Le projet de réforme
constitutionnelle de protection de la Nation va être débattu au Sénat dans les
jours prochains.
S'il a
suscité nombre de réactions concernant l'extension de l'état d'urgence ou la
déchéance de la nationalité française, un de ses aspects est passé totalement
inaperçu mais, si le texte est adopté en l'état de sa rédaction issue du vote
de l'Assemblée Nationale, il est
susceptible d'avoir un effet de bord particulièrement important dans la plupart
des affaires politico financières ou de corruption.
En effet, la principale sanction que craignent les
responsables politiques, lorsqu'ils sont confrontés au juge pénal, est
évidemment la peine d'inéligibilité qui est souvent prononcée par le
tribunal.
Or, si
l'on reprend le texte du futur article 34 de la Constitution en cours de
discussion, on remarque que, sur amendement introduit par le Gouvernement au
cours des débats au Palais Bourbon, la loi devra définir :
"La
nationalité, y compris les conditions dans lesquelles une personne peut être
déchue de la nationalité française ou des droits attachés à celle-ci
lorsqu'elle est condamnée pour un crime ou un délit constituant une atteinte
grave à la vie de la Nation".
Une
lecture stricte du nouveau texte constitutionnel conduirait à une
interprétation simple : seule serait conforme à la Constitution une loi
prévoyant la déchéance de nationalité pour des personnes condamnées pour crime
ou délit constituant une atteinte grave à la vie de la Nation, c'est à dire
les actes de terrorisme et d'atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation.
C'est d'ailleurs la position exprimée par le Gouvernement et le législateur au
cours des débats.
Et donc la deuxième partie de la phrase suivrait la même règle :
"Seules les personnes condamnées pour crime ou
délit d'atteinte grave à la vie de la Nation pourraient être déchues des droits
attachés à la nationalité".
Et c'est
là que le bât blesse : par définition les droits de vote et
d'éligibilité font partie des droits attachés à la nationalité. Dès
lors ce nouveau texte constitutionnel
risque tout simplement de rendre contraire à la Constitution tous les textes
pénaux de sanction qui prévoient la perte du droit de vote et d'éligibilité
pour des crimes ou délits autres que ceux qui correspondent dans le code pénal
à la définition des atteintes graves à la vie de la Nation.
Évidemment
cette analyse juridique est sujette à discussion mais il est fort à parier que
ce sera là un joli "sac de nœud" contentieux, avec son cortège de
questions prioritaires de constitutionnalité.
Une interprétation constitutionnelle stricte du texte gouvernemental voté
par l'Assemblée Nationale pourrait donc conduire à ce qu'aucune personne
condamnée dans une affaire politico financière ou de corruption ne puisse se
voir infliger à l'avenir une peine d'inéligibilité ou de perte du droit de
vote. Voilà qui
devrait réjouir celles et ceux, élus indélicats, qui se sont fait prendre le
doigt dans le pot de confiture...
De la Démocratie.
Celui qui
fait la loi sait mieux que personne comment
Elle doit être exécutée & interprétée.
Il semble donc qu’on ne saurait avoir une
meilleure constitution que
Celle où le pouvoir exécutif est joint au législatif :
Mais c’est cela même qui rend ce
Gouvernement insuffisant à certains égards,
Parce
que les choses qui doivent être distinguées ne le sont pas,
& que le Prince & le Souverain
n’étant que la même personne,
Ne forment, pour ainsi dire, qu’un
Gouvernement sans Gouvernement.
il
n’est pas bon que celui qui fait les lois les exécute,
Ni que le corps du peuple détourne son
attention des vues générales,
Pour les
donner aux objets particuliers.
Rien
n’est plus dangereux que l’influence des intérêts privés
Dans
les affaires publiques,
& l’abus des lois par le Gouvernement
est un mal moindre que la corruption du Législateur, suite infaillible des vues particulières.
Alors l’Etat étant altéré dans sa substance,
Toute réforme devient impossible.
Un peuple qui n’abuserait jamais du Gouvernement
N’abuserait pas non plus de l’indépendance
;
Un peuple qui gouvernerait toujours bien
N’aurait pas besoin d’être gouverné. …///…
Un Auteur célèbre a donné la vertu pour
principe à la République ;
Car toutes ces conditions ne sauraient subsister sans la vertu :
Mais, faute d’avoir fait les distinctions
nécessaires,
Ce beau génie a manqué souvent de justesse, quelquefois de clarté,
& n’a pas vu que l’autorité Souveraine
étant par tout la même,
Le même principe doit avoir lieu dans tout
Etat bien constitué,
Plus
ou moins, il est vrai, selon la forme du Gouvernement.
J. J. Rousseau
Était-ce
l'effet recherché par l'amendement du Gouvernement ou simplement un bug de
rédaction ?
Une bonne raison pour que
le Sénat clarifie les choses dans les jours à venir.