samedi 11 février 2017

"Toute parole libre leur paraît critique et séditieuse" Fénelon


Le « coup d'Etat économique » perpétré par Donald Trump, qui supprime tout écart entre pouvoir économique et pouvoir politique, pourrait virer au coup d'Etat tout court,

Aux totalitarismes de XXe siècle ont succédé la tyrannie
d'un capitalisme financier
qui ne connait plus de bornes,
soumet États et peuples à ses spéculations,
et le retour de phénomènes de fermeture xénophobe,
raciale,ethnique et territoriale.
Le chemin de l'espérance
Edgar Morin

Actuellement diffusée aux Etats-Unis, la série intitulée « L’Homme dans le Haut Château » imagine un monde alternatif dans lequel les forces de l’Axe auraient gagné la seconde guerre mondiale et occuperaient le territoire nord-américain. Avec la victoire de Trump, ce monde alternatif est sur le point de devenir péniblement réel.
Que se passe-t-il aux Etats-Unis depuis l’élection de Donald Trump ? Tout d’abord la remise en cause du cadre néolibéral à partir d’une politique réactionnaire.                   Si le néolibéralisme est la production d’un espace dans lequel les frontières nationales ne permettent pas de limiter les échanges marchands, autrement dit un espace de retrait de l’Etat (par privatisations et dérégulations successives), alors le rejet par Donald Trump de l’Alena (Accord de libre échange nord-américain avec les dirigeants du Canada et du Mexique) et du TPP (Partenariat trans-Pacifique) consiste à redonner à l’économie une armature nationale.                                                         
Cette recomposition des rapports entre politique et économie ne cherche pourtant pas à abolir le libéralisme économique, mais à lui donner une autre forme. Comme l’a récemment écrit Naomi Klein, la nomination aux fonctions gouvernementales de représentants de grandes entreprises – par exemple Rex Tillerson, ancien PDG d’Exxon, au poste de Secrétaire d’Etat – revient à « supprimer les intermédiaires » : aux USA, il n’y a désormais plus aucun écart entre le pouvoir politique et le pouvoir économique. En ce sens, l’élection de Trump ressemble fort à un coup d’Etat économique.
Ce coup d’Etat économique n’a aucunement pour objectif de redonner du travail à la population, mais de sécuriser et si possible d’augmenter l’accumulation du capital. C’est dans cette optique que le nationalisme sera mis à contribution.  Ainsi le décret signé le vendredi 27 janvier par Trump, qui interdit l’accueil des réfugiés et l’entrée des ressortissants de sept pays à majorité musulmane, le dit Muslim ban : les effets sur le marché du travail américain seront minimes (peu d’emplois seront à l’occasion redistribués aux citoyens américains) ; mais puissant sera le renforcement de l’identité blanche et chrétienne d’un gouvernement cherchant à expurger le pays de ses composantes musulmanes. 
On peut à ce titre imaginer ce que sera l’étape suivante : plus il deviendra manifeste que la politique de Trump ne sert en rien les intérêts économiques des électeurs qui ont voté pour lui, plus les musulmans, mais aussi les latinos, tous les étrangers, tout ce qui sera bientôt considéré comme « unamerican », seront soumis à des restrictions quant à leurs droits, et au final à des persécutions. Certes, les tenants de l’identité américaine immaculée seront à terme vaincus par la démographie noire et sud-américaine qui les réduira au statut de minorité ; ils en seront d’autant plus féroces, éblouis par la couleur blanche de leur patriarcat écorné au point d’en oublier leur chute économique.
Comment dès lors nommer cette monstruosité économico-politique ? Steve Bannon, le très sombre conseiller spécial de Trump, parle d’un « nationalisme économique », une expression qui occulte le fait que ce n’est pas l’économie des nationaux qu’il s’agit de défendre, mais celle des moins-qu’un-pour-cent au pouvoir qui se servent du nationalisme comme bouclier immunitaire derrière lequel ils peuvent mener leurs actions dévastatrices en toute impunité. A ce titre, on pourrait proposer l’expression de décapitalisme, terme alliant le terme capitalisme avec celui de décapitation, pour définir le nouveau cadre national-économique. C’est en effet que le capitalisme de Trump et ses alliés ne se soucie ni des pauvres (auquel l’assurance-santé « Obamacare » sera bientôt retirée), ni des classes moyennes (majoritairement urbaines et ayant voté Clinton), ni des Universités (qui ont précisément eu pour fonction de former ces classes moyennes), ni des médias (auxquels Steve Bannon a conseillé de « la boucler »), ni des femmes (qu’on peut – selon l’élégante formule du nouveau président – « attraper par la chatte (grab them by the pussy) »), ni des noirs, des musulmans, des Mexicains, ni des autres nations en général, ni de l’environnement enfin puisque le changement climatique n’est autre qu’un « canular » inventé par les Chinois. Tel est le décapitalisme, une économie obscène qui s’exerce en décapitant les populations, accomplissant ainsi le vœu secret de l’économie financière : s’extraire enfin du monde des vivants.


