Depuis la parution des photos de l'enfant syrien, la
droite française se heurte à ses propres contradictions. Engoncé dans ses
positionnements électoraux et sa quête des électeurs FN, le parti de Nicolas
Sarkozy peine à trouver un équilibre. Et sombre, une fois de plus, dans le
grand n'importe quoi.
Le mépris et la haine
sont sans doute les écueils
dont il importe le plus aux princes de se
préserver.
Machiavel "Le
prince"
Insoutenable. Ils n’ont plus que ce mot à
la bouche. Depuis la parution des photos d’Aylan Kurdi, un enfant syrien de
trois ans retrouvé mort sur une plage turque, une partie de la droite française
crie son indignation face à l’horreur. Samedi 5 septembre, les ténors de LR
(ex-UMP) se retrouveront à La Baule (Loire-Atlantique) pour une rentrée
politique commune. François Fillon, Alain Juppé et Nicolas Sarkozy y prendront
tous trois la parole. L’occasion pour eux de s’exprimer sur la crise des
migrants, sujet qu’ils se sont pour l’heure contentés de survoler, multipliant
amalgames, contresens et déclarations hasardeuses.
Après des semaines
à laisser Nadine Morano expliquer
que les réfugiés devraient « se battre pour leur pays » au lieu de le fuir, le parti de la
rue de Vaugirard commence à changer de ton. Certes l'eurodéputée continue à
twitter des questions aussi pertinentes que « la France et l'Allemagne
vont-elles assurer aussi les transports pour venir en Europe ? ».
Mais face à l’émotion suscitée par les photos du petit garçon, difficile pour
les élus un tant soit peu sérieux de persister dans le discours du “chacun chez
soi, on ferme les frontières”. Jeudi 3 septembre, c’est Nathalie Kosciusko-Morizet qui, la première, a fait entendre un
nouveau son de cloche. « L’Europe est comme paralysée,
tétanisée, depuis des semaines, et même des mois en fait, devant cette
situation, et il y a un moment où ça va virer au déshonneur, a-t-elle
affirmé sur France Inter. Elles
sont où les réunions d’urgence pour qu’on arrête de mourir sur les plages de
l’Europe ? »
On
ne peut guère reprocher à la vice-présidente de LR d’adapter son discours à la
situation. De dire tout et son contraire, comme le font bon nombre de ses
camarades de l’opposition, tel le député
Éric Ciotti, qui depuis des mois appelle à en finir avec « cette
fausse générosité » à
l’égard des migrants. Qui propose de « détruire les bateaux » des passeurs. Qui explique que le mot « migrants
masque la réalité », car il s’agit en réalité « pour la plupart » de « clandestins qui veulent
venir en Europe ». Et qui, scrupules en deuil, finit tout de même
par twitter, jeudi matin : « Image d’horreur insoutenable
que celle d’une enfance sacrifiée. Indignation & écœurement face à
l’inaction intolérable de la communauté int[ernationale]. »
Nathalie Kosciusko-Morizet n’en
est certes pas au même niveau de cynisme que d’autres élus de sa famille politique, mais son
intervention n’en demeure pas moins gênante. Car si elle reconnaît qu’une « confusion a
été entretenue – y compris dans les médias – entre l’immigration
économique, le droit d’asile, entre les migrants et les réfugiés »,
jamais elle ne remet en cause la responsabilité de son parti dans l’affaire,
encore moins celle de Nicolas Sarkozy, qui ne cesse d’organiser la surenchère à droite sur le sujet. La numéro 2 de LR n’a « pas envie de rentrer dans
cette polémique ». Elle ne veut pas s’appesantir sur la
comparaison plus que douteuse – la fameuse « fuite d’eau » –
dans laquelle s’était lancé, en juin dernier, l’ex-chef de l’État pour
dénoncer la proposition de la Commission européenne d’une répartition des
migrants entre les pays européens. Dès lors, son propos reste inaudible.
La crise des migrants agit comme
un révélateur de l’impasse dans laquelle se trouve la droite française. Engoncée dans ses
positionnements électoraux – en vue de la primaire de 2016 et vis-à-vis du
discours FN –, l’opposition peine à trouver un équilibre sur l’un de ses
marqueurs : l’immigration. Pour
éviter la chute, elle attaque tous azimuts : François Hollande, l’Europe,
Daech... Et quiconque pourrait lui éviter un semblant d'autocritique.
