Alors que la déflation suit son cours au sein de la
quatrième économie de la zone euro,
quand 1,4 millions de foyers sont régulièrement
victimes de coupures d'eau, d'électricité ou de gaz, plan détaillé sur les
propositions de Unidos Podemos en vue des élections générales du 26 juin, point
d'ancrage pour un éventuel Front Populaire ces prochains mois.
Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté,
doit commencer par leur garantir l'existence.
Léon Blum
Le 8 juin dernier, Carolina Bescansa,
cofondatrice de Podemos, invitait la presse pour médiatiser le programme de Unidos Podemos. Si le format copie clairement
celui d'un célèbre catalogue, le fond, environ 400 propositions, prétend
répondre à six années de disette budgétaire. Pour l'image, la maison de la sociologue a
en partie servi de cadre. Pour le
reste, soit l'essentiel, ces points de programme ont été élaborés depuis les
cercles citoyens et reprennent donc ceux présentés lors de la précédente
campagne. Une annexe d'une vingtaine de pages jointe en fin de document authentifie
l'accord programmatique passé avec Izquierda Unida.
Tout d'abord, Unidos
Podemos propose d'engager l'État dans un processus européen visant la
constitution d'une agence de régulation financière commune aux Étas membres,
pour, notamment, enrayer le secret bancaire dans les paradis fiscaux.
Dans le domaine de la
Recherche, UP propose de nouveaux statuts pour les chercheurs, leur
garantissant une carrière fructifère, basée sur le mérite, ainsi que la
création par l'État de Centres d'Innovation Citoyenne, qui seraient gérés
conjointement par les municipalités et les universités concernées, de bourses
et de concours supplémentaires, tant pour les élèves que pour les entreprises
souhaitant investir dans la transition énergétique, et l'éventuel rapatriement
des cerveaux émigrés dans le cadre d'un plan d'innovation technologique et
scientifique.
En ce qui
concerne la Justice, Unidos Podemos souhaite dans un premier temps l'abrogation
de la Loi
4/2015, dite loi "Mordaza" dans le langage courant (loi du
bâillon). Il s'agit d'une loi sur la sécurité et la protection civile instaurée
par le PP. Vigoureusement critiquée, notamment dans le cadre des mouvements
sociaux, elle interdit, par exemple, tout rassemblement citoyen autour du
Parlement ou du Sénat, les sit-in, blocages et occupations, la prise d'image
des forces de l'ordre, ainsi que toute tentative d'interférer sur l'expulsion
d'un locataire par un propriétaire. Par rapport aux hypothèques, UP souhaite
offrir la possibilité d'une seconde chance aux locataires et aux propriétaires
susceptibles d'être délogés ou expropriés, notamment à travers de la
régularisation de la dation en paiements rétroactifs et la réduction voire
l'annulation de la dette quand il y a départ du logement. Par ailleurs, UP
souhaite légiférer sur la possibilité de
déclarer un bien immobilier insaisissable si considéré comme lieu de résidence
unique et d'occupation permanente, ainsi que sur l'impossibilité de
recourir à une expulsion sans proposition d'habitat alternatif.
UP propose ensuite
d'améliorer les standards actuels dans le domaine de l'assistance juridique
(qu'elle soit publique et gratuite), de créer une Agence de Protection des
Consommateurs et un Bureau des Droits Humains, de mettre en place une loi qui
garantisse et facilite la liberté d'expression et de réunion, et de rendre les
amendes proportionnelles aux revenus des condamnés.
Finalement,
dans le domaine des prestations sociales, Unidos Podemos affirme pouvoir dédier
un portefeuille de 85 millions d'euros à l'amélioration des prestations
sociales de base, redistribués par les mairies, et créer un Centre d'Innovation
et de Recherche ainsi que de nouveaux Centres de Services Sociaux (un pour
vingt mille habitants).
Unidos
Podemos propose d'abord de pérenniser le système des retraites à l'aide d'un
nouvel impôt, tout en garantissant le départ à 65 ans. Parallèlement, le
programme évoque l'importance de légiférer sur l'autonomie et la dignité des
personnes en situation de dépendance (physiothérapie et rééducation gratuites,
amélioration des services pour l'aide à la personne, augmentation du montant de
la prise en charge du matériel orthopédique, etc.), ainsi que sur l'inclusion
des personnes à mobilité réduite ou fonctionnelle, par l'emploi et la professionnalisation.