« La scène politique attirera toujours des aventuriers irresponsables,

des ambitieux et des escrocs,

on ne cessera pas si facilement que cela de détruire notre planète. »

Vaclav Havel


Quelle est la prochaine étape ? Certains parlent aujourd’hui du passage d’un coup d’Etat économique à un coup d’Etat politique, comme Ruth Ben-Ghiat, professeur à New York University. Il est certain que le pouvoir exécutif semble s’être dangereusement autonomisé, que la communication officielle – sous le nom de « faits alternatifs » – ressemble à la propagande d’un 1984, aujourd’hui best-seller des ventes aux USA, que le vocabulaire même de Trump et de ses alliés a pour fonction de faire peur : choisissez « l’option nucléaire », disait récemment Trump aux Républicains afin de valider en force la nomination d’un nouveau juge à la cour suprême. 
 "Même si les tribunaux doivent un respect considérable aux politiques du président dans les domaines de l'immigration et de la sécurité nationale, il ne fait aucun doute que la justice fédérale conserve la faculté de se prononcer sur la constitutionnalité des décrets de l'exécutif".
Mais le plus inquiétant n’est hélas pas là. Imaginez un instant qu’un acte terroriste ensanglante les USA dans les jours, les semaines qui viennent ; voilà qui rendrait difficile le mouvement de manifestation actuel contre le Muslim ban, et porterait l’opinion en faveur d’un pouvoir exécutif fort. Et de la guerre, qui est aujourd’hui activement préparée contre plusieurs cibles potentielles (l’Iran, la Chine). Dès lors, pourquoi ne pas envoyer des chars dans les rues pour assurer la sécurité des populations ?
Ce scénario peut paraître improbable. A ce jour, la population des Etats-Unis, dans sa majorité, n’est pas favorable à Trump. Un coup d’Etat politique supposerait qu’armée, police, et justice soient du côté d’un passage à l’acte anti-démocratique. Mais tous ceux qui aujourd’hui s’opposent dans les rues, dans les aéroports, à la mise en place du décapitalisme, doivent savoir que l’histoire tend à insister, et à se répéter. On croyait impossible que Trump soit le candidat des Républicains, puis impossible qu’il soit président ; réfléchissons à deux fois avant de balayer d’un revers de main l’hypothèse d’un coup d’Etat. Les voix blanches et mâles qui ont voté pour Trump ne sont pas seulement l’écho d’une erreur passagère, elles ont eu le temps de se durcir au feu glacial du néolibéralisme, elles sont armées et souhaiteraient l’être plus encore. Elles aimeraient effacer le mouvement des droits civiques, l’avortement, le droit des femmes, et la remise en cause des genres.
Face à elles, il y a tous ceux que Trump ne trompe pas. Qui savent que les élites ne sont pas les professeurs ou les journalistes, mais les chefs d’entreprise désormais au pouvoir. Qui ont déferlé en masse le 21 janvier 2017, le jour qui a suivi l’inauguration de la nouvelle présidence. Ils sont aux abords des aéroports pour protester contre le Muslim ban. Ils s’opposent dans les Universités aux conférences des représentants de l’Alt-Right, la droite suprématiste blanche états-unienne. Ils suivent de près le cheminement de certains Démocrates qui croient – avec Bernie Sanders – en « Notre Révolution », mouvement naissant. Ils portent les couleurs de Black Lives Matter. Ils sont avec les Natifs qui s’opposent à la construction d’un oléoduc dans le Dakota du Nord. Ils échangent, s’organisent, et l’angoisse fait alors place à la colère, et la colère devient détermination. L’avenir des Etats-Unis d’Amérique dépend désormais de ceux qui n’offriront pas leur peur en guise de soumission.
Au coup d’Etat possible, ils opposeront la nécessité de continuer les luttes pour l’égalité. Devant l’homme qui se croit dans le haut château, se manifesteront les peuples du pays en partage.