« L’ambivalence de la
parole des Républicains sur cette crise des migrants est le reflet du
tiraillement de ce parti entre deux lignes, l’une portée par l’axe
Sarkozy-Estrosi-Ciotti de plus en plus proche du FN, l’autre timidement
défendue par ceux qui n’oublient pas leur proximité politique avec les
chrétiens-démocrates européens », a souligné la porte-parole
socialiste Corinne Narassiguin, dans une
déclaration à l’AFP, après les propos tenus en début de semaine par la
porte-parole de LR, Lydia Guirous. En déclarant, lundi 31 août, qu’il
fallait « fermer les frontières,
arrêter Schengen, arrêter la libre circulation et aider ces pays à se
développer, avoir une véritable lutte contre ces réseaux de trafiquants d’êtres
humains et lutter avec une coalition internationale et des troupes au sol
contre Daech et contre toutes les organisations terroristes, que ce soit en
Afrique ou au Moyen-Orient », Lydia Guirous a suscité un certain
malaise au sein de son propre parti. À tel point que Sébastien Huygues, l’autre
porte-parole de LR, l’a immédiatement corrigée :« Quand on dit les fermer [les frontières –
ndlr], c’est que les règles pour entrer soient appliquées [...], que les gens
ne rentrent pas clandestinement d’une manière massive, c’est ça que nous
entendons. »
Première grande rupture entre Merkel et
Sarkozy
La porte-parole du PS
se trompe lorsqu’elle évoque seulement deux lignes rue de Vaugirard. Car en
réalité, l’opposition en compte des dizaines. Elles varient en fonction des
ambitions de chacun, de l’actualité, de l’émotion, des effets d’opportunisme.
La campagne des régionales et les prises de position des deux candidats opposés
le plus frontalement au FN – Christian Estrosi en PACA face à Marion
Maréchal-Le Pen et Xavier Bertrand dans le Nord-Pas-de-Calais face à
Marine Le Pen – en font la démonstration. Pour draguer les électeurs
frontistes, les deux élus LR n’hésitent pas à reprendre les mots de l'extrême
droite, quitte à verser dans le grand n’importe quoi.
Pour le député et
maire de Nice, la bonne solution consiste ainsi à stopper le flux de migrants car « nous n'avons pas les moyens
de les accueillir et les loger avec la dignité nécessaire ». « Surtout
quand nous ne pouvons pas répondre à des centaines de milliers de Français en
termes de chômage et d'emploi. Et, dans ces migrants, on le sait, il y a des
terroristes de Daech qui s'infiltrent », a-t-il affirmé mi-août sur France Info. À la fin
du même mois, c’est Xavier Bertrand qui lançait sur RTL : « Ceux qui sont clandestins, ceux
qui s'introduisent sur Eurotunnel ou dans les camions en détruisant des bâches,
donc en commettant des délits, doivent faire l'objet d'une obligation de
quitter le territoire français. »
À
côté des régionales, c’est une autre campagne qui coince les ténors de la
droite. Ayant programmé de s’exprimer sur l’immigration dans leurs livres
respectifs, Alain Juppé et François Fillon, tous deux candidats à la primaire
de 2016, ont été contraints d’accélérer leur calendrier. Le 26 août, sur son
blog, le maire de Bordeaux a repris la célèbre formule de Michel
Rocard – « L’Europe ne peut
pas accueillir toute la misère du monde » – pour
développer ce qu’il qualifie de « failles du système » :
Schengen et l’agence qui en est chargée (Frontex), dont il pense qu’elle est « dans
l’incapacité d’assurer le contrôle des frontières externes de la zone » ;
et le droit d’asile, une procédure à ses yeux « détournée de son objet » et « utilisée comme un moyen de
contourner la suspension ou l’encadrement de l’immigration économique ».
