jusqu’au bout de la déchéance!
Durant son quinquennat, François
Hollande aura dynamité le code du travail avec plus de violence que tous les
gouvernements de droite réunis depuis trois décennies. Il aura aussi tourné le
dos à l'histoire et aux valeurs de la gauche. La rupture dans la politique
sociale est aussi spectaculaire qu'elle l'est en matière de libertés publiques.
C’est comme une interminable descente aux enfers ! À chaque
nouvelle annonce faite par François Hollande ou par Manuel Valls, on se prend à
penser que, décidément, avec eux, on touche le fond ; que rarement des
dignitaires socialistes auront à ce point piétiné les promesses faites à leurs
électeurs, en même temps que leurs propres valeurs. Et pourtant non ! À
chaque fois, on est saisi par un sentiment de sidération, parce que le fond est
plus bas que l’on pensait, encore plus bas, toujours plus bas…
Ainsi donc, la France
vit depuis plusieurs mois, avec la déchéance de nationalité – projet qui a
été emprunté au programme du Front national – et la constitutionnalisation
de l’état d’urgence, une séquence infernale dont on peut déjà tirer un premier
enseignement : depuis la guerre
d’Algérie, aucun gouvernement, de gauche comme de droite, n’aura plus attenté
aux valeurs de la République et mis en danger les libertés publiques que ne
l’aura fait celui de Manuel Valls. Et voici que cette séquence n’est pas
même refermée qu’une autre commence, avec l’annonce d’une nouvelle rafale de
dispositions visant à démanteler le code du travail, qui invite à un constat
symétrique : depuis la Libération,
jamais un gouvernement, de gauche comme de droite, n’aura à ce point autant
dérégulé le marché du travail que celui du même Manuel Valls.
En d’autres temps, Lionel Jospin s’était indigné que l’on puisse
dire qu’entre 1997 et 2002, du temps où il était premier ministre, il avait
plus privatisé que ne l’avaient fait avant lui les gouvernements de droite
depuis 1986 – ce qui est pourtant la stricte vérité. Pour François Hollande, on pourra faire bientôt une remarque
voisine : durant son quinquennat, il aura plus démantelé le code du
travail que ne l’ont fait les gouvernements de droite ces dernières décennies.
Pour être plus précis, il aura plus pris de mesures de dérégulation à lui tout
seul que tous les gouvernements de droite réunis, depuis qu’au début des années
1980 la vague néolibérale a déferlé. Lorsque l’on scrute le projet de loi sur
le travail de la ministre Myriam El Khomri, il y a en effet deux constats
qui s’imposent à l’esprit. D’abord, ce coup de boutoir contre le code du
travail vient après beaucoup d’autres qui ont été donnés depuis 2012 ; et
en bout de course, la présidence de François Hollande aura donc bel et bien été
la plus réactionnaire que la France ait connue depuis l’après-guerre. Ensuite,
le projet de loi sur le travail présente une singularité : le gouvernement
ne se soucie plus des apparences et, sans même prétendre fallacieusement qu’il
conduit une politique sociale-libérale, il se borne à reprendre les mesures les
plus radicales revendiquées par le Medef.
Les puissances du capitalisme financier
avaient un plan de grande envergure, rien de moins que de créer un système
mondial de contrôle financier dans les mains du secteur privé capable de
dominer le système politique de chaque pays et l'économie mondiale d'un seul
tenant.
The powers of
financial capitalism had a far-reaching (plan), nothing less than to create a
world system of financial control in private hands able to dominate the
political system of each country and the economy of the world as a whole.
Carroll Quigley
Que l’on veuille bien
en effet se replonger en arrière, dans le bilan social des gouvernements de
droite depuis près de trente ans, la dérégulation sociale est un débat
récurrent, mais chaque gouvernement pris isolément n’a guère osé engager des
réformes, ou alors qu’une seule véritable, et avec d’infinies précautions.
