Le « coup
d'Etat économique » perpétré par Donald Trump, qui supprime tout écart entre
pouvoir économique et pouvoir politique, pourrait virer au coup d'Etat tout
court,
Aux
totalitarismes de XXe siècle ont succédé la tyrannie
d'un
capitalisme financier
qui
ne connait plus de bornes,
soumet
États et peuples à ses spéculations,
et
le retour de phénomènes de fermeture xénophobe,
raciale,ethnique
et territoriale.
Le chemin de l'espérance
Edgar
Morin
Actuellement
diffusée aux Etats-Unis, la série intitulée « L’Homme dans le Haut Château » imagine un monde alternatif dans lequel les forces de l’Axe
auraient gagné la seconde guerre mondiale et occuperaient le territoire
nord-américain. Avec la victoire de
Trump, ce monde alternatif est sur le point de devenir péniblement réel.
Que se
passe-t-il aux Etats-Unis depuis l’élection de Donald Trump ? Tout
d’abord la remise en cause du cadre néolibéral à partir d’une politique
réactionnaire. Si le
néolibéralisme est la production d’un espace dans lequel les frontières
nationales ne permettent pas de limiter les échanges marchands, autrement dit
un espace de retrait de l’Etat (par privatisations et dérégulations
successives), alors le rejet par Donald Trump de l’Alena (Accord de libre
échange nord-américain avec les dirigeants du Canada et du Mexique) et du TPP
(Partenariat trans-Pacifique) consiste à redonner à l’économie une armature
nationale.
Cette recomposition
des rapports entre politique et économie ne cherche pourtant pas à abolir le
libéralisme économique, mais à lui donner une autre forme. Comme l’a récemment écrit Naomi Klein, la nomination aux fonctions
gouvernementales de représentants de grandes entreprises – par exemple Rex
Tillerson, ancien PDG d’Exxon, au poste de Secrétaire d’Etat – revient à « supprimer
les intermédiaires » : aux USA, il n’y a désormais plus aucun
écart entre le pouvoir politique et le pouvoir économique. En ce sens, l’élection de Trump ressemble fort à un
coup d’Etat économique.
Ce coup d’Etat
économique n’a aucunement pour objectif de redonner du travail à la population,
mais de sécuriser et si possible d’augmenter l’accumulation du capital. C’est
dans cette optique que le nationalisme sera mis à contribution. Ainsi le décret signé le vendredi 27
janvier par Trump, qui interdit l’accueil des réfugiés et l’entrée des
ressortissants de sept pays à majorité musulmane, le dit Muslim ban :
les effets sur le marché du travail américain seront minimes (peu d’emplois
seront à l’occasion redistribués aux citoyens américains) ; mais puissant
sera le renforcement de l’identité blanche et chrétienne d’un gouvernement
cherchant à expurger le pays de ses composantes musulmanes.
On peut à ce titre imaginer ce que sera l’étape suivante : plus il deviendra manifeste que la politique de Trump ne sert en rien les intérêts économiques des électeurs qui ont voté pour lui, plus les musulmans, mais aussi les latinos, tous les étrangers, tout ce qui sera bientôt considéré comme « unamerican », seront soumis à des restrictions quant à leurs droits, et au final à des persécutions. Certes, les tenants de l’identité américaine immaculée seront à terme vaincus par la démographie noire et sud-américaine qui les réduira au statut de minorité ; ils en seront d’autant plus féroces, éblouis par la couleur blanche de leur patriarcat écorné au point d’en oublier leur chute économique.
On peut à ce titre imaginer ce que sera l’étape suivante : plus il deviendra manifeste que la politique de Trump ne sert en rien les intérêts économiques des électeurs qui ont voté pour lui, plus les musulmans, mais aussi les latinos, tous les étrangers, tout ce qui sera bientôt considéré comme « unamerican », seront soumis à des restrictions quant à leurs droits, et au final à des persécutions. Certes, les tenants de l’identité américaine immaculée seront à terme vaincus par la démographie noire et sud-américaine qui les réduira au statut de minorité ; ils en seront d’autant plus féroces, éblouis par la couleur blanche de leur patriarcat écorné au point d’en oublier leur chute économique.
Comment dès
lors nommer cette monstruosité économico-politique ? Steve Bannon, le très
sombre conseiller spécial de Trump, parle d’un « nationalisme économique », une expression
qui occulte le fait que ce n’est pas l’économie des nationaux qu’il s’agit de
défendre, mais celle des moins-qu’un-pour-cent au pouvoir qui se servent du
nationalisme comme bouclier immunitaire derrière lequel ils peuvent mener leurs
actions dévastatrices en toute impunité. A ce titre, on pourrait proposer
l’expression de décapitalisme, terme alliant le terme capitalisme avec
celui de décapitation, pour définir le nouveau cadre national-économique. C’est
en effet que le capitalisme de Trump et
ses alliés ne se soucie ni des pauvres (auquel l’assurance-santé
« Obamacare » sera bientôt retirée), ni des classes moyennes (majoritairement urbaines et ayant voté
Clinton), ni des Universités (qui
ont précisément eu pour fonction de former ces classes moyennes), ni des médias (auxquels Steve Bannon a conseillé de « la boucler »), ni des femmes (qu’on peut – selon
l’élégante formule du nouveau président – « attraper par la chatte (grab
them by the pussy) »), ni des
noirs, des musulmans, des Mexicains, ni des autres nations en général, ni de
l’environnement enfin puisque le changement climatique n’est autre qu’un
« canular » inventé par les Chinois. Tel est le décapitalisme, une
économie obscène qui s’exerce en décapitant les populations, accomplissant
ainsi le vœu secret de l’économie financière : s’extraire enfin du monde
des vivants.