Comme lui, François Fillon
s’inquiète dans son « manifeste
pour la France » de voir« les
dérives » mettre en
péril le droit d’asile. Pour autant, les
deux hommes ont choisi de se démarquer de la « fuite
d’eau » de Nicolas
Sarkozy en insistant sur le caractère humain que nécessite la gestion de la
crise. Ainsi, l’ancien premier ministre s’est-il rallié jeudi à la position d’Angela
Merkel, qui appelle l’Europe – et en particulier les pays
d’Europe centrale – à être fidèle à ses valeurs en respectant la « dignité
de chaque être humain ». « Le
droit d'asile est sacré, a écrit Fillon sur son blog. Avec
courage et dignité, Angela Merkel est à l'action pour forcer l'Europe à prendre
ses responsabilités en matière de politique migratoire. »
En prenant fait et cause pour
l’exemple allemand, l’ancien premier ministre va même plus loin qu’Alain Juppé, qui ne s’est pas encore
explicitement exprimé sur le mécanisme européen de quotas contraignants. Défendue par Angela Merkel et critiquée par
Nicolas Sarkozy, cette proposition marque la première grande rupture entre les
deux responsables politiques. L’ancien chef de l’État, qui se targue
d’avoir toujours conservé une très grande proximité avec la chancelière
allemande, bute contre la ligne anxiogène avec laquelle il pense encore pouvoir séduire les “Madeleine” qui lui ont préféré
Marine Le Pen en 2012. Lundi à Tunis, Nicolas Sarkozy s’en est
ainsi pris au président français, qu’il juge responsable de la situation qui
règne en Libye voisine. « Depuis trois ans, la Libye a été
abandonnée. Aujourd’hui, c’est un pays à la dérive » !!!, a-t-il affirmé face aux
journalistes, avant de regretter que son successeur n’ait délaissé l’Union pour
la Méditerranée, fondée sous son quinquennat et balayée par les printemps
arabes. « Il faut mobiliser les moyens économiques pour permettre à la
démocratie tunisienne de s’installer dans la paix car il n’y a pas de
différence entre l’enjeu sécuritaire et l’enjeu économique »,
a-t-il affirmé. Jusqu’au bout, il avait soutenu sans réserve Zine el-Abidine
Ben Ali, balayé par la révolution tunisienne le 14 janvier 2011 ; Michèle Alliot-Marie, alors ministre de
l’intérieur, proposant même d’aider la police tunisienne face aux manifestants.
Pour effacer ce soutien de la France au dictateur, Nicolas Sarkozy avait par la
suite dépêché sur place un nouvel ambassadeur, Boris Boillon, dont l’attitude
de « Sarkoboy » avait fait scandale. Débarqué de Tunis peu après l’élection
de François Hollande, l’ancien diplomate avait été interpellé gare du Nord, en juillet 2013, avec 350 000 euros en
liquide.
L’ex-chef de l’État a beau se
pousser du col et mettre en avant son bilan, son passif ne plaide pas en sa
faveur. Durant son
quinquennat, il a entretenu avec ses homologues étrangers des relations pour le
moins délicates. Pendant cinq ans, son “je t'aime moi non plus” avec Angela
Merkel a largement nourri la chronique. Longtemps,
la chancelière allemande l’a surnommé « Monsieur
Blabla », moquant ses gesticulations à travers l’expression « président Duracell »,
« l'arrogance », « l'ego surdimensionné », « l'hyperactivité » et « les maladresses » du « président bling-bling »français.
Des qualificatifs recyclés plus tard par l’ancien chef du gouvernement italien,
Silvio Berlusconi, qui avait indiqué au quotidien Il
Giornale que « l’ancien président
Nicolas Sarkozy est une personne dont l’arrogance l’emporte sur
l’intelligence ».
Des “camps
de rétention” pour les migrants en Afrique du Nord, mais aussi en
Serbie et en Bulgarie : la proposition de l’ex-chef d’Etat français
provoque une vague de moqueries et de commentaires indignés sur la
Toile bulgare.
Qu’importe
l’urgence dont parle Nathalie Kosciusko-Morizet, Sarkozy ne dévie pas de son
objectif. Selon LeMonde, il réfléchirait même à l’éventualité de fermer
les frontières nationales « lors d’une crise
migratoire ».« Il s’agirait de renforcer
les contrôles aux frontières, pas de les fermer », tempère auprès de Mediapart le sénateur François-Noël
Buffet, secrétaire national LR en charge de l’immigration, qui planche sur la
journée de travail que la rue de Vaugirard consacrera au sujet le 16 septembre.
En attendant « la clarté » et « le travail de pédagogie »promis
par ce dernier, chacun continue à parler à tort et à travers. À s’inquiéter que
l’Europe accueille d’autres réfugiés tout en réclamant l’asile politique pour
les chrétiens d’Orient. Et à multiplier les paradoxes.