Dans le domaine de la Santé, un des secteurs les plus durement touchés par les
coupes budgétaires demandées par Bruxelles, UP souhaite pouvoir investir 8,8
milliards d'euros, soit l'équivalent de la somme des coupes dans ce secteur
depuis 2010. UP propose une sécurité sociale universelle, une loi sur la fin de
vie et la création d'une plateforme numérique consacrée à l'historique
sanitaire de tous les citoyens, notamment.
Afin de relancer la
consommation, la compétitivité du pays, le pouvoir d'achat et lutter contre la pauvreté (selon
l'Institut National des Statistiques, 1 espagnol sur 5
risque de passer sous le seuil de pauvreté actuellement), UP
souhaite instaurer un revenu minimum (comparable au RSA). En premier lieu, les
travailleurs pourraient percevoir un complément salarial leur permettant
d'atteindre les 900 € de revenus mensuels, et en relevant le salaire
minimum de 650 € à 950
€ en quatre ans.
L'UP souhaite aussi rompre avec les deux précédentes
réformes du code du travail (celle du PSOE, en 2011, et celle du PP, l'année
suivante)Concernant les heures de travail, UP souhaite une semaine de travail à 35 heures (pour 40 actuellement) et
propose de reprendre le contrôle sur les
heures supplémentaires, qui ne sont généralement pas payées (environ 3,5
millions d'heures supplémentaires par semaine en moyenne n'étaient pas
rémunérées pour l'année 2015). Cela implique d'une part l'embauche de nouveaux inspecteurs du
travail, dotés de plus moyens, et d'autre part de rendre à la représentation syndicale et à la négociation collective
leur place dans les accords entre le salariat et le patronat. Les syndicats
ont été très affaiblis par les réformes du travail, et la Banque d'Espagne en demande une
nouvelle.
À l'échelle européenne, UP évoque aussi la possibilité d'une indemnisation des chômeurs remise directement par Bruxelles, en cas de crise majeure, et afin de relancer l'initiative sociale en Europe, la nécessité d'un Eurogroupe social, réunissant les Ministres des Affaires Sociales et du Travail des pays de l'Union.
L'UP souhaite également légiférer pour
responsabiliser les fournisseurs d'électricité et de gaz, tout en garantissant
un seuil minimum et universel permettant d'accéder au gaz, à l'eau et à
l'électricité, notamment pour les foyers touchés par une pauvreté soudaine.
Pour ce faire, UP propose la création d'une entité publique pour garantir
l'accès au gaz et à l'électricité.
Par ailleurs, le programe
fait également état de la reconnaissance constitutionnelle de la langue des
signes (elle serait considérée comme une langue officielle). Enfin,
pour garantir l'Égalité, le programme de UP propose de légiférer sur l'identité
de genre (l'Espagne reconnait et punit la
violence associée au genre depuis 2004), la reconnaissance et le
soutien des familles monoparentales et l'aménagement du temps de travail pour
les jeunes parents.
En
termes de démocratie politique et de représentativité, Unidos
Podemos opte pour la possibilité
d'organiser des référendums révocatoires. Le processus révocatoire se
baserait sur une pétition citoyenne réunissant au moins 15 % des inscrits sur
les listes électorales. S'ensuivrait un vote parlementaire, et si au moins 158
députés (sur 350) se montraient en faveur d'une révocation, alors le
Gouvernement devrait organiser un référendum national pour demander à la
citoyenneté si elle souhaite de nouvelles élections. Concernant les carrières
politiques, UP souhaite interdire la
reconversion dans le secteur privé (actuellement, environ 50 personnalités politiques de premier plan siègent
aux CA des entreprises de l'Ibex 35). Parallèlement,
UP souhaite qu'un Observatoire Citoyen des Politiques Publiques soit mis en
place. Au sujet de l'unité territoriale, UP
considère l'Espagne comme un pays plurinational et s'engage à faire respecter
les singularités des communautés autonomes qui le souhaiteraient. Par exemple,
concernant la Catalogne, UP souhaite la tenue d'un référendum consultatif
traitant du statut de cette région par rapport à l'État central.
