samedi 15 septembre 2012

Pauvre milliardaire, triste entrepreneur.


Curtis Roosevelt : «l’égalité ce n’est pas que le 4 ou le 14 juillet !»


Curtis Roosevelt, ex-diplomate retiré dans le sud de la France, est le petit-fils du président des Etats-Unis Franklin D. Roosevelt, initiateur de la politique du New Deal qui fit reculer la Grande Dépression des années 1930. Il publiera en France la traduction de son livre « Too Close to the Sun, Growing Up in the Shadow of my Grandparents Franklin and Eleanor », le 20 septembre. 

Il réagit à l’annonce de l’intention de Bernard Arnault de demander la nationalité belge




Marianne : Avec son impôt à 75% sur les plus riches, François Hollande dit s’inspirer de l’action de Franklin D. Roosevelt, qui avait institué un impôt fortement progressif. Dans les années 30, votre grand-père s’est-il aussi heurté aux protestations des plus riches des Américains ?
Curtis Roosevelt : Au début des années Trente, personne aux Etats-Unis ne payait beaucoup d'impôts. Néanmoins, lorsque Franklin Delano Roosevelt a augmenté considérablement le taux de la tranche la plus élevée du barème de l’impôt sur le revenu, certaines personnes riches et célèbres ont menacé de quitter le pays. 

La même chose s'est produite en Grande-Bretagne 
lors de l'accession au pouvoir du gouvernement travailliste en 1945. Voir
 de tels réactions en France aujourd'hui ne m’étonne donc pas. Je me
demande bien ce que les mêmes personnes diraient si le président François Hollande décidait d’augmenter leurs impôts trois fois de suite (De 25% le taux marginal est porté à 63% dès 1933, puis 79% en 1936 et 91% en 1941, NDLR), comme Franklin Roosevelt l’avait fait ! 
 
Dans son premier mois à la présidence, «FDR» a sauvé les banques  d’une panique généralisée des épargnants. Pourtant, un mois plus tard les banquiers s’organisaient déjà contre lui dans le but de mettre en échec ses projets de réformes.  Ils l’ont accusé de «traire les riches», avec des augmentations d’impôt sur le revenu et les profits des entreprises. 


Il s’était vengé en 1936 en déclarant : «Nous savons désormais qu'il est aussi dangereux d'être gouverné par l'argent organisé que par le crime organisé.» Pensez-vous que la taxation des hauts revenus soit encore un problème politique, comme dans les années 30 ? 
 
Aujourd'hui nous constatons à nouveau une inégalité criante parmi les Américains. Un patron peut gagner plus d'un million de dollars par an et payer moins d'impôts que sa secrétaire. La taxation est devenue un sujet poignant qui oppose «le 1%» les plus riches aux «99%», le reste de la population. Par ailleurs augmenter de manière importante les impôts payés par les très riches fournirait les moyens permettant de mettre en œuvre des mesures pour sortir de la récession actuelle. C’est aussi vrai pour la France.
 
 
Peut-on faire appel au patriotisme en matière de fiscalité ? 


Pendant la Grande Dépression tout le monde aux Etats Unis avaient une conscience très aiguë de la profondeur de la crise. Dès son entrée à la Maison Blanche Franklin Roosevelt était accueilli par un même cri venant des riches comme des pauvres : «Faites quelque chose». Cette peur diffuse, palpable, omniprésente a inspiré les fameuses paroles de Roosevelt aux Américains lors de son discours inaugural de mars 1933 : «La seule chose dont nous devons avoir peur est la peur elle-même…» 
Aujourd’hui les conséquences sociales de la crise ne sont pas aussi universellement partagées dans nos sociétés que lors de la Grande Dépression. Nous semblons moins concernés par le bien-être de nos concitoyens. Est-ce en raisons de notre niveau de vie, ou de notre addiction aux médias que nous ressentons moins d’empathie pour les autres ? Je ne sais. Mais ce manque de partage questionne les leaders comme Barack Obama ou François Hollande. Réveiller leurs peuples, les amener à mesurer l’ampleur de la tâche à accomplir pour sortir du marasme est leur premier challenge. C’est le but que nous poursuivons dans le club «Roosevelt 2012» (Fondé par Michel Rocard, Pierre Larrouturou, Edgard Morin et Stéphane Hessel, NDLR). 
Il ne s’agit pas de ressusciter les programmes du New Deal passé, mais de créer des programmes pour le 21è siècle tout aussi radicaux que ceux mise en place par Roosevelt en son temps. Le véritable problème est le manque d'égalité – aussi bien aux Etats-Unis qu'en France. «L'égalité» ne devrait pas être un mot réservé juste pour le 4 juillet (fête nationale aux Etats-Unis, NDLR) ou le 14 juillet. 

De nos jours le patriotisme est vu de manières très différentes et certains le considèrent totalement sans intérêt. Peut-être le mot «identité» est plus parlant. Je ressens fortement mon identité américaine – j'étais élevé à une époque où être Américain voulait dire quelque chose, était porteur de valeurs et d'attitudes avec lesquelles je m'identifie encore. Le président Hollande devrait davantage rappeler aux 
Français leurs racines et leur identité.
 
Les puissances du capitalisme financier avaient un plan de grande envergure,

rien de moins que de créer un système mondial de contrôle financier
 dans les mains du secteur privé
capable de dominer le système politique de chaque pays et 
l'économie mondiale d'un seul tenant.
The powers of financial capitalism had a far-reaching (plan), nothing less than to create a world system of financial control in private hands able to dominate the political system of each country and the economy of the world as a whole.
Carroll Quigley

historien américain et professeur d'histoire à l'Université de Georgetown

Bernard Arnault a demandé la nationalité belge. Pour notre blogueur associé, Philippe Bilger, cette décision montre que la patrie peut être sacrifiée, négligée ou relativisée au nom des affaires... même quand celles-ci ont été rendues possibles grâce à l'accompagnement du pays qui les a vu prospérer.