C’est le cas par
exemple du gouvernement de Jacques Chirac, de 1986 à 1988. À l’époque, le
président du CNPF (l’ancêtre du Medef), Yvon Gattaz (le père de Pierre Gattaz),
avait haussé le ton dans le débat public, pour revendiquer la création de ce
qu’il avait appelé avec beaucoup de cynisme des « ENCA » – pour « Emplois
nouveaux à contrainte allégée » – promettant que si sa demande était
exaucée, des centaines de milliers d’emplois verraient le jour. La demande
avait tellement inquiété que la revue Droit social, par un
formidable professeur de droit du travail, Jean-Jacques Dupeyroux, avait
organisé au début de 1986 un colloque à Montpellier qui avait eu un très grand
retentissement parce qu’elle l’avait placé sous cette interpellation
– qui, dans ces années-là, était nouvelle et semblait provocatrice : « Faut-il
brûler le code du travail ? » – colloque dont la revue a peu
après publié les actes (Droit social, no spécial,
juillet-août 1986).
Voulant mimer ce que Ronald Reagan a entrepris aux
États-Unis et Margaret Thatcher en Grande-Bretagne, Jacques Chirac promet donc
qu’il va, lui aussi, engager la France dans la voie de la déréglementation
sociale. Mais il n’avance finalement qu’avec la plus extrême prudence, tout comme
son ministre du travail, Philippe Séguin, en ne prenant en réalité qu’une
mesure forte : la suppression de l’autorisation administrative préalable
aux licenciements. Ce qui, à l’époque, offusque les socialistes, qui promettent
en cas d’alternance de rétablir cette autorisation administrative. Soit dit en
passant, les centaines de milliers
d'emplois nouveaux promis par Gattaz père n'ont pourtant jamais été créés...
De la loi quinquennale
pour l’emploi et la formation professionnelle qui voit le jour en décembre
1993, sous le gouvernement d’Édouard Balladur, on peut dire à peu près la même
chose. S’il s’agit d’une réforme beaucoup plus ample, contenant une rafale
innombrable de dispositions, multipliant les allègements de cotisations
sociales, des dispositions d’aménagement et de modulation du temps de travail
ou favorisant les emplois familiaux, une seule mesure importante visait à
modifier la nature du contrat de travail : il s’agissait de créer des
contrats à durée déterminée, compris entre six mois et un an, et renouvelable
une fois, destinés aux jeunes de moins de 26 ans. Mais on sait ce qu’il en est
advenu. Baptisé « Contrat d’insertion professionnelle » (CIP), ce
projet de contrat a été aussitôt rebaptisé « Smic jeunes » par les
centaines de milliers de lycées et étudiants qui ont déferlé dans la rue à la
fin du mois de février 1994, si bien que le 30 mars 1994, le premier ministre
Édouard Balladur a été dans l'obligation de retirer son projet. De la
dérégulation sociale, on a donc encore beaucoup parlé, lors de cette seconde
cohabitation, mais les avancées néolibérales n'ont pas été spectaculaires.
Dans les années qui suivent l’alternance
de 2002, la déréglementation sociale accélère, en parallèle aux avancées de la
mondialisation. Mais les gouvernements successifs, celui de Jean-Pierre
Raffarin, et après celui de Dominique de Villepin engagent toujours des
réformes avec circonspection. De nouvelles formes d’emplois dérégulés sont
créées, comme le contrat d’accompagnement dans l’emploi ou le contrat d’avenir
qui figurent dans la loi de programmation pour la cohésion sociale, présentée
par Jean-Louis Borloo ; ou le contrat première embauche (CPE) de Dominique
de Villepin. Mais tous ces contrats visent insidieusement à contourner le
contrat à durée indéterminée (CDI), pas encore à le remettre en cause
frontalement.
