mercredi 20 juin 2018

Migrants, Unesco, climat : comment les Etats-Unis sortent des accords internationaux


Le retrait du Pacte mondial sur la migration, samedi, n’est que le dernier exemple en date de la politique isolationniste de Trump.

« Nos décisions sur les politiques d’immigration doivent toujours être prises par les Américains et les seuls Américains. » C’est ainsi que l’ambassadrice des Etats-Unis aux Nations Unies a justifié samedi 2 décembre son retrait du Pacte mondial pour la gestion des migrants et réfugiés. Depuis un an, ce principe de « l’Amérique d’abord » a déjà conduit le président américain Donald Trump à se retirer de plusieurs accords internationaux majeurs ou à les critiquer dans de nombreux domaines.

Critique générale des Nations unies. M. Trump demande une réforme de l’ONU dont il dénonce « la bureaucratie » et la « mauvaise gestion » alors que Washington est le premier contributeur financier de l’organisation. Jeudi, l’ambassadrice américaine Nikki Haley a souligné que Washington poursuivrait l’évaluation de son « niveau d’engagement » au sein de « toutes les agences du système des Nations unies ».
·         Retrait du Pacte sur les migrants. En septembre 2016, les 193 membres de l’Assemblée générale de l’ONU avaient adopté à l’unanimité un texte appelé Déclaration de New York pour les réfugiés et les migrants qui vise à améliorer à l’avenir leur gestion internationale (accueil, aide aux retours…). Il devait servir de base pour créer un Pacte mondial sur les migrants et réfugiés en 2018. La mission américaine auprès de l’ONU a annoncé samedi que les Etats-Unis mettaient fin à leur participation à ce pacte car la déclaration adoptée « comprend plusieurs dispositions qui sont incompatibles avec les politiques américaines d’immigration et de réfugiés et les principes édictés par l’administration Trump en matière d’immigration ».
 
·         Retrait de l’Unesco. Les Etats-Unis ont annoncé le 12 octobre qu’ils se retiraient de l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco), accusant l’institution d’être « anti-israélienne ». Les Etats-Unis conserveront un statut d’observateur jusqu’à leur retrait effectif à la fin 2018.


Séparation des familles de migrants aux Etats-Unis

Le président américain a revendiqué lundi son extrême fermeté aux frontières malgré le tollé provoqué par la séparation de plus de 2300 mineurs arrachés à leurs parents sans papiers.

 Democrats are the problem. They don’t care about crime and want illegal immigrants, no matter how bad they may be, to pour into and infest our Country, like MS-13. They can’t win on their terrible policies, so they view them as potential voters!  (Les démocrates sont le problème. Ils se fichent du crime et veulent que les immigrants illégaux, aussi mauvais qu'ils soient, se déversent dans notre pays et l'infestent, comme MS-13. Ils ne peuvent pas gagner sur leurs politiques terribles, alors ils les considèrent comme des électeurs potentiels!)

Pour illustrer son propos, il a agité le spectre de la crise migratoire en Europe, n’hésitant pas à prendre parti contre la chancelière allemande Angela Merkel dans la crise politique qui menace sa coalition. “Le peuple allemand est en train de se retourner contre ses dirigeants sur l’immigration […]. La criminalité en Allemagne est très en hausse […]. Nous ne voulons pas que ce qui se passe avec l’immigration en Europe se passe aussi chez nous!” 

Tenant le cap malgré le déluge de critiques, Donald Trump assumait toujours, mardi 19 juin, sa politique de « tolérance zéro » aux frontières, appelant les républicains à avancer sur une vaste réforme de l’immigration qui mettrait fin aux séparations des familles de clandestins tout en finançant son mur à la frontière avec le Mexique.