Concernant
la laïcité, UP propose de retirer les chapelles et les signes religieux
apparents des universités, ainsi que de mettre fin à l'exonération d'impôts sur
les biens immobiliers dont bénéficie l'Église (IBI), qui représente, selon Europa Laica, environ 2
milliards d'euros annuels. Par ailleurs, UP souhaite en finir avec les subventions
que l'Église reçoit de l'État, comme notamment via l'impôt sur le revenu des
contribuables (250 millions d'euros chaque année). En tout, Europa Laica estime
que l'Église espagnole bénéficie de 11 milliards d'euros d'aides de l'État
chaque année, soit 1 % environ du PIB. Pour UP l'école doit être laïque. UP souhaite abroger la
précédente loi sur l'éducation (la LOMCE), généraliser l'intégration dans les
écoles publics de centres d'apprentissage spécialisés dans les domaines de la
danse et du théâtre notamment. En tout, UP souhaiterait pouvoir investir 13,7
milliards d'euros dans l'Éducation (environ 5 % du PIB). Avec une telle
enveloppe, UP garantit la diminution du nombre d'élèves par classe (environ 30
dans le primaire), la baisse des prix des diplômes universitaires, l'emploi de
professeurs et de conseillers d'éducation aux pouvoirs renforcés, la
possibilité d'offrir une formation continue aux adultes tout le long de leur
vie salariée, et la hausse des salaires des fonctionnaires travaillant dans
l'enseignement. Concernant l'éducation dans le primaire et au collège, UP
souhaite supprimer les devoirs à la maison (l'Espagne est le troisième pays en
temps dédié aux devoirs et le premier en matière d'échec scolaire en Europe,
selon le dernier rapport de l'OMS).
Unidos Podemos souhaite un Ministère qui soit consacré à la culture et à la communication (actuellement, le secteur culturel est rattaché au Sport et à l'Éducation). S'ensuit une série de mesures législatives diverses, tant sur l'impossibilité de constituer des oligopoles médiatiques sans être contrôlé que sur le statut des artistes et des écoles d'arts. Par ailleurs, UP souhaite abaisser la taxe sur la valeur ajoutée des services et produits culturels, dont le taux actuel est le même pour tous les produits de consommation.
En matière de Droit d'asile, UP souhaite que l'État
respecte les engagements pris au sein de l'UE vis-à-vis de l'accueil des
réfugiés de guerre. L’actuelle gouvernance de Mariano Rajoy s'était engagée à
accueillir 18 000 personnes en deux ans. L'espagne n'a pour l'instant accueilli que 586 réfugiés, selon la CEAR (Commission
Espagnole d'Aide aux Réfugiés).
Enfin, la
confluence réunissant Podemos et Izquierda Unida valide dans son programme
l'idée de création d'une banque publique pour soutenir l'investissement à
partir du crédit pour les entrepreneurs (fusion de Bankia et Mare Nostrum). Pour améliorer les recettes de
l'État, le programme insiste également sur la nécessité d'en finir avec la
fraude fiscale (48 milliards chaque année), de réhausser le seuil d'imposition
sur le patrimoine (Baisser la tranche d'imposition sur le patrimoine à 400 000
€ au lieu de 700 000 € actuellement), et de prélever en priorité l'argent des plus grandes fortunes (hausse de
l'impôt sur le revenu pour les tranches supérieures, à partir de 60 000 € par
an). Lever des impôts sur les biens immobiliers inoccupés. Par ailleurs,
l'impôt payé par les grandes entreprises devrait passer de 5 % à 15 %, sans possibilité d'amnistie fiscale.
Concernant
la réindustrialisassions du pays, UP annonce vouloir ré-agencer les voies
ferroviaires, notamment autour des grandes zones portuaires. À ce sujet, lors
du meeting de campagne de En Comú Podem, à Barcelone, samedi dernier, Mònica
Oltra et Ada Colau ont ainsi évoqué le potentiel d'un possible couloir
ferroviaire méditerranéen reliant la Murcie aux Pyrénées, en passant par les
régions de Valence et de Barcelone. Le programme de UP fait en effet référence
à la réouverture de plusieurs lignes, comme celle liant Confranc (en Aragon) à
Oloron-Sainte-Marie, ou celle qui relie entre elles Teruel (Aragon), Saragosse
(Aragon) et Sagonte (Valence), dans le but de faire de l'Aragon "un pôle
logisitique". Le programme se fixe pour objectifs de nationaliser des centrales hydroélectriques. Dans le cadre de la transition énergétique, le programme détaille la proposition d'un Plan National (PNTE), afin de changer de modèle productif et d'éthique de la consommation. UP propose de développer l'autoconsommation électrique
(et les énergies renouvelables dans les administrations publiques et les
transports jusqu'à 100 % en capacité). Parallèlement, UP souhaite également
légiférer pour responsabiliser les fournisseurs d'électricité et de gaz, tout
en garantissant un seuil minimum et universel permettant d'accéder au gaz, à
l'eau et à l'électricité, notamment pour les foyers touchés par une pauvreté
soudaine. Pour ce faire, UP propose la création d'une entité publique pour
garantir l'accès au gaz et à l'électricité.