La décisive inversion de
la hiérarchie des normes sociales
Tout aussi
symboliquement, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin engage une réforme
sociale majeure – une contre-réforme, en fait – en décembre 2003,
mais les choses se passent dans ces années-là, si l’on peut dire, en
crabe : il s’agit de la réforme dite de l’inversion de la hiérarchie des
normes sociales. Comme l’avait expliqué le 11 décembre 2003, lors d'une motion
d'irrecevabilité, le député socialiste Alain Vidalies – il a depuis abjuré
toutes ses convictions ! –, cette hiérarchie était jusqu'à ce jour
l'un des fondements majeurs du droit social : « À
mesure que l'on descend dans la hiérarchie des normes, on ne peut qu'améliorer
les droits des travailleurs et les garanties sociales, individuelles comme
collectives. En d'autres termes, le contrat de travail ne peut être moins
favorable aux salariés que l'accord d'entreprise ou d'établissement, l'accord
d'entreprise que l'accord de branche et l'accord de branche que l'accord
interprofessionnel. » En
proposant que des accords d'entreprise puissent désormais ouvrir droit au
bénéfice de dérogations au code du travail qui n'étaient jusque-là réservées
qu'à des accords de branche – et dans des sujets aussi importants que le
recours aux CDD, au travail intérimaire ou saisonnier, à la durée du travail...
–, le gouvernement avait bouleversé radicalement ce qu'il est convenu d'appeler « l'ordre public social » – et c’était une grande première
dans l’histoire du droit social français. Pour le patronat, c'était, si l'on
peut dire, la mère de toutes les réformes…
Mais quand cette réforme
a été engagée, le gouvernement de l’époque a pris beaucoup de gants. C’est en
effet presque à la sauvette que le débat a eu lieu puisque le gouvernement a
rusé, en insérant cette réforme majeure dans un projet de loi traitant tout à la
fois de la « formation
professionnelle tout au long de la vie » et
du « dialogue
social » – deux
sujets suffisamment importants pour occuper des débats distincts. Et c'est sous
la forme d'amendements, comme s'il s'agissait d'une petite retouche et non d'une
réforme de fond, que François Fillon, à l'époque en charge du dossier comme
ministre du travail, est parvenu à faire passer cette inversion de la
hiérarchie des normes. C’est dire si la droite était encore extrêmement
précautionneuse…
Mais, à partir de 2007, avec l’élection de Nicolas Sarkozy, tout
change : la déréglementation sociale devient le cap revendiqué par la
puissance publique.
« L'année 2009 sera peut-être l'année de
naissance d'un nouveau capitalisme,
D’un nouvel ordre mondial [...]
On ira ensemble vers ce nouvel ordre mondial,
Et personne, je dis bien personne, ne pourra s'y
opposer ».
N. Sarkozy
Et l’inversion de la hiérarchie des normes sociales, qui avait
été décidée à la sauvette en 2003, commence concrètement à s’appliquer. Par
exemple, le gouvernement de l’époque fait adopter une réforme du forfait jour
pour les cadres très régressive, puisque des accords d'entreprises peuvent
éventuellement porter la barre au-delà des 235 jours de travail, déjà très
inquiétante, fixée par la loi.
Promis pendant la
campagne présidentielle par Nicolas Sarkozy, un nouveau contrat de travail
prévoit par ailleurs un système de rupture par consentement mutuel entre
l'employeur et le salarié. Et là encore, c’est une mise en pratique de cette
inversion de la hiérarchie des normes sociales, avec tous ses effets pernicieux
induits, puisque cela vise à sortir d’un vieux système : le contrat à
durée indéterminée (CDI), adossé à des règles nationales, et notamment des
règles de droit très strictes, celles du droit du licenciement. Et à y
substituer un contrat nouveau, où la loi s'efface au profit d'une relation
purement contractuelle entre le salarié et l'employeur.
Du temps de travail au
contrat de travail, c'est d'ailleurs la philosophie générale de la politique
sociale du gouvernement de ces années-là. Avec comme onde de choc, un retrait
progressif de la loi et une contractualisation à outrance des relations
sociales. Une contractualisation ou une individualisation. C'est donc l'aboutissement
ultime de cette inversion de la hiérarchie des normes : elle conduit, sous
la houlette de Nicolas Sarkozy, à un émiettement des relations du travail. Plus
que cela, à placer le salarié, seul, face à l'entreprise. C'est la remise en
cause des règles fondamentales qui ont présidé pendant des lustres à
l'élaboration du code (national) du travail.