Entre le 5 mai et le 9 juin, 2 342 jeunes migrants ont été séparés de leur famille, fuyant pour la plupart la violence qui ronge l’Amérique centrale. La politique du président états-unien prévoit que tous les clandestins franchissant illégalement la frontière soient poursuivis au pénal. Or les enfants ne peuvent pas être incarcérés, et sont donc séparés de leurs parents. Les précédents gouvernements avaient privilégié des poursuites au civil, ce qui évitait ces situations.
 « Tant que l’administration Trump continuera cette politique inhumaine, la Virginie n’assignera aucune ressource à des opérations de surveillance de la frontière qui pourraient activement ou tacitement participer à une telle politique », a pour sa part fait savoir le gouverneur démocrate Ralph Shearer Northam.

A l’étranger, le Mexique condamne
« Je veux au nom du gouvernement et du peuple mexicain exprimer la plus catégorique et énergique condamnation de cette politique cruelle et inhumaine », a déclaré le ministre des affaires étrangères mexicain, Luis Videgaray, mardi, en conférence de presse. « Nous lançons un appel au gouvernement américain, au plus haut niveau, pour qu’il reconsidère cette politique et donne priorité au bien-être et aux droits des petits garçons et petites filles, indépendamment de leur nationalité et de leur situation migratoire », a déclaré M. Videgaray.
Le Canada est « interloqué »
Au nord, le Canada est « interloqué » par la séparation des familles de migrants qui entrent clandestinement aux Etats-Unis, a dit mardi le ministre de l’immigration, Ahmed Hussen, notant qu’Ottawa « surveille » le respect du droit d’asile par les autorités américaines. « Ce qui se passe aux Etats-Unis est tout simplement inacceptable », a même ajouté Marc Garneau, ministre des transports, s’exprimant lui aussi devant les députés fédéraux.
Le Guatemala a lui aussi exprimé mardi sa « préoccupation » face aux séparations de familles arrivant clandestinement aux Etats-Unis. Le Chili également, par la voix de son ministre des affaires étrangères, Roberto Ampuero, a dénoncé mardi la politique du président Trump.
Les médiateurs des droits de l’homme du Mexique, de Colombie, d’Equateur, du Guatemala et du Honduras ont demandé à la Cour interaméricaine des droits de l’homme d’intervenir pour stopper cette politique « dangereuse ».


