euros l’une des plus belles villas de Saint-Tropez. Ainsi s’envole l’argent public : Bernard Tapie y puise à pleines brassées pour mener ce qu’il faut bien appeler une vie de nabab.

Mais des autres usages que fait Bernard Tapie de son argent, et notamment dans la vie des affaires, on ne savait jusqu’à présent que peu de choses. De proche en proche, on a juste compris qu’il était en embuscade, flairant les bonnes affaires. En 2009, il a ainsi fait des déclarations publiques tonitruantes sur le Club Méditerranée, laissant entendre qu’il pourrait entrer au capital. Conseillé par Matthieu Pigasse, le banquier de Lazard – que Bercy a aujourd’hui enrôlé comme conseil pour le projet de Banque publique d’investissement –, il a tellement parlé de son projet que pour finir, cela n’a eu qu’un effet, celui d'en faire monter le cours – ce qui était peut-être le but recherché ? Et puis, sur la pointe des pieds, Bernard Tapie s’est retiré du dossier. Une société baptisée « Les combines à Nanard »

Bernard Tapie a aussi beaucoup donné de sa personne – et de son argent – pour appuyer deux projets dont il a confié l’exécution à son fils, Laurent Tapie. Le premier de ces projets, révélé par Mediapart , visait à reprendre Full Tilt Poker, une société de poker en ligne à la sulfureuse réputation, au cœur d’un scandale aux États-Unis. Las ! Le projet n’a jamais pu aboutir.
Surfant sur la notoriété de son père, Laurent Tapie a aussi pris la direction d’un site Internet BernardTapie.com proposant des offres et services à bas prix, mais là encore le succès n’a pas été au rendez-vous. Si sa visibilité n’est pas inexistante puisque le site capte de l’ordre de 400 000 visiteurs uniques par mois, le trafic semble très insuffisant pour générer un véritable courant d’affaires. Financièrement, le projet aurait échoué.
Bernard Tapie et son fils Laurent se sont aussi lancés dans d’autres projets, mais beaucoup plus discrètement. Pour mener à bien ces autres projets, ils se sont appuyés sur une société dénommée BLT Développement (pour Bernard et Laurent Tapie Développement) dont Bernard Tapie a pris la présidence et Laurent, la direction. La date de création de la société, le 16 juillet 2009, ne doit rien au hasard. Un an auparavant, les arbitres ont rendu leur sentence allouant 403 millions d’euros à Bernard Tapie, et dans l’intervalle, il a fallu que Bernard Tapie règle ses dettes fiscales et sociales avant de percevoir ce qui lui revenait, soit 304 millions d’euros. Sitôt fortune en poche, Bernard Tapie recommence donc à faire des affaires au travers de cette structure BLT Développement. Les statuts de la société précisent en son article 2 – cela ne s’invente pas – que « le nom commercial de la société sera “Les combines à Nanard” ».
Au travers de cette structure, divers projets sont étudiés. Mais un projet en particulier s’impose très vite à l’esprit du père et du fils : BLT Développement va se lancer dans la spéculation immobilière. Achat de terrains à des municipalités, construction de pavillons, revente : Tapie père et fils sentent là un filon et ils se préparent à l’exploiter, en commençant par un premier projet, à Dreux. Ils créent donc le 21 janvier 2011 une société spécialement dédiée dénommée Les Terrasses de Comteville, qui comprend deux actionnaires, la société BLT Développement représentée par son président Bernard Tapie, et son fils Laurent Tapie.
Ce projet des Terrasses de Comteville, ainsi que les difficultés sur lesquelles il va finir par buter, mérite d’être raconté par le menu car il en dit beaucoup sur l’art et la manière de Bernard Tapie de faire des affaires en même temps que sur la peur dont il ne parle jamais publiquement, celle de ne pas être encore totalement protégé d’un ultime rebondissement judiciaire qui lui ferait perdre son magot.