Du même coup, on comprend mieux dans quelle philosophie
sociale s’inscrit la politique qui est impulsée à partir de 2012 par François
Hollande : elle se rapproche beaucoup plus de celle conduite par Nicolas
Sarkozy entre 2007 et 2012 que de celles conduites par la droite dans les
périodes antérieures, que ce soit durant les années 1986-1988, entre 1993 et
1997, ou encore entre 2002 et 2007. L’inspiration
de François Hollande est la même que celle de Nicolas Sarkozy :
l’entreprise est le seul référent et doit prévaloir sur la loi ou l’accord de
branche…
L’inspiration est la
même, mais il y a une chose qui change : c’est le rythme et la violence
des réformes néolibérales. D’un seul coup, à partir de 2012, les coups de
boutoirs contre le code du travail sont plus violents et surtout beaucoup plus
répétés. C’est comme un feu roulant : dès qu’une réforme antisociale entre
en application, une autre est tout aussitôt annoncée. Temps bénis pour le Medef qui peut faire de la surenchère autant qu’il
veut, avec la certitude qu’il sera entendu dans toutes ses outrances.
Il y a ainsi eu, en
2013, l’accord national interprofessionnel (ANI) « sur la compétitivité et
la sécurisation de l’emploi », avec à la clef une cascade de dispositions
socialement très régressives : possibilité de recours à des accords
d’entreprise autorisant une hausse du temps de travail sans hausse des
salaires, et même avec des baisses de salaires ; procédures facilitées
pour les licenciements économiques, avec la possibilité de plans sociaux accélérés,
considérés comme conformes au bout de trois semaines si l’administration n’a
pas opposé avant son veto ; raccourcissement de la période pendant
laquelle un salarié peut saisir le juge des prud’hommes concernant l’exécution
ou la rupture de son contrat de travail, etc.
Il y a eu encore, en
2015, la loi Macron qui a très fortement
renforcé l’arsenal de ces mesures anti-sociales, avec la déréglementation du
travail le dimanche. De nouvelles dispositions facilitant encore plus les
procédures de licenciement, et réduisant encore davantage les possibilités de
recours des salariés, ont aussi été prises dans cette loi fourre-tout.
La symbolique des 35
heures
Et parmi d’innombrables
autres mesures – Mediapart va bientôt en faire une recension beaucoup plus
exhaustive –, voici donc que le ministre du travail dévoile un projet qui
entend faire tomber de nouveaux pans entiers du code du travail : dynamitage des 35 heures, avec la
possibilité ouverte aux entreprises de faire travailler leurs salariés jusqu'à
12 heures par jour (contre 10 heures actuellement), ou jusqu’à 46 heures par semaines pendant 16 semaines
consécutives ; élargissement des clauses autorisant les entreprises à
recourir aux accords de compétitivité, leur permettant d’augmenter le temps de
travail, mais pas les salaires, avec à la clef le licenciement possible des
salariés qui s’y opposent ; élargissement des critères ouvrant droit aux
licenciements économiques et possibilité ouverte aux multinationales de
procéder à des licenciements en France même si leurs filiales étrangères sont
prospères ; plafonnement des indemnités que peuvent accorder les
juridictions prud’homales à l'équivalent de 15 mois de salaires ; feu vert
aux référendums d’entreprise, avec à la clef une très grave mise en cause des
syndicats…
Bref, même
si le projet de loi n’est pas encore stabilisé, ce sera, dans tous les cas de
figure, un véritable dynamitage du code du travail auquel les dirigeants
socialistes auront procédé durant le quinquennat de François Hollande.
C’est dire
si ce quinquennat marque une rupture sur le plan social autant que sur les
libertés publiques. Et cette rupture est encore plus spectaculaire, si l’on ne
prend en compte que les politiques sociales conduites par la gauche, depuis
plus de trois décennies.
