c’est d’obliger à dire. »
Roland Barthes
François Fillon a tenté de s'expliquer sur les emplois présumés fictifs de sa femme. Lors d'une opération pour faire diversion sur les incohérences, les approximations et les dissimulations du candidat de la droite et de son équipe.
Ce
numéro de vérité alternative, digne de Donald Trump, sera peut-être gagnant,
mais il n’est pas glorieux et assurément dangereux pour le mental de notre
démocratie,
Taper
sur les journalistes, c’est une affaire rentable. Dans les enquêtes d’opinion,
notre profession est presque aussi détestée que la classe politique jusque dans
les dîners de famille où nous devons invariablement défendre notre métier,
notre déontologie et notre éthique,
L’ancien
Premier ministre qui, à Matignon, organisait des séances de vœux inutilement fastueuses
pour nous présenter ses vœux, a donc déployé lundi après-midi toute sa hargne
contre la presse accusée de "lynchage", et contre le tribunal
médiatique dont il réfute le droit à le "juger".
Avec
un culot incroyable il nous a fait la leçon : "Vous en avez un peu
trop fait". Et, selon lui, "les Français seraient tout doucement en
train de s’en rendre compte". Nous aurions donc délibérément
"assassiné politiquement" et "pendant dix jours" un
"candidat à l’élection présidentielle" sans qu’aucun d’entre nous
n’ait eu "d’interrogations sur la violence de la semaine qui vient de se
produire". Autrement dit, si on le comprend bien, nous ne serions qu’une
meute des chiens enragés, sans conscience, excités par des
"officines", qui n’hésiteraient pas à mettre en danger le
fonctionnement de la démocratie en déstabilisant au pire moment le champion
désigné par les primaires de la droite et du centre.
En
disant cela, François Fillon sait parfaitement qu’il agite un fantasme
populaire. C’est un enfumage spectaculaire, qu’il a peut-être réussi,
d’ailleurs, l’avenir le dira. Car son
"opération vérité" est une opération de diversion pour culpabiliser
ces médias voyous : ils ont
commis la faute de découvrir que son habit d’honnête homme n’était pas sans
tâche. Ils ont eu l’impudence, ces chacals de s’intéresser à ses petites
affaires familiales et, ce faisant, de s’interroger sur son rapport à l’argent.
Un crime de la transparence, mesdames et messieurs. Si on n’a plus droit à un
peu d’intimité. Si, un parlementaire
doit justifier de l’utiliser de l’argent public qui lui est confié pour
rémunérer ses collaborateurs, où va-t-on ? La séparation des pouvoirs
est en péril ! Ce n’est pas un peu gros ?
Après
32 ans d’ancienneté dans le métier politique, François Fillon fait mine de
s’étonner qu’un candidat à la présidentielle, jusque-là, favori, puisse faire
l’objet d’une radiographie sans complaisance de son passé, de ses pratiques, de
ses comportements, comme s’il s’agissait d’une inquisition des temps modernes. Est-ce si scandaleux à l’égard de
l’intéressé qui prétend n’avoir "rien à cacher" ?
Cette
curiosité est tout simplement normale, Monsieur Fillon. Elle est simplement
saine. Il n’y aurait pas eu d’affaire Fillon, si, comme de nombreux députés
anonymes, vous aviez respecté non seulement le cadre légal pour choisir vos
collaborateurs – personne ne vous a obligé à rémunérer votre épouse au foyer et
vos enfants encore étudiants – mais aussi le cadre moral, et une simple
décence.
La
méfiance envers les politiques et le "tous pourris" ne datent pas de
2013. Ils auraient dû vous inciter bien plus tôt à la prudence et à la dignité.
Nous connaissons des dizaines de
parlementaires qui s’appliquent des règles strictes qui vont bien au-delà du "c’est
légal" dont vous vous faites un bouclier et n’en font pas toute une
histoire. C’est simplement normal… On peut légitimement attendre d’un
prétendant à la magistrature suprême qu’il soit particulièrement exemplaire,
non ?
Quant
à "la chasse à l’homme" que vous dénoncez si vous aviez été clair dès
le départ sur l’emploi, plus que douteux, de votre épouse et de vos enfants, en
sus de votre propre salaire et de vos indemnités de représentation. Vous auriez
dû comprendre qu’il y avait de quoi choquer des millions de foyers français qui
peinent, eux, à atteindre la barre d’un salaire médian (2.389 euros mensuels).
Quant à vos approximations, vos silences, vos changements de version, ce sont
toutes ces manœuvres dilatoires qui ont fait durer le plaisir.
Hier
vous nous avez accusés collectivement de mener un "procès diffamatoire et
calomnieux" mais, dans la même conférence de presse, vous avez reconnu la réalité des faits que nous n’avons faits que
relater. Vous vous en êtes même excusé ! Vous avez implicitement admis que
nous ne vous avons donc ni diffamé, ni calomnié, mais vous l’avez quand même
prétendu !
Vous nous morigénez sur
la vérité, que nous nous attachons à faire apparaître : vous vous
affranchissez vous-même de toute rigueur sur ce terrain, mélangeant les sommes
et les années sur quinze ans (gros trous compris) pour aboutir à une moyenne plus
présentable des gains de votre épouse, parlant cette fois en "net" (3.677 euros),
parce que ça les rend moins impressionnants.
Vous
êtes Très adroit pour vous racheter à bon compte sur notre dos. Les méchants,
c’est nous. Sauf que les petits mensonges, c’est quand même vous. Vos enfants
étaient, selon vous, "avocats", et nous avons découvert qu’ils
étaient étudiants rémunérés comme assistants parlementaires. Votre femme nous
dit face caméra qu’elle n’a jamais été votre assistante et
vous nous expliquez qu’on a mal compris une émission "en anglais" et
les propos "tout en pudeur" de Pénélope. Ce n’est pas sérieux… la
même journaliste a démenti formellement toute intiative de ce genre et confirmé
les faits ! Comment vous croire après ça ?
Le plus formidable,
c’est qu’un certain nombre d’observateurs vous ont trouvé "bon" dans
votre numéro de maquillage des faits. Vous avez été agile, c’est vrai. Peut-être allez vous-même réussir à abuser
l’opinion, et à acheter la lâcheté de votre camp, avec le bel emballage de
vertu outragée dont vous enveloppez vos petits bobards. Tant mieux pour vous,
si votre orgueil et votre conscience s’accommodent de cet arrangement avec
vous-même.
« A quelques-uns l’arrogance tient lieu de grandeur ;
l’inhumanité de fermeté ;
et la fourberie, d’esprit. »
Jean de La Bruyère
Comme le fait Donald Trump, Vous piétinez la
presse tout en sachant pertinemment que c’est dangereux, Le mal est fait. Cela vous ouvrira peut
être les portes de l’Élysée, mais en chemin, vous aurez perdu
l’essentiel : l’honneur.
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