Ce plan
promouvrait un investissement à hauteur de 1,5 % du PIB pendant 20 ans dans
l'innovation énergétique tout en interdisant
la fracturation hydraulique. Il s'agirait essentiellement de réaliser un
audit national pour réorienter le secteur de la construction vers la
réhabilitation, la rénovation et l'amélioration des bâtiments déjà existants
(pour réduire leur consommation énergétique, etc.) et pour mesurer l'efficience
du système électrique dans sa globalité. Concernant
l'urbanisation, UP souhaite obliger les constructeurs à intégrer une
appréciation de la projection du coût environnemental dans les devis, ainsi que
légiférer sur les zones constructibles (garantir la préservation des montagnes,
des forêts, des plans et cours d'eau et du littoral principalement. À travers
diverses propositions de loi, sur l'utilisation des sols agricoles, la
protection de l'environnement et des paysages, ou encore la qualité de l'eau,
UP compte moderniser la politique environnementale de l'Espagne, une démarche
jusqu'alors souvent entravée par la corruption et le marché noir. UP souhaite améliorer les outils
juridiques permettant de sanctionner les pollueurs, notamment les personnes
morales, les entreprises. Concernant le monde animalier, UP souhaite
l'instauration progressive de référendums systématiques dans les localités où
ont lieu des festivités en lien avec la tauromachie.
À
l'international Enfin, le programme opte
pour s'opposer au TTIP, au CETA, ainsi qu'au TISA (certaines villes, comme
Madrid ou Barcelone, l'ont déjà fait). En plus d'une Agence de Régulation
Financière Européenne, UP envisage aussi de proposer la création une Agence
Fiscale Internationale, placée sous l'égide de l'ONU. Celle-ci pourrait, par
exemple, sanctionner les transnationales qui cherchent à éviter d'être imposée
là où elles font des bénéfices, et lever un impôt sur les transactions
financières (taxe Tobin).
Par ailleurs, Unidos Podemos souhaite multiplier les accords bilatéraux avec
les pays du continent sud-américain, ainsi que la reconnaissance unilatérale
par l'Espagne de deux États, la Palestine et le Sahara.
Chantier important en
Espagne, le programme de Unidos Podemos propose la restructuration de la dette, qui passe notamment par un audit
parlementaire incluant les citoyens (mesure reprise récemment par Ciudadanos).
De plus, UP propose de rétablir l'article 135 de la Constitution, qui concerne
la dette publique et son plafonnement, tel qu'il était écrit avant la
modification approuvée par PSOE et PP en 2011 (sous Zapatero). Concrètement,
cela signifie que UP souhaite se
désengager des pactes de stabilité budgétaire européens, comme le TSCG.
Pour conclure, à propos d'argent et de
cohérence, même si le budget public n'est plus de 96 mais de 60 milliards
d'euros environ, le programme proposé par Unidos Podemos demeure le même que
celui qui a eté proposé par Podemos lors des dernières élections générales.
Cette baisse significative est surtout liée à deux
problématiques, d'une part les efforts suplémentaires demandés par Bruxelles et
Pierre Moscovisci pour réduire la dette publique du pays, et d'autre part le
souci de se calquer sur les dépenses prévues par le PSOE (soit 62 milliards) en
vue d'un accord de gouvernement.
Pour l'instant, les derniers sondages créditent la
gauche du meilleur score jamais obtenu dans l'histoire récente de la démocratie
espagnole. Unidos Podemos obiendrait 25,2 % des suffrages et le PSOE 21,2 %.
Quand bien même le PP l'emporterait, le roi Felipe VI sait dores et déjà que
les trois principaux partis refusent une éventuelle coalition avec le PP.