Cela coule naturellement
de source si l’on examine d’abord ce que fait la puissance publique sous le
premier septennat de François Mitterrand. Dès 1983-1984, avec le virage de la
« rigueur », les socialistes conduisent certes une politique
économique beaucoup plus libérale. Mais l’heure n’est pas encore à la
déréglementation sociale. De ce premier septennat, on peut donc ne retenir que
quelques grands « acquis sociaux » – le terme n’est pas encore
jugé archaïque – comme le passage aux 39 heures, la cinquième semaine de
congés payés ou la retraite à 60 ans.
Mais, même ensuite,
quand la gauche commence à prendre des mesures de déréglementation sociale,
elle ne le fait qu’avec une infinie prudence. Ou alors, elle prend soin de
contrebalancer un dispositif accroissant la flexibilité par des mesures de
compensation.
En faut-il une preuve,
on la trouve dans la politique sociale du second septennat de François
Mitterrand : les socialistes renoncent alors à rétablir l’autorisation
administrative préalable aux licenciements, mais ils n’en font guère plus en
matière de déréglementation. Sauf peut-être dans un domaine : la ministre
du travail de l’époque, Martine Aubry, prend des mesures d’allègements des
cotisations sociales qui vont fortement favoriser le dramatique essor du travail
à temps partiel, et notamment du travail à temps partiel féminin contraint.
Un autre exemple encore
plus net est fourni par les 35 heures. Car sous le gouvernement de Lionel
Jospin, les socialistes commencent à baisser les bras, face aux avancées de la
mondialisation. Et les 35 heures, qui devaient initialement être payées 39
heures, sont finalement mises en œuvre dans des conditions totalement
différentes de ce que les congrès du PS avaient décidé : la réforme va de
pair avec une flexibilité accrue du travail et notamment une annualisation du
temps de travail – qui jusque-là constituait un véritable chiffon rouge
pour la gauche et le mouvement syndical. Et les 35 heures ont aussi débouché
sur une forte modération salariale, à l'inverse de ce que les socialistes
avaient initialement promis !
Mais enfin ! La réforme des 35 heures a eu aussi des
effets positifs et, en tout premier lieu, des créations massives
d’emplois : les études les plus fiables suggèrent que les lois Aubry ont
conduit à la création de quelque 350 000 emplois dans les années suivant
leur mise en œuvre, sans nuire à la compétitivité des entreprises.
Face aux avancées de la
mondialisation, Lionel Jospin cède donc du terrain, mais beaucoup plus dans les
domaines financiers, économique et fiscaux que dans le domaine social, où le
bilan est plus nuancé.
Ce souci d’équilibre est
d’ailleurs encore transparent au tout début du quinquennat de François
Hollande. Car quand il force la main aux partenaires sociaux pour qu'ils
s'entendent sur l’accord national interprofessionnel (ANI), la loi qui en
découle cherche encore à sauver les apparences. En face des mesures de
déréglementation, comme pour les contrebalancer, il y a des mesures qui sont
présentées comme de nouvelles garanties : droits rechargeables pour
l’assurance chômage, généralisation des systèmes de complémentaire santé…
En réalité, avec l'ANI,
il s’agit d’un marché de dupes : les mesures de déréglementation du
travail sont massives ; et les compensations infimes ou illusoires. Mais
enfin ! Le gouvernement de Jean-Marc Ayrault essaie tout de même de donner
le change, pour faire croire que sa politique sociale est assise sur un
donnant-donnant. Et cela marche : complaisamment, les grands médias
qualifient cette politique de sociale-libérale, alors qu’il s’agit d’une
politique… néolibérale. On peut d'ailleurs lire rétrospectivement avec beaucoup
d'intérêt un billet de blog (L’accord du 11 janvier 2013 sert-il la cause de l’emploi ?)
écrit sur l'ANI par Raphael Dalmasso, maître de conférences à l’université de
Nancy, Bernard Gomel, chercheur au CNRS, Dominique Méda, professeure à
l’Université Paris-Dauphine, et Evelyne Serverin, directrice de recherches au
CNRS, tous associés au centre d’études de l’emploi (CEE), qui critiquaient cet
accord quelques jours à peine après qu'il eut été signé. Ce texte avait parfois
été jugé trop sévère, alors que l'on se rend compte aujourd'hui qu'il visait
juste.