« La scène politique attirera toujours des aventuriers irresponsables,
des ambitieux et des escrocs,
on ne cessera pas si facilement que cela de détruire notre planète. »
Vaclav Havel
Quelle est la
prochaine étape ? Certains parlent aujourd’hui du passage d’un coup d’Etat
économique à un coup d’Etat politique,
comme Ruth Ben-Ghiat, professeur à New York University. Il est certain que le pouvoir exécutif
semble s’être dangereusement autonomisé, que la communication officielle – sous
le nom de « faits alternatifs » – ressemble à la propagande d’un 1984,
aujourd’hui best-seller des ventes aux USA, que le vocabulaire même de Trump et
de ses alliés a pour fonction de faire peur : choisissez « l’option nucléaire », disait récemment
Trump aux Républicains afin de valider en force la nomination d’un nouveau juge
à la cour suprême.
"Même si les tribunaux doivent un respect considérable aux politiques du président dans les domaines de l'immigration et de la sécurité nationale, il ne fait aucun doute que la justice fédérale conserve la faculté de se prononcer sur la constitutionnalité des décrets de l'exécutif".
Mais le plus inquiétant n’est hélas pas là. Imaginez un instant qu’un acte terroriste ensanglante les USA dans les jours, les semaines qui viennent ; voilà qui rendrait difficile le mouvement de manifestation actuel contre le Muslim ban, et porterait l’opinion en faveur d’un pouvoir exécutif fort. Et de la guerre, qui est aujourd’hui activement préparée contre plusieurs cibles potentielles (l’Iran, la Chine). Dès lors, pourquoi ne pas envoyer des chars dans les rues pour assurer la sécurité des populations ?
"Même si les tribunaux doivent un respect considérable aux politiques du président dans les domaines de l'immigration et de la sécurité nationale, il ne fait aucun doute que la justice fédérale conserve la faculté de se prononcer sur la constitutionnalité des décrets de l'exécutif".
Mais le plus inquiétant n’est hélas pas là. Imaginez un instant qu’un acte terroriste ensanglante les USA dans les jours, les semaines qui viennent ; voilà qui rendrait difficile le mouvement de manifestation actuel contre le Muslim ban, et porterait l’opinion en faveur d’un pouvoir exécutif fort. Et de la guerre, qui est aujourd’hui activement préparée contre plusieurs cibles potentielles (l’Iran, la Chine). Dès lors, pourquoi ne pas envoyer des chars dans les rues pour assurer la sécurité des populations ?
Ce scénario
peut paraître improbable. A ce jour, la population des Etats-Unis, dans sa
majorité, n’est pas favorable à Trump. Un
coup d’Etat politique supposerait qu’armée, police, et justice soient du côté
d’un passage à l’acte anti-démocratique. Mais tous ceux qui aujourd’hui
s’opposent dans les rues, dans les aéroports, à la mise en place du
décapitalisme, doivent savoir que l’histoire tend à insister, et à se répéter.
On croyait impossible que Trump soit le candidat des Républicains, puis
impossible qu’il soit président ; réfléchissons à deux fois avant de
balayer d’un revers de main l’hypothèse d’un coup d’Etat. Les voix blanches et mâles qui ont voté pour Trump ne sont pas
seulement l’écho d’une erreur passagère, elles ont eu le temps de se durcir au
feu glacial du néolibéralisme, elles sont armées et souhaiteraient l’être plus
encore. Elles aimeraient effacer le mouvement des droits civiques,
l’avortement, le droit des femmes, et la remise en cause des genres.
Face à elles,
il y a tous ceux que Trump ne trompe pas. Qui savent que les élites ne sont pas
les professeurs ou les journalistes, mais les chefs d’entreprise désormais au
pouvoir. Qui ont déferlé en masse le 21 janvier 2017, le jour qui a suivi
l’inauguration de la nouvelle présidence. Ils sont aux abords des aéroports
pour protester contre le Muslim ban. Ils s’opposent dans les Universités
aux conférences des représentants de l’Alt-Right, la droite suprématiste
blanche états-unienne. Ils suivent de près le cheminement de certains
Démocrates qui croient – avec Bernie Sanders – en « Notre Révolution »,
mouvement naissant. Ils portent les couleurs de Black Lives Matter.
Ils sont avec les Natifs qui s’opposent à la construction d’un oléoduc dans le
Dakota du Nord. Ils échangent, s’organisent, et l’angoisse fait alors place à
la colère, et la colère devient détermination. L’avenir des Etats-Unis
d’Amérique dépend désormais de ceux qui n’offriront pas leur peur en guise de
soumission.
Au coup d’Etat possible, ils opposeront la nécessité de continuer les
luttes pour l’égalité. Devant l’homme qui se croit dans le haut château, se
manifesteront les peuples du pays en partage.
Allons,
consciences, debout ! éveillez-vous, il est temps !
Si la loi, le droit, le devoir, la raison, le bon sens, l'équité, la justice,
Si la loi, le droit, le devoir, la raison, le bon sens, l'équité, la justice,
ne
suffisent pas, qu'on songe à l'avenir.
Si le
remords se tait, que la responsabilité parle !
« Le plus excellent symbole du peuple, c’est le
pavé.
On lui
marche dessus jusqu’à ce qu’il vous tombe sur la tête. »
Victor
Hugo
Frédéric
Neyrat
Professeur dans le département de littérature
comparée de l’Université Wisconsin-Madison