dimanche 17 juin 2018

Aquarius : le "J'accuse" de Christiane Taubira

Janvier 1939. Barcelone tombe aux mains des franquistes, auxquels fascistes et nazis ont prêté main-forte. Ils sont un million, en noir et blanc sur les photos d'alors, à traverser les Pyrénées. Des combattants républicains et surtout des femmes, des enfants, des hommes ordinaires, et Antonio Machado, qui repose à Collioure. Ni le choc esthétique du Guernica de Picasso, ni L'Espoir, de Malraux, ni les écrits brûlants de Camus, ni Les Grands Cimetières sous la lune, de Bernanos, pas plus que les lettres de Simone Weil n'adouciront leur sort. Ils sont regroupés, isolés, mal nourris. L'inactivité, le désespoir, les conditions d'hygiène, l'hiver ont raison de nombre d'entre eux.
Tandis que le gouvernement pérore, des associations organisent la solidarité. "Du lait pour les enfants d'Espagne", disent alors les affiches. La collecte va bon train. Des bénévoles s'activent, comme sur l'Aquarius aujourd'hui. Ces réfugiés espagnols seraient 600.000 à être restés dans leur patrie d'accueil. Qui alléguerait aujourd'hui qu'ils l'aiment moins que ceux qui y naquirent par hasard?
Il n'est pas question de dire ici qu'il est simple d'accueillir. Il ne s'agit ni d'enjoliver, ni de banaliser, ni même de dédramatiser
 Boat people. Deux mots secs. Pour dire l'effarement devant les images. De frêles embarcations, surchargées, photographiées de haut, comme perdues au mitan d'une mer sans rivage. En 1975, ils viennent de loin, du Vietnam et du Cambodge. Ils échappent aux représailles de fin de guerre ou fuient les Khmers rouges du "Kampuchéa démocratique". Ils sont des dizaines de milliers. Cette fois, le gouvernement laisse la Croix-Rouge et le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés organiser leur accueil en France. D'autres associations viennent à la rescousse. Comme sur l'Aquarius aujourd'hui. Ces réfugiés vietnamiens et cambodgiens firent ici leur vie et leurs enfants. Qui alléguerait que…?
La guerre d'Algérie prend un tournant. Décisif. Ils reviennent, les mains nues et pour la plupart inconsolables. Ils sont français, certes, mais partis depuis longtemps ou nés là-bas. Ils sont pieds-noirs, harkis, d'abord quelques milliers. De Gaulle et Peyrefitte sont inquiets, persuadés que la tâche est insurmontable. Où trouver du travail, des logements, des écoles ? Ils seront un million en trois ans. Regroupés, maltraités, livrés au froid et à l'inaction. Les services sociaux sont débordés. Des bénévoles… comme sur l'Aquarius aujourd'hui. Ils ont refait leur vie. Leurs enfants ont grandi. Avec des souvenirs, un peu d'amertume, beaucoup de fierté et une grande combativité. Qui alléguerait que… ?
A l'orée de la décennie 1990, la guerre des Balkans jette sur les routes d'Europe des colonnes silencieuses et accablées, invariablement composées d'enfants au regard étonné, de femmes qui s'obstinent à rester propres et dignes, d'hommes qui tentent de brider l'humiliation de n'être qu'un parmi d'autres dans une foule. Ils sont nombreux à être repartis, dès l'ombre de la paix revenue.
Il n'est pas question de dire ici qu'il est simple d'accueillir. Il ne s'agit ni d'enjoliver, ni de banaliser, ni même de dédramatiser. Ce n'est pas un conte. La population augmenta par pics et il en résulta sans doute des pressions sur les services publics, il fallut partager, il y eut des tensions. Mais le fait est : la société ne s'est ni effondrée ni même affaiblie. Elle absorba une part du monde et s'en épanouit, dans sa langue, sa gastronomie, ses arts, ses artisanats, sa littérature…

Jamais dans l'histoire, lorsqu'il fallut accueillir une part du monde, la société ne s'est effondrée ni même affaiblie
Non, il ne s'agit pas de banaliser. Les époques ne sont pas comparables, les personnes ne sont pas interchangeables, les histoires ne sont pas semblables. Il ne s'agit pas de dédramatiser. Oui, ce sont des drames qui se déroulent sous nos yeux. Drames de la guerre et des bombardements auxquels parfois nous prenons part. Drame des dictatures. Drame de la misère et de la pauvreté. Drame des bouleversements climatiques que notre consumérisme accélère. Drame de l'inefficacité de nos gouvernements martiaux contre les criminels de la traite des personnes.
L'Europe avait une occasion d'exister, de retrouver son magistère éthique sur une scène internationale pleine de fracas, où prospèrent la crânerie, la fourberie, l'ivresse de l'impunité, le désarroi. Elle avait l'opportunité et la capacité de prouver que ses chartes et conventions ne sont pas que chiffons de papier. Ce faisant, elle acquérait l'autorité morale pour impulser cette "gouvernance mondiale des mobilités humaines", urgente et indispensable, dont, avec d'autres, Mireille Delmas-Marty a exposé le bien-fondé.
Au lieu de cela, la panique gagne. La chancelière recule, l'Italie bascule, et chez nous, la parole officielle fait des gammes sur la misère du monde après des trémolos sur les personnes sans abri et les personnes réfugiées qui, en quelques mois, étaient censées ne plus se trouver à la rue. Chez nous encore, des porte-parole font dans le marketing de l'oxymore avec la "fermeté-humanité". Chez nous toujours, des ministres font dans l'anglicisme de l'indécence sur le shopping et le benchmarking. Quand ce n'est pas carrément le silence… Pendant ce temps, dans toute l'Europe, cette impuissance fait la courte échelle aux extrémistes irresponsables et fanfarons. Espagne, notre lueur…

Christiane Taubira