Mais François Hollande
et Manuel Valls n’ont plus même besoin, désormais, de donner le change. Du même
coup, ni donnant-donnant, ni troc ! La réforme qui est aujourd'hui en
gestation se présente, sans fard, pour ce qu’elle est : un dynamitage
encore plus violent que les précédents de ce qui reste du code du travail. Ni
maquillage, ni faux-semblant :
c’est dans la boîte à outils intellectuelle du Medef que le gouvernement est
allé puiser toutes les dispositions qui vont constituer la charpente de son
projet de loi.
Parmi les éléments proposés dans le projet actuel
☞ En cas de licenciement illégal, l’indemnité prud’homale est plafonnée à 15 mois de salaire.
☞ Les 11 heures de repos obligatoire par tranche de 24 heures peuvent être fractionnées.
☞ Une entreprise peut, par accord, baisser les salaires et changer le temps de travail
☞ Les temps d’astreinte peuvent être décomptés des temps de repos
☞ Le dispositif « forfaits-jours », qui permet de ne pas décompter les heures de travail, est étendu
☞ Les apprentis mineurs pourront travailler 10 heures par jour et 40 heures par semaine
☞ Le plancher de 24 heures hebdomadaires pour un contrat à temps partiel n’est plus la règle dans la loi.
☞ Il suffit d’un accord d’entreprise pour que les heures supplémentaires soient 5 fois moins rémunérées.
☞ Une mesure peut-être imposée par référendum contre l’avis de 70% des syndicats.
☞ Une entreprise peut faire un plan social sans avoir de difficultés économiques.
☞ Après un accord d'entreprise, un-e salarié-e qui refuse un changement dans son contrat de travail peut être licencié.
☞ Par simple accord on peut passer de 10h à 12h de travail maximum par jour.
C’est pour cela, comme
dans le cas de la déchéance de nationalité ou de la constitutionnalisation de
l’état d’urgence, qu’il s’agit d’une réforme qui marque une rupture sans
précédent. Une rupture avec ce qu’a été l’histoire sociale française, qui a
longtemps privilégié la politique contractuelle et le respect des partenaires
sociaux – là où il n’y a plus
maintenant que mépris et passage en force !
Signer la pétition :
https://www.change.org/p/loi-travail-non-merci-myriamelkhomri-loitravailnonmerci
Et puis, plus encore une
rupture avec l’histoire longue de la gauche dont les combats, depuis le XIXe siècle, se sont souvent confondus avec
ceux de ce qu’en d’autres temps on appelait le mouvement ouvrier. Mais qui
parle encore de conquêtes sociales ? Qui défend encore l’ambition d’une
République sociale ? En fait, le pouvoir socialiste poursuit et accélère
la déconstruction du modèle social dont la France s'était dotée à la fin de la
guerre – déconstruction remarquablement décrite dès 2010, par Alain Supiot
dans son livre L'Esprit de
Philadelphie Et ce
travail de déconstruction est à ce point spectaculaire qu'il suscite un vif
émoi à gauche et dans le mouvement syndical, comme en témoigne l'écho rencontré
par une pétition lancée par des militants politiques ou syndicaux. Cette déconstruction scandalise même les
figures les plus connues du socialisme français, comme Pierre Joxe qui, le 19
décembre 2014, participait à un débat de Mediapart et avait fait ce constat
terrible : « Je suis
éberlué par cette politique qui va contre notre histoire. »
Alors,
voyant comment les dignitaires socialistes tournent aujourd’hui le dos à tous
les idéaux anciens de la gauche, ceux qu'ils ont eux-mêmes si longtemps
défendus, on ne peut s’empêcher de ressasser les vers de « La Victoire de
Guernica », de Paul Éluard :
« Ils persévèrent, ils
exagèrent, ils ne sont pas de notre monde. »