Allons, consciences, debout ! éveillez-vous, il est temps !
Si la loi, le droit, le devoir, la raison, le bon sens, l'équité, la justice,

ne suffisent pas, qu'on songe à l'avenir.

Si le remords se tait, que la responsabilité parle !

« Le plus excellent symbole du peuple, c’est le pavé.

On lui marche dessus jusqu’à ce qu’il vous tombe sur la tête. »
Victor Hugo

Frédéric Neyrat
 Professeur dans le département de littérature comparée de l’Université Wisconsin-Madison

François Fillon nous insulte, nous, les journalistes, et maquille la vérité : ça suffit !




 
Chroniqueur politique





« Le fascisme, ce n’est pas d’empêcher de dire,
c’est d’obliger à dire. »

Roland Barthes






François Fillon a tenté de s'expliquer sur les emplois présumés fictifs de sa femme. Lors d'une opération pour faire diversion sur les incohérences, les approximations et les dissimulations  du candidat de la droite  et de son équipe.
Ce numéro de vérité alternative, digne de Donald Trump, sera peut-être gagnant, mais il n’est pas glorieux et assurément dangereux pour le mental de notre démocratie,

Taper sur les journalistes, c’est une affaire rentable. Dans les enquêtes d’opinion, notre profession est presque aussi détestée que la classe politique jusque dans les dîners de famille où nous devons invariablement défendre notre métier, notre déontologie et notre éthique, 
L’ancien Premier ministre qui, à Matignon, organisait des séances de vœux inutilement fastueuses pour nous présenter ses vœux, a donc déployé lundi après-midi toute sa hargne contre la presse accusée de "lynchage", et contre le tribunal médiatique dont il réfute le droit à le "juger".
Avec un culot incroyable il nous a fait la leçon : "Vous en avez un peu trop fait". Et, selon lui, "les Français seraient tout doucement en train de s’en rendre compte". Nous aurions donc délibérément "assassiné politiquement" et "pendant dix jours" un "candidat à l’élection présidentielle" sans qu’aucun d’entre nous n’ait eu "d’interrogations sur la violence de la semaine qui vient de se produire". Autrement dit, si on le comprend bien, nous ne serions qu’une meute des chiens enragés, sans conscience, excités par des "officines", qui n’hésiteraient pas à mettre en danger le fonctionnement de la démocratie en déstabilisant au pire moment le champion désigné par les primaires de la droite et du centre.


En disant cela, François Fillon sait parfaitement qu’il agite un fantasme populaire. C’est un enfumage spectaculaire, qu’il a peut-être réussi, d’ailleurs, l’avenir le dira. Car son "opération vérité" est une opération de diversion pour culpabiliser ces médias voyous : ils ont commis la faute de découvrir que son habit d’honnête homme n’était pas sans tâche. Ils ont eu l’impudence, ces chacals de s’intéresser à ses petites affaires familiales et, ce faisant, de s’interroger sur son rapport à l’argent. Un crime de la transparence, mesdames et messieurs. Si on n’a plus droit à un peu d’intimité. Si, un parlementaire doit justifier de l’utiliser de l’argent public qui lui est confié pour rémunérer ses collaborateurs, où va-t-on ? La séparation des pouvoirs est en péril ! Ce n’est pas un peu gros ? 



Après 32 ans d’ancienneté dans le métier politique, François Fillon fait mine de s’étonner qu’un candidat à la présidentielle, jusque-là, favori, puisse faire l’objet d’une radiographie sans complaisance de son passé, de ses pratiques, de ses comportements, comme s’il s’agissait d’une inquisition des temps modernes. Est-ce si scandaleux à l’égard de l’intéressé qui prétend n’avoir "rien à cacher" ? 

Cette curiosité est tout simplement normale, Monsieur Fillon. Elle est simplement saine. Il n’y aurait pas eu d’affaire Fillon, si, comme de nombreux députés anonymes, vous aviez respecté non seulement le cadre légal pour choisir vos collaborateurs – personne ne vous a obligé à rémunérer votre épouse au foyer et vos enfants encore étudiants – mais aussi le cadre moral, et une simple décence.

La méfiance envers les politiques et le "tous pourris" ne datent pas de 2013. Ils auraient dû vous inciter bien plus tôt à la prudence et à la dignité. Nous connaissons des dizaines de parlementaires qui s’appliquent des règles strictes qui vont bien au-delà du "c’est légal" dont vous vous faites un bouclier et n’en font pas toute une histoire. C’est simplement normal… On peut légitimement attendre d’un prétendant à la magistrature suprême qu’il soit particulièrement exemplaire, non ? 

Quant à "la chasse à l’homme" que vous dénoncez si vous aviez été clair dès le départ sur l’emploi, plus que douteux, de votre épouse et de vos enfants, en sus de votre propre salaire et de vos indemnités de représentation. Vous auriez dû comprendre qu’il y avait de quoi choquer des millions de foyers français qui peinent, eux, à atteindre la barre d’un salaire médian (2.389 euros mensuels). Quant à vos approximations, vos silences, vos changements de version, ce sont toutes ces manœuvres dilatoires qui ont fait durer le plaisir.  

Hier vous nous avez accusés collectivement de mener un "procès diffamatoire et calomnieux" mais, dans la même conférence de presse, vous avez reconnu la réalité des faits que nous n’avons faits que relater. Vous vous en êtes même excusé ! Vous avez implicitement admis que nous ne vous avons donc ni diffamé, ni calomnié, mais vous l’avez quand même prétendu !
 Vous nous morigénez sur la vérité, que nous nous attachons à faire apparaître : vous vous affranchissez vous-même de toute rigueur sur ce terrain, mélangeant les sommes et les années sur quinze ans (gros trous compris) pour aboutir à une moyenne plus présentable des gains de votre épouse, parlant cette fois en "net" (3.677 euros), parce que ça les rend moins impressionnants.

Vous êtes Très adroit pour vous racheter à bon compte sur notre dos. Les méchants, c’est nous. Sauf que les petits mensonges, c’est quand même vous. Vos enfants étaient, selon vous, "avocats", et nous avons découvert qu’ils étaient étudiants rémunérés comme assistants parlementaires. Votre femme nous dit face caméra qu’elle n’a jamais été votre assistante et vous nous expliquez qu’on a mal compris une émission "en anglais" et les propos "tout en pudeur" de Pénélope. Ce n’est pas sérieux… la même journaliste a démenti formellement toute intiative de ce genre et confirmé les faits ! Comment vous croire après ça ?

Le plus formidable, c’est qu’un certain nombre d’observateurs vous ont trouvé "bon" dans votre numéro de maquillage des faits. Vous avez été agile, c’est vrai. Peut-être allez vous-même réussir à abuser l’opinion, et à acheter la lâcheté de votre camp, avec le bel emballage de vertu outragée dont vous enveloppez vos petits bobards. Tant mieux pour vous, si votre orgueil et votre conscience s’accommodent de cet arrangement avec vous-même.

« A quelques-uns l’arrogance tient lieu de grandeur ;

l’inhumanité de fermeté ;

et la fourberie, d’esprit. »

Jean de La Bruyère


Comme le fait Donald Trump, Vous piétinez la presse tout en sachant pertinemment que c’est dangereux, Le mal est fait. Cela vous ouvrira peut être les portes de l’Élysée, mais en chemin, vous aurez perdu l’essentiel : l’honneur.

« Tant de gens échangent volontiers l'honneur contre les honneurs. »

Alphonse Karr