Gérant de la société Les terrasses de Comteville, Laurent Tapie va au début de 2011 rencontrer le maire UMP de Dreux, Gérard Hamel, pour obtenir de lui l’assurance que la municipalité pourrait lui rétrocéder à bas prix des terrains dans un quartier, celui de Comteville, pour y construire des pavillons, que les Tapie pourraient ensuite revendre. C’est la martingale magique ! Grâce aux appuis politiques de son père, Laurent Tapie se fait fort de trouver des terrains à bas prix. Il le confie à ses proches – l’un d'eux nous l’a rapporté : il estime que par son père il dispose d'un réseau de connexions politiques de premier ordre, lui permettant de pouvoir négocier des terrains de mairies à d'excellentes conditions. Grâce à l’appui du numéro deux d'une société de promotion immobilière, Geoxia, avec lequel il a pris langue, il pense par ailleurs en détenir le savoir-faire ; enfin, grâce à des co-investisseurs, et tout particulièrement des Russes, il pense obtenir des financements faciles. La confession de Laurent Tapie

Bref, tout démarre sur les chapeaux de roue. À Dreux, Laurent Tapie se lance dans un projet de construction de 36 maisons. En espérant qu’après ce premier chantier, d’autres pourront être signés avec l’aide de son père. Mais dans le courant de l’année 2011, l’affaire Tapie se double d’une affaire Lagarde : le 4 août 2011, la Cour de justice de la République ouvre une enquête pour complicité de détournement de fonds publics visant Christine Lagarde, l’ex-ministre des finances de Nicolas Sarkozy, devenue depuis directrice générale du Fonds monétaire international (FMI). Et cela inquiète très fortement Bernard Tapie, même si publiquement il n’en montre rien et se répand dans les médias en prétendant que cette affaire ne le concerne en rien.
Pourtant son fils, qu’il a chargé de piloter ces discrètes affaires françaises, sait que c’est une posture et que son père est en réalité inquiet. Et Laurent Tapie en fait la confidence à certains de ses proches – l’un d’eux nous a rapporté ses propos : il leur explique que son père étant très prudent, il considère qu'il existe un risque, même très faible, que son arbitrage puisse être remis en cause. Dans cette hypothèse, il ne souhaite plus engager de fonds propres « lourds » en France.
Et de la parole aux actes ! Selon plusieurs témoignages que nous avons pu recueillir, Bernard et Laurent Tapie changent alors radicalement de stratégie d’investissement durant cet été 2011. Jusque-là, Laurent Tapie rêvait de faire une formidable et rapide culbute avec ces projets immobiliers comme en témoigne son business plan, mais ces projets sont ralentis, et surtout, manquant de l’apport de l’argent de son père, Laurent Tapie se confie à ses proches en leur disant que désormais il cherche de nouveaux investisseurs, et tout particulièrement des Russes.
Selon des témoignages recueillis à très bonne source, Laurent Tapie tient en effet beaucoup à ce que de riches Russes soient démarchés. Et à ceux qui lui demandent pourquoi il recherche particulièrement cette clientèle, il fait valoir que compte tenu des emplois générés par l’immobilier, ce secteur jouit traditionnellement d’un poids politique important en France, ce qui conférerait à une société qui s’imposerait comme le leader un blanc-seing politique. C’est moins cher que d’acheter le club de football Chelsea et surtout, contrairement à Chelsea, ça gagne de l'argent, aime à répéter Laurent Tapie.
Mais, visiblement, au cours des mois suivants, Bernard Tapie s’inquiète de plus en plus des suites judiciaires possibles de l’enquête visant Christine Lagarde, et de l’hypothèse alors de plus en plus probable d’une victoire de la gauche un an plus tard, lors de la présidentielle de 2012. Pour finir, même le projet de Dreux est suspendu.

Nous avons en effet pris contact avec le maire UMP de Dreux, Gérard Hamel : le maire nous a assuré que, dans un premier temps, il n’avait pas encore vendu les terrains de Comteville aux Tapie mais qu’il les avait seulement réservés. Et toujours selon lui, Laurent Tapie serait revenu le voir en juin 2012, deux ans donc après les premiers rendez-vous, et juste au lendemain de la victoire de la gauche à la présidentielle, pour lui annoncer que finalement il se retirait du projet et qu’il allait sans doute le rétrocéder à une autre société spécialisée, par exemple Nexity. Est-ce donc la victoire de la gauche qui a incité Bernard Tapie à se montrer encore plus prudent et à donner la consigne à son fils de ne pas même poursuivre le projet de Dreux, pourtant très avancé puisque de nombreux sites spécialisés en parlaient, en particulier les sites spécialisés en investissements dits Scellier, ouvrant droit à une défiscalisation ? A-t-il craint que l’alternance renforce les risques pour lui d’un rebondissement judiciaire ?

400 000 € d'aides publiques pour Talenteis

Quoi qu’il en soit, les investissements de Bernard Tapie ne s’arrêtent pas là. Il a aussi créé en janvier 2011, avec ses deux fils, une société qui, aussi stupéfiant que cela soit, a tout aussitôt profité de… subventions publiques. Cette société s’appelle Talenteis. Selon ses statuts, il s’agit d’une SARL, dont les actionnaires sont Bernard Tapie, ses deux fils Laurent et Stéphane, ainsi que deux autres personnes. Lors de la constitution du capital, 1 million d’euros a été apporté dont 999 600 euros fournis par Bernard Tapie et 100 euros par chacun de ses quatre associés. Autant dire que cette société appartient pour l’essentiel à Bernard Tapie, même si c'est Laurent Tapie qui en est le gérant.
Disposant d’un siège social qui n'est autre que l’Hôtel particulier de Bernard Tapie rue des Saint-Pères, à Paris, cette société est censée avoir ceci pour objet social : « la mise en relation de personnes par le biais de tous supports et notamment par la création d’un site Internet et la mise en place d’un service audiotel ». Visiblement, les promoteurs du projet ne se sont pas empressés de le mettre en œuvre car un an et demi après son lancement, il n’a pas de retombées concrètes. Il n’est d’ailleurs pas très difficile de le vérifier : le site Internet annoncé n’est toujours pas créé. Quand on clique sur l’URL de la société Talenteis, on tombe sur une page statique, annonçant que le site est « en cours de réalisation ». Un an et demi pour créer un site, cela paraît de fait… bien long !
En revanche, le gérant Laurent Tapie a été frapper à la porte d’Oséo et a obtenu très rapidement des financements publics. Alors que beaucoup de PME peinent à trouver des crédits, lui y est parvenu sans difficulté. Selon nos informations, les financements d’Oséo au profit de Talenteis seraient d’environ 400 000 euros.
En clair, la Cour de justice de la République ouvre une enquête visant Christine Lagarde pour complicité de détournements de fonds publics, mais cela n’empêche pas une structure publique, Oséo, d’apporter des financements à une société dont Bernard Tapie est le principal actionnaire. À la décharge d’Oséo, il faut toutefois observer que la présidence de l’établissement n’a pas, à notre connaissance, été informée que Bernard Tapie était le propriétaire de Talentéis.
Pour autant, l’enseignement pour chacun de ses projets d’investissement est le même : Bernard Tapie vit désormais dans l’opulence, mais aussi dans l’inquiétude et se montre excessivement prudent dans sa stratégie d’investissement. En tout cas en France. Car, comme l’a révélé voilà quelques mois une enquête deCharlie Hebdo, publiée le 15 novembre 2011, Bernard Tapie a transféré en Belgique le même mois tout son magot provenant de l’arbitrage. Au préalable, le 14 octobre 2010, Bernard Tapie avait fait enregistrer à Bruxelles une société dénommée GBT Holding, dont le capital passera rapidement en 2011 de 20 000 euros à... 215,4 millions d’euros. Et selon une enquête récente de Rue89, Bernard Tapie a dupliqué en Belgique toutes ses sociétés déclarées en France.
Ce qui n’a pas empêché le même Bernard Tapie de faire la morale à Bernard Arnault. Réagissant dans Le Parisien au fait que le patron de LVMH ait demandé la nationalité belge, le président de la société « Les combines à Nanard » a eu ce mot : « Je n’arrive pas à le croire, je suis extrêmement surpris. » Il faut oser...

« A quelques-uns l’arrogance tient lieu de grandeur ;

l’inhumanité de fermeté ;

et la fourberie, d’esprit. »

 Jean de La Bruyère