Dans
l’affaire Fillon, une certaine droite a révélé avec brutalité ce que, en
temps normal, elle s’emploie si bien à dissimuler : une culture patriarcale si profondément ancrée qu’elle semble n’en
avoir même plus aucune conscience.
Penelope
Fillon ne parle pas. Depuis bientôt trois semaines, et les premières
révélations du Canard enchaîné sur son emploi présumé fictif d’attachée
parlementaire, la femme de l’ancien premier ministre n’a toujours pas dit un
mot. Peut-être n’en a-t-elle pas envie. Peut-être, aussi, n’y a-t-elle pas été
autorisée.
Car dans le monde de François Fillon, c’est au pater familias, celui
qui a « le cuir solide », celui qui n’a « peur de
rien », comme il l’a
virilement affirmé au meeting de la Villette, de venir au front
quand on s’en prend à « sa femme ».
Penelope
Fillon, elle, alors que les éléments les plus accablants sur ses
« activités » s’accumulent, reste dans l’ombre qu’elle aime tant.
Nous dit-on. Celle du fond des salles, la place, apprend-on, qu’elle préfère.
« Pour moi, la femme idéale,
c’est la femme corrézienne, celle de l’ancien temps, dure à la peine, qui sert
les hommes à table, ne s’assied jamais avec eux et ne parle pas »,
lançait en 1978 Jacques Chirac.
Penelope
Fillon n’est pas loin d’approcher cette perfection de modestie. Ces jours
derniers, les amis politiques de l’ancien premier ministre se relaient ainsi
pour vanter, jusqu’à la nausée, sa « discrétion ».
Dans le monde de François Fillon, qui fleure bon le XIXe
siècle et n’a pas été défiguré par les combats du MLF, il n’y a plus belle
qualité féminine que la discrétion. L’effacement est même, pour ce sexe, la
vertu suprême.
Bien sûr, sous le feu
des attaques des « officines », il a bien fallu un peu
l’exhiber. Il
a bien fallu montrer cette femme aux caméras et lui clamer devant
« quinze mille témoins » qu’on « l’aime ». Après
tout, peut-être sans qu’elle en ait une claire conscience, son emploi
d’assistante parlementaire a rapporté au foyer près de 800 000 euros.
Gênée et un peu hagarde, on la vit ainsi assister à une interminable standing
ovation pour sa personne, lancée par la porte-parole de François Fillon, et
ce au seul motif qu’elle est soupçonnée d’avoir pendant des années occupé un
emploi fictif aux frais du contribuable.
Pour l’empêcher de flancher, ou lui "rappeler de la boucler", elle était à cet instant étroitement chaperonnée par
une kyrielle d’hommes en costumes cravate.
L’épouse du candidat à
l’élection présidentielle ne s’exprime plus qu’à travers des vidéos d’archives
où elle apparaît en femme au foyer au bord du gouffre.
Seuls les policiers ont pu la questionnée
sur son emploi auprès du député de la Sarthe, Marc Joulaud, de mai 2002 au
31 août 2007, époque où François Fillon fut successivement ministre,
sénateur, puis premier ministre. Sa
rémunération – dont le montant aurait été fixé par M. Joulaud, en contradiction apparente avec les propos de M.
Fillon sur procès-verbal, revendiquant pour sa part avoir décidé de son
salaire. C’est M. Fillon qui se serait occupé des formalités
administratives : impôts, Urssaf… –
était versée sur son compte personnel,
puis reversée sur le compte joint du couple Fillon.
« Les gens ne savaient pas [qu’elle était] l’assistante parlementaire de M. Joulaud ».
Elle l’a avoué aux policiers : « Jamais je n’ai officialisé ma
qualité d’assistante parlementaire de Marc Joulaud, pas plus que quand je
faisais le même travail
pour mon mari. »
En s’y décrivant, dans la vidéo exhumée par « Envoyé spécial », avec une infinie mélancolie comme une épouse soumise obligée de faire des « choses horriblement ennuyeuses », elle jette une lumière crue sur l’envers du décor de cette droite patriarcale qu’incarne si bien François Fillon.
Cette droite qui continue de penser que la
loi sur la parité était un coup de poignard dans le dos et persiste à préférer
payer des amendes que de laisser les femmes accéder aux responsabilités. « Qu’on laisse ma femme en dehors de
ce débat politique »,
clamait François Fillon à son grand meeting de la Villette. Et il n’était pas
difficile d’entendre « qu’on laisse
les femmes en dehors du débat politique ».
Dans le monde de
François Fillon, l’asservissement de la femme dans la domesticité n’a rien de « politique ».
C’est une tradition.
Dans un meeting, il proposait même, on n’arrête
pas le progrès, de créer un « statut » de la femme au foyer.
Certes,
cette assignation à résidence n’est pas toujours très épanouissante et Penelope
Fillon le dit sans ambages. Elle qui assure vouloir reprendre des études pour
montrer à ses cinq enfants qu’elle n’est pas « si stupide ».
Seulement, dans le monde de François Fillon, qu’elle ait passé un diplôme
d’avocat ne doit surtout pas l’empêcher de vivre pleinement son rôle de mère.
« Si je n’avais pas
eu le dernier, je serais sans doute allée chercher un travail », dit-elle avec regrets.
Dommage que dans ce monde les chefs de famille ne soient pas, « à titre personnel »,
pour le droit des femmes à disposer de leur corps.
Ouverte
initialement pour « détournements de
fonds publics », « abus de biens
sociaux » et « recel de ces délits », l’enquête pourrait
s’étendre à de nouveaux faits, embarrassants pour M. Fillon. Les enquêteurs ont
adressé la semaine dernière une réquisition judiciaire à la grande chancellerie
de la Légion d’honneur afin de se faire communiquer le dossier de Marc Ladreit
de Lacharrière. Les magistrats du PNF et les policiers de l’Office central de
lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF)
s’interrogent sur les raisons pour lesquelles le propriétaire de la Revue
des deux mondes a accepté de salarier, de mai 2012 à décembre 2013,
moyennant 5 000 euros brut par mois, pour un travail dont ils doutent de la
réalité, la femme de M. Fillon.
Or, l’année précédente, le patron du groupe Fimalac s’était vu remettre une décoration...
Alors qu’il annonce cette semaine une puissante contre-offensive médiatique, sûrement pleine de « coups d’État institutionnels » et de « barbouzerie d’officine », François Fillon ne pourra faire oublier ce que d’habitude une certaine classe politique s’emploie si bien à cacher : la violence inouïe de sa culture archaïque et patriarcale. Les masques sont tombés.
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