 

 

 

Personne ne dénie à notre président une grande intelligence. Il l'a encore démontrée en s'expliquant sur son style et sa politique dans Le Monde : «Un style, cela s'imprime au fur et à mesure». D'aucuns lui imputent même une intelligence excessive – infortune que beaucoup accepteraient – dans la mesure où elle serait un frein à l'efficacité et à la rapidité des actions nécessaires, provoquerait une délibération constante et hésitante avant d'oser franchir le pas du mouvement, de mettre en oeuvre la résolution. 

Sur TF1, le président, tout en continuant d'adopter le registre de l'explication et de la compréhension, a clairement choisi de rendre plus sensible qu'elle ne l'était sa volonté de mener vite et bien une politique et un redressement, avec des obligations de résultats et des délais contraignants. Son ton volontariste et concret, à la fois déterminé et lucide, ni Matamore ni défaitiste, était destiné à convaincre sur le fond comme sur la forme, à balayer doutes et interrogations moroses. Il y est parvenu à mon sens. 

Qu'il n'oublie pas qu'entre la droite «qui ne veut pas dire du bien de la gauche... et ceux de gauche qui veulent montrer qu'ils sont indépendants», selon son propre partage, il y a une majorité de citoyens qui ont voté pour lui à la fois parce qu'ils désiraient faire sortir Nicolas Sarkozy du paysage politique et qu'ils espéraient de sa part une version acceptable du socialisme. Il y a une droite volatile qui s'est fixée sur lui parce que, morale et républicaine, pour un temps elle n'avait pas d'autre choix.

Une situation guère commode pour François Hollande, surtout quand on entend Jean-Luc Mélenchon toujours aussi talentueux mais avec une rancoeur accentuée – il ne nous pardonne pas ses déceptions électorales ! – réclamer sa part de la victoire socialiste et exiger le dû du Front de gauche. 

Le hasard de l'actualité l'a servi puisqu'il a pu donner libre cours à sa haine des «riches», en l'occurrence Bernard Arnault qui a été traité de manière très insultante. Il est évident que celui-ci pose un problème à ceux que préoccupent le bien public et ce qu'on pourrait appeler la morale civique même s'il faut bien se garder de donner des leçons qui risqueraient d'être inspirées plus par l'envie, l'aigreur que par l'équité (Le Parisien). 

Avant d'émettre un point de vue sur cette affaire en quelque sorte maintenant franco-belge, force est d'admettre que la taxation de 75% des plus hauts revenus confirmée par le président aurait été moins dénoncée, avec son caractère temporaire, si elle ne semblait valider la seule absurdité proférée par le candidat Hollande quand il s'est déclaré ennemi de «la finance». Cette globalisation outrancière a sans doute plu aux idéologues et aux dogmatiques mais a troublé tous les autres. C'est sur ce terreau que le président de la République s'est installé avant que le Premier ministre et dix ministres, pour compenser, se rendent exceptionnellement à l'Université d'été du Medef. 

Bernard Arnault, que je n'ai jamais rencontré, sinon, avec son épouse et ses enfants, de vue sur les pages glacées des magazines, ne m'a jamais conquis. Il faut dire que contrairement à François Pinault, dont le parcours, les propos, la personnalité m'agréent, Bernard Arnault n'a jamais rien fait pour inspirer une quelconque sympathie au quidam même si on devine bien que la réussite exceptionnelle de LVMH doit certes beaucoup à la France mais aussi à lui-même. Personnalité remarquable sûrement mais dont l'aura est restée circonscrite au cercle des gens d'argent, des entrepreneurs, des élites du privilège et du pouvoir. Comment cet homme intelligent, en une telle période, a-t-il pu engager un processus de naturalisation pour obtenir la double nationalité franco-belge ?

PROBLÈME D'ACTION

Il va payer ses impôts en France et estime normal de contribuer au redressement de son pays. Mais quelle étrange démarche de sembler si peu attaché à la France qu'il puisse mêler la Belgique à ses desseins sans paraître troublé le moins du monde par cette incongruité ? Il ne s'agirait pas d'évasion fiscale mais «d'une démarche personnelle engagée depuis plusieurs mois et qui ne doit faire l'objet d'aucune interprétation politique». Dans son environnement est évoqué aussi le nom d'Albert Frère, le capitaliste belge bien connu, et de possibles«investissements sensibles». 

Soit. Acceptons que Bernard Arnault n'aurait pas eu l'impudence ou l'imprudence de se désolidariser au moins pour moitié de son pays pour des motifs sordidement fiscaux. Mais cela change-t-il quoi que ce soit à la donne qui consiste dans une aspiration à une double nationalité pour des raisons d'argent, lucratives, intéressées ? Je n'irais pas jusqu'à soutenir, comme Jean-Luc Mélenchon, que la Belgique devrait se sentir humiliée par une telle démarche mais je suis effaré qu'on puisse négocier une moitié de sa patrie, 50% de son affection pour son pays seulement pour un problème d'actions, pour résumer grossièrement sans doute. Ainsi, si on n'emporte pas sa patrie à la semelle de ses souliers, elle peut être partiellement sacrifiée, négligée ou relativisée au nom de ses affaires. 

C'est la personnalité emblématique du capitalisme français, la quatrième fortune du monde qui donne cet exemple. Pauvre milliardaire, triste entrepreneur. Les actions de Bernard Arnault me laissent froid. Que la Belgique soit honorée et l'accueille si elle le souhaite mais une telle indélicatesse est lourde de sens. Qu'elle incite encore plus François Hollande à l'action.
Philippe Bilger
10 